Effet de la perte de poids après chirurgie bariatrique sur le métabolisme osseux

Effet de la perte de poids après chirurgie bariatrique sur le métabolisme osseux

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médecine et nutrition médecine et nutrition

EFFET DE LA PERTE DE POIDS APRÈS CHIRURGIE BARIATRIQUE SUR LE MÉTABOLISME OSSEUX1 Hélène WUCHER 1, Christine POITOU 1, Sébastien CZERNICHOW 1, 2

La prévalence de l’obésité est en augmentation constante à travers le monde : aux États-Unis, 66,3 % des adultes sont en surpoids, 32 % obèses et 5 % présentent une obésité morbide. Un adulte sur deux et un enfant sur cinq en Europe sont obèses. En France, 12,4 % des adultes sont concernés. La chirurgie bariatrique est actuellement le traitement le plus efficace de l’obésité morbide sur le plan pondéral mais surtout en termes d’amélioration des comorbidités. Différentes techniques sont utilisées, entraînant soit une restriction pure des apports alimentaires (anneau gastrique ajustable, gastroplastie verticale calibrée, gastrectomie de type « sleeve »), soit une malabsorption digestive de degré variable selon la technique utilisée, associée ou non à une restriction des apports alimentaires (bypass gastrique selon la technique de Roux en Y, duodénal switch, diversion biliopancréatique, etc.). Les deux techniques les plus utilisées actuellement en France sont l’anneau gastrique ajustable et le bypass gastrique. Bien que très efficaces en terme de perte de poids, les interventions de type malabsorptives entraînent des carences nutritionnelles et nécessitent une supplémentation vitaminique à vie. Les conséquences sur le métabolisme osseux sont mal documentées, mais un effet délétère sur l’os, en termes de risque fracturaire, n’est pas exclu.

Une analyse des principales études disponibles sur ce sujet est présentée ici, pour mieux comprendre les conséquences de la perte de poids après chirurgie bariatrique sur le métabolisme osseux, et en discuter la physiopathologie.

1. Hôpital Pitié-Salpétrière, Service de Nutrition, Paris. 2. UMR (INSERM, INRA, CNAM, Université Paris 13), Centre de Recherche en Nutrition Humaine Ile-de-France, Bobigny. Correspondance : Dr Sébastien Czernichow, Faculté SMBH, Centre de Recherche en Nutrition Humaine IdF, 74, rue Marcel-Cachin, 93017 Bobigny, France. Email : [email protected] 1

Les auteurs ne déclarent aucun conflit d’intérêt.

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Métabolisme osseux et techniques chirugicales de type restrictives Cinq études ont porté sur l’évolution des marqueurs osseux après chirurgie restrictive : ce sont toutes des études prospectives observationnelles, ayant inclus entre 17 et 81 sujets suivis sur une période de 12 à 24 mois [1-5] (tableau I). L’index de masse corporelle moyen préopératoire variait entre 40 et 46 kg/m2, avec une perte de poids moyenne de 21 à 33,4 % du poids de départ. La supplémentation en calcium et vitamine D n’était pas systématique. Ces cinq études retrouvaient des résultats globalement concordants, avec une augmentation précoce du remodelage osseux, prédominant sur les marqueurs de résorption Cah. Nutr. Diét., 42, 6, 2007

médecine et nutrition Tableau I. Effet de l’anneau gastrique ajustable sur le métabolisme osseux. Étude

N

Type d’étude

Durée Perte Supplémentation du suivi (mois) de poids (kg) phosphocalcique

[1]

18 patients 18 contrôles

Prospective

24

24

Oui

[2]

37 patientes non ménopausées

Prospective

24

39,1

Non précisée

[3]

16 patients 65 contrôles

Prospective

12

– 33,4 %

Non

[4]

31 patientes non ménopausées 17patients

Prospective

12

27,6

Non précisée

Prospective

24

24

Non

[5]

Résultats Diminution DMO à la hanche, baisse de la calcémie, augmentation de la formation osseuse Diminution DMO à la hanche, diminution de la calcémie, augmentation de la formation et de la résorption osseuse. Diminution DMO à la hanche, augmentation de la formation et de la résorption osseuse. Pas de différence de DMO, augmentation de la résorption osseuse. Pas de diminution de la DMO totale.

