État des lieux de la formation et des compétences des enseignants en sciences infirmières en Europe : focus sur la situation de la France

État des lieux de la formation et des compétences des enseignants en sciences infirmières en Europe : focus sur la situation de la France

Revue francophone internationale de recherche infirmière (2016) 2, 206—216 Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.com PÉDAGOGIE /Ét...

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Revue francophone internationale de recherche infirmière (2016) 2, 206—216

Disponible en ligne sur

ScienceDirect www.sciencedirect.com

PÉDAGOGIE /Étude quantitative

État des lieux de la formation et des compétences des enseignants en sciences infirmières en Europe : focus sur la situation de la France Review of the training and skills of nursing science educators in Europe: Focus on the situation in France Stéphanie Phulpin (MSc) (enseignante en sciences infirmières) a,∗, Jane-Laure Danan (MSc, PhD) (présidente de Fine-Europe, chargée de mission recherche/formation/éthique CHT, chercheur associé équipe Ethos université de Lorraine) b,c,d a

Ifsi, centre hospitalier Émile-Durkheim, 3, avenue Robert-Schumann, 88000 Épinal, France CHT Maison Blanche, 6-10, rue Pierre-Bayle, 75020 Paris, France c Ethos, université de Lorraine, 34, cours Léopold, 54000 Nancy, France d Fine-Europe, 10, rue Audubon, 75012 Paris, France b

ut 2016 Rec ¸u le 4 mai 2016 ; accepté le 29 aoˆ

MOTS CLÉS Compétence ; Enseignants en sciences infirmières ; Enseignement supérieur ; Europe ; Formation



Résumé Objectif de l’étude. — Cette étude quantitative descriptive a pour objectif principal de faire un état des lieux de la formation des enseignants infirmiers en Europe. Méthode. — Le travail est réalisé dans le cadre d’une recherche de master en sciences de l’éducation et d’une recherche conduite en partenariat avec la Fédération européenne des enseignants en sciences infirmières (Fine-Europe). Cette étude avait une visée européenne. Elle s’appuie sur un questionnaire en ligne mis à disposition sur les sites des structures associatives européenne et franc ¸aises d’enseignants infirmiers. Principaux résultats. — Compte tenu des résultats obtenus, il s’agit ici de la présentation d’un focus de répondants enseignants franc ¸ais sur leur formation et les compétences attendues pour

Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (S. Phulpin).

http://dx.doi.org/10.1016/j.refiri.2016.08.006 2352-8028/© 2016 Elsevier Masson SAS. Tous droits r´ eserv´ es.

Formation et compétences des enseignants infirmiers

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le niveau d’enseignement initial : le diplôme d’État valant grade de licence. Outre les résultats issus des répondants franc ¸ais, il est mis en évidence des disparités de formation et de niveaux de compétences, une large diversité des profils de formation et des écarts importants entre les pays des enseignants en sciences infirmières en Europe. Discussion. — Une des perspectives de cette étude, au-delà de l’état des lieux, serait de démontrer la nécessité de la création d’un corps professoral d’enseignants chercheurs dotés de compétences et d’expertises reconnues dans le contexte d’enseignement supérieur européen. Les enjeux de l’accès de la formation universitaire ont par ailleurs largement été démontrés par Chapuis comme étant une réponse aux défis contemporains des systèmes de santé dans le monde. Le travail amorcé dans cette recherche devra nécessairement être poursuivi afin de produire des recommandations sur le niveau de formation et de compétences des infirmières enseignantes en Europe. © 2016 Elsevier Masson SAS. Tous droits r´ eserv´ es.

KEYWORDS Europe; Higher education; Nurse science educators; Skill; Training

Summary Objective of the study. — The main aim of this descriptive quantitative study is to assess the training of nurse educators in Europe. Method. — The work is carried out in the framework of a master’s degree in educational sciences and research carried out in partnership with the European Federation of Nurse Educators (FineEurope). This study had a European scope. It was based on an online questionnaire published on the websites of European and French nurse educator associations. Main results. — In view of the results obtained, this is a presentation of a focus on French educator respondents regarding their training and the required skills for the initial teaching level: a state diploma equivalent to a bachelor’s degree. Aside from the results from French respondents, there are disparities in the training and level of skills, a wide diversity of training profiles and significant differences between European countries. Discussion. — One of the perspectives of this study, beyond the assessment of the current situation, is to show the need for the creation of an academic body of educators-researchers with recognised skills and expertise in the context of European higher education. The issues surrounding the access to university education have indeed been widely demonstrated by Chapuis as being a response to the contemporary challenges of health systems in the world. The work undertaken with this research must be continued in order to put forward recommendations regarding the level of training and skills of nurse educators in Europe. © 2016 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Les accords de Bologne signés en 1999 [1] engagent les États membres de l’Union Européenne à construire un espace européen de l’enseignement supérieur et de la recherche, mettant ainsi en place une architecture basée sur trois cycles : licence, master et doctorat. Ces accords permettent également une amélioration de la lisibilité des diplômes universitaires grâce à la mise en place de crédits européens (ECTS) et le développement de la mobilité européenne et internationale. La formation en soins infirmiers en France entre dans ce dispositif dix ans plus tard avec l’arrêté du 31 juillet 2009 relatif au diplôme d’État d’infirmier [2] et prône l’approche par compétences. Celles-ci sont décrites dans le référentiel de compétences pour l’obtention du diplôme d’État d’infirmier [3] et visent « à professionnaliser le parcours de l’étudiant, lequel construit progressivement les éléments de sa compétence à travers l’acquisition de savoirs et savoir-faire, attitudes et comportements ».

