Embolie gazeuse malgré une ventilation protectrice au cours du syndrome de détresse respiratoire aiguë

Embolie gazeuse malgré une ventilation protectrice au cours du syndrome de détresse respiratoire aiguë

Annales Françaises d’Anesthésie et de Réanimation 25 (2006) 299–301 http://france.elsevier.com/direct/ANNFAR/ Cas clinique Embolie gazeuse malgré un...

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Annales Françaises d’Anesthésie et de Réanimation 25 (2006) 299–301 http://france.elsevier.com/direct/ANNFAR/

Cas clinique

Embolie gazeuse malgré une ventilation protectrice au cours du syndrome de détresse respiratoire aiguë Gas embolism during protective ventilation for acute respiratory distress syndrome A. Desachy *, V. Gissot, et le groupe ARCO (Association des réanimateurs du centre-ouest) Service de réanimation polyvalente, centre hospitalier d’Angoulême, 16470 Saint-Michel, France Reçu le 24 mai 2005 ; accepté le 30 septembre 2005 Disponible sur internet le 04 janvier 2006

Résumé Une patiente de 34 ans a présenté, au décours d’un coma toxique, une pneumonie d’inhalation compliquée d’un syndrome de détresse respiratoire aiguë. L’évolution a été marquée par une destruction parenchymateuse majeure et des pneumothorax récidivants malgré une ventilation protectrice. À l’arrêt de la sédation, des troubles de la conscience ont persisté. Un examen tomodensitométrique a mis en évidence de multiples infarctus cérébraux, rénaux et spléniques. En l’absence d’autres causes d’embolie systémique, le diagnostic d’embolies gazeuses multiples a été retenu. L’évolution a été fatale. Les données de la littérature ont permis de discuter les mécanismes physiopathologiques et les stratégies diagnostiques et thérapeutiques. © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract A 34-year-old woman with toxic coma developed inhalation pneumonia complicated by the acute respiratory distress syndrome. Marked parenchymal destruction and recurrent pneumothorax occurred despite protective ventilation. Altered consciousness persisted after sedative withdrawal, and the patient subsequently died. Computed tomography revealed multiple cerebral, renal and splenic infarcts. The only identified cause of systemic embolism was multiple gas embolisms. We discuss the physiopathological mechanisms, and the diagnostic and therapeutic management of such patients. © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Embolies gazeuses ; SDRA ; Pneumothorax ; Ventilation protectrice Keywords: Gas embolism; ARDS; Pneumothorax; Protective ventilation

1. Introduction L’embolie gazeuse est une complication grave des lésions parenchymateuses pulmonaires [1]. Des observations anciennes ont été rapportées au cours de syndrome de détresse respiratoire aigu (SDRA) chez des patients soumis à une ventilation à hauts niveaux de pressions inspiratoire et expiratoire [2,3].

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Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (A. Desachy).

0750-7658/$ - see front matter © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.annfar.2005.09.010

Depuis, la ventilation protectrice est devenue la règle dans le SDRA afin de limiter les baro- et volotraumatismes [4]. Nous rapportons une observation d’embolies gazeuses systémiques multiples d’évolution fatale au décours d’un SDRA secondaire à une inhalation malgré une ventilation protectrice. 2. Observation Une patiente de 34 ans, aux antécédents de syndrome anxiodépressif et d’intoxication médicamenteuse volontaire en 1994, traitée par fluoxétine, alprazolam, hydroxyzine et zopiclone, a

