© Masson, Paris, 2004
Arch. mal. prof., 2004, 65, n° 7-8, 557-563
MÉMOIRE
Etude des agressions du personnel du Centre Hospitalier Universitaire de Clermont-Ferrand N. LADHARI (1, 2, 3), L. FONTANA (1), T.W. FAICT (3), D. GABRILLARGUES (1), B. MILLOT-THEÏS (1), C. SCHOEFFLER (1), F. BLANC (1), R. GHARBI (2), P. CATILINA (1), A. CHAMOUX (1) (1) Service de médecine du travail et des maladies professionnelles, Service de santé au travail du personnel hospitalier, C.H.U., place Henri Dunant, B.P. 38, 63001 Clermont-Ferrand Cedex 1 (2) Institut régional de médecine légale, faculté de médecine, place Henri Dunant, B.P. 38, 63001 Clermont-Ferrand Cedex 1 (3) Service de pathologies professionnelles et d’aptitude au travail, hôpital Charles Nicolle, Tunis, Tunisie.
SUMMARY: Study of the aggressions against the staff of the university hospital of Clermont-Ferrand (France) Aims of the study This epidemiological retrospective and descriptive survey of verbal and physical abuse reported as occupational disease was conducted over a 5 years period (1997-2001) at the university hospital of Clermont-Ferrand (France). The aim of the study was to evaluate the incidence of physical and psychological aggressions on workers, to define risk profiles of abusers and of abused, to evaluate the effects of violence on health and work and assess the victims follow-up. Method Data were obtained from registered occupational accidents (OA), individual medical registers and self questionnaires investigating the nature and frequency of previous violence. 137 OA following aggression were reported: 47 out of 123 questionnaires were returned. Data analysis was performed with Epi Info 6 program. Results The 137 reported OA represented 4,3% of overall OA reported over the considered period and showed no increase or decrease. Areas of highest incidence of violence were: emergency units (69/137, 50.3%), psychiatric (24/137, 17.5%) and geriatric wards (22/137, 16%). 88.4% reported physical assaults, 8% psychological abuse and 3.6% reported both physical and psychological violence. Most of the 47 respondent workers experienced shouts and insults on a daily or weekly basis. They reported verbal threats with gesture or tools at least once a year and experienced violence perpetrated with instruments at least once in their career. The abuser is often a patient (120/137, 87.6%) male (95/137, 69.4%) and violent incidents mostly occur during contact with agitated patient (66.4%), psychiatric patient (12.4%), alcohol or drug addicted patient (10.9%) or during patient’s nursing care (13.8%). The victim usually is a woman (78/137) (although the employees sex ratio (1.7) shows that mostly males are involved with violence) with short professional experience. Nurses are more exposed to violence. Various physical injuries are reported: most of them are located on the arms (59.1%) and the head (33.5%). Psychological troubles following the incident were reported in 30 returned questionnaires with symptoms suggesting a post-traumatic syndrome for some of them. In the long term, a feeling of insecurity is reported. A sick leave followed in 21 OA (21/137, 15.3%). Follow-up was satisfactory for 28 respondent victims, unsatisfactory for 19. Educational programs Tirés à part : L. Fontana, à l’adresse ci-dessus. Mots clés : Agressions. Hôpital. Personnel de soins. Accident du travail.