De plus, l’article 31 de la directive 2013/55/UE précise les compétences requises pour les infirmiers et décrit un ensemble de huit compétences à atteindre [4]. Il établit les exigences minimales en formation pour les infirmiers européens non spécialisés afin d’acquérir ces compétences. En avril 2015, l’European Federation of Nurses Associations (EFN) et ses membres adhérents proposent les lignes directrices pour la mise en œuvre de cette directive en lien avec le programme de formation en soins infirmiers. Les recherches en sciences infirmières se portent alors sur les formations et les compétences des infirmiers spécialisés [5] ou en pratiques avancées [6] et s’appuient notamment sur des études démontrant l’importance de la formation en sciences infirmières sur la qualité des soins et sur le taux de mortalité des patients [7]. Les sciences infirmières sont définies comme l’ensemble des savoirs théoriques, cliniques, éthiques et pratiques issus des modèles conceptuels en soins infirmiers. « Le va-et-vient

208 entre les savoirs issus de la recherche et leur utilisation dans une pratique infirmière déterminée caractérise les sciences infirmières comme une discipline professionnelle » [8]. Au niveau international, les recherches s’orientent également vers la formation, les qualifications et les compétences des enseignants en sciences infirmières. Lors d’un workshop organisé par Fine-Europe en 2015 [9], Leena Salminen, infirmière PhD, a présenté les résultats d’un programme national de recherche relatif aux compétences des enseignants en sciences infirmières en Finlande. Au cours de cette communication, elle a mis en exergue les différences et similitudes entre les formations, qualifications et compétences attendues des enseignants en sciences infirmières en Europe [10]. Ainsi, le rôle des enseignants en sciences infirmières évolue depuis plusieurs années en Europe et à l’international dans un contexte d’universitarisation de la formation initiale, de nouveaux défis liés aux innovations technologiques et de leur impact sur l’enseignement, et de confrontations avec d’autres systèmes de santé et de formation. L’objectif de cette recherche, soutenue par Fine-Europe et menée dans le cadre d’un master en sciences de l’éducation, est de réaliser un état des lieux de la formation et des compétences des enseignants infirmiers en Europe. Dans une perspective plus large, il pourrait également se poursuivre par l’étude de faisabilité de la nécessité de création d’un corps professoral infirmier, composé d’enseignants chercheurs, ayant une formation universitaire, des compétences d’expert développées et reconnues dans le contexte d’enseignement supérieur européen et ainsi développer une identité qui leur est propre.

État des lieux européen Dans le contexte européen, et afin de cibler le cadre de cette étude, les normes et publications de 32 pays européens ont été étudiées à partir d’une revue de la littérature. Celleci s’est appuyée sur des documents informatisés, portant sur les formations et les compétences des enseignants en sciences infirmières en Europe. Les moteurs de recherches Medline, Cinhal, Erudit, Persée et Google Scholar ont été utilisés, avec introduction des mots clés suivants : compétence, enseignement supérieur, infirmier, qualification, Europe. Les articles recueillis à partir de la combinaison de ces différents mots clés et portant sur la formation et les compétences des enseignants en sciences infirmières ont été conservés et des critères restrictifs de langue (franc ¸ais et anglais) ont été appliqués sur les résultats trouvés. Après lecture, 15 articles ont été sélectionnés. Afin d’en faciliter la compréhension, les sites Internet de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), de l’Agence Erasmus+ France/éducation formation (anciennement Agence 2e2f), du réseau européen des centres d’information dans la région européenne et des centres nationaux d’information sur la reconnaissance académique dans l’Union européenne [Enic-Naric] et de Fine-Europe ont également été visités. Ainsi, la revue de littérature concernant la formation et les compétences des enseignants en sciences infirmières n’a pas permis d’établir un recueil complet de données : pour quelques pays, aucun texte de référence n’a été trouvé

S. Phulpin, J.-L. Danan (Chypre, Croatie, Lichtenstein, Lituanie, Lettonie, Malte, Pays Bas, Slovaquie et Slovénie). Pour d’autres pays, les écrits existent mais ne décrivent pas le niveau de qualification attendu de l’enseignant en sciences infirmières. C’est le cas de l’Autriche, l’Espagne, la Finlande, ou encore la Grèce. En ce qui concerne les compétences des enseignants en sciences infirmières, seuls le Royaume-Uni et la Suisse ont des documents consultables sur Internet. Le référentiel concernant les compétences des enseignants en soins infirmiers polonais nous est envoyé par un homologue en Pologne, partenaire du programme Erasmus+. L’hypothèse que les enseignants exerc ¸ant au sein d’université (Suède, Norvège ou Roumanie par exemple) prennent pour référence le référentiel de compétences de l’enseignant universitaire en Europe est avancée. Cette recherche, bien que parcellaire, a mis en évidence plusieurs travaux et supports relatifs aux compétences des enseignants en sciences infirmières (compétences interculturelles, standards to support learning and assessment in practice, référence aux pratiques basées sur les preuves dès le début de formation initiale). De plus, certains pays travaillent en collaboration afin d’élaborer des documents de référence dans le respect des normes européennes et mondiales préconisées (Global standards for the initial education of professional nurses and midwives [11] et descripteurs de Dublin [12]). De plus, au niveau de la classification européenne des aptitudes, compétences, certifications et professions (Esco), nous retrouvons la profession au troisième rang, nommée professeur de soins, sous la nomenclature « professions intellectuelles et scientifiques ». À noter également, le Code de qualité au Royaume-Uni (UK Quality Code) pour l’enseignement supérieur qui est le point de référence pour tous les acteurs d’enseignement supérieur. Il est enregistré dans le Nursing and Midwifery Council (NMC) et reconnu dans le monde entier. Afin d’enrichir la réflexion, et après lecture de plusieurs travaux relatifs à cette question sur des sites canadiens (Centre d’innovation en formation infirmière [CII], réseau de recherche en interventions en sciences infirmières du Québec [RRISIQ]), le rapport Educator Pathway Project a été investi [13]. Au sein de ce programme, six compétences sont mises en évidence pour l’enseignement des sciences infirmières : • démontrer une implication au sein du système de formation ; • favoriser l’efficacité des enseignements et les conditions d’apprentissage ; • créer des environnements efficaces d’apprentissage ; • gérer de multiples situations complexes liées à l’apprentissage ; • tenir compte des progrès de soins infirmiers dans la pratique professionnelle ; • démontrer des compétences en leadership.

