Épidémiologie de l’infection par le VIH en 2005

Épidémiologie de l’infection par le VIH en 2005

M I S E A U P O I N T © 2005, Masson, Paris Presse Med 2005; 34: 1S16-1S22 Infectiologie Épidémiologie de l’infection par le VIH en 2005 Corre...

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© 2005, Masson, Paris

Presse Med 2005; 34: 1S16-1S22

Infectiologie

Épidémiologie de l’infection par le VIH en 2005

Correspondance : Cédric Arvieux, Service de maladies infectieuses et réanimation médicale, CHU Pontchaillou, 35033 Rennes Cedex 9 Tél. : 02 99 28 42 87 Fax : 02 99 28 24 52 [email protected]

Cédric Arvieux

Key points

Points essentiels

Epidemiology of HIV infection in 2005

• Plusieurs épidémies. Actuellement, il existe plusieurs épidémies concomitantes d’infection par le VIH, dont la résultante est la pandémie mondiale. • En Europe de l’Ouest, en France et dans les pays industrialisés, la prévalence de l’infection par le VIH a tendance à augmenter, résultats de l’augmentation de l’espérance de vie des patients séropositifs et de la persistance d’une incidence encore “élevée”. En Europe de l’Ouest, la proportion de femmes et de personnes originaires de pays d’endémie est de plus en plus importante. L’usage de drogue a tendance à disparaître des modes d’acquisition du VIH. La situation est inverse en Europe de l’Est, où la toxicomanie par voie intra-veineuse reste le principal facteur de risque, même si les contaminations hétérosexuelles sont de plus en plus fréquentes. • En Afrique subsaharienne, la situation est de plus en plus alarmante : baisse de l’espérance de vie, augmentation de la mortalité infantile, prévalence approchant 50 % dans certaines consultations prénatales. De discrètes améliorations semblent voir le jour (diminution de la prévalence en Ouganda). Les programmes de lutte contre le VIH se heurtent aux carences majeures des systèmes sanitaires. • En Asie du Sud et de l’Est, l’épidémie est en pleine expansion, notamment dans les pays où elle est récente (Chine, Indonésie). • Il est difficile actuellement d’envisager une réponse globale à l’épidémie, tant les situations sont différentes d’un pays à l’autre, voire au sein d’un même pays.

• Various epidemics. Various concomitant epidemics of HIV infection currently exist and have created a worldwide pandemic. • In Eastern Europe, in France and in industrialized countries, the prevalence of HIV infection is on the rise due to the increased life expectancy of seropositive patients and the persistently “high” incidence rate. In Western Europe, the proportion of new cases among women and people from endemic countries is growing. The role of drug use in HIV transmission is decreasing. The opposite situation is encountered in Eastern Europe, where intravenous drug abuse remains the major risk factor, although heterosexual contamination is also rising. • In sub-Saharan Africa, the situation is alarming: decreased life expectancy, increased infant mortality, and a prevalence approaching 50% in prenatal consultations in some countries. Minor improvements have been noted (decline in the prevalence in Uganda). Major deficits in the healthcare systems thwart antiHIV campaigns. • In southern and eastern Asia, the epidemic is expanding, notably in countries in which it is recent (China, Indonesia). • It is difficult today to envisage a global answer to the epidemic, in view of the wide variety of situations. Cédric Arvieux Presse Med 2005; 34: 1S16-1S22 © 2005, Masson, Paris

épidémie d’infection par le VIH va bientôt entamer son deuxième siècle d’existence mondiale. En effet, il existe de bons arguments phylogénétiques pour penser que les premiers passages des souches simiennes vers l’homme ont eu lieu au cours du e 1 premier tiers du XX siècle .Ces mêmes recherches phylogénétiques montrent que c’est à partir des chimpanzés (souche SIVcpz) que s’est développé le VIH-1 et des singes Mangabey (SIVman) qu’a émergé le VIH-2 (figure 1). L’épidémie a été initialement confinée à certaines régions du centre de l’Afrique. L’exode rural a probablement entraîné une première extension aux villes puis à l’ensemble de l’Afrique subsaharienne par le biais des échanges intercommunautaires. Les situations de conflits, nombreuses dans cette région, entraînant de vastes déplacements de population, ont également contribué à l’expansion de l’épidémie. Puis, les voyages transcontinentaux ont donné une dimension mondiale