RÉSUMÉ Objectifs Il s’agit d’une enquête épidémiologique, descriptive et rétrospective, sur les agressions verbales et physiques déclarées comme accident du travail durant cinq années (de 1997 à 2001 inclus) au sein du CHU de Clermont-Ferrand. Les objectifs étaient : de mesurer l’incidence des agressions physiques et psychiques à l’encontre du personnel ; d’identifier les principales caractéristiques de l’agent hospitalier agressé et de l’agresseur ; d’évaluer les conséquences des agressions sur la santé et sur l’activité professionnelle de l’agent hospitalier ; d’apprécier la qualité de la prise en charge des victimes. Méthode Le recueil des données s’est fait à partir des fiches de déclaration des accidents de travail (AT), des dossiers médicaux et d’un questionnaire auto-administrable comportant notamment des questions sur la nature et la fréquence des agressions passées. Nous avons recensé et étudié 137 AT par agression. Cent vingt-trois questionnaires ont été envoyés et 47 victimes ont répondu. Les données ont été saisies et analysées à l’aide du logiciel Epi info, version 6. Résultats Sur la période étudiée, les 137 AT correspondent à 4,3 % du total des AT déclarés et aucune tendance à l’augmentation ou à la diminution n’a été observée. Les services les plus concernés sont : les urgences (69/137, 50,3 %), la psychiatrie (24/137, 17,5 %) et la gériatrie (22/137, 16 %). Les agressions observées sont physiques dans 88,4 % des cas, psychiques dans 8 %, et une association des deux dans 3,6 %. La majorité des 47 agents ayant répondu au questionnaire ont subi des cris, des insultes de façon quotidienne ou hebdomadaire, et des menaces verbales, avec gestes, avec objet au moins une fois par an. Ils ont été confrontés au moins une fois dans leur carrière à des coups avec objet. L’agresseur est le plus souvent un patient (120/137, 87,6 %) et un homme (95/137, 69,4 %). Les principales situations d’agression sont : le contact avec un patient agité (66,4 %), un refus de soins (13,8 %), le contact avec un patient psychiatrique (12,4 %) et avec un patient alcoolique ou toxicomaniaque (10,9 %). La victime est dans la majorité des cas une femme (78/137), mais, si l’on rapporte le nombre de victimes selon le sexe à l’effectif total des hommes et des femmes travaillant au CHU, nous pouvons constater que les hommes sont plus concernés par la violence avec un sex-ratio H/F = 1,7. La victime appartient le plus souvent à la tranche d’ancienneté la plus faible. Ce sont les infirmiers qui sont les plus exposés au risque. La nature des lésions physiques est variable. Elles siègent dans la majorité des cas au niveau des membres supérieurs (59,1 %) et de la tête (33,5 %). Parmi les 47 victimes qui ont répondu au questionnaire, 30 signalent l’installation de troubles psychologiques à la suite de l’accident, avec pour certains des symptômes
558
N. LADHARI ET COLL.
on violence and aggressiveness are thought necessary and insufficient. Conclusion The overall incidence, the particularities of the victims, of the violence and the situations, are similar to those observed in others French medical centres. The risk of aggression on health workers at the university hospital of Clermont-Ferrand do not appear higher than other risks of OA. The consequences however are significant for both the victims and the employer. Moreover, the study of registered OA probably under-estimates the number of non-physical violent incidents. Prevention programs and early long term follow-up by victimologists and occupational health specialists should be available.
évoquant un état de stress post-traumatique. A long terme, un sentiment d’insécurité est signalé par la majorité. Vingt et un AT ont entraîné un arrêt de travail (21/137, 15,3 %). Vingt-huit victimes ayant répondu au questionnaire ont jugé correcte la prise en charge médico-légale des agressions, mais 19 l’ont jugée insuffisante. La formation sur la violence et l’agressivité a été jugée nécessaire mais insuffisante pour la plupart. Conclusion Globalement, l’incidence, les caractéristiques des victimes, des agressions et des situations sont voisines de ce qui a été déjà observé dans d’autres hôpitaux, en particulier en France. Le risque d’agression pour le personnel hospitalier du CHU de Clermont-Ferrand semble peu élevé par rapport aux autres causes d’AT. Cependant, les conséquences ne sont sûrement pas négligeables pour les victimes et pour l’hôpital. En outre il existe probablement une sous-estimation du nombre des agressions autres que physiques par la méthode d’étude des dossiers de déclarations d’AT. La mise en place d’actions de prévention et une prise en charge précoce et plus longue des victimes nous paraissent nécessaires, par une unité spécialisé associant, en particulier, des spécialistes en victimologie et en santé au travail.
