Psychologie du travail et des organisations 11 (2005) 59–68 http://france.elsevier.com/direct/PTO/
Article original
Effets du contexte d’évaluation sur les dimensions de la désirabilité sociale Context assessment effects on social desirability dimensions J. Juhel *, G. Rouxel CRPCC, université Rennes 2, place du recteur Henri-Le-Moal - CS 24307, 35043 Rennes cedex, France
Résumé L’objectif de ce travail est a) d’illustrer l’emploi de l’analyse factorielle à information complète (TESTFACT®) dans l’identification de la structure factorielle d’un questionnaire de désirabilité sociale d’items dichotomiques administrés à des participants rencontrés lors d’un bilan de compétences (n = 306) ou lors d’un recrutement (n = 720), b) d’étudier l’influence du contexte d’évaluation sur les scores latents de désirabilité sociale ainsi que sur les temps de réponse associés. Les résultats remettent en cause la différenciation théorique entre autoduperie et hétéroduperie et suggèrent la possibilité d’une activation automatique des réponses socialement désirables quand les contraintes situationnelles sont fortes. Quelques implications théoriques de ces résultats sont discutées. © 2005 Association internationale de psychologie du travail de langue française. Publié par Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract This paper a) illustrates how Full Information item Factor Analytic approach (TESTFACT®) can be used to factor analyse social desirability dichotomous items administered to participants met in an voluntary abilities assessment context (N = 720) and an employment context (N = 306), b) investigates the influence of the situation on social desirability latent scores and on the speed of responses too. Results did not support the expected distinction between the self-deception and impression management dimensions of social desirability. There was also some evidence for the possibility of an auto-
* Auteur correspondant. Adresses e-mail :
[email protected] (J. Juhel),
[email protected] (G. Rouxel). 1420-2530/$ - see front matter © 2005 Association internationale de psychologie du travail de langue française. Publié par Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.pto.2005.02.006
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matic activation of socially desirable responses when situational constraints were strong. Theoretical implications of the results are discussed. © 2005 Association internationale de psychologie du travail de langue française. Publié par Elsevier SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Désirabilité sociale ; Analyse factorielle à information complète ; TESTFACT® Keywords: Social desirability; Full information factor analysis; TESTFACT®
1. Introduction Il est aujourd’hui bien établi qu’une personne placée dans une situation d’évaluation qui lui paraît présenter un enjeu tend à déformer plus ou moins intentionnellement les descriptions de soi dans une direction jugée favorable (Gough, 1952) en exagérant ses qualités et/ou en minimisant ses défauts (Roth, Snyder et Pace, 1986). Ce phénomène dit de « désirabilité sociale » (DS) fait référence pour certains à un besoin d’approbation sociale (Crowne et Marlowe, 1960), pour d’autres à une habileté sociale de type défensif (Paulhus et Reid, 1991) ou à un acte – plus ou moins délibéré – de duperie (Paulhus, 1984). La DS peut être étudiée comme un biais de réponse dû à la situation (Furnham, 1986 ; Nederhof, 1985) ou comme un style de personnalité (McCrae et Costa, 1983 ; Paulhus, 1989 ; Schmitt et Steyer, 1993). Conçue à l’origine comme une caractéristique générale de la personnalité, elle est envisagée aujourd’hui sous l’angle de deux