Rev Rhum [E´d Fr] 2002 ; 69 : 346-8 © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S1169833002003058/SSU
Effets indésirables des médicaments : définitions et imputabilité Françoise Haramburu*, Ghada Miremont-Salamé, Katia Macquin Centre de pharmacovigilance, département de pharmacologie, PPF.M2SR2S, université Victor-Segalen, CHU, 33076 Bordeaux cedex, France
effets indésirables / pharmacovigilance / imputabilité side effects / pharmacovigilance / causality assessment
La notion d’effet indésirable est probablement apparue dès l’utilisation des premières thérapeutiques : c’était déjà une des préoccupations d’Hippocrate avec son célèbre primum non nocere, toujours d’actualité. Depuis une trentaine d’années, l’évaluation du risque dû aux médicaments s’est développée de façon plus systématique, à travers les systèmes de pharmacovigilance mis en place dans différents pays, dans une perspective de santé publique. Sans remettre en cause les bénéfices liés à l’utilisation des médicaments, il faut cependant prendre en compte l’existence de la morbidité et de la mortalité liées aux médicaments. En France, 134 159 personnes (intervalle de confiance à 95 % : 97 382-170 777) seraient hospitalisées chaque année en raison d’un effet indésirable d’un médicament, ce qui représente plus de 1 285 000 journées d’hospitalisation [1]. DÉFINITIONS Il peut être utile de rappeler quelques définitions. – La pharmacovigilance est « l’ensemble des techniques d’identification, d’évaluation et de prévention du risque d’effet indésirable des médicaments » (…) [2]. – Un effet indésirable est « une réaction nocive et non voulue à un médicament, se produisant aux posologies normalement utilisées chez l’homme pour la prophylaxie, le diagnostic ou le traitement d’une maladie ou pour le rétablissement, la rectification ou la modification d’une fonction physiologique » [3]. La pharmaco-
*Correspondance et tirés à part. Adresse e-mail :
[email protected] (F. Haramburu).
vigilance « tient compte également de toute information sur les cas de mauvais usage et d’abus de médicaments pouvant avoir une incidence sur l’évaluation de leurs risques et bénéfices » [3]. – Un effet indésirable grave est « un effet qui entraîne la mort, met en danger la vie du patient, nécessite une hospitalisation ou la prolongation d’une hospitalisation, provoque un handicap ou une incapacité importants et durables ou se traduit par une anomalie/ malformation congénitale » [3]. – Un effet indésirable inattendu est « un effet dont la nature, la gravité ou la fréquence ne concordent pas avec le résumé des caractéristiques du produit » [3]. Une définition plus médicale de l’effet indésirable inattendu est « un effet qui ne peut être apparemment expliqué par l’une des propriétés pharmacologiques du médicament » [4]. En France, tout médecin est tenu de déclarer les effets indésirables graves ou inattendus des médicaments au Centre régional de pharmacovigilance dont il dépend [5]. (Les territoires géographiques couverts par les différents centres sont précisés dans les premières pages du dictionnaire Vidalt). Cette obligation est d’ailleurs très largement méconnue. IMPUTABILITÉ L’effet indésirable peut revêtir des tableaux cliniques extrêmement divers : atteintes des lignées sanguines, atteintes hépatiques, cutanées, neurologiques, rénales, endocriniennes, digestives, etc. La difficulté première est donc d’identifier l’effet indésirable, en termes de diagnostics positif et différentiel. La démarche d’impu
Effets indésirables
tabilité consiste à évaluer la relation causale entre la prise d’un médicament et la survenue d’un effet indésirable chez un malade donné. Il s’agit donc d’une approche strictement individuelle, avec une analyse cas par cas. En d’autres termes, cela revient à poser la question suivante : « cet effet serait-il survenu si le médicament n’avait pas été pris ? » [6]. Il ne saurait être question ici de développer la vingtaine de méthodes d’imputabilité proposées [7-10], leur nombre laissant d’ailleurs supposer qu’aucune d’entre elles n’est parfaite. Elles sont essentiellement utilisées par les autorités de santé et les laboratoires pharmaceutiques, car elles permettent de classer les cas, généralement en quatre ou cinq catégories : relation causale exclue, douteuse, possible / plausible, probable /vraisemblable, certaine /très vraisemblable. Elles permettent aussi de retrouver rapidement, parmi des milliers ou des centaines de