Phénomène social en émergence dans notre société, la violence prend une signification particulière lorsqu’elle touche les personnes lors de leur activité professionnelle. La violence au travail dépasse aujourd’hui le cadre traditionnel des atteintes physiques pour englober tous les incidents survenant sur les lieux de travail, au cours desquels des salariés sont victimes de comportements abusifs, de menaces verbales ou d’agressions psychiques, impliquant un risque pour leur sécurité, leur santé et plus généralement leur bien-être. Le milieu de soins, comme tout autre secteur professionnel en contact avec le public, semble particulièrement concerné par ce phénomène, quelle que soit la forme de l’agression. Ainsi le personnel soignant se trouve très souvent face à des personnes, malades ou accompagnants, en état de vulnérabilité ou de fragilité pouvant favoriser la perte des repères d’une relation sociale civilisée. Ce risque professionnel s’ajoute aux différentes contraintes du travail hospitalier. Ses éventuels effets sur la santé physique et mentale de l’agent hospitalier sont susceptibles de diminuer la motivation et d’augmenter l’absentéisme, entraînant une altération de la qualité des soins fournis aux patients. Pour ces raisons, nous avons souhaité étudier ce problème au sein du Centre hospitalier universitaire (CHU) de Clermont-Ferrand. Nos objectifs étaient : — de mesurer l’incidence des agressions physiques et psychiques à l’encontre du personnel hospitalier, — d’identifier les principales caractéristiques de l’agent hospitalier agressé et de l’agresseur, — d’évaluer les conséquences des agressions sur la santé et sur l’activité professionnelle de l’agent hospitalier,
— d’apprécier la qualité de la prise en charge des victimes.
MATÉRIELS ET MÉTHODE Il s’agit d’une enquête épidémiologique, descriptive et rétrospective, ayant concerné toutes les agressions verbales et physiques déclarées comme accident du travail durant cinq années (de 1997 à 2001 inclus) au sein du CHU de Clermont-Ferrand. L’effectif moyen au cours de cette période était d’environ 6 439 agents, pour une agglomération et une région respectivement de près de 400 000 et de 1,4 millions d’habitants. Recueil des données Il s’est fait à partir de 3 sources : 1) les fiches de déclaration des accidents du travail (AT), disponibles dans le Service de médecine du travail du personnel hospitalier, ont permis de recueillir les informations suivantes : le sexe de la victime, son âge, sa profession, son ancienneté, son poste de travail, la date, le lieu, l’heure et les circonstances de l’accident, les lésions décrites sur le certificat médical initial et enfin le nombre de jours de soins ou d’arrêts de travail. 2) les dossiers médicaux ont permis de compléter ces informations et de préciser en outre l’évolution des lésions physiques et le nombre de jours d’arrêt de travail postérieurs à l’agression. 3) nous avons construit un questionnaire autoadministrable, composé notamment de dix items intégrant une échelle de violence graduée de 1 jusqu’à 9.
AGRESSIONS AU C.H.U. DE CLERMONT-FERRAND
Son objectif était d’évaluer d’une part le retentissement psychique de ces agressions à moyen et à plus long terme, et d’autre part de définir la perception de ce phénomène par les victimes et leur capacité à y faire face. Il leur a permis aussi de formuler leur jugement personnel sur la qualité de la prise en charge. Toutes ces données ont été recueillies après l’accord préalable, éclairé et écrit, des participants. Analyse des données Les données ont été saisies et analysées à l’aide du logiciel Epi info, version 6. Le degré de significativité retenu était p < 0,05.