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à l’infection, transformant l’épidémie en pandémie. Après avoir quitté le continent africain, les modes de transmission particuliers du VIH ont permis son développement dans des “niches” écologiques où sa propagation pouvait être rapide, puis le VIH a été diffusé dans la population générale par l’intermédiaire des rapports hétérosexuels : communautés d’homosexuels des côtes Est et Ouest des États-Unis avec partenaires multiples –au début des années 1980–, usagers de drogue avec échange fréquent de matériel d’injection –comme tel est le cas actuellement en Europe de l’Est –, travailleuses du sexe – en Thaïlande au début des années 1990. Après une expansion “libre” liée à l’absence de mesures de prévention et à l’absence de traitement, l’évolution naturelle de l’épidémie a été modifiée dans les pays industrialisés par les avancées thérapeutiques et les meilleures connaissances des modes de transmission du VIH. 4 juin 2005 • tome 34 • n°10 • Supplément 1 Infectiologie/VIH

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HIV-1/M/A HIV-1/M/B HIV-1/N + SIVepzPtt/US + SIVepzPtt/Gab1 + HIV-1/O SIVepzPts/Ant SIVlhoest + + SIVsun SIVmnd SIVagmVerTyo + SIVagmVer3 + SIVagmVer155 SIVagmGri SIVagmTan HIV-2/A HIV-2/B + SIVsm + SIVstm SIVsyk +

+

Les données épidémiologiques doivent néanmoins être analysées avec précautions : • l’absence de données générales dans les pays en développement nécessite d’extrapoler à partir d’enquêtes limitées sur le terrain. Si la prévalence est parfois relativement facile à approcher grâce à des enquêtes de terrain, l’incidence de l’infection par le VIH est souvent très difficile à estimer ;la dynamique de la prévalence de l’infection chez les femmes enceintes est souvent utilisée comme marqueur substitutif de cette incidence (figure 2) ; • les définitions du sida utilisées sont différentes d’une zone géographique à l’autre et gênent les comparaisons transcontinentales ; • en Europe, les données de séroprévalence du VIH ne sont rapportées que par un nombre limité de pays. La France ne dispose de ces données que depuis janvier 2003.

+

Figure 1 Proximité des virus SIVcpz (souches des chimpanzés) et HIV-1 et SIVsm (souches des singes Mangabey) et HIV-2

Prévalence du VIH (%)

Afrique australe 40 30

Botswana

20

Afrique du Sud Mozambique

10 0 1997-1998

1999-2000

2001

2002

2003

Prévalence du VIH (%)

Afrique de l'Est 40 Éthiopie

30

Kenya

20 10

Ouganda

0 1997-1998

1999-2000

2001

2002

Prévalence du VIH (%)

40 Ghana

30

Côte d'Ivoire 20 Nigéria

10

Sénégal

0 1999-2000

2001

2002

2003

Figure 2 Le point sur l’épidémie de sida, Onusida/OMS 2004. http://www.unaids.org/wad2004/EPI_1204_pdf_fr/EpiUpdate04_fr.pdf 4 juin 2005 • tome 34 • n°10 • Supplément 1 Infectiologie/VIH

UNE TENDANCE À LA HAUSSE Le nombre total de personnes vivant avec le VIH-sida est encore en pleine croissance.L’OMS estime qu’en 2004,le nombre de personnes infectées atteint 39,4 millions [35,9-44,3] (figure 3). Parmi celles-ci, 4,9 millions ont acquis l’infection dans le courant de l’année 2004. Un peu plus de 4 millions sont décédés des conséquences de l’infection par le VIH au cours de la même année.

LE CAS AFRICAIN L’Afrique reste de loin le continent le plus touché, avec d’importantes variations régionales. Soixante-quinze pour cent des femmes infectées par le VIH vivent actuellement en Afrique subsaharienne. Mais c’est en Asie de l’Est (essentiellement Chine), en Europe orientale et en Asie centrale que la croissance de l’épidémie est actuellement la plus forte,avec un nombre de personnes infectées ayant augmenté de 40 à 50 % entre 2002 et 2004.