milliers de cas, ceux pour lesquels une relation causale est forte. Si elles ne sont pas à proprement parler des méthodes diagnostiques, elles contribuent à orienter un diagnostic, à formaliser un jugement et à augmenter la reproductibilité entre différents observateurs. Qu’elles soient d’inspiration algorithmique [7-9] ou probabiliste [10], ces méthodes utilisent des critères communs. Ceux ci ont l’avantage de pouvoir être utilisés facilement en pratique clinique. Nous présenterons ici les critères utilisés dans la méthode dite « française » [7]. Ils peuvent servir à améliorer un jugement clinique, souvent subjectif et presque toujours binaire (le médicament est ou n’est pas responsable). Le délai d’apparition de l’effet indésirable est-il compatible avec l’exposition au médicament ? La question peut paraître simpliste mais peut aider, en pratique, à rejeter la responsabilité d’un médicament. La découverte par exemple d’une cirrhose hépatique une semaine après le début d’un traitement par méthotrexatet exclut formellement la responsabilité de ce dernier sur des arguments physiopathologiques. À l’opposé, le délai d’apparition peut être très évocateur de l’existence d’un lien causal. Par exemple, la survenue d’un choc anaphylactique 30 min après la prise d’un comprimé d’anti-inflammatoire non stéroïdien, au huitième jour de traitement, est très en faveur d’une relation causale forte. Souvent, le délai d’apparition permet de distinguer un médicament parmi bien d’autres : le plus récemment introduit est logiquement le plus suspect, bien qu’il puisse y avoir des exceptions à cette règle.
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Quelle est l’évolution de l’effet à l’arrêt du médicament ? La régression spontanée de l’effet après l’arrêt du médicament est un argument en faveur de sa responsabilité. En pratique, l’interprétation de ce critère n’est pas toujours facile, notamment en cas de traitement symptomatique visant à corriger l’effet, en cas de régression extrêmement lente d’un effet (exemple : neuropathie périphérique, etc.) ou encore en cas de séquelles. S’il s’agit d’un effet dose-dépendant, la diminution de posologie pourra être considérée comme un équivalent d’arrêt de traitement. Le médicament a-t-il été réadministré ? Rarement conseillée, car souvent dangereuse, la réadministration est en pratique le plus souvent fortuite, par absence de diagnostic étiologique lors du premier épisode. La réadministration volontaire d’un médicament peut être justifiée lorsque ce médicament est absolument indispensable. Elle ne peut dans ce cas être faite qu’avec la plus grande prudence (par exemple, après une réaction anaphylactique, la réintroduction sera faite, après bilan allergologique, si possible en milieu hospitalier avec une surveillance pendant quelques heures ; après une cytolyse hépatique ou une neutropénie, la réintroduction suppose également une surveillance clinique et biologique très stricte). La réadministration « positive » (réapparition de l’effet indésirable lors de la reprise du médicament) est un argument très fort en faveur d’un lien causal. À l’opposé, une réadministration « négative » (absence de réapparition de l’effet lors de la reprise du médicament) n’exclut pas catégoriquement la responsabilité du médicament. Pour pouvoir conclure à l’absence de relation causale, il faut s’assurer que l’ensemble du contexte clinique et environnemental du malade était bien le même que lors du premier épisode : même posologie, même durée de traitement, mêmes médicaments associés, mêmes pathologies associées, etc. Par exemple, l’existence d’une insuffisance rénale lors d’un premier traitement, corrigée lors de la reprise du médicament, peut expliquer l’absence de réapparition de l’effet. Dans ce cas, la réadministration sera considérée comme « ininterprétable » et ne fera pas écarter une éventuelle relation causale. Un examen complémentaire, pertinent et fiable, est-il en faveur de la responsabilité du médicament ? Il s’agit bien ici d’examens complémentaires à visée étiologique tels qu’un dosage de médicament, la pré