Durée Perte Supplémentation de suivi (mois) de poids (kg) phosphocalcique

Nombre de patients

IMC (kg/m2)

[6]

25 patients 30 contôles

31 48

Rétrospective

37

Oui

[7]

44 patients 65 contrôles

33 33

Rétrospective

– 31 %

Non

[8]

233 patients

50,5

Prospective

48

Non précisée

Oui

[9]

243 patients 49,1 à 60,6

Prospective

3,1 à 5,7 ans

Non précisée

Non précisée

[10]

13 patients 6 contrôles

Prospective

24

Non précisée

Oui

[11]

26 patients 7 contrôles

Non précisée

Non précisée

Étude

41 à 42,7

Type d’étude

Non précisé Rétrospective

osseuse (dosage des télopepetides sanguins et urinaires) par rapport aux marqueurs de formation osseuse (phosphatases alcalines et ostéocalcine). Une baisse modérée de la calcémie était parfois rapportée, mais aucune étude ne retrouvait de carence avérée en vitamine D ou d’hyperparathyroïdie secondaire. En terme de densité minérale osseuse (mesurée par absorptiomètrie biphotonique – DEXA), il était constaté globalement une baisse de densité au niveau du col fémoral et une absence de modification au niveau de la colonne lombaire et en terme de densité minérale osseuse totale. Aucune publication n’a étudié l’effet spécifique sur le risque de fracture.

Métabolisme osseux et chirurgie malabsorptive En ce qui concerne la chirurgie malabsorptive, il faut distinguer d’une part les techniques qui entraînent une Cah. Nutr. Diét., 42, 6, 2007

Résultats

Augmentation de la formation et de la résorption osseuse par rapport aux contrôles. Diminution DMO lombaire et à la hanche chez les femmes ménopausées seulement. Diminution DMO à l’avant bras, la hanche et la colonne lombaire la 1re année seulement. Diminution progressive de la vitamine D, augmentation progressive de la parathormone. Diminution DMO totale. Augmentation dès 3 mois des marqueurs de résorption et de formation osseuse. Augmentation DMO vertébrale. Diminution de la calcémie, augmentation de la formation osseuse.

malabsorption importante notamment en terme de vitamines liposolubles dont la vitamine D fait partie (bypass jéjuno-iléal, diversion biliopancréatique, etc.) et d’autre part le bypass gastrique selon la technique de Roux en Y. Après diversion biliopancréatique, les cas de carence en vitamine D avec hyperparathyroïdie secondaire, sont très fréquemment décrits. Des anomalies de minéralisation osseuse ont été mises en évidence sur des biopsies osseuses pratiquées 1 à 5 ans après ce type de chirurgie. Cependant, même chez ces patients, il n’a pas été mis en évidence de différence en termes de T-score sur l’ostéodensitomètrie, qui est le marqueur radiologique d’ostéoporose. Le bypass gastrique selon la technique de Roux en Y est responsable d’une malabsorption moins importante que les techniques précédentes. Six études [6-11] se sont essentiellement intéressées aux conséquences du bypass gastrique sur le métabolisme osseux. Il s’agit d’études rétrospectives (de 11 mois à 10 ans après la chirurgie) ou prospectives avec une durée de suivi allant de 6 mois à 6 ans. Comme pour l’anneau gastrique ajustable, on constate une augmentation précoce du remodelage osseux, mais de façon plus marquée, 321

médecine et nutrition et prédominant sur les marqueurs de résorption osseuse. Deux études rapportent par ailleurs des signes de carence en vitamine D avec hyperparathyroïdie secondaire, ne semblant pas se corriger malgré la supplémentation vitamino-calcique, mais les données à ce sujet sont contradictoires. Dans les équipes ayant l’expérience de suivre des patients après chirurgie, l’observation d’hyperparathyroïdies secondaires est fréquente et incite à prescrire une supplémentation vitaminocalcique précoce préventive. Une diminution de la densité minérale osseuse était également retrouvée, prédominant à la hanche et maximale la première année après la chirurgie. Aucune donnée en termes de risque de fracture n’était disponible.