Afrique subsaharienne

2003

Afrique de l'Ouest

1997-1998

Tendances générales

L’Afrique subsaharienne ne compte que 10 % de la population mondiale mais 60 % des personnes infectées par le VIH y vivent. Néanmoins, la situation est très différente d’un pays à l’autre, voire au sein d’un même pays. Il est difficile de parler “d’une”épidémie africaine, et l’analyse en fonction de chaque sous-région permet de mieux comprendre l’évolution globale. Proportionnellement, les femmes sont de plus en plus affectées :actuellement, 13 femmes environ sont infectées versus 10 hommes, mais cette disproportion est beaucoup plus marquée dans la population jeune, avec 36 femmes versus 10 hommes dans la tranche de 15-24 ans. La Presse Médicale - 1S17

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EN AFRIQUE DE L’OUEST L’épidémie paraît relativement stabilisée avec une prévalence globale,mesurée sur 112 lieux de consultations prénatales, stable entre 1997 et 2002 : entre 3 et 4 %. C’est au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire et au Nigeria que les prévalences sont les plus élevées.Dans ce dernier (grand) pays,les variations sont importantes d’une région ou d’un État à l’autre, illustrant bien la présence de multiples “micro-épidémies”même à l’échelle d’un pays.

EN AFRIQUE DE L’EST La situation est partagée : nous pouvons actuellement estimer qu’il existe une réelle diminution de la prévalence en Ouganda (4,1 % en 2003 contre 13 % en 1990) et que le Kenya est peut-être sur la même voie. Les causes de cette diminution de la prévalence sont probablement multifactorielles,mais l’utilisation du préservatif semble être un des facteurs principaux. De façon moins enthousiasmante,il n’est pas impossible qu’elle soit aussi 2 liée à une forte augmentation de la mortalité … Les données au Burundi sont contrastées avec une prévalence globale faible pour la région (3,6 % de la population âgée de 15 à 54 ans) mais des taux élevés d’infection parmi la population jeune et urbaine.

EN AFRIQUE CENTRALE La situation est également contrastée, avec une prédominance de l’infection en République Centrafricaine et au Cameroun. La prévalence chez les femmes enceintes atteint globalement 10 %. Il existe une nette différence de prévalence entre hommes et femmes, comme en Afrique australe, les femmes de moins de 35 ans étant 2 fois plus souvent infectées par le VIH que les hommes du même âge.Il est difficile de parler de prévalence “globale” (2 à 7 % dans les consultations prénatales) pour d’immenses pays comme la République Démocratique du Congo, avec un net gradient ouest/est et ville/rural.

EN AFRIQUE AUSTRALE L’épidémie reste en pleine croissance. La prévalence y est la plus élevée au monde. Près de 30 % des personnes infectées par le VIH vivent dans cette zone qui ne compte que 2 % de la population mondiale. L’Afrique du Sud est le pays le plus touché du globe, avec une prévalence globale chez les femmes enceintes de près de 30 % en 2003. L’impression de relative stabilité de la prévalence dans la population générale masque probablement une réalité bien plus cruelle : le nombre de morts est proche du nombre de nouveaux cas. Plusieurs pays ont vu l’espérance de vie à la naissance repasser en dessous de 40 ans. Au Zimbabwe, en 13 ans (1990-2003), l’espérance de vie est passée de 52 à 34 ans. 1S18 - La Presse Médicale

L’Angola reste une exception dans cette région, probablement du fait du “confinement” de la population lié à une guerre qui a duré plus de 20 ans. Cette exception risque malheureusement de ne pas durer : si la prévalence n’est “que”de 3 % dans les consultations prénatales de la capitale, 33 % des professionnelles du sexe de la même ville sont maintenant infectées…

* La plupart des chiffres rapportés dans cet article sont issus du rapport annuel sur l’épidémie de sida : Onusida/OMS. Le point sur l’épidémie de sida : 2004. http:// www.unaids.org/ wad2004/EPI_1204 _pdf_fr/EpiUpdate 04_fr.pdf

Afrique du Nord et Moyen-Orient Les données épidémiologiques dans les pays du Maghreb sont parcellaires et font état d’une faible séroprévalence globale : 0,3 % [0,1-0,6 %] pour l’ensemble de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient. Néanmoins, peu de données chiffrées sont disponibles dans les groupes à risque (homosexuels, usagers de drogue par voie injectable). Le mode de transmission principal semble être la toxicomanie par voie veineuse. Près de 90 % des patients séropositifs pris en charge à l’hôpital Rabta de Tunis sont toxicomanes ; 50 % des consommateurs de drogue pris en charge dans un centre de Tripoli (Jamahiriya arabe libyenne) sont séropositifs. Dans la plupart de ces pays, la tendance n’est pas à une attitude compréhensive et éducative mais plutôt répres3 sive ,laissant entrevoir le risque d’une évolution “larvée” de l’épidémie dans les groupes à risque, puis une diffusion par voie hétérosexuelle comme tel est le cas actuellement constaté en Ukraine ou en Fédération de Russie.