RÉSULTATS Nous avons recensé et étudié 137 AT par agression. Cent vingt-trois questionnaires ont été envoyés, puisque 11 personnes avaient été victimes d’agression à deux reprises et qu’il y avait 3 étudiants pour lesquels il n’a pas été possible de retrouver les coordonnées. Le taux de réponse au questionnaire a été de 47 sur 123. Prévalence, incidence Sur la période étudiée, les 137 AT correspondent à 4,3 % du total des accidents du travail déclarés et la moyenne annuelle est de 27 AT. Même s’il existe une variation significative du nombre de déclarations selon les années étudiées (de 17 à 38), aucune tendance à l’augmentation ou à la diminution ne peut être distinguée sur ces 5 années (Tableau I). Il n’existe aucune différence significative en ce qui concerne le nombre d’agressions par rapport au jour de la semaine, au mois ou aux horaires de travail, même si le plus grand nombre d’agressions est observé la nuit (54/137, 39,4 %). Les 3 types de service les plus concernés sont : les urgences (69/137, 50,3 %), la psychiatrie (24/137, 17,5 %) et la gériatrie (22/137, 16 %). Nature des agressions, les agresseurs Les agressions observées sont physiques dans 88,4 % des cas, psychiques (menaces verbales, insultes…) dans 8 % des cas et une association des deux dans 3,6 % des cas. Ce sont les coups (de pied, de poing, de tête, avec un objet) qui constituent le mécanisme d’agression le plus fréquemment observé dans les déclarations, de manière significative (58/137, 42,3 %). Viennent ensuite principalement, par ordre décroissant, les pro-
559
TABLEAU I. — Part en pourcentage des agressions déclarées, au cours des cinq années de l’étude, par rapport aux accidents du travail (AT) déclarés. Année
Nombre d’A.T.
Nombre d’agressions (%)
1997
591
20 (3,3)
1998
624
32 (5,1)
1999
669
30 (4,5)
2000
629
17 (2,7)
2001
628
38 (6,1)
3 141
137 (4,3)
Total des 5 années
jections d’objet ou de liquide (16,7 %), les griffures (15,3 %), les morsures (12,4 %). Concernant les agressions non physiques, on peut noter que, sur les 47 agents ayant répondu au questionnaire, la majorité a subi des cris, des insultes, de façon quotidienne ou hebdomadaire, des menaces verbales, a été menacée avec gestes, avec des objets au moins une fois par an. Enfin, toujours selon ces agents, les coups avec objet ou un risque mortel constituent des types d’agression auxquels environ 40 % des agents auraient été confrontés au moins une fois dans leur carrière (Tableau II). Les principales situations d’agressions sont, par ordre décroissant : le contact avec un patient agité (66,4 %), un refus de soins (13,8 %) le contact avec un patient ayant une pathologie psychiatrique (12,4 %) ou avec un patient alcoolique ou toxicomaniaque (10,9 %). Il existe une possible association des circonstances de survenue. L’identification de l’agresseur est le plus souvent possible, puisque dans la majorité des cas l’agresseur est un patient (120/137, 87,6 %). Les visiteurs et les collègues de travail représentent respectivement 8 % (11/137) et 2,9 % (4/137) des agresseurs. Il s’agit d’un homme dans 69,4 % des cas (95/137) et d’une femme dans 30,6 % des cas (42/137). Enfin, on peut citer quelques cas particuliers : une agression par des personnes multiples dans 2 cas, une menace à main armée dans 3 cas et enfin une menace par un patient VIH positif avec une aiguille souillée de sang. Les victimes Elles sont dans la majorité des cas de sexe féminin (78/137). Cependant, si l’on rapporte le nombre de victimes selon le sexe à l’effectif total des hommes et des femmes travaillant au CHU, nous pouvons constater que les hommes sont plus concernés par la violence avec un sex-ratio H/F = 1,7.
560
N. LADHARI ET COLL.
En adoptant le même raisonnement, il ressort aussi que la victime appartient le plus souvent à la tranche d’ancienneté la plus faible. En effet, 5,74 % (75/1 305) des agents dont l’ancienneté est inférieure à 5 ans sont concernés par la violence, contre 3,82 % (41/1 073) pour la tranche d’ancienneté [5-10 ans] et 1,36 % (21/4 061) pour ceux dont l’ancienneté est supérieure à 10 ans. Ce sont les infirmiers qui constituent la catégorie professionnelle la plus exposée au risque puisque 5 % (61/1 220) du total des infirmiers travaillant au CHU étaient victimes d’une agression au cours des cinq années étudiées. Ils sont suivis par les aides-soignants et les agents des services hospitaliers avec 2,6 % (44/1 653). Les médecins et les cadres soignants semblent moins concernés. Enfin, une seule déclaration d’agression a été enregistrée parmi le personnel administratif.