État des lieux franc ¸ais Concernant le cadre réglementaire lié à l’exercice de la profession d’enseignant en soins infirmiers en France, l’arrêté du 31 juillet 2009 relatif aux autorisations des instituts de

Formation et compétences des enseignants infirmiers

Encadré 1 : Gouvernance des IFCS Autorisation : Conseil régional sur avis de l’Agence régionale de santé. Agrément : donné au directeur auquel l’IFCS est rattaché. Conventions : selon le choix de la direction de l’IFCS (universités, Conservatoire national des arts et métiers. . .).

formation préparant aux diplômes d’infirmier et de cadre de santé précise les qualifications des formateurs en soins infirmiers (article 10) : « Les formateurs permanents des instituts doivent être titulaires : • d’un titre permettant l’exercice des professions pour lesquelles l’institut est autorisé ; • du diplôme de cadre de santé ou d’un des certificats de cadre auxquels ce diplôme s’est substitué ou d’un diplôme reconnu équivalent. Un titre universitaire de niveau II dans les domaines de la pédagogie ou de la santé est recommandé ». En France, la formation des cadres de santé en Institut de formation de cadres de santé (IFCS) prépare à deux métiers : le métier de cadre de santé d’unité de soins et le métier de cadre de santé formateur. Dans certains IFCS de France et en fonction des projets pédagogiques, des partenariats sont créés de gré à gré avec les universités, permettant aux étudiants qui le souhaitent une validation de licence, de première année de master et/ou de diplôme universitaire concomitant au diplôme de cadre de santé (Encadré 1). Le rapport de la mission cadres hospitaliers, commandé par le ministère de la Santé et des Sports [14], permet d’entrevoir ce qui est préconisé dans la reconnaissance universitaire de la formation des cadres de santé et le renforcement du lien avec le métier d’infirmier. Bien que ce rapport soit établi en regard des missions des cadres travaillant en service hospitalier, certaines préconisations relatives à la formation des cadres sont transposables à la formation des cadres exerc ¸ant en Institut de formation en soins infirmiers (Ifsi). Parmi les principales préconisations, retenons : la proposition no 15 de donner une dimension universitaire aux formations des cadres de santé, la proposition no 17 de donner à la formation des cadres de santé une équivalence universitaire permettant l’obtention d’un master dans un parcours de formation organisé incluant la validation des acquis de l’expérience et la proposition no 18 de prévoir l’obtention d’un master pour les cadres de santé. Dans le prolongement du rapport de la mission cadres hospitaliers, l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) a été chargée de mener une réflexion sur la formation des cadres. Selon ce rapport, « un certain nombre de cadres formateurs ont fait valoir qu’une formation spécifique plus longue (de type master en pédagogie) restait nécessaire ». D’une manière générale, une augmentation des formations universitaires des formateurs et directeurs au sein des Ifsi dès 2013 est relevée. En effet, près de 30 % des professionnels de la formation étaient titulaires ou préparaient un diplôme universitaire (master ou doctorat) [15]. Néanmoins,

209 aucun autre recensement des formations universitaires des formateurs en soins infirmiers n’a été réalisé à ce jour en France. À cet effet, pour avoir une cartographie plus précise et actualisée des formations universitaires des enseignants en soins infirmiers, nous avons réalisé une enquête auprès des directeurs d’Ifsi de janvier à mars 2015. Sur 330 Ifsi franc ¸ais, 48 réponses ont été obtenues. Elles correspondent à 14,5 % des Ifsi recensés. La cartographie précise des formations universitaires des formateurs en soins infirmiers en France se révèle donc insuffisante pour pouvoir généraliser les résultats à l’échelle nationale. Pour autant, quelques constats ont pu être établis à partir des réponses de cet échantillon restreint : • dans les 48 Ifsi répondants, 702 formateurs en soins infirmiers ont été dénombrés, dont 93,5 % sont diplômés cadres de santé, 20 % titulaires de diplômes universitaires, 3 % de licence et 2,27 % de master 1 ; • 184 d’entre eux détiennent un master 2, soit 26,2 %. Les domaines privilégiés par les enseignants en soins infirmiers sont les sciences de l’éducation (94 personnes dont 28 en ingénierie de formation), le management (21) et l’éducation thérapeutique (12) ; • 8 docteurs ou doctorants, principalement en sciences de l’éducation, ont été recensés. Dans le répertoire des métiers de la fonction publique hospitalière (fiche RNCP), une fiche est intitulée « formateur de professionnels de santé » où sont décrits les savoir-faire, les activités et les connaissances dont doivent faire preuve les enseignants en soins infirmiers. En ce qui concerne le métier de cadre de santé formateur en Institut de formation, l’arrêté du 31 juillet 2009 relatif aux autorisations des instituts de formation identifie quatre compétences nécessaires à l’exercice de formation en soins infirmiers : • organiser les processus de formation professionnelle d’un groupe d’apprenants en formation initiale ou continue en soins et en santé ; • enseigner aux étudiants et aux professionnels en soins et en santé ; • accompagner l’étudiant et le professionnel en soins et en santé dans son projet de formation ; • conduire des études ou travaux de recherche et d’innovation. Chacune de ces compétences se construit à partir de ressources acquises avant la formation cadre par l’expérience professionnelle et le parcours de formation et/ou que la formation cadre permettra d’acquérir et de développer. Dans le cadre des travaux de réingénierie sur le diplôme de cadre de santé, à la demande la DGOS, un groupe de travail a mené une réflexion sur l’élaboration de référentiels d’activité et de compétence des cadres de santé [16]. Au regard des activités identifiées, le groupe de travail propose un référentiel de huit compétences : • concevoir et organiser un dispositif de formation dans le domaine de la santé et des soins ; • organiser et coordonner les parcours de formation en alternance dans le domaine de la santé et des soins ; • concevoir et animer des actions de formation initiale et continue dans le domaine de la santé et des soins ;