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sence de cristaux de médicament dans une lithiase, etc. En pratique, ce critère est peu souvent évaluable, faute d’examens prouvant la responsabilité du médicament. Existait-il des facteurs favorisants ? La présence d’un facteur favorisant, bien validé par ailleurs, va être un critère de poids en faveur d’une relation causale forte. L’existence d’une insuffisance rénale peut favoriser par exemple, par surdosage relatif, la survenue de nombreux effets indésirables : surdité sous aminosides, hémorragie sous héparine de bas poids moléculaire, etc. La sémiologie clinique et /ou biologique de l’effet est-elle évocatrice du rôle du médicament ? Hormis de rarissimes cas où la sémiologie est pathognomonique (par exemple, la triade hypoglycémie, hépatite et neuropathie périphérique sous perhexiline), la symptomatologie peut être évocatrice du rôle du médicament : il s’agit alors le plus souvent d’effets liés aux propriétés pharmacologiques du médicament. La survenue d’une hémorragie sous antivitamine K est évidemment en faveur d’une relation causale, même si les choses ne sont pas toujours aussi simples qu’il y paraît au premier abord (voir infra). Existe-t-il une autre explication à cet effet ? En raison des nombreuses autres explications possibles à la plupart des effets indésirables, le diagnostic différentiel n’est pas toujours facile et la question : « jusqu’où faut-il aller dans un bilan pour éliminer une autre étiologie ? » est souvent d’actualité. Face à une hépatite cytolytique, il est indispensable d’avoir éliminé les principales causes virales (virus des hépatites A, B et C). Faut-il pour autant avoir éliminé tous les virus pouvant entraîner une hépatite ? Probablement pas dans tous les cas : chez le sujet âgé, par exemple, la probabilité de contracter une hépatite virale est faible et l’hépatite médicamenteuse est fréquente. Il n’est donc pas indispensable d’avoir toutes les sérologies possibles pour conclure raisonnablement à une étiologie médicamenteuse. À l’inverse, chez le sujet jeune, la probabilité d’avoir une hépatite virale est bien plus forte et l’exigence en termes de bilan étiologique, pour conclure à une hépatite médicamenteuse, sera donc beaucoup plus importante. Si nous reprenons l’exemple précédent d’hémorragie sous anticoagulant, un hématome sous-dural après une
chute chez un sujet âgé traité par antivitamine K, peut, en dépit d’une symptomatologie évocatrice, ne pas être dû au médicament mais à la chute. En revanche, il n’est pas illogique de considérer que même si la chute est la cause initiale, l’anticoagulant a pu augmenter le volume de l’hématome et donc les conséquences cliniques ou les séquelles éventuelles. Dans bon nombre de cas, il sera impossible de trancher sur ce critère. La survenue des premiers signes d’une polyarthrite quelques semaines après une vaccination contre l’hépatite B, soit dans un délai « compatible », n’écarte pas la possibilité d’une pathologie non médicamenteuse. Cet effet a-t-il déjà été décrit avec ce médicament ? L’existence de nombreux cas, publiés ou non, sera un argument en faveur d’une relation causale. L’existence de cas identiques avec un médicament proche, de la même classe thérapeutique ou apparenté du point de vue structure chimique, sera également en faveur d’un lien causal. L’absence de cas antérieurs n’exclut pour autant pas l’existence d’un lien causal, en particulier pour les médicaments récents. RE´FE´RENCES 1 Pouyanne P, Haramburu F, Imbs JL. Bégaud B for the French pharmacovigilance centres. Admissions to hospital caused by adverse drug reactions : cross sectional incidence study. BMJ 2000 ; 520 : 1096. 2 Bonnes Pratiques de Pharmacovigilance, Agence du médicament, 1994. 3 Directive 2000/38/CE. Journal Officiel des Communautés européennes du 10.06.2000. 4 Bégaud B. Dictionary of Pharmacoepidemiology. Wiley : Chichester ; 2000. 5 Décret 95-278 relatif à la pharmacovigilance du 13 mars 1995. 6 Hutchinson TA. Causality assessment of suspected adverse drug reactions. In : Stephens MDB, Ed. Detection of new adverse drug reactions. 3rd Ed. Basingstoke : Macmillan Publishers Ltd ; 1992. 7 Bégaud B, Evreux JC, Jouglard J, Lagier G. Imputabilité des effets inattendus ou toxiques des médicaments. Thérapie 1985 ; 40 : 111-8. 8 Stephens MDB. The diagnosis of adverse medical events associated with drug treatment. Adv Drug React Ac Pois Rev 1987 ; 1 : 1-35. 9 Kramer MS, Leventhal JM, Hutchinson TA, Feinstein AR. An algorithm for the operational assessment of adverse drug reactions. I. Background, description, and instructions for use. JAMA 1979 ; 242 : 623-32. 10 Lane DA, Kramer MS, Hutchinson TA, Jones JK, Naranjo C. The causality assessment of adverse drug reactions using a Bayesian approach. Pharmaceut Med 1987 ; 2 : 265-83.