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été découverte par un promeneur, somnolente. Elle a quitté son domicile, 24 heures auparavant, suite à une dispute familiale. À la prise en charge par le Smur, le score de Glasgow a été évalué à 10, la pression artérielle à 110/80 mmHg, la fréquence cardiaque à 115 c/min, la fréquence respiratoire à 35 par minute, la SpO2 à 90 % sous oxygénothérapie au masque à haute concentration et la température à 34,2 °C. À l’admission dans le service de réanimation, la patiente était somnolente mais interrogeable. Elle a reconnu la prise volontaire de médicaments environ 22 heures avant l’admission, sans pouvoir clairement décrire les produits et doses ingérés. Elle a réfuté toute autre prise de toxique. L’examen clinique a mis en évidence des signes de détresse respiratoire associant une polypnée, un tirage intercostal, un encombrement bronchique et une toux inefficace imposant l’intubation orotrachéale. La patiente a été ventilée en volume contrôlé avec un volume courant à 10 ml/kg, une fréquence respiratoire à 16 c/ min et une pression expiratoire positive à 7 cmH2O. La pression de plateau a été mesurée à environ 23 cmH2O. La radiographie du thorax a mis en évidence un syndrome alvéolaire pulmonaire droit évoquant une inhalation. L’évolution neurologique a été favorable avec un réveil rapide. Cependant, une séance de ventilation spontanée sur tube en T s’est soldée par un échec imposant le maintien de la ventilation mécanique. À j1, une fièvre à 39 °C est apparue, associée à une altération de l’hématose. L’analyse bactériologique du liquide d’aspiration trachéobronchique a mis en évidence un Streptococcus agalactiae B à 104 UFC/ml et un Haemophilus influenzae à 104 UFC/ml. Une antibiothérapie par céfotaxime et métronidazole a été maintenue pendant sept jours. L’apyrexie a été obtenue en quatre jours. Cependant, une aggravation respiratoire a été observée. À j8, la radiographie du thorax a retrouvé un syndrome alvéolaire bilatéral associé à une altération de l’hématose (rapport PaO2/FiO2 à 150 mmHg) et une diminution de la compliance statique (Cs) à 12 ml/cmH2O. Celle-ci a été mesurée à l’aide du ventilateur, après réalisation d’une pause téléinspiratoire puis téléexpiratoire permettant d’obtenir la pression de plateau et la pression expiratoire positive totale : Cs = volume courant/(pression de plateau–pression expiratoire positive totale). La ventilation artificielle a été poursuivie en limitant le volume courant afin de maintenir la pression de plateau à moins de 30 cmH2O, en tolérant une acidose respiratoire (pH = 7,24, PaCO2 = 78 mmHg). Une pression expiratoire positive a été maintenue à 10 cmH2O. Une échographie cardiaque transthoracique, réalisée afin d’éliminer un œdème pulmonaire cardiogénique, a mis en évidence une fonction ventriculaire gauche systolique et diastolique normale, sans valvulopathie. La pression artérielle pulmonaire systolique a été mesurée à 47 mmHg. En l’absence de suspicion de shunt, une épreuve de bulles n’a pas été réalisée. Le lavage bronchoalvéolaire n’a pas mis en évidence de surinfection. La recherche de toxique sur le sérum prélevé à l’admission n’a retrouvé que des traces de zopiclone et d’hydroxyzine. La recherche de paraquat a été négative. Le diagnostic retenu a été un SDRA après inhalation. Une corticothérapie par méthylprednisolone (2 mg/kg en dose de charge

puis 2 mg/kg/j en quatre prises pendant 14 jours suivis d’une réduction progressive des posologies sur 15 jours) a été introduite à j10 [5]. Malgré cela, les conditions ventilatoires se sont dégradées, la Cs a été mesurée à j16 à 7 ml/cmH2O et le rapport PaO2/FiO2 à 59 mmHg. La patiente a été maintenue sous sédation (midazolam et fentanyl) et curarisée (cisatracurium) compte tenu d’une acidose respiratoire majeure (pH = 7,06 et PaCO2 = 169 mmHg). La ventilation mécanique a été compliquée d’un pneumothorax gauche à j17 drainé avec persistance d’une fistule bronchopleurale. Des pneumothorax gauches ont récidivé malgré le drainage justifiant la mobilisation du drain pleural et la pose d’un second drain à j29. La patiente a bénéficié d’une trachéotomie à j31, sans complication. Un pneumothorax droit a été drainé à j32. Malgré un état respiratoire précaire, une tentative d’arrêt de la curarisation et de la sédation a été réalisée à j40. À j50 la patiente n’a pas ébauché de réaction aux stimulations nociceptives, les réflexes du tronc cérébral étant présents. Le scanner cérébral a mis en évidence des plages hypodenses temporopariétale et de la corona radiata droites réhaussées, après injection de produit de contraste, en périphérie de façon serpigineuse évoquant des ischémies semirécentes. Il s’y associait des hypodensités du lobe temporal et de la corona radiata gauches sans rehaussement en faveur d’infarctus constitués. Le scanner abdominal a mis en évidence des lésions ischémiques rénales bilatérales et spléniques. La scanographie thoracique a mis en évidence une destruction parenchymateuse pulmonaire majeure avec de multiples dystrophies bulleuses et pseudokystes (Fig. 1). Les localisations ischémiques multiples ont évoqué en premier lieu des accidents emboliques systémiques. En l’absence d’autre cause d’embolie et dans le contexte de lésions parenchymateuses pulmonaires, le diagnostic d’infarctus multiples par embolies gazeuses a été retenu. En l’absence de toute sédation, aucune amélioration neurologique n’a été observée. Parallèlement, les conditions respiratoires sont demeurées précaires. La patiente est décédée à j52. Aucune autopsie n’a pas été réalisée.