210 • accompagner les personnes dans leur parcours de formation dans le domaine de la santé et des soins ; • évaluer les connaissances et les compétences des personnes en formation dans le domaine de la santé et des soins ; • évaluer la qualité des prestations et s’inscrire dans une démarche qualité ; • conduire un projet, des travaux d’étude et de recherche ; • communiquer, transmettre les informations et rendre compte.

S. Phulpin, J.-L. Danan

Environnement capacitant

Cadre théorique et conceptuel de l’étude

Outre l’importance accordée au rôle de l’individu dans le développement de ses compétences, Fernagu Oudet souligne que le collectif de travail, l’organisation, l’environnement, la hiérarchie, le système économique, technique et politique, génèrent des contraintes et des ressources pour l’individu, ce qui peut influencer son pouvoir d’agir [19]. La compétence, dans cette perspective, associe les personnes, les espaces professionnels et les équipements. « Elle est donc une relation entre des capacités mobilisées et des moyens fournis, entre des objectifs fixés et des raisons d’agir, que chacun définit à sa manière ».

Compétence

Identité professionnelle

Le concept de compétence n’est pas un concept qu’il est aisé de circonscrire tant les approches sont nombreuses et sensiblement différentes. Nous nous appuyons ici sur les travaux de Joannert [17] qui propose une synthèse du concept de compétence en prenant appui sur les auteurs qui l’ont travaillé depuis plus d’une décennie (D’Hainaut, Meirieu, Jonnaert, Lauwaers et Peltier, Raynal et Rieunier, Perrenoud, Pallascio). L’approche de ces auteurs permet de dégager un consensus autour du concept de compétences qui se décline autour de six points : • une compétence est une mise en œuvre, par une personne particulière ou un groupe de personnes de savoirs, de savoir-être, de savoir-faire ou de savoir-devenir dans une situation donnée : une compétence est donc toujours contextualisée dans une situation précise et est toujours dépendante de la représentation que la personne ou le groupe de personnes se fait de cette situation ; • cette mise en œuvre suppose une mobilisation efficace d’une série de ressources pertinentes pour la situation ; ces ressources peuvent être d’ordre cognitif, d’ordre affectif, d’ordre social, d’ordre contextuel ; • la compétence s’appuie également sur une sélection des ressources mobilisées afin d’être le plus efficace possible en situation ; • la compétence suppose aussi une coordination des ressources retenues entre elles ; • à l’aide de ces ressources mobilisées, sélectionnées et coordonnées, la compétence suppose un traitement avec succès des tâches que requiert la situation ; • enfin, une compétence suppose que l’ensemble de ces résultats a non seulement permis le traitement de la situation avec succès mais aussi que ces résultats soient socialement acceptables ; cette double caractérisation du résultat, succès versus acceptation sociale nécessite d’intégrer une dimension éthique à l’évaluation des résultats.

Force est de constater que le développement des compétences des enseignants en sciences infirmières s’inscrit ainsi dans un processus dynamique et constructif. La conquête d’un espace pour la discipline infirmière est capitale pour la construction de leur identité professionnelle [20]. Ils sont en quête de reconnaissance par et pour la recherche en sciences infirmières. Pour autant, l’exercice de la profession fait référence à deux champs disciplinaires : les sciences de l’éducation et les sciences infirmières. Rouiller nous apporte quelques éléments de réflexion autour de la construction, voire de la transformation identitaire des enseignants en soins infirmiers [21]. En effet, dans leur exercice professionnel quotidien, ces derniers se fondent en premier lieu sur leurs pratiques professionnelles infirmières, sur les réseaux de développement professionnel (articles de recherches, colloques. . .) et également sur des savoirs issus des sciences de l’éducation, savoirs qu’ils transforment, adaptent, simplifient, en vue d’une fonctionnalité immédiate. Ceci montre « la difficulté que peuvent rencontrer les enseignants du fait de leur double appartenance », à la fois au corps des professionnels en soins infirmiers et au corps des enseignants. « Ils ont affaire à un problème identitaire, leur demandant de construire une nouvelle identité professionnelle ». Nous comprenons que la conquête d’un espace pour la discipline infirmière est capitale pour la construction de l’identité de l’enseignant en sciences infirmières. Dans une quête de reconnaissance professionnelle pour lui-même et vis-à-vis de ses pairs, d’appartenance au groupe élargi des enseignants en sciences infirmières européens, il doit faire la preuve de l’excellence et de l’utilité de la production scientifique infirmière et élargir ainsi son champ de compétences.

Dans ce contexte de développement des compétences, l’enseignant en sciences infirmières s’appuie sur des ressources individuelles et collectives. De manière individuelle, il résout des problèmes complexes en soins et en pédagogie par l’élucidation des enjeux, la construction de problèmes et l’élaboration de prises de position argumentées aboutissant à des solutions [18].