dimensions (Paulhus, 1984 ; Paulhus et Lewitt, 1987 ). La première dimension dite d’illusion sur soi (self-deception) ou autoduperie (AD) décrirait une forme d’évaluation optimiste de soi, l’individu croyant sincèrement à la description favorable qu’il fournit de lui-même. Elle serait en lien avec des valeurs et pratiques sociales conventionnelles et participerait à la préservation et à l’amplification d’une image de soi positive (Paulhus et John, 1998). La seconde dimension dite de gestion de l’impression (impression management) ou hétéroduperie (HD) renverrait à une auto-présentation de l’individu visant volontairement à donner de soi une représentation positive dans des environnements qui incitent plus particulièrement à duper et/ou manipuler autrui. Bien que l’interprétation des dimensions de la DS puisse varier d’une étude à l’autre (Helmes et Holden, 2003), plusieurs arguments plaident en faveur d’un modèle bi-dimensionnel. Des arguments structuraux tout d’abord, l’analyse factorielle des corrélations entre items aboutissant généralement à une solution à deux facteurs corrélés (Tournois, et al., 2000). Les corrélations entre ces dimensions et certaines caractéristiques de la personnalité sont aussi relativement différenciées (Helmes et Holden, 2003 ; Paulhus et Reid, 1991). Il semble enfin que l’autoduperie soit moins soumise à l’influence de la situation (passation anonyme vs publique, enjeu vs non enjeu, etc.), que ne semble l’être l’hétéroduperie (Paulhus, et al., 1995 ; Rolland, 1994). Paulhus (1984) préconise d’ailleurs de contrôler uniquement les effets de l’hétéroduperie lors de la passation de questionnaires d’auto-évaluation. La recherche dont nous présentons ici les résultats a deux objectifs. Le premier est d’éprouver la validité du modèle bi-dimensionnel de la DS mesurée par un questionnaire d’items dichotomiques. On se propose également d’évaluer les effets du contexte de passation (bilan de compétences vs recrutement) sur les réponses de désirabilité sociale. L’hypothèse théorique générale est celle d’un lien entre DS et importance de l’enjeu perçu par le
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sujet. On s’attend ainsi à observer des scores moyens de DS plus élevés en situation de recrutement qu’en situation de bilan de compétences. Deux hypothèses plus spécifiques sont distinguées selon la structure interne de la DS : • si la distinction théorique entre AD et HD est empiriquement valide, le score d’HD devrait être plus élevé dans la situation où l’enjeu perçu est en moyenne plus important (Paulhus, 1984). On suppose en effet qu’une augmentation en situation de recrutement de l’enjeu perçu s’accompagne d’un accroissement des efforts conscients d’autoprésentation favorable. Une augmentation conjointe du temps moyen de réponse aux items d’HD est également attendue. Moins dépendants de processus contrôlés, les scores d’AD devraient en revanche moins varier selon le contexte de passation ; • si la distinction entre AD et HD ne tient pas empiriquement, la prévalence attendue des réponses socialement désirables en situation de recrutement pourrait s’expliquer par le poids plus élevé de la charge attentionnelle (Paulhus, et al., 1989) dans une situation psychologiquement contraignante offrant moins de possibilités de contrôle au sujet. Les schémas culturellement appris quant à la façon la plus adaptée de se présenter (c’est-àdire dans un sens favorable) tendraient ainsi à être plus facilement et plus automatiquement activés. On s’attend aussi dans ce cadre d’hypothèses à des temps de réponse en moyenne plus courts et moins dispersés en situation de recrutement par rapport à un contexte de bilan. 