Fig. 1. Scanographie thoracique montrant une destruction parenchymateuse pulmonaire majeure, de multiples dystrophies bulleuses et pseudo-kystes.

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3. Discussion Nous rapportons un cas de SDRA secondaire à une inhalation dont l’évolution s’est compliquée d’infarctus multiples évoquant des accidents emboliques systémiques. En l’absence d’autres causes (pas de valvulopathie cardiaque, pas d’anomalie de la coagulation, pas de facteur de risque d’athérosclérose), et dans le contexte de destruction parenchymateuse pulmonaire, des embolies gazeuses multiples restent l’étiologie la plus probable. La patiente a bénéficié de cathétérismes veineux centraux. Cependant, aucune anomalie sur les lignes de perfusion n’a été notée et l’utilisation de raccord avec membrane antiretour n’autorisant pas l’admission d’air en cas de débranchement a été systématique. Des embolies gazeuses ont été rapportées au décours de multiples pathologies [1] dont les SDRA, en particulier, en cas de baro- et volotraumatismes [6]. Cependant, ces observations anciennes ont été rapportées chez des patients ventilés « agressivement » avec des pressions très élevées, inspiratoire (jusqu’à 60 cmH2O de pression maximale) et expiratoire (jusqu’à 30 cmH2O) [2,3]. Les effets délétères d’une surdistension parenchymateuse et des forces de cisaillement sur la membrane alvéolaire ont conduit aux recommandations actuelles de ventilation protectrice dans le SDRA, limitant le volume courant afin de maintenir une pression de plateau inférieure à 30 cmH2O tout en maintenant une pression expiratoire positive modérée [4]. Dans la littérature, la survenue d’embolie gazeuse au cours des SDRA n’a semble-t-il pas été rapportée depuis l’utilisation de cette stratégie. Dans notre observation, les accidents emboliques sont survenus malgré une surveillance horaire des pressions télé-inspiratoires (pression de plateau) et télé-expiratoires (pression expiratoire positive totale). L’embolie gazeuse systémique est possible lorsque la pression du gaz est supérieure à la pression veineuse [7,8] et se fait soit directement dans les veines pulmonaires [6,9], soit par l’intermédiaire du réseau veineux cave [10] au travers d’un shunt intracardiaque [6]. Des embolies systémiques au travers du filtre pulmonaire semblent possibles en cas d’embolie gazeuse massive [11]. Comme dans la littérature, les épisodes emboliques ont probablement été favorisés par la survenue de pneumothorax favorisant, par l’augmentation de la pression du gaz, le passage dans la circulation veineuse de bulles gazeuses [9,12,13]. Le diagnostic est souvent difficile. L’association de dysfonctions cardiaques et neurologiques brutales et d’un livedo reticularis semble caractéristique des embolies gazeuses [6,8]. Dans notre observation, le maintien d’une sédation et d’une curarisation prolongée explique que les signes neurologiques initiaux soient passés inaperçus. L’absence de manifestation hémodynamique et des infarctus d’âge différents plaident pour des emboles de volume modéré mais multiples. Cependant, les mécanismes physiopathologiques précis sont discutables. La confirmation du diagnostic repose sur l’échocardiographie (en particulier par voie transœsophagienne) permettant de visualiser le passage de bulles de gaz dans les cavités cardiaques et sur le scanner cérébral [8–10,14]. Bien que difficile, le diagnostic doit être précoce afin d’initier un traitement associant