Matériel et méthode Une méthodologie mixte est utilisée, par une étude séquentielle explicative, combinant approche quantitative et qualitative sans pondération, en nous référant au modèle décrit par Tashakkori et Teddlie [22]. Dans sa finalité, celleci répond à une volonté d’explorer, de manière la plus exhaustive possible, la complexité de l’objet de recherche.

Formation et compétences des enseignants infirmiers Elle répond à l’objectif général et se décline en objectifs spécifiques. L’outil retenu pour cette enquête est un questionnaire en ligne, car celui-ci permet de recueillir les données de manière rapide et efficace dans les pays ciblés par l’enquête. Il permet également un premier tri à plat des données, facilitant une vision globale du matériel recueilli. Les personnes enquêtées sont les enseignants en sciences infirmières, dans les trente-deux pays d’Europe. Sont exclus de cette enquête les enseignants d’autres pays et les professionnels travaillant auprès des étudiants en soins infirmiers, non enseignants. Ce questionnaire contient neuf questions, formulées avec un langage accessible au plus grand nombre, afin de permettre aux enseignants en soins infirmiers d’Europe d’y répondre. Il est accessible en ligne, en anglais et en franc ¸ais. Il a été choisi de le traduire en anglais car cette langue est reconnue comme langue internationale et elle est utilisée par les enseignants en Europe. La structure du questionnaire est construite après identification des différentes thématiques composant l’objectif de recherche : formation, activité, compétence et référentiel de compétences. Ces derniers sont mis en lien avec les concepts et sous-concepts étudiés dans la cadre théorique : environnement capacitant, identité professionnelle, académisation et professionnalisation. À partir des thématiques et des concepts relevés, la technique de l’entonnoir est appliquée, en partant de questions générales simples vers des questions plus précises et compliquées. Au regard de l’objectif général de recherche, sept objectifs opérationnels sont posés, permettant la formalisation des questions. Les questions sont posées sous plusieurs formes : fermées à choix multiples, à degré de priorisation et ouvertes (Encadré 2 ). Ce questionnaire fut envoyé et amélioré suite à un test effectué auprès de dix collègues franc ¸aises, enseignantes en soins infirmiers. Il leur a été transmis directement sur leur messagerie et fut clôturé au bout d’une semaine. La diffusion de l’outil finalisé fut réalisée par informatique, en mobilisant les membres du Comité d’entente des formations infirmières et cadres (CEFIEC), de l’Association nationale des directeurs d’école paramédicale (ANDEP) et de la Fédération européenne des enseignants en soins infirmiers (Fine-Europe), ainsi que nos réseaux et partenaires du programme Erasmus+. Le questionnaire fut déposé sur les sites Internet de ces associations, pour une durée d’un mois et demie. Bien que cette étude ne concerne pas la recherche clinique, elle s’appuie sur les principes éthiques décrits dans la déclaration d’Helsinki. En effet, l’enquête se fonde sur une connaissance approfondie de la littérature scientifique et des autres sources pertinentes d’information. Lors de l’élaboration et de la diffusion du questionnaire, les principes éthiques ont été respectés en termes de protection et de préservation des droits des personnes participantes.

Résultats Profils des répondants Entre mai et juin 2015, soit un mois et demi, 507 réponses ont été recueillies. Les répondants étaient en majeure

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Encadré 2 : Trame du questionnaire 1. Dans quel pays exercez-vous ? 2. Quels diplômes détenez-vous ? Indiquez la discipline et la spécialité de ces diplômes. 3. Classez ces 7 activités en fonction de l’importance donnée à chacune d’entre elles : • conception, organisation, gestion et coordination des dispositifs de formation professionnelle initiale et continue, en soin et en santé ; • gestion de l’information, des moyens et des ressources pour un dispositif de formation ; • réalisation de prestations d’enseignement et de formation auprès des étudiants et des professionnels en soin et en santé ; • accompagnement de l’apprenant dans son projet de formation ; • développement de la démarche qualité de la formation ; • mise en place et animation de projets pédagogiques ; • veille professionnelle, études et travaux de recherche et d’innovation, en équipe pluridisciplinaire. 4. Comment valorisez-vous votre expérience clinique dans votre pratique quotidienne ? Pratique réflexive, analyse des pratiques en groupe, observation sur les lieux de stage, questionnement et écoute des étudiants, écriture clinique, vidéoformation, entretien d’explicitation, simulation et les jeux de rôles, expérimentation et expérience, contacts réguliers avec les professionnels, autres. 5. Parmi ces rôles des enseignants en soins infirmiers, choisissez le modèle qui vous correspond le plus : penseur, preneur de décisions, motivateur, modèle, médiateur, entraîneur. 6. Prioriser les compétences suivantes par rapport à l’ordre d’importance que vous leur accordez dans votre pratique : • démontrer votre implication au sein du système de formation ; • favoriser l’efficacité des enseignements et les conditions d’apprentissage ; • créer des environnements efficaces d’apprentissage ; • gérer de multiples situations complexes liées à l’apprentissage ; • tenir compte des progrès de soins infirmiers dans la pratique professionnelle ; • démontrer des compétences en leadership. 7. Sur quelles ressources vous appuyez-vous pour maintenir et développer vos compétences professionnelles ? 8. À quoi associez-vous le terme « référentiel de compétences » ? Référence à la recherche, au savoir et à sa production, diminution du nombre d’heures de cours disciplinaires au profit de développement de compétences professionnelles, référence à des valeurs ou méta-compétences observables ou non en situation, mais qui découlent de valeurs citoyennes, référence au marché du travail et au