Europe orientale et Asie centrale

1,4 million Europe occidentale (920 000-2,1 millions)

Amérique du Nord

610 000

1,0 million

Asie de l'Est

(480 000-760 000)

(540 000-1,6 million)

Afrique du Nord et Moyen-Orient

Caraïbes

1,1 million (580 000-1,8 million) Asie du Sud & du Sud-Est

540 000

440 000

(230 000-1,5 million)

(270 000-780 000)

Amérique latine

1,7 million (1,3-2,2 millions)

7,1 millions (4,4-10,6 millions)

Afrique subsaharienne

25,4 millions (23,4-26,4 millions)

Océanie

35 000 (25 000-48 000)

Total : 39,4 (35,9-44,3) millions

Figure 3 Le point sur l’épidémie de sida, Onusida/OMS 2004. http://www.unaids.org/wad2004/EPI_1204_pdf_fr/EpiUpdate04_fr.pdf 4 juin 2005 • tome 34 • n°10 • Supplément 1 Infectiologie/VIH

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Asie L’OMS distingue 3 groupes de pays,avec une prévalence globale de 0,4 % chez l’adulte en 2003, soit 8,2 millions d’individus (adultes et enfants) infectés : • les pays où l’épidémie a débuté tôt, comme la Thaïlande, le Myanmar ou le Cambodge ; • les pays où l’épidémie vient de débuter et se trouve en pleine expansion, le cas de l’Indonésie, du Népal, du Vietnam et d’une partie de la Chine continentale (figure 4) ; • des pays où l’incidence du VIH reste faible, même dans les populations habituellement à risque,tels que les Philippines, le Bangladesh ou le Pakistan. Comme pour l’Afrique, des pays aussi vastes que la Chine et l’Inde connaissent plusieurs épidémies simultanées avec de grandes disparités locales et régionales. ❚ En Chine, l’épidémie a “débuté”en zone rurale via des contaminations sanguines chez des personnes faisant le commerce de leur sang (avec réinjection de plasma “poolé”). Une seconde épidémie plus classique et plus récente s’est installée en milieu urbain, touchant essentiellement les usagers de drogue et le commerce du sexe. Les connaissances sur la transmission du virus et les modes de protection restent très limités. ❚ En Inde, les visages de l’épidémie sont aussi multiples et très liés au commerce du sexe et à l’usage de drogues. Les rapports entre hommes restent mal étudiés,mais participent probablement à la propagation et à l’interconnexion des épidémies : une enquête menée en 2002

Consommateurs de drogues Professionnel(le)s du sexe injectables

100

Guangxi, Chine Djakarta, Indonésie Hanoï, Vietnam

Prévalence du VIH (%)

90 80

Guangxi, Chine Djakarta, Indonésie Hanoï, Vietnam

70 60 50 40 30 20 10 0 1994

1995

1996

1997

1998

1999

2000

2001

Figure 4 Le point sur l’épidémie de sida, Onusida/OMS 2004. http://www.unaids.org/wad2004/EPI_1204_pdf_fr/EpiUpdate04_fr.pdf 4 juin 2005 • tome 34 • n°10 • Supplément 1 Infectiologie/VIH

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montrait que 57 % des hommes ayant des rapports 4 sexuels avec des hommes étaient mariés . ❚ En Indonésie, la séroprévalence chez les usagers de drogue injectable est extrêmement élevée,allant jusqu’à 50 % (Djakarta) voire 70 % (Pontianak).Au cours d’une enquête réalisée en 2003, près de 90 % des usagers de drogue interrogés avaient utilisé du matériel non stérile 5 dans la semaine qui précédait … ❚ Dans certaines régions du Vietnam, près de 40 % des prostituées sont également toxicomanes. Dans cette population, la toxicomanie est un facteur de risque de non-utilisation du préservatif, avec ainsi cumul de facteurs de risque d’acquisition et de diffusion du VIH. ❚ En Thaïlande, les efforts mis en place pour diminuer l’incidence de la maladie ont porté leurs fruits : la baisse de la prévalence continue,pour s’établir à 1,5 % en 2004. Mais les groupes à risque changent. En 1990, 90 % des contaminations hétérosexuelles étaient liées à des professionnelles du sexe.En 2002,50 % des transmissions se font entre conjoints, à partir des hommes contaminés par les professionnelles du sexe dans les années 1990…

Amérique latine et zone Caraïbes Avec 1,7 million de personnes infectées en Amérique latine et 440 000 dans la zone Caraïbes, la prévalence chez l’adulte s’établit respectivement à 0,6 et 2,3 %.