Discussion En résumé, à partir des données disponibles dans la littérature, il semble exister une augmentation du remodelage osseux après chirurgie bariatrique, surtout en cas de chirurgie entraînant une malabsorption. Cette augmentation du remodelage osseux est précoce, maximale la première année après chirurgie. La physiopathologie de ces modifications est complexe. Tout d’abord, il apparaît avec la perte de poids des modifications des contraintes mécaniques imposées au squelette, qui peuvent expliquer en partie la prédominance de la perte osseuse au niveau de la hanche (qui pourrait alors correspondre à une simple adaptation à une charge mécanique moindre). Ensuite, les carences en calcium et vitamine D peuvent également être incriminées, même s’il existe vraisemblablement une adaptabilité du tube digestif après chirurgie de malabsorption permettant de limiter les carences. Les hormones sexuelles, qui ont un effet bénéfique sur l’os, diminuent également avec la perte de poids, mais aucune donnée claire sur leur implication n’est disponible, notamment en raison de fréquents troubles du cycle chez la femme obèse. La femme ménopausée semble néanmoins plus à risque de perte osseuse après chirurgie bariatrique. Enfin, deux hormones adipocytaires dont les taux varient avec la perte de poids jouent certainement un rôle dans les modifications observées du métabolisme osseux. Premièrement, la leptine [12, 13] est une hormone synthétisée par les adipocytes et dont les taux sanguins sont corrélés de façon positive avec la masse grasse. Elle joue un rôle majeur dans le contrôle de la prise alimentaire et de la dépense énergétique. Elle exerce une action complexe sur le métabolisme osseux, stimulant et inhibant à la fois la résorption osseuse par des voies de signalisation distinctes : elle induit en effet une stimulation de la résorption par activation de la différenciation des ostéoclastes à partir des ostéoblastes, médiée par le système nerveux sympathique, et une inhibition de la résorption osseuse par inhibition de la différenciation de ces mêmes ostéoclastes par une autre voie de signalisation, la voie CART (Cocaine Amphetamine Related peptide). Son action est globalement négative pour la formation osseuse. Celle ci s’exercerait de façon plus efficace avec la perte de poids, en raison d’une diminution de la résistance à la leptine constatée chez les sujets obèses. Ceci expliquerait une augmentation de la résorption osseuse malgré une diminution des taux de leptine circulant. Deuxièmement, l’adiponectine [14], une autre hormone adipocytaire, connue pour ses propriétés anti-inflammatoire et 322

anti-athérogène, et dont les taux circulants augmentent avec la perte de poids, a également un effet anti-ostéogénique : il a été démontré une relation inverse entre les taux d’adiponectine et la densité minérale osseuse. Cet effet semble s’exercer par la voie de signalisation RANK/RANK ligand. Elle pourrait ainsi participer à l’augmentation de la résorption osseuse constatée après chirurgie bariatrique.

Conclusion En conclusion, la chirurgie bariatrique entraîne effectivement une augmentation du remodelage osseux, et une diminution de la densité minérale osseuse, plus marquées après une technique malabsorptive, chez les femmes ménopausées et au niveau de la hanche. Cependant, les conséquences spécifiques de la chirurgie bariatrique sont difficiles à analyser, et leur répercussion clinique, en termes de risque de fracture, n’a jamais été directement étudiée. L’intérêt d’une supplémentation vitaminocalcique systématique reste à démontrer sur le risque fracturaire. Néanmoins il semble que la supplémentation est un principe de précaution après chirurgie de type malabsorptive.

Résumé La chirurgie de l’obésité est en pleine expansion depuis une dizaine d’années en raison de l’augmentation de l’obésité morbide dans les pays développés. Ses résultats sur le plan pondéral sont incontestables, mais ses conséquences sur le métabolisme osseux ne sont pas parfaitement élucidées, et pourraient être en partie délétères. Le but de cette revue est de faire le point sur les données disponibles sur le sujet et d’en discuter la physiopathologie. Mots-clés : Chirurgie bariatrique – Métabolisme osseux – Adipokines.

Abstract Bariatric surgery has been in constant expansion these last ten years, due to continous increase in prevalence of morbid obesity in developped countries. Its results in terms of weight loss are undeniable, but its consequences on bone metabolism are not well elucidated but and could be pejoratives. The goal of this study is to review the data avalaible on this topic and to discuss the physiopathology. Key-words: Bariatric surgery – Bone metabolism – Adipokins.

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