212 secteur d’activité, référence à la présence renforcée d’enseignants chercheurs, référence à la présence renforcée de professeurs vacataires, visiteurs, etc., référence à l’autonomisation des disciplines, référence à la spécialisation en rapport avec un secteur professionnel, référence à des valeurs ou métacompétences observables ou non en situation mais qui découlent de valeurs attachées à l’exercice d’une profession, référence à la diversification ou spécialisation des disciplines selon l’actualité de la recherche de référence. 9. Quelle pourrait être l’utilité d’un référentiel de compétences européen pour l’enseignant en soins infirmiers ? • reconnaissance du travail effectué au quotidien ; • reconnaissance des compétences au niveau européen ; • reconnaissance des qualifications minimales exigées ; • augmentation du pouvoir d’action ; • support de développement de compétences ; • harmonisation des pratiques européennes ; • promotion de l’excellence de la formation infirmière en Europe ; • mobilité professionnelle dans le cadre de l’Europe ; • développement de la recherche en sciences infirmières.

partie franc ¸ais (82 %). Les enseignants en soins infirmiers belges, luxembourgeois, suisses et danois représentaient 11 % des enquêtés. Dans les autres pays sollicités, le nombre de réponses par pays n’a pas permis d’obtenir de données significatives. Notons également une absence de réponses en Autriche, Bulgarie, Croatie, Hongrie, Irlande, Islande, Lettonie, Lichtenstein, Malte, Norvège, République Tchèque et Slovaquie. Les limites de l’outil concernent donc principalement sa traduction disponible uniquement en franc ¸ais et en anglais. Bien que la langue anglaise soit reconnue comme internationale, tous les enseignants en sciences infirmières d’Europe ne la maîtrisent pas, dans la lecture et dans la compréhension. Le nombre de répondants par pays ne permet pas de répondre à la problématique soulevée par l’étude, à savoir l’identification des compétences minimales requises pour l’exercice d’enseignant en sciences infirmières dans les pays d’Europe. Pour autant, elle permet d’établir un état des lieux concernant la formation et les compétences des enseignants en soins infirmiers franc ¸ais dans le contexte d’enseignement supérieur européen.

Qualifications des répondants Concernant les qualifications des 507 répondants, 292 personnes sont titulaires d’un diplôme ou d’un certificat de cadre de santé (soit 58 % des répondants), 39 titulaires uniquement d’un diplôme d’État d’infirmer (soit 8 %), 52 personnes ayant une licence (soit 10 %), 5 personnes titulaires d’un certificat de professeur en enseignement supérieur et 6 directeurs des soins.

S. Phulpin, J.-L. Danan Dix-huit répondants sont professeur d’université, notamment en sciences infirmières, 212 sont titulaires d’un master 2 (soit 42 % des répondants) et 40 d’un master 1 (soit 8 %). Les domaines de formation en master concernent principalement les sciences de l’éducation, mais aussi les sciences humaines, la santé publique, le management, l’éthique en santé, le droit. Parmi les répondants, 18 personnes sont titulaires d’un master 2 en sciences infirmières (enseignants suisses, danois, belges, italiens et britanniques) et deux en evidence practice (enseignants britannique et hollandais). Les enseignants en soins infirmiers franc ¸ais se forment également de fac ¸on assez importante à des diplômes universitaires. Ceux-ci se rattachent davantage à la profession infirmière : plaies et cicatrisation, éducation à la santé, psychologie, hygiène hospitalière, santé publique, douleur, soins palliatifs, éthique, stérilisation. . .

Point de vue des enseignants concernant le développement de leurs compétences Le recueil de données (Tableau 1) montre également l’importance que les répondants accordent à la création d’environnements efficaces d’apprentissage : 128 personnes sur 490 ayant répondu à la question (soit 26 %) définissent cette compétence comme la plus importante pour elles (Fig. 1). La compétence nommée « Favoriser l’efficacité des enseignements et les conditions d’apprentissage » est également largement citée comme étant la plus importante pour 24,5 % des répondants (Fig. 2). Que les enseignants en soins infirmiers considèrent l’une ou l’autre des compétences comme prioritaires dans leur pratique, les ressources mobilisées ne sont pas du même ordre : les personnes considérant que « Créer des environnements efficaces d’apprentissage » tient une place importante dans leur pratique mobilisent de multiples

Importance donnée à la compétence " créer des environnements efficaces d'apprenssage" par les enseignants en soins infirmiers (1 le moins important à 6 le plus important) 6

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Figure 1. Importance donnée à la compétence « Créer des environnements efficaces d’apprentissage » par les enseignants en soins infirmiers. © DR.

Formation et compétences des enseignants infirmiers

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Tableau 1 Priorisation des compétences par rapport à leur ordre d’importance (1 = le moins important au 6 = le plus important).

Démontrer votre implication au sein du système de formation Favoriser l’efficacité des enseignements et les conditions d’apprentissage Créer des environnements efficaces d’apprentissage Gérer de multiples situations complexes liées à l’apprentissage Tenir compte des progrès de soins infirmiers dans la pratique professionnelle Démontrer des compétences en leadership

Importance donnée à la compétence "Favoriser l'efficacité des enseignements et des condions d'apprenssage " par les enseignants en soins infirmiers (1 le moins important à 6 le plus important) 6

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11% 25% 15% 9% 23% 17% Figure 2. Importance donnée à la compétence « Favoriser l’efficacité des enseignements et les conditions d’apprentissage » par les enseignants en soins infirmiers. © DR.

ressources pour y parvenir, notamment l’analyse de pratiques, la veille scientifique et professionnelle et l’evidence based nursing (EBN). Pour les personnes considérant cette compétence comme moins importante, la mobilisation des ressources concerne principalement les lectures professionnelles. Nous voyons ici une différence dans l’implication de la recherche de ressources. La majorité des personnes qui considèrent « Démontrer une implication au sein du système de formation » comme la plus importante sont franc ¸aises. Ces répondants détiennent le diplôme de cadre de santé et/ou de master 2. Le fait qu’ils la décrivent comme importante semble en contradiction avec l’importance qu’ils accordent à la compétence « Démontrer des compétences en leadership ». Ces derniers se reposent peu sur les analyses de leur pratique ou, tout du moins, ils ne les ont pas citées comme ressources potentielles. Le niveau de compréhension des questions des répondants et la connaissance des priorités accordées à certaines activités dans leur profession sont ainsi interrogées. Les personnes considérant la compétence « Démontrer une implication au sein du système de formation »