DANS LA ZONE CARAÏBES ❚ Les 5 pays les plus touchés affichent des prévalences nationales de plus de 2 % (Bahamas,Belize,Guyana,Haïti et Trinidad-and-Tobago) et le sida est devenu la première cause de mortalité chez les adultes pour l’ensemble de la région. La transmission y est majoritairement hétérosexuelle (en dehors des Bermudes et de Porto Rico où le groupe le plus à risque est celui des consommateurs de drogues),contrairement aux modes de transmission prédominants en Amérique latine. ❚ Haïti reste le pays le plus touché, avec 280 000 séropositifs à la fin de l’année 2003.La prévalence rapportée au cours des dernières années est plutôt en baisse, mais ceci est probablement lié à une meilleure fiabilité des recueils les plus récents,les plus anciens ayant tendance à surestimer les chiffres du fait d’enquêtes ciblées dans les groupes et les zones à risque extrapolées ensuite à l’ensemble de la population. Sur l’autre partie de l’île Hispaniola,la République Dominicaine présente également une forte épidémie d’infection par le VIH. Les données épidémiologiques sont très parcellaires et rendent l’interprétation des chiffres difficile, notamment la récente diminution de la prévalence de l’infection chez les femmes enceintes dans certaines parties de l’île. La Presse Médicale - 1S19

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❚ À Cuba, l’incidence est probablement plus faible que dans les autres îles de la zone, avec néanmoins une augmentation nette des cas notifiés entre 1995 et 2000. La plupart des nouvelles infections sont liées à des rapports sexuels entre hommes. Le pays semble être passé d’une politique très répressive au cours des années 1980 à une politique de dépistage actif et de traitement “universel”.

comparaisons entre pays européens sont difficiles :mode de recueil et données recueillies différents, absence de données concernant l’infection par le VIH pour certains pays où l’épidémie est la plus importante (Espagne et Italie notamment), nombre de tests réalisés par habitant très différent d’un pays à l’autre.

EN EUROPE DE L’OUEST EN AMÉRIQUE LATINE La situation est très contrastée. ❚ Au Brésil, qui compte un tiers des cas d’Amérique latine, l’épidémie a été initialement importante en milieu urbain chez les homosexuels,puis les toxicomanes par voie intraveineuse.Elle a maintenant tendance à diffuser à l’ensemble du territoire, y compris en zone rurale. Cette évolution va de pair avec une nette augmentation de l’incidence chez les femmes, peu touchées au début de l’épidémie. L’incidence varie beaucoup en fonction du niveau social et éducatif.En 2003,7 % des professionnelles du sexe étaient séropositives à Santos et San Paolo,mais cette prévalence passe à 18 % parmi ces mêmes femmes si elles habitent en bidonville et à 23 % si elles sont en outre illettrées. ❚ En Argentine, l’épidémie est encore confinée aux zones urbaines,avec également une forte connotation sociale. ❚ Au Pérou, le profil épidémique est proche de ce qu’il a été en Thaïlande au début des années 1990 : forte fréquentation des professionnelles du sexe par des hommes ayant par ailleurs une partenaire régulière, diffusion de l’épidémie chez les professionnelles mais également chez les conjoints… L’absence de protection chez les hommes ayant des rapports avec des hommes ou avec des professionnelles du sexe est notable, faisant entrevoir le risque d’une forte augmentation de l’incidence dans les années à venir. ❚ Le Guatemala et le Honduras sont les seuls pays d’Amérique latine à avoir une prévalence globale supérieure à 1 %. Le sida est devenu la deuxième cause de décès au Honduras. Les plus touchés sont les hommes ayant des rapports avec les hommes, puis les professionnelles du sexe. Comme dans d’autres régions du monde, la plupart de ces hommes ont également des rapports avec les femmes,ouvrant la porte à une diffusion de l’épidémie dans la population générale. Paradoxalement, les ressources consacrées à la prévention ne ciblent pas toujours les groupes à risque les plus important du pays : il existe souvent une carence notable de prévention auprès des hommes ayant des rapports sexuels entre eux.