par 23 d’entre eux. Certains troubles psychologiques ont persisté pendant une période supérieure à un mois chez 5 personnes (10,6 %), avec des symptômes évoquant fortement un état de stress posttraumatique. A long terme, un sentiment d’insécurité se traduisant par une hypervigilance permanente ainsi qu’une méfiance et/ou une peur vis-à-vis des patients agités ont été signalés respectivement par 38 (80,8 %) et 12 (25,5 %) des 47 victimes ayant répondu au questionnaire. Conséquences sur l’activité professionnelle des victimes Vingt et un AT ont entraîné un arrêt de travail (21/137, 15,3 %). Le nombre total de jours d’arrêt de travail est de 336, soit 16 jours par AT. Prise en charge, prévention
Effets sur la santé des victimes La nature des lésions physiques est très variable : il s’agit de contusions (33,5 %), de griffures ou de plaies (17,5 %), d’hématomes ou d’ecchymoses (16,7 %) voire de fractures (2,9 %). Ces lésions siègent dans la majorité des cas au niveau des membres supérieurs (59,1 %) et de la tête ( face, cou, crâne) (33,5 %). Parmi les 47 victimes qui ont répondu au questionnaire, 30 (63,8 %) signalent l’installation de troubles autres que les lésions physiques à la suite de l’accident. Ces troubles sont à type d’anxiété (15/30), de souvenirs forcés (8/30), de difficultés d’endormissement (6/30) et de réactions de sursaut au bruit (5/30). Un besoin d’en parler à été éprouvé
Vingt-huit victimes ayant répondu au questionnaire ont jugé correcte la prise en charge médico-légale des agressions (59,5 %), mais 19 l’ont jugée insuffisante (40,4 %). En effet, 9 d’entre elles ont nécessité un complément de prise en charge par un médecin, un psychologue ou un psychiatre. Cependant il faut signaler que, malgré la gravité de certaines blessures physiques et/ou psychiques, aucune des victimes n’a entamé une démarche judiciaire. Enfin, dans le cadre de la prévention des agressions en milieu hospitalier, la majorité des victimes ayant répondu au questionnaire (29/47, 61,7 %) avait déjà bénéficié d’une formation sur les sujets de la violence et de l’agressivité. Cette formation a été
TABLEAU II. — Échelle de violence (47 agents hospitaliers victimes d’AT ont répondu aux questions « avez vous été confronté au moins une fois à… »). Une fois dans la carrière
Une fois par an
Une fois par mois
Une fois par semaine
Une fois par jour
1-Cris
14,2 %
46,8 %
31,9 %
2-Insultes
21,2 %
44,6 %
21,2 %
3-Menaces verbales
19,1 %
44,6 %
14,2 %
4-Menaces avec gestes
27,6 %
38,3 %
8,5 %
5-Menaces avec objet
23,4 %
40,4 %
25,5 %
6-Destruction d’objet
12,7 %
57,4 %
19,1 %
7-Coups à autrui, cheveux tirés, morsures
19,1 %
38,3 %
23,4 %
8-Coups avec objet (arme par destination)
42,5 %
23,4 %
9-Risque mortel
40,4 %
14,2 %
AGRESSIONS AU C.H.U. DE CLERMONT-FERRAND
jugée nécessaire (27/29, 93,1 %) mais insuffisante (24/29, 82,7 %) pour la plupart.