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2

3

151 55

145 74

60 44

38 32 38

56 67 58

178

89

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6

Total

47 82

58 114

27 120

488 489

59 125 147

83 126 117

126 72 83

128 67 52

490 489 491

54

38

38

96

493

comme moins importante estiment davantage faire preuve de « Création d’environnements efficaces d’apprentissage ». Ils mobilisent en majeure partie les ressources professionnelles sur les lieux de stage et s’intéressent également aux ressources scientifiques et professionnelles. Leurs centres d’intérêt sont multiples et ils travaillent l’analyse de pratiques. Ce groupe de répondants semble davantage centré sur les besoins des étudiants. Pour cela, ils se donnent les moyens, matériels et humains, d’ordre clinique et pédagogique afin de maintenir et de développer leurs compétences. Si nous catégorisons ces données en référence à une académisation ou à une professionnalisation des pratiques professionnelles selon le modèle de Postiaux et Romainville [23], les enseignants en sciences infirmières européens associent un référentiel de compétences à une académisation de leurs pratiques à 44,5 %, et à une professionnalisation de leurs pratiques à 55,5 %. En comparant les données globales et les informations recueillies pour la France, nous constatons que les enseignants en soins infirmiers franc ¸ais associent un référentiel de compétences à une académisation de leurs pratiques à 42,6 %, et à une professionnalisation de leurs pratiques à 57,3 %. Étant donné que les enseignants pouvaient donner trois réponses à cette question et que le nombre total de propositions à cette question est 1426, la différence entre la France et les autres pays d’Europe est peu significative.

Discussion Qualifications des enseignants en soins infirmiers À l’issue de cette enquête, il ressort que les enseignants en soins infirmiers franc ¸ais se forment à un niveau universitaire (master et doctorat), souvent en sciences de l’éducation, là où leurs homologues européens se forment également en sciences infirmières. La France n’est, à ce jour, pas dotée d’une telle filière. Quand bien même ils seraient formés à cette discipline ailleurs, elle n’a, à ce jour, aucune reconnaissance dans l’hexagone. Sans le diplôme de cadre de santé il n’est pas possible encore aujourd’hui en France d’exercer à temps plein le métier d’enseignant en soins infirmiers. Néanmoins, certains diplômes universitaires traitent davantage du champ de compétence infirmier. Les master

214 en pratiques avancées devraient les compléter, voire les remplacer dans quelques années. Ces formations universitaires correspondent aux normes mondiales et européennes préconisées. En ce qui concerne ces préconisations mondiales et européennes, il est recommandé que les enseignants en sciences infirmières soient formés à un niveau supérieur à celui qu’ils enseignent et qu’ils possèdent une expertise clinique et pédagogique dans leur spécialité. Mais plus encore, il est constant que l’avancement des connaissances et l’équité dans l’accès aux savoirs sont des éléments essentiels pour l’amélioration de l’état de la santé mondiale, comme le déclare le SIDIIEF dans sa prise de position du 3 février 2010. À l’heure où les enseignants franc ¸ais sont confrontés à des enjeux consécutifs à l’universitarisation des études, ils se forment volontairement et parfois individuellement dans des cursus académiques de type master. Cela dépend principalement de leur environnement (professionnel, personnel et financier). Certains freins subsistent concernant la formation en master des enseignants en soins infirmiers : la formation universitaire des directeurs des soins, la place accordée au sein des universités aux enseignants dotés de titres universitaires, leur rémunération, la reconnaissance de la discipline infirmière. . . Le groupe de travail initié par la DGOS en France concernant la réingénierie de la formation des cadres de santé se retrouve confronté à ces enjeux. La nécessaire formation en master implique une révision de la législation encadrant la profession des cadres de santé. Il est un constat patent : il n’existe pas de politique de formation clairement établie en France concernant les formations académiques des anciens comme des nouveaux enseignants. Malgré l’influence des accords de Bologne, force est de constater que le dispositif de formation infirmier maintient un système sans lien clair et évident avec les universités et le dispositif LMD. Ce manque de vision systémique de la formation des enseignants franc ¸ais risque de les marginaliser de la communauté européenne des enseignants, d’annihiler toute perspective de recherche collaborative, voire même d’influencer la qualité et l’efficience des prises en charges [1,7,20].

Compétences professionnelles et académiques Un élément révélé par l’enquête est le rapport entre compétences professionnelles et compétences académiques que les enseignants en sciences infirmières développent. L’étude contextuelle a précisé que l’identité professionnelle des enseignants en soins infirmiers franc ¸ais se situait entre deux champs disciplinaires : infirmier et pédagogique. Pour autant, les compétences d’ordre professionnel sont moins formalisées que les compétences pédagogiques alors qu’elles sont considérées comme aussi importantes les unes que les autres par les enseignants. Les compétences professionnelles sont citées dans les normes mondiales, mais moins dans les normes européennes et dans l’Educator Pathway Project. Les échanges avec des homologues belges démontrent que les pratiques pédagogiques peuvent être incluses dans des pratiques cliniques : en effet, les enseignants en soins infirmiers belges se rendent au chevet des patients, ils pratiquent les soins et encadrent les étudiants dans le même

S. Phulpin, J.-L. Danan temps. Ceci ne se pratique pas en France, mais pourrait sans doute répondre aux problèmes identitaires des enseignants en soins infirmiers qui se situent de manière inconditionnelle entre deux champs disciplinaires. Comme le démontrent Jovic et Lecordier [24], il est urgent de rompre avec les clivages milieu pédagogique/milieu de soin et d’envisager une mixité des missions.