Europe Il est difficile de donner une cartographie détaillée de l’infection par le VIH en Europe,tant la diversité des épidémies est grande d’un pays à l’autre (tableau 1)**. Les 1S20 - La Presse Médicale

L’épidémie a concerné initialement 2 groupes à risque : les usagers de drogues, majoritairement des hommes, et les homosexuels masculins.Aujourd’hui, les contaminations hétérosexuelles sont les plus fréquentes, les femmes sont de plus en plus représentées de même que les personnes originaires d’Afrique subsaharienne. Fin 2003, on estime que 580 000 personnes sont contamie nées.Ce nombre pourrait acquérir un 7 chiffre au cours des prochaines années, 3 facteurs se conjuguant : • l’amélioration de la survie liée à l’utilisation large des traitements antirétroviraux ; • la venue en Europe de l’Ouest d’un nombre de plus en plus important d’immigrés provenant de zones de haute endémie, déjà infectés ; • la possible augmentation de l’incidence de l’infection dans la population autochtone du fait de l’absence de protection dans certains groupes à risque (homosexuels masculins et hétérosexuels à partenaires multiples). La diminution notable de la proportion de toxicomanes est partagée par l’ensemble des pays d’Europe de l’Ouest, y compris au Portugal où l’incidence dans cette population était particulièrement élevée. L’incidence du sida, qui avait régulièrement baissé en

** Les données concernant l’épidémie en Europe sont extraites du rapport annuel sur l’épidémie de sida : Onusida/OMS. Le point sur l’épidémie de Sida : 2004. http:// www.unaids.org/ wad2004/EPI_1204 _pdf_fr/EpiUpdate 04_fr.pdf ainsi que du rapport européen : EuroHIV : HIV/AIDS surveillance in Europe. End-year report 2003. Saint Maurice : institut de veille sanitaire, 2004. No 70. http:// www.eurohiv.org/ reports/report_70/ pdf/report_eurohi v_70.pdf

Tableau 1

Nouveaux cas de séropositivité au VIH déclarés en Europe en 2003++ Année 2003

Europe de l’Ouest* (n= 18 030)

Europe centrale (n=1 440)

Europe de l’Est** (n=54 054)

29 %

45 %

73 %

Femmes

37 %

31 %

38 %

Étrangers au pays de diagnostic***

35 %

11 %

<1 %

Patients âgés de moins de 30 ans au moment du diagnostic de la séropositivité VIH

Facteurs de risque**** Hétérosexuels : 58 % Hétérosexuels : 44 % Hétérosexuels : 24% Homosexuels : 30 % Homosexuels : 27 % Homosexuels : 0,3% Usagers de drogues : Usagers de drogues : Usagers de drogues : 11 % 19 % 61 % * 19 des 23 pays d’Europe de l’Ouest pour lesquels les données sont disponibles ** Le facteur de risque n’est pas rapporté en Europe de l’Est dans 41% des cas *** Données sur un échantillon de pays rapportant l’origine ou la nationalité des personnes **** Exprimé en % du nombre total pour lequel au moins un facteur de risque a été déclaré ++ Onusida/OMS. Le point sur l’épidémie de sida : 2004. http://www.unaids.org/wad2004/EPI_1204_pdf_fr/EpiUpdate04_fr.pdf EuroHIV : HIV/AIDS surveillance in Europe. End-year report 2003. Saint Maurice : institut de o veille sanitaire, 2004. N 70. http://www.eurohiv.org/reports/report_70/pdf/report_eurohiv_70.pdf

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Europe de l’Ouest entre 1996 et 2002, semble remonter un peu en 2003. Elle est la plus élevée au Portugal (81,3/million d’habitants). Les 2 manifestations inaugurales du sida les plus fréquentes sont la pneumocystose et la tuberculose,qui représentent chacune 25 % des cas de sida déclarés en 2003.

moins permis de faire passer le taux de transmission mère-enfant de 27 % en 2001 à 12 % en 2003, encore loin des 1 % que nous connaissons actuellement en Europe de l’Ouest. ❚ Les anciennes républiques baltes (Lettonie, Estonie, Lituanie) connaissent une prévalence globale encore relativement faible mais en pleine expansion.