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une ventilation en oxygène pur (diminution de la taille des bulles), une expansion volémique (augmentation de la pression veineuse) et éventuellement une oxygénothérapie hyperbare [1,15]. La réduction du volume courant et la limitation des pressions inspiratoire et expiratoire peuvent diminuer la quantité de gaz pénétrant dans la circulation veineuse [8]. 4. Conclusion Les embolies gazeuses sont des complications souvent fatales des destructions pulmonaires notamment au décours des œdèmes pulmonaires lésionnels compliqués de baro- et volotraumatisme. Bien que décrites initialement au décours de ventilation « agressive » induisant de très hauts niveaux de pressions inspiratoire et expiratoire, elles semblent possibles malgré une stratégie de ventilation protectrice. Une vigilance particulière doit être apportée en cas de pneumothorax. La survenue de manifestations hémodynamique, neurologique et d’un livedo reticularis doit faire pratiquer en urgence une échocardiographie et un scanner cérébral permettant de confirmer le diagnostic et d’initier précocement les thérapeutiques. Références [1] Muth CM, Shank ES. Gas embolism. N Engl J Med 2000;342:476–82. [2] Morris WP, Butler BD, Tonnesen AS, Allen SJ. Continuous venous air embolism in patients receiving positive end-expiratory pressure. Am Rev Respir Dis 1993;147:1034–7. [3] Weaver LK, Morris A. Venous and arterial gas embolism associated with positive pressure ventilation. Chest 1998;113:1132–4. [4] The Acute Respiratory Distress Syndrome Network. Ventilation with lower tidal volumes as compared with traditional tidal volumes for acute lung injury and the acute respiratory distress syndrome. N Engl J Med 2000;342:1301–8. [5] Meduri GU, Headley S, Golden E, Carson SJ, Umberger RA, Kelso T, et al. Effect of prolonged methylprednisolone therapy in unresolving acute respiratory distress syndrome: a randomized controlled trial. JAMA 1998;280:159–65. [6] Marini JJ, Culver BH. Systemic gas embolism complicating mechanical ventilation in the adult respiratory distress syndrome. Ann Inter Med 1989;110:699–703. [7] Rodriguez JF, Liron L, Chambost M, Combe C. Embolie gazeuse cérébrale après un effort de toux. Ann Fr Anesth Réanim 2005;24:64–7. [8] Ho AMH, Ling E. Systemic air embolism after lung trauma. Anesthesiology 1999;90:564–75. [9] Ibrahim AE, Stanwood PL, Freund PR. Pneumothorax and systemic air embolism during positive pressure ventilation. Anesthesiology 1999;90: 1479–81. [10] Bricker MB, Morris WP, Allen SJ, Tonnesen AS, Butler BD. Venous air embolism in patients with pulmonary barotrauma. Crit Care Med 1994; 22:1692–8. [11] Butler BD, Hills BA. Transpulmonary passage of venous air emboli. J Appl Physiol 1985;59:543–7. [12] Hung SC, Hsu HC, Chang SC. Cerebral air embolism complicating bilevel positive airway pressure therapy. Eur Respir J 1998;12:235–7. [13] Cavadore P, Brunat G, Perrigault PF, Colson P. Embolie gazeuse cérébrale consécutive à un pneumothorax chez une patiente en aide inspiratoire. Ann Fr Anesth Réanim 2000;19:249–52. [14] Ulyatt DB, Judson JA, Trubuhovich RV, Galler LH. Cerebral arterial air embolism associated with coughing on a continuous positive airway pressure circuit. Crit Care Med 1991;19:985–7. [15] Boussuges A, Blanc P, Molenat F, Barthelemy A, Bergmann E, Sainty JM. Embolie gazeuse cérébrale et accès veineux central. Réan Urg 1995;4:253–9.