Priorisation des compétences Les éléments de discussion portent également sur les différents niveaux de priorisation des compétences mobilisées par les enseignants en soins infirmiers. En effet, concernant la compétence nommée « Créer des environnements efficaces d’apprentissage », 26 % des personnes interrogées la considèrent comme la plus mobilisée dans leur pratique professionnelle. Différents degrés de lecture en ce qui concerne la création d’environnements efficaces d’apprentissage sont utilisés par les répondants. The Nurse Educator Pathway Project, sur lequel nous avons fondé en partie cette étude, peut nous apporter des éléments de réponse ou, tout du moins, préciser ce qui est entendu par créer un environnement efficace d’apprentissage dans le cadre de ce projet : « Un environnement d’apprentissage est respectueux, inclusif et positif, et contribue à maximiser l’apprentissage de chaque individu, tout en améliorant l’apprentissage de tous les individus en collaboration. » Cette définition rejoint donc les propos de Sen et Oudet et implique donc une qualité de formation et une mobilisation des ressources. La compétence « Démontrer des compétences en leadership » est considérée pour 19 % des répondants comme celle qu’ils mobilisent le plus dans leur pratique. Ceci est en corrélation avec les résultats concernant la manière dont les enseignants en sciences infirmières se représentent dans leur profession. Ils se voient comme des médiateurs ou des motivateurs à 57 %. À cette question, 247 Franc ¸ais ont répondu qu’ils se voyaient comme des médiateurs ou des motivateurs, soit 49 % des personnes ayant formulé ces réponses. Comment l’expliquer ? Nous pouvons émettre l’hypothèse que les sciences infirmières émergentes en France soient à l’origine de ces résultats. Nous pourrions aussi le justifier par la confrontation des enseignants à de nouvelles technologies, à de nouvelles formes d’apprentissage, fortement plébiscitées par les étudiants en soins infirmiers.

Conclusion Le contexte d’universitarisation de la formation en soins infirmiers, l’émergence des sciences infirmières en France, les défis et les enjeux auxquels sont confrontés les enseignants et notamment la qualité de la formation qu’ils garantissent, ont orienté la réflexion dans cette étude sur leur formation et leurs compétences professionnelles, dans le contexte d’enseignement supérieur européen. Considérant le positionnement de certains pays d’Europe où l’existence d’une filière en sciences infirmières permet une reconnaissance des enseignants et des étudiants au sein des universités, il apparaît dans ces pays une large diffusion des savoirs infirmiers et une mise en œuvre de certains résultats de recherche infirmière dans les

Formation et compétences des enseignants infirmiers pratiques quotidiennes [25]. Les enseignants en sciences infirmières européens se positionnent et démontrent leur implication dans cette diffusion des savoirs. Ils participent ainsi de fac ¸on active à la reconnaissance de la profession. La filière en sciences infirmières n’étant pas encore construite en France, l’enquête propose un état des lieux concernant la formation et les compétences des enseignants en sciences infirmières franc ¸ais dans ce contexte. Il apparaît ainsi qu’ils se situent au carrefour de deux champs disciplinaires : les sciences de l’éducation et des sciences infirmières émergentes. L’étude établit ainsi que les enseignants démontrent des compétences cliniques et pédagogiques dans leur exercice professionnel quotidien, et que la création d’environnements efficaces d’apprentissage est la compétence que les enseignants privilégient. Loin d’être une question de corporatisme, la formation des infirmiers est une question de sécurité des patients, de qualité des soins et de satisfaction du personnel soignant. Là où un ratio de 60 % des infirmières sont titulaires d’un niveau académique (bachelor ou licence), les taux de décès dus à des complications chirurgicales ont diminué significativement, de 27 à 12 pour 1000 cas [26]. Elle joue ainsi un rôle de prévention du burn-out professionnel et contribue à la diminution des tensions psychosociales entre les différents métiers qui interagissent dans les établissements de santé. Comme le souligne le SIDIIEF, des indicateurs de qualité de la formation seraient souhaitables pour permettre une formation : adaptée aux besoins présents et changeants de la population, une pratique fondée sur des résultats probants, l’utilisation des technologies informatiques, le partenariat et la sécurité des soins [25]. Ces indicateurs sont issus du modèle élaboré aux ÉtatsUnis par le National League of Nursing et les compétences prônées par l’Institute of Medicine pour les professionnels de la santé [27]. À l’heure où les pouvoirs politiques décisionnaires franc ¸ais initient des groupes de travail et de réflexion concernant les dispositifs de formation des cadres de santé exerc ¸ant en Ifsi, dans quelle mesure prennent-ils en compte les besoins en formation des enseignants en soins infirmiers ? Les démarches individuelles, collectives et associatives nationales, européennes et internationales peuvent-elles permettre une avancée significative facilitant la création d’une filière en sciences infirmière en France ? Le risque à tarder dans cette mise en place ne seraitil pas, outre la marginalisation des enseignants franc ¸ais, celui d’impacter directement la qualité des soins, la santé collective, la protection du public et la mobilité de ces professionnels en Europe ?

Remerciements Aux membres du comité exécutif de Fine-Europe : Mme Carol Hall, Mme Cécile Dury, Mme Filomena Gaspar, Mme Christine Magne, M. Christophe Debout.

Déclaration de liens d’intérêts Les auteures déclarent avoir des conflits d’intérêts avec Fine-Europe en relation avec cet article.

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