2. Méthode 2.1. Participants Mille vingt-six sujets (422 hommes et 604 femmes) participent à l’étude, certains dans le cadre d’un bilan de compétences dans un centre public (G1 : n1 = 720), d’autres dans un cabinet de recrutement privé (G2 : n2 = 306). Les deux groupes ne peuvent être considérés comme équivalents sur la plupart des variables démographiques mesurées dans l’étude (Tableau 1). 2.1.1. Matériel et procédure Le questionnaire de désirabilité sociale construit pour cette étude comporte 24 items dichotomiques (QDS-24 ; cf. Tableau 2). Les items ont été sélectionnés parmi ceux du DS 36 (Tournois et al., 2000) en fonction de leur capacité à mesurer de manière aussi univoque que possible l’autoduperie (AD) et l’hétéroduperie (HD). La moitié des items mesure l’autoduperie (« je suis parfois triste », « je doute parfois de mes capacités »), l’autre moitié l’hétéroduperie (« je respecte toujours la loi », « je suis toujours poli(e) »). Présenté immédiatement après un autre questionnaire de personnalité, le questionnaire informatisé est administré individuellement avec la consigne suivante : « Lisez chacune des phrases suivantes et cliquez sur « Oui » ou « Non » selon que vous estimez qu’elles s’appliquent ou non à vous ». On enregistre pour chaque item la réponse fournie et le temps de réponse (TR) correspondant. 2.1.2. Analyse des résultats 2.1.2.1. Statistiques descriptives des items. L’examen dans les deux contextes d’évaluation des pourcentages de réponses « socialement désirables » aux items du QDS-24
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Tableau 1 Présentation des données démographiques caractérisant chacun des deux groupes de l’étude
ˆ ge moyen A
Hommes Femmes Niveau < BAC Niveau ≥ BAC Étudiants Recherche 1er emploi Recherche 1er emploi avec expérience Activité avec expérience
Groupe 1 : Bilans de compétences 35,5 ans (écarttype : 8,04 ans ; étendue : 17 à 59 ans) 36,4 % 63,6 %
Groupe 2 : Cabinets de recrutement 31,37 ans (écarttype : 7,75 ans ; étendue : 19 à 57 ans) 52,3 % 47,7 %
28,1 % 71,9 % 0,7 % 7,9 % 55,7 %
5,6 % 94,4 % 1,3 % 13,4 % 27,8 %
35,7 %
57,5
Test des différences entre les deux groupes t = 7,2 ; ddl = 1024 : p < 001
Effectif total
34,3 ans (écarttype = 8,17 ans ; étendue de 17 à 59 ans) Z = 3,41 ; p < 0,001 41,13 % Z = - 3,41 ; 58,87 % p < 0,001 Z = -2,02 ; p < 05 21,4 % Z = 7,65 ; p < 001 78,6 % Z = 0,091 ; ns 0,9 % Z = 0,887 ; ns 9,5 % Z = -4,67 ; 47,4 % p < 0,001 Z = 4,48 ; p < 0,001 42,2 %
(Tableau 2) met en évidence la « facilité » ou le caractère fortement inducteur de plusieurs items (par ex., HD6, HD8, HD16, AD19 et HD20). D’autres items semblent au contraire moins facilement engendrer des réponses socialement désirables (par ex., AD13, HD14 et HD21). On voit aussi que la répartition des réponses à certains items varie selon le contexte d’évaluation. Les statistiques classiques des items sur le groupe « bilan de compétences » (Tableau 2) montrent que la capacité de discrimination des items AD23 et HD8 est faible (rbis < 0,40). L’examen des valeurs des communautés obtenues par analyse factorielle classique des corrélations tétrachoriques (solution unidimensionnelle) fournissent des résultats qui vont dans le même sens (très faibles communautés de AD23 et HD8). On choisit d’exclure ces deux items du questionnaire avant de calculer ces mêmes statistiques sur le second groupe. Les critères précédents appliqués aux résultats observés sur le groupe « recrutement » conduisent à exclure du questionnaire trois items supplémentaires (AD17, AD19 et HD20). La reconduction de ces mêmes analyses sur le questionnaire réduit à 19 items (QDS-19) montre que la consistance interne de celui-ci est satisfaisante sur les deux groupes (G1 : rbis de 0,45 à 0,69 ; ␣ = 0,78 - G2 : rbis de 0,48 à 0,73 ; ␣ = 0,75). Signalons que l’on observe pour quatre des cinq items exclus du questionnaire (AD17, AD19, HD20 et AD23) un nombre de réponses socialement désirables significativement plus élevé dans le contexte de recrutement en comparaison au contexte de bilan (coefficient de contingence, p < 0001). 