EN EUROPE CENTRALE L’incidence reste assez faible,avec 2 épidémies très spécifiques et distinctes :en Pologne,une incidence importante de l’infection chez les usagers de drogue ; en Roumanie, une épidémie liée à la transmission nosocomiale du VIH, chez les enfants en bas âge, à la fin des années 1980. La Roumanie est le pays d’Europe centrale où l’incidence du sida est la plus élevée, chez des sujets jeunes (entre 13 et 19 ans) et après contamination nosocomiale…

EN EUROPE DE L’EST ET ORIENTALE ❚ L’épidémie a progressé de façon très rapide pendant plusieurs années pour culminer en 2001 avec 100 758 cas déclarés,puis se stabiliser.Ce qui marque l’évolution épidémique dans cette zone est son extrême rapidité et l’âge de la population touchée : la prévalence a quasiment été multipliée par 10 en 10 ans, essentiellement chez les 15-29 ans. ❚ Le nombre de nouveaux cas de séropositivité au VIH déclarés a décliné en 2002 et 2003, mais il n’est pas impossible que cela soit en partie lié à un moindre dépistage, notamment dans les populations à risque. La Fédération de Russie, où 1 à 2 % de la population totale consomment de la drogue, représente la très grande majorité des cas déclarés (76 % des cas pour 50 % de la population de la région), suivie par l’Ukraine et la Lettonie.Alors que la transmission hétérosexuelle ne représentait que 5,3 % des modes de transmission en 2001 en Fédération de Russie, elle représente 20 % en 2003. Et, de fait, le nombre d’enfants nés avec le virus augmente considérablement, notamment dans les régions où l’épidémie est la plus ancienne chez les usagers de drogue.La répartition sur l’ensemble du pays reste très hétérogène : 10 territoires administratifs (sur 89), essentiellement à l’Ouest du pays, totalisent la moitié des cas notifiés. ❚ Actuellement, s’observe un effet de “saturation” lié au fait qu’une grande partie de la population à risque s’est infectée sur une période très courte, comme cela avait déjà était observé dans certaines populations d’usagers de drogues en Europe de l’Ouest.Il existe maintenant de fortes craintes que l’épidémie diffuse à partir de ce premier foyer –par un mode essentiellement hétérosexuel – vers une population moins facilement identifiable, comme en témoigne l’augmentation rapide du nombre de nouvelles infections acquises par voie hétérosexuelle. ❚ En Ukraine, les programmes de prévention ont néan4 juin 2005 • tome 34 • n°10 • Supplément 1 Infectiologie/VIH

En France UNE PRÉVALENCE DIFFICILE À ESTIMER En 2000, la prévalence du VIH en France se situait aux alentours de 100 000 personnes [88 200, avec un inter6 valle plausible entre 52 300 et 168 000] . La situation de l’épidémie de VIH,au sein des différents groupes de transmission, n’est vraiment bien connue que depuis… 2003. En effet, il aura fallu attendre 22 ans pour qu’un système de surveillance de l’épidémiologie du VIH se mette en place à l’échelle du pays. Ce système de surveillance des cas de sida remonte à 1982 et la déclaration est devenue obligatoire en 1986.Les données épidémiologiques amenées par cette obligation ne donnaient pas,jusqu’à maintenant, une image actualisée de l’épidémiologie. Si l’on avait jusqu’en 1996 une image de l’évolution “naturelle” de la maladie, l’introduction des traitements hautement actifs (HAART) a rendu l’observation des nouveaux cas de sida beaucoup moins pertinente.

UN NOUVEAU SYSTÈME DES DÉCLARATIONS Le nouveau système mis en place en 2003 permet une déclaration des infections par le VIH,des cas de sida et des décès. Cette étude épidémiologique est couplée à une étude virologique qui permet non seulement de suivre l’évolution des souches isolées en France,mais également de connaître une approximation de l’ancienneté de l’infection (supérieure ou inférieure à 6 mois). Les dernières données actualisées disponibles concernent l’année 2003 et le premier semestre 2004,parvenues à l’Institut de veille 7 sanitaire (INVS) au 31/3/2004 .

UNE RÉPARTITION INHOMOGÈNE ❚ Disparités selon les régions La répartition de l’infection par le VIH sur le territoire français a toujours été très inhomogène : les départements d’Amérique, l’Île-de-France – 43 % des personnes atteintes en métropole contre 19 % de la population – et la région Provence-Alpes-Côte d’Azur sont les régions les plus touchées. Si, historiquement, les personnes les plus touchées en France étaient des hommes,le plus souvent homosexuels, une évolution nette se dessine au cours des dernières années. Les femmes représentent en effet plus de 40 % des nouveaux diagnostics d’infection par le VIH. Elles sont le plus souvent (52 %) originaires La Presse Médicale - 1S21

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Épidémiologie de l’infection par le VIH en 2005

Infectiologie d’Afrique sub saharienne. Près de 1 femme sur 5 découvre sa séropositivité au cours de la grossesse. Les femmes françaises dépistées en 2003 ont très souvent été contaminées de façon récente.

