Durée optimale de la double antiagrégation plaquettaire après angioplastie coronaire percutanée complexe

Durée optimale de la double antiagrégation plaquettaire après angioplastie coronaire percutanée complexe

Série inhibition plaquettaire et SCA Arch Mal Coeur Vaiss Prat 2017;2017:28–30 Durée optimale de la double antiagrégation plaquettaire après angiopl...

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Série inhibition plaquettaire et SCA

Arch Mal Coeur Vaiss Prat 2017;2017:28–30

Durée optimale de la double antiagrégation plaquettaire après angioplastie coronaire percutanée complexe Optimal duration of dual antiplatelet therapy after complex percutaneous coronary angioplasty G. Schurtz a C. Delhaye a F. Vincent a,b,c,d G. Lemesle a,b,c,d,e

USIC, centre hémodynamique, institut CoeurPoumon, centre hospitalier régional et universitaire de Lille, boulevard du Pr Jules-Leclercq, 59037 Lille cedex, France b Faculté de médecine, université de Lille, 59000 Lille, France c Institut Pasteur de Lille, 59000 Lille, France d Unité Inserm UMR 1011, 59000 Lille, France e FACT, French Alliance for Cardiovascular Trials, 75000 Paris, France

a double anti-agrégation plaquettaire, combinant l'aspirine à un inhibiteur du récepteur P2Y12, est actuellement le traitement recommandé par les sociétés savantes lors d'un événement coronaire aigu et/ou après une angioplastie coronaire percutanée [1]. La durée optimale de cette double antiagrégation plaquettaire est en revanche sujette à de nombreuses controverses. Actuellement, la double anti-agrégation plaquettaire est recommandée pour 6 à 12 mois en cas de syndrome coronaire aigu et/ou après une angioplastie coronaire percutanée avec implantation d'un stent actif. Cette double anti-agrégation plaquettaire initiale permet effectivement une réduction des évènements liés : d'une part, aux précédentes revascularisations (notamment au risque de thrombose de stent), et d'autre part, à la progression de la maladie athéroscléreuse sur l'ensemble du réseau artériel. Au-delà de cette période « incompressible », un traitement par aspirine seule était le plus souvent poursuivi au long cours. Toutefois, une attitude individualisée semble plus adaptée aujourd'hui. En effet, si une mono antiagrégation plaquettaire ne semble pas suffisante pour les patients à haut risque ischémique en termes de protection vis à vis des évènements cardiovasculaires, prolonger la double anti-agrégation plaquettaire expose aussi à un risque plus

élevé de saignements, eux-mêmes délétères par des mécanismes multifactoriels. Dans le passé, des registres incluant des patients de « la vraie vie », à haut risque cardiovasculaire, ont suggéré un bénéfice d'une double anti-agrégation plaquettaire prolongée au-delà d'un an [2]. À l'inverse, les données émanant d'essais randomisés, de taille modeste, incluant des patients à plus faible risque et sélectionnés, et comparant des durées de double anti-agrégation plaquettaire peu différentes (quelques mois le plus souvent), n'ont pas retrouvé ce bénéfice et ont, au contraire, suggéré un sur-risque d'accidents hémorragiques [3–5]. Récemment, deux grands essais randomisés d'une puissance statistique satisfaisante ont permis d'apporter des éléments de réponse : il s'agit des études DAPT et PEGASUS [6,7]. L'étude DAPT avait pour objectif de comparer une stratégie « classique » par double antiagrégation plaquettaire 12 mois, puis aspirine en monothérapie et une stratégie de double anti-agrégation plaquettaire poursuivie 30 mois. Cette étude randomisée a inclus 9961 patients. Elle est la première étude permettant d'analyser avec suffisamment de puissance les critères durs comme la thrombose de stent ou les évènements cardiovasculaires majeurs, mais également les saignements consécutifs à une prolongation

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a

Auteur correspondant : G. Lemesle, USIC, centre hémodynamique, institut Coeur-Poumon, centre hospitalier régional et universitaire de Lille, boulevard du Pr JulesLeclercq, 59037 Lille cedex, France. Adresse e-mail : [email protected]

http://dx.doi.org/10.1016/j.amcp.2017.03.011 © 2017 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. 28