2.1.2.2. Identification de la structure factorielle du QDS-19. L’analyse factorielle classique étant inadaptée au traitement de données dichotomiques, on utilise l’analyse factorielle à « information complète » (AFIC). Cette méthode est une extension multidimensionnelle du modèle à ogive normal à deux paramètres qui cherche à reconstruire l’ensemble des patrons de réponse observés (TESTFACT® ; Wilson, Wood et Gibbons, 1991, 2003). L’examen des valeurs propres de la matrice lissée des corrélations tétrachoriques entre items mesurés chez les participants de G1 montre que les deux premières valeurs propres sont relativement élevées par rapport à la troisième (resp. 5,90 ; 2,89 ; 1,20). Le caractère rela-
Questionnaire de Désirabilité Sociale
Type G1
AD1 HD2 AD3 HD4 AD5 HD6 AD7 HD8 AD9 HD10 AD11 HD12 AD13 HD14 AD15 HD16 AD17 HD18 AD19 HD20 AD21 HD22 AD23 HD24
Je suis parfois triste Je respecte toujours la loi Je doute parfois de mes capacités Il peut m’arriver d’enfreindre la loi Je me décourage parfois Je suis toujours poli(e) J’aimerais parfois être quelqu’un d’autre J’obéis toujours aux règles d’un jeu Je suis toujours optimiste Je me moque quelquefois des autres Je me sens parfois seul(e) en groupe Je suis toujours poli(e), même avec des gens désagréables Je suis parfois inquiet(e) J’ai quelques mauvaises habitudes J’ai parfois l’impression qu’il y a une barrière entre moi et les autres Je me tiens toujours bien à table J’ai toujours confiance en mes jugements Je dis toujours du bien d’autrui Je m’adapte toujours aux situations nouvelles Je tiens toujours ce que j’ai promis de faire Je contrôle entièrement mon destin Je suis parfois grossier(e) J’apprécie rarement la critique Je suis toujours attentif(ve) quand on me parle
+ + + + + -
89,20
72,90 47,10
69,90 79,10
71,80 45,80 19,90 83,50 82,90 19,30
Non G2 44,10
11,30 41,30 23,50
43,50 48,70 60,50
56,50
77,50
37,80 38,30
39,50 73,50
7,20 14,30 49,40
19,00 25,80 84,00
65,40
74,60
51,80
G1 22,10
75,50
84,30 70,60 28,10 96,70 95,80 26,10 50,60 64,70
70,60
87,60
63,40 76,80
r bis 0,66 0,53 0,63 0,52 0,68 0,67 0,55 0,35 0,64 0,51 0,60 0,58 0,57 0,55 0,65
G1 comm. 0,42 0,13 0,41 0,12 0,49 0,33 0,27 0,04 0,42 0,15 0,34 0,23 0,31 0,22 0,41
0,52 0,53 0,55 0,52 0,54 0,45 0,58 0,32 0,57
0,16 0,25 0,20 0,24 0,21 0,14 0,21 0,05 0,23
r bis 0,72 0,56 0,53 0,55 0,63 0,69 0,50
G2 comm. 0,50 0,23 0,18 0,22 0,29 0,41 0,17
0,53 0,63 0,49 0,50 0,65 0,57 0,67
0,21 0,34 0,17 0,19 0,36 0,23 0,36
0,47 0,34 0,53 0,24 0,22 0,50 0,59
0,15 0,04 0,21 0,01 0,01 0,14 0,30
0,55
0,20
63
+ + + + + + +
56,90
Oui G2
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Tableau 2 Répartition des réponses « socialement désirables » aux items du QDS-24 dans les deux contextes d’évaluation (G1 : bilan de compétences, n = 720 ; G2 : recrutement, n = 306 ; AD : item d’autoduperie ; HD : item d’hétéroduperie ; type + et réponses « oui » pour les items orientés positivement ; type – et réponses « non » pour les items orientés négativement ; statistiques classiques fournies par TESTFACT® (r bis : corrélation bisériale ; comm. : communauté). En italiques, les items non conservés dans la version à 19 items (QDS-19)