❚ Disparités selon les sexes La distribution de l’infection par le VIH se fait de façon très différente chez les hommes.Un peu plus de 20 % des hommes nouvellement dépistés en 2003-2004 sont originaires d’Afrique subsaharienne.La contamination s’est le plus souvent faite par rapports hétérosexuels (40 %) mais les rapports homosexuels restent une cause très fréquente :37 % des nouveaux cas d’infections VIH chez les hommes, avec 1 fois sur 2 une contamination datant de moins de 6 mois. Les pratiques à risque semblent rester fréquentes, comme en témoigne l’augmentation importante du nombre de syphilis diagnostiquées entre 2001 et 2003,la réapparition de la lymphogranulomatose vénérienne, l’augmentation récente du nombre de cas de gonococcies ou l’épidémie de cas d’infection par le virus de l’hépatite C entre 2001 et 2004 dans cette population. Très peu de toxicomanes sont englobés parmi les nouvelles séropositivités diagnostiquées en 2003-2004, à peine 2 %. Ils représentent néanmoins encore 11% des nouveaux diagnostics de sida. La primo-infection par le VIH est rarement une cause de dépistage (8 %) et près d’1 personne sur 3 découvre sa séropositivité à un stade symptomatique,dont près de la moitié au stade de sida. La séropositivité est plus précocement découverte : • chez les femmes que chez les hommes ; • chez les hommes contaminés par rapports homosexuels plutôt qu’hétérosexuel ; • chez les Français plutôt que chez les étrangers. Les personnes déjà au stade sida découvrent leur séropositivité au moment du diagnostic 1 fois sur 2. Parmi celles qui connaissaient déjà leur diagnostic,un peu plus de 1 sur 2 est déjà sous traitement, sans différence entre les personnes originaires du territoire national et les étrangers.

❚ Disparités selon le milieu social L’enquête Vespa-Anrs8*** a permis en 2003 de préciser les caractéristiques sociales des patients vivant avec le VIH

en France : 40 % des hommes et 55 % des femmes de moins de 60 ans sont inactifs, et un peu plus du quart sont reconnus comme étant invalides, d’autant plus fréquemment que l’infection a été anciennement diagnostiquée. Ce taux d’activité est très variable en fonction des groupes à risque.Si les hommes contaminés par rapports homosexuels restent le plus souvent dans le monde du travail,les usagers de drogues sont beaucoup moins actifs en 2003 que lors de la découverte de leur séropositivité (une diminution du taux d’activité de près de 20 %). Les personnes étrangères se caractérisent par une évolution sociale “inverse”. Beaucoup n’ont ni emploi, ni ressource au moment du diagnostic, et leur taux d’activité augmente après le diagnostic, alors que celui-ci est fait le plus souvent à un stade plus tardif. Le logement précaire de ces personnes reste un problème majeur, concernant plus de 1 femme sur 3 au moment de la découverte de la contamination.

Conclusion La pandémie actuelle d’infection par le VIH soulève toujours de très nombreuses questions. Au cours des toutes prochaines années,3 grandes catégories de problèmes à résoudre pourraient être retenues. Dans les pays en développement et l’Afrique en particulier,sera-t-il possible d’enrayer l’épidémie,de diminuer l’incidence de la maladie et proposer un traitement à la majorité des personnes relevant d’une indication thérapeutique ? Les scénarios récemment établis en Afrique en partenariat avec l’onusida laissent perplexes.Sur 3 scénarios retenus,le plus optimiste prévoit 67 millions de morts du sida et le plus pessimiste 83 millions d’ici l’année 2025****… Dans les pays industrialisés, la question pivot actuellement est celle de la tolérance des thérapeutiques antirétrovirales à long terme et de l’accueil des migrants provenant de pays de forte endémie. Dans les pays intermédiaires comme la Fédération de Russie ou la Chine,l’épidémie de sida ne risque-t-elle pas d’être négligée dans un contexte de priorisation extrême d’une croissance économique rapide et sauvage ? Nous sommes loin de pouvoir saisir les conséquences sanitaires,économiques et sociales de cette pandémie… ■

*** Également en ligne : http://www.ined.f r/publications/pop _et_soc/pes406/40 6.pdf

**** Onusida. Le sida en Afrique : trois scénarios pour l’horizon 2005. http:// www.unaids.org/u naids_resources/H omePage/images/ AIDSScenarios/AID S-scenarios2025_execsummary_fr.pdf

Références 1 2

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