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du traitement antiplaquettaire au-delà de 12 mois. La poursuite d'une double anti-agrégation plaquettaire au long cours avait pour effet une réduction significative des évènements ischémiques (0,4 % vs. 1,4 % pour la thrombose de stent, p < 0,001 et 4,3 % vs. 5,9 % pour les évènements cardiovasculaires majeurs, p < 0,0001) mais au prix d'une augmentation du nombre d'hémorragies (2,5 % vs. 1,6 %, p = 0,001). Des résultats similaires ont été observés dans l'étude PEGASUS, qui avait pour but de comparer une stratégie par aspirine seule versus aspirine + ticagrelor (60 ou 90 mg  2/j) au long cours chez le patient coronarien stable à distance d'un infarctus du myocarde (1 et 3 ans). Au total, 21 162 patients ont été randomisés en trois groupes : aspirine seule, aspirine + ticagrelor 90 mg et aspirine + ticagrelor 60 mg. L'association aspirine + ticagrelor (90 ou 60 mg) permettaient une réduction significative du critère composite (décès cardiovasculaire, infarctus du myocarde et accident vasculaire cérébral) en comparaison de l'aspirine seule (7,85 % vs. 7,77 % vs. 9,04 %). Le risque de saignements majeurs était plus élevé dans les groupes associant aspirine + ticagrelor, respectivement 2,6 %, 2,3 % et 1,1 %. Ces deux grandes études nous permettent de mettre en avant le fait que prolonger la double anti-agrégation plaquettaire permet, sans aucun doute, une réduction significative des évènements cardiovasculaires mais au prix d'une majoration du risque d'hémorragies. En revanche, l'effet sur la mortalité toutes causes et non cardiovasculaire d'une prolongation de la double anti-agrégation plaquettaire au-delà de 12 mois reste encore incertain ce jour et débattu. En effet, on observait dans l'étude DAPT un excès de mortalité non cardiovasculaire dans le groupe de traitement prolongé, mais cela n'était pas retrouvé dans l'essai PEGASUS. À ce jour, malgré la publication de plusieurs méta-analyses à ce propos [8,9], il est encore très difficile de déterminer l'impact réel d'une double anti-agrégation plaquettaire prolongée sur la mortalité globale et non cardiovasculaire.

IDENTIFICATION DES PATIENTS : L'ANGIOPLASTIE COMPLEXE Une des questions principales reste donc celle de l'identification des malades qui bénéficieraient le plus d'une durée de traitement prolongée au-delà d'un an. L'interaction complexe entre efficacité et sécurité des traitements a mené récemment à de nombreuses investigations tentant de résoudre cette équation subtile entre risque et bénéfice de la double antiagrégation plaquettaire prolongée et d'identifier les différents profils de patients pouvant bénéficier d'une stratégie prolongée. Ainsi, au-delà de 12 mois, l'intérêt de prolonger le traitement doit être scrupuleusement étudié chez chaque patient, car le bénéfice en termes d'évènements ischémiques d'une telle attitude peut être contrebalancé par un excès de saignements, voire de mortalité. Dans cette optique, il est absolument fondamental de prendre en compte, d'une part, le risque hémorragique du patient par l'intermédiaire de scores (certes imparfaits) comme le score HAS-BLED, et d'autre part, le risque ischémique. Ce dernier est certes lié aux facteurs de risque de thrombose de stent très tardive et ceux-ci sont dorénavant bien connus. On retrouve les facteurs liés au patient : présentation clinique (syndrome coronaire aigu), diabète, insuffisance rénale, coronaropathie pluritronculaire, antécédent d'infarctus du myocarde, dysfonction ventriculaire