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tivement dominant de ces deux facteurs invite donc à rechercher une solution factorielle à deux facteurs de même niveau ou une solution hiérarchique à un facteur général et deux facteurs de groupe. Les modélisations d’AFIC sont d’abord exploratoires. Le premier modèle (M1) postule l’existence d’un facteur général de désirabilité sociale (v2 = 8284,06 ; ddl = 1204 ; p < 001). Celui-ci explique 27,06 % de variance. Il sert de modèle de base pour évaluer le gain d’ajustement apporté par l’introduction d’un facteur supplémentaire. Le second modèle (M2) fait l’hypothèse d’un facteur d’autoduperie (se tromper soi-même sans en avoir conscience) sur lequel saturent tous les items AD et d’un facteur d’héroduperie (tromper autrui consciemment) sur lequel saturent tous les items HD (v2 = 7507,72; ddl = 1186; p < 001). Le gain d’explication qu’apporte l’hypothèse de deux facteurs est statistiquement significatif (M1– M2 : Dv2 = 776,34 ; Dddl = 18 ; p < 001). Le pourcentage de variance expliqué est cette fois de 26,29 % pour le 1er facteur et de 10,57 % pour le second. L’ajustement d’un modèle à trois facteurs – pour lequel on ne dispose d’ailleurs d’aucun rationnel – se révèle impossible. On teste ensuite dans une approche restrictive plusieurs modèles hiérarchiques dans lesquels les items sont contraints à saturer un facteur de désirabilité sociale générale (DSg) et l’un ou l’autre des deux facteurs associés aux items d’autoduperie (DSAD) et d’hétéroduperie (DSHD). Le modèle le moins contraint (Mhiérarchique) libère les 19 saturations des items sur DSg, les neuf saturations des items sur DSAD et les dix saturations des items sur DSHD (v2 = 7405,01; ddl = 1185; p < 001). Comparativement au modèle à deux facteurs, ce modèle améliore significativement l’ajustement (M2–Mhiérarchique : Dv2 = 102,71 ; Dddl = 1 ; p < 001) en expliquant près de 6,50 % de variance supplémentaire (DSg : 20,88 % ; DSAD : 12,12 % ; DSHD : 10,30 %). Enfin, parmi les modèles emboîtés plus économiques testés en fixant à 0 les saturations les plus faibles des items sur les facteurs de groupe, seul le modèle dans lequel l’item HD18 est contraint à ne saturer que DSg ne présente pas d’écart significatif d’ajustement par rapport à Mhiérarchique (Dv2 = 2,36 ; Dddl = 1 ; p < 05). Le modèle le plus compatible avec l’organisation des données comporte donc : • un facteur de désirabilité sociale générale (DSg) sur lequel saturent les 19 items du questionnaire ; • un facteur DSAD orthogonal à DSg sur lequel saturent tous les items AD ; • un facteur DSHD orthogonal à DSg et DSAD sur lequel saturent tous les items de HD à l’exception de HD18 (v2 = 7407,37; ddl = 1186; p < 001). Conceptuellement, le premier facteur DSg réfléchit une tendance très générale à donner une image favorable de soi. Le facteur DSAD mesuré par les items AD5 (« ne se décourage pas »), AD3 (« a confiance en ses capacités »), AD11 (« ne se sent pas seul en groupe ») ou AD15 (« n’a pas l’impression de l’existence d’une barrière entre soi et les autres »), apparaît comme une composante d’autoduperie plutôt liée à l’estime de soi. Le facteur DSHD est plus spécifique. Essentiellement mesuré par les items HD2 et HD4, il évalue la tendance déclarée à se conformer aux règles sociales. Les estimations de ce modèle sont présentées dans le Tableau 3 . L’intercept, fonction de la facilité et des pentes de l’item, renseigne sur la probabilité de réponse à l’item. L’intercept négatif et faible de l’item AD13 par exemple témoigne d’une distance importante entre l’origine de l’espace latent et le point de cet espace où la probabilité de réponse à AD13 est de 50 %. Les valeurs des pentes réfléchissent la sensibilité de l’item aux diffé-
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Tableau 3 Estimations fournies par TESTFACT® (MMRI : modèle multidimensionnel de réponse à l’item) pour le modèle hiérarchique ajusté sur les données du groupe « bilan de compétences » (n = 720) - DSg : désirabilité sociale générale ; DSAD : facteur de groupe des items d’autoduperie ; DSHD : facteur de groupe des items d’hétéroduperie (sauf HD18). En gras les saturations supérieures à 0,35 intercept AD1 HD2 AD3 HD4 AD5 HD6 AD7 AD9 HD10 AD11 HD12 AD13 HD14 AD15 HD16 HD18 AD21 HD22 HD24
-0,723 0,617 -1,095 -0,299 -0,577 1,307 0,460 0,274 -0,349 0,008 0,298 -1,504 -1,054 0,376 0,847 -0,907 -0,820 0,152 0,828
Solution MMRI pente difficulté DSAG DSHD std. DSg 0,745 0,640 0,516 0,650 2,003 -0,265 0,559 0,863 0,764 0,605 1,879 0,135 0,731 1,050 0,355 1,135 0,489 -0,822 0,422 0,627 -0,367 0,672 0,724 -0,195 0,565 0,232 0,297 0,508 0,730 -0,006 0,786 0,182 -0,232 0,462 0,608 1,195 0,527 0,174 0,921 0,622 0,745 -0,270 0,530 0,331 -0,719 0,662 0,756 0,325 0,208 0,765 0,737 0,323 -0,118 0,535 0,189 -0,720 Pourcentage de variance expliquée:
Solution factorielle comm. saturation DSg DSAG 0,491 0,531 0,457 0,816 0,279 0,514 0,390 0,602 0,796 0,273 0,621 0,450 0,647 0,604 0,714 0,364 0,337 0,500 0,494 0,478 0,515 0,272 0,483 0,442 0,380 0,545 0,394 0,612 0,368 0,367 0,483 0,236 0,461 0,485 0,446 0,535 0,281 0,450 0,305 0,552 0,130 0,304 0,194 0,393 0,574 0,244 0,465 21,490 12,413
DSHD 0,859 0,849 0,308
0,198 0,142 0,152 0,280
0,252 0,165 9,503
rences de niveau sur la dimension correspondante. HD2 et HD4 par exemple s’avèrent être très sensibles aux différences de niveau par rapport à DSHD ce qui n’est pas le cas des items HD12, HD14 ou HD24. La lecture simultanée de ces valeurs est également intéressante. Ainsi, l’item HD6 est peu sévère c’est-à-dire induit fortement des réponses de désirabilité sociale tout en étant très sensible aux différences de niveau par rapport à la dimension de désirabilité sociale générale (DSg). La solution factorielle fournit pour chaque item une estimation de la difficulté standardisée, de la communauté et des saturations de l’item ainsi que le pourcentage de variance expliquée par chaque dimension du modèle (43,41 % de variance expliquée au total). Ces informations peuvent être interprétées de la même manière que celles obtenues avec l’analyse factorielle classique. En ne considérant que les saturations supérieures à 0,35, on remarque que les items de type AD sont multidimensionnels (à l’exception de AD21) alors que ceux de type HD sont tous unidimensionnels. Les mêmes analyses que précédemment sont à nouveau effectuées sur les données observées chez les participants du second groupe afin d’évaluer l’hypothèse d’invariance configurale et métrique nécessaire à la comparaison sur une même échelle des résultats obtenus sur les deux groupes. Ces analyses conduisent à retenir une solution hiérarchique dont les estimations varient modérément d’un groupe à l’autre (corrélations entre G1 et G2 : r = 0,715 entre les saturations sur DSg ; r = 0,937 entre les saturations sur DSAD et DSHD réunies). Les résultats – non présentés ici – d’analyses multigroupes confirment le respect