Série inhibition plaquettaire et SCA gauche. . . ; les facteurs liés au stent en lui-même : endothélialisation, thrombogénicité du polymère et des mailles du stent. . . ; et enfin les facteurs liés à la procédure : stent sous-dimensionné (et/ou sous expandu), malapposition, dissection résiduelle, nombre de stents implantés et longueur, complexité de la lésion. . . Mais le risque ischémique résiduel est également lié au risque de survenue d'un infarctus du myocarde lié à la rupture d'une nouvelle plaque sur le reste du réseau coronaire et donc à la diffusion de la maladie coronaire et à « l'agressivité » de l'athérosclérose. On constate donc que l'anatomie coronaire joue un rôle essentiel dans l'évaluation du risque ischémique de chaque patient. En effet, la diffusion de la maladie athéromateuse a toujours été associée à un pronostic péjoratif. La complexité des lésions coronaires est souvent synonyme de procédures plus longues, d'un nombre et d'une longueur de stent plus importants et est également souvent un marqueur d'une maladie athéroscléreuse plus diffuse. Ces facteurs de risque d'évènements thrombotiques peuvent donc justifier d'une prolongation du traitement antiagrégant plaquettaire chez ces patients. Le plus souvent, une angioplastie complexe est définie comme une procédure avec au moins un des éléments suivants : plusieurs vaisseaux traités, plusieurs stents implantés, longueur totale de stent supérieure à 30 mm, lésion bifurcation, calcifications extensives, tortuosités, ou traitement d'une occlusion coronaire chronique (Tableau I). Une étude rétrospective récente, menée au centre hospitalier régional et universitaire de Lille, a montré que, chez les patients traités pour une longue lésion coronaire nécessitant l'implantation de stent pour une longueur totale de plus de 30 mm, prolonger la durée de la double anti-agrégation plaquettaire était associé à un taux significativement plus faible de décès toutes causes (HR = 0,11 [0,03–0,32]) et cardiovasculaires (HR = 0,15 [0,04–0,62]), suggérant un intérêt potentiel de cette approche dans cette catégorie de patients à haut risque [10]. En 2016, une analyse post-hoc de 9577 patients inclus dans six essais randomisés a été publiée [11]. Elle s'est intéressée à l'impact de la durée de la double anti-agrégation plaquettaire (courte 3– 6 mois vs. longue  12 mois) sur le risque d'évènements cardiovasculaires majeurs en fonction du degré de complexité de l'angioplastie coronaire. Au total, 1680 patients (soit 17,5 %) ont été inclus dans le groupe angioplastie complexe. On retrouvait dans le groupe angioplastie complexe un nombre significativement plus élevé de diabétiques (35,8 % vs. 30,8 %, p = 0,006). Il n'y avait pas de différence entre les deux Tableau I. Critères de lésion complexes. Critères de lésions complexes Longueur totale de stent > 30 mm Utilisation de plusieurs stent Traitement de plusieurs vaisseaux Calcifications extensives/Utilisation de la technique de Rotablator® Tortuosités importantes Bifurcation Occlusion chronique Lésions thrombotiques Score Syntax élevé > 32

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G. Schurtz et al.

Série inhibition plaquettaire et SCA groupes sur la présentation clinique (coronaropathie stable pour 52,6 % vs. 57 %, respectivement). À noter que 86 % des stents implantés étaient des stents actifs de deuxième génération. Au terme du suivi (392 jours), les patients ayant bénéficié d'une procédure d'angioplastie complexe avaient un taux d'évènements cardiovasculaires majeurs plus élevés que les patients du groupe angioplastie « standard » (décès cardiovasculaire, infarctus du myocarde ou thrombose de stent) : 5,4 % vs. 2,9 %, HR = 2,05 [1,6–2,61], p < 0,0001. Ainsi, en analyse multivariée, une procédure d'angioplastie complexe était associée de façon majeure aux évènements cardiovasculaires (HR = 1,98 [1,5–2,6], p < 0,0001), aux thromboses de stent (HR = 2,25 [1,3–3,9], p = 0,004) et à l'infarctus du myocarde (HR = 2,29 [1,64–3,2], p < 0,0001). De manière intéressante, on observait dans cet article un bénéfice significatif de la double anti-agrégation plaquettaire prolongée ( 12 mois) chez les patients du groupe angioplastie complexe que cela soit en termes de réduction d'évènements cardiovasculaires (HR = 0,56 [0,35–0,89], p = 0,01) ou en termes de thrombose de stent et/ou infarctus du myocarde (HR = 0,57 [0,33–0,97], p = 0,04) en comparaison avec le traitement court (3–6 mois). Ce bénéfice d'un traitement prolongé était d'autant plus marqué que le degré de complexité de la procédure était important. À l'inverse, ce bénéfice d'un traitement prolongé n'était pas observé dans le sous-groupe de patients avec angioplastie « standard ». Dans les deux groupes, le risque hémorragique était significativement plus important chez les patients recevant une double anti-agrégation plaquettaire prolongée. L'ensemble de ces données suggère donc que les patients bénéficiant d'une procédure d'angioplastie complexe sont un groupe de malades à risque, et ce, indépendamment du type de stent implanté, et que la prolongation du traitement double anti-agrégation plaquettaire au-delà d'un an en comparaison à un traitement court permet une réduction significative des évènements cardiovasculaires majeurs. Plus la procédure apparaît complexe, plus le bénéfice semble se majorer.

CONCLUSION Une évaluation rigoureuse et individualisée s'impose pour déterminer quel patient bénéficiera d'une prolongation du traitement par double anti-agrégation plaquettaire. En dehors des éléments cliniques habituels de risque, l'anatomie coronaire et la complexité des lésions coronaires traitées sont des facteurs essentiels permettant de guider le choix entre l'extension ou non d'un traitement par double anti-agrégation plaquettaire au-delà de 12 mois.

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Déclaration de liens d'intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d'intérêts.

SOUTIEN Cet article a été réalisé avec le soutien institutionnel d'AstraZeneca.

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