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de l’hypothèse d’invariance configurale (les mêmes items saturent les mêmes facteurs), celle d’invariance métrique stricte devant cependant être rejetée (non équivalence de certaines saturations du modèle de mesure). Malgré cette dernière réserve, on choisit d’appliquer aux observations effectuées sur G2 le modèle de mesure identifié sur G1 afin de pouvoir comparer les scores en traits latents entre les deux groupes. 2.1.2.3. Effets du contexte d’évaluation sur les scores en traits latents et les TR. Les estimations des scores individuels de désirabilité sociale générale (DSg), d’autoduperie liée à l’estime de soi (DSAD) et d’hétéroduperie liée au respect des règles sociales (DSHD) sont obtenues pour l’un et l’autre groupe avec le programme TH-SCORE (Ferrando et Lorenzo, 1998) à partir des paramètres de discrimination et des seuils des items estimés précédemment sur le groupe des participants rencontrés lors d’un bilan de compétences. Les statistiques descriptives des trois scores orthogonaux de désirabilité sociale (DSg, DSAD, DSHD) et du temps moyen de réponse (TR) à chaque item du QDS-19 sont présentées dans le Tableau 4. Les résultats de l’analyse multiple de la variance appliquée aux données montrent que le contexte d’évaluation a un effet significatif sur DSg, DSAD, DSHD et TR considérés ensemble [Kwilks(4,1021)= 78,851 ; p < 001]. L’augmentation du gradient de pression contextuelle se traduit ici par une augmentation globale de la fréquence des réponses socialement désirables accompagnée d’une baisse significative, quoique de très faible amplitude, du temps de réponse. Les résultats des tests univariés conduisent à nuancer cette observation globale. En effet, on observe une augmentation significative de la DS quand le gradient de pression contextuelle augmente, et ce uniquement pour les dimensions DSAD et de DSg.
3. Discussion–conclusion Le premier objectif de ce travail était d’évaluer empiriquement la plausibilité d’un modèle de la désirabilité sociale (DS) distinguant une dimension d’autoduperie (AD) d’une dimension d’hétéroduperie (HD) (Paulhus, 1984 ; Tournois, et al., 2000). Les analyses effectuées montrent que l’organisation des relations entre les 19 items du questionnaire construit pour cette étude est plus compatible avec une représentation hiérarchique comportant un facteur de DS (Helmes et Holden, 2003) et deux facteurs de groupes. L’interprétation en termes de Tableau 4 a) Statistiques descriptives sur les deux groupes de participants des scores individuels centrés-réduits de désirabilité sociale et du TR moyen aux items (G1 : bilan de compétences ; G2 : recrutement ; DSg : désirabilité sociale générale ; DSAD : composante d’autoduperie ; DSHD : composante d’hétéroduperie) ; b) Valeurs du F, probabilité associée et amplitude de l’effet (g2 partiel) de l’augmentation du gradient de pression contextuelle sur les scores de désirabilité sociale et le TR (tests univariés)
Moyenne Ecart-type F(1,1024) p g2 partiel
DSg G1 G2 0,004 0,594 0,748 0,696 139,29 < 0,0001 0,120
DSAD G1 G2 -0,138 0,510 0,697 0,668 190,17 < 0,0001 0,157
G1 0,012 0,792 <1 ns 0,000
DSHD G2 0,063 0,792
TR (sec) G1 G2 4,781 4,487 2,393 1,572 3,92 < 0,0001 0,004
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« désirabilité sociale générale » de la dimension DSg sur laquelle saturent tous les items du questionnaire ne pose pas de difficulté particulière. En revanche, l’opposition entre auto- et hétéroduperie ne paraît pas pouvoir rendre compte de manière satisfaisante de la distinction entre les deux dimensions orthogonales DSAD et DSHD. Le contenu des items qui saturent la dimension DSAD amène en effet à privilégier une interprétation en termes d’estime de soi (maintenir une image positive de soi-même). Les corrélations observées entre mesures d’autoduperie et d’estime de soi vont d’ailleurs dans ce sens (Paulhus et Reid, 1991 ; Tournois, et al., 2000). Quant à la présence de la dimension DSHD, elle ne repose que sur deux items conceptuellement proches souvent utilisés dans les échelles de mensonge. Les autres items retenus pour mesurer l’hétéroduperie saturent en fait la dimension de désirabilité générale (DSg). Désirabilité sociale et mensonge sont donc très certainement des notions à distinguer aussi bien théoriquement qu’au plan pratique. Nos résultats sont également en désaccord avec plusieurs des prédictions du modèle de Paulhus (1984). La stabilité des scores de DSHD quel que soit le contexte d’évaluation aussi bien que l’augmentation des scores de DSAD avec celle du gradient de pression contextuelle vont à l’encontre des hypothèses de ce modèle. Le fait que les différences constatées entre les deux groupes de participants aillent plutôt dans le sens d’une diminution des effets attendus du gradient de pression contextuelle1 conforte ce résultat. Enfin et même si ce point reste discuté (Holtgraves, 2004), nous n’avons pas non plus constaté d’augmentation des TR en situation de recrutement susceptible de révéler un contrôle accru des réponses de l’individu confronté à une situation aux enjeux perçus importants. Un autre résultat intéressant est celui de l’observation d’une augmentation des réponses de DSg et de DSAD d’un contexte de passation à l’autre. Tout semble se passer comme si la situation d’évaluation induisait d’autant plus fortement – et automatiquement – des patterns de réponses appris par l’individu socialement adapté que l’importance de l’enjeu perçu est grande. La mise en évidence d’une plus grande focalisation en situation de recrutement sur certains choix de réponses, de TR légèrement plus faibles et moins variables pourrait alors s’expliquer par l’activation plus marquée de schémas de réponses socialement partagés au sein d’une culture donnée. De tels résultats sont en accord avec le constat d’une liaison positive entre l’augmentation de la charge attentionnelle imposée à des sujets qui doivent répondre à un questionnaire d’auto-évaluation d’une part, l’augmentation des réponses socialement favorables (auto-descriptions positives) et la diminution des TR d’autre part (Paulhus et al., 1989). On peut en parallèle faire l’hypothèse que le participant peut d’autant plus facilement questionner la sincérité des réponses qui lui viennent spontanément à l’esprit, c’est-à-dire exercer un certain niveau de contrôle sur les réponses socialement désirables et/ou liées à l’estime de soi, que l’enjeu de la situation d’évaluation lui paraît moindre. Celle-ci est d’ailleurs compatible avec l’observation en situation de bilan de compétences de scores de DS plus faibles qu’en situation de recrutement, de TR plus longs et plus variables d’un point de vue interindividuel (distribution plus nettement 1 Les participants rencontrés en bilan de compétences, en majorité des femmes, sont en effet pour beaucoup d’entre eux à la recherche d’un premier emploi. Les participants rencontrés en situation de recrutement sont plutôt expérimentés et déjà en activité. Si comme on peut le supposer, l’enjeu perçu tend à être moindre lorsqu’on se présente à un entretien de recrutement en exerçant déjà une activité professionnelle plutôt qu’en n’en exerçant pas, les différences observées entre les deux groupes renforcent le test d’hypothèse.
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bi-modale). De ce dernier point de vue, la situation de bilan de compétences semble être plus propice que celle de recrutement à l’expression de variations interindividuelles en permettant aux participants de remettre plus facilement en question la sincérité de réponses socialement désirables automatiquement activées.
Remerciements Les auteurs remercient J.-B. Fournier, S. Baquedeno et la société PerformanSe pour les moyens gracieusement mis à leur disposition lors de la réalisation de cette étude.
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