DISCUSSION À notre connaissance, très peu d’études françaises ont été publiées sur l’évaluation de la prévalence ou de l’incidence des agressions sur le personnel hospitalier. Rodat et al. ont étudié les dossiers d’AT du personnel hospitalier victime de violences commises par un tiers, de 1989 à 1996, au CHU de Nantes (1). Ils ont retrouvé 174 agressions, soit une moyenne annuelle de 21, représentant 4 % de la totalité des AT. Nos résultats sont proches des leurs, avec une méthode similaire, même si notre étude est plus récente. Sur le plan international de nombreuses études ont été publiées. Tout d’abord nous pouvons citer une étude rétrospective des AT dans des hôpitaux tunisiens, qui retrouve un chiffre de 4,8 % sur la totalité des AT (2). La plupart des autres études publiées concernent le plus souvent les infirmiers (3-13). Elles ont été réalisées à partir de questionnaires dans lesquels il est demandé aux personnes interrogées si elles ont été victimes d’agressions, physiques ou verbales, dans l’année ou les mois précédents. Les prévalences observées des réponses positives sont variables selon les pays, les formes d’agression et les catégories professionnelles étudiées. Mais, dans certaines études, des taux élevés sont observés. Par exemple, une étude chez des infirmières australiennes, excluant celles qui travaillent dans les services des urgences et de psychiatrie, montre que, durant les 12 mois précédant l’enquête, 95 % des participants avaient subi des épisodes répétés d’agressions verbales et 80 % des agressions physiques (5). Nous avons constaté que les agressions physiques n’apparaissaient pas parmi les causes principales d’AT chez le personnel hospitalier. Cependant, il est possible que toutes les agressions ne soient pas signalées, à cause notamment du système de déclaration. Dans une étude française, la majorité des infirmiers interrogés, à savoir 55 %, a répondu qu’elle ne remplissait pas « ce type de feuilles » (14). Le manque de temps et la fréquence des agressions sont évoqués. En outre, les agressions autres que physiques (insultes, menaces verbales…) n’apparaissent pas, la plupart du temps, comme fait causal dans les déclarations d’AT. D’après Fernandes et al., 76 % des incidents violents rencontrés en milieu de soins sont accompagnés par des agressions verbales (12). Or, si l’on se réfère aux études épidémiologiques, notamment dans d’autres pays occidentaux, ce type d’agression est fréquent (3-13). Même si notre échan-
561
tillon est trop faible (47 réponses) pour extrapoler ces résultats à la population de notre CHU, la majorité des agents hospitaliers victimes interrogées dans cette étude semble régulièrement confrontée à ces formes d’agression. Ainsi, une impression de banalité, devant les agressions verbales mais aussi parfois physiques, est ressentie par le personnel de certains services parmi les plus exposés, comme celui des urgences, engendrant, comme nous l’avons observé, une apparente tolérance ou plutôt une résignation. Cette attitude peut conduire le personnel à ne pas déclarer toutes les agressions à partir du moment où il n’y a pas de conséquences physiques. Cette attitude est d’ailleurs signalée dans la plupart des études internationales en milieu de soins. On peut simplement citer une étude basée sur l’observation qui montre que, sur 686 situations d’agression ou de violence, seules 7 étaient rapportées (15). Par conséquent, l’étude des AT déclarés ne suffit probablement pas pour appréhender l’importance du phénomène, et une étude épidémiologique avec une méthode différente serait nécessaire. Conformément à ce qui a déjà été observé dans d’autres études françaises et étrangères, nous avons constaté que les agressions contre le personnel du CHU de Clermont-Ferrand se produisent principalement dans les services des urgences et de psychiatrie, mais aussi de gériatrie, ce qui est moins fréquemment signalé (1, 5, 9-11, 14, 15). Nous n’avons pas mis en évidence de lien avec un horaire spécifique, un moment particulier de la journée ou de la nuit. Selon les études, les constatations sont variables : plutôt le matin ou en fin de journée, au moment de la prise des médicaments ou des repas (1, 5). Les profils de l’agresseur et de l’agent hospitalier victime, que nous pouvons dresser à partir de nos résultats, sont similaires à ceux décrits dans d’autres études. L’agresseur est avant tout un patient, masculin, agité, consultant aux urgences ou hospitalisé pour une pathologie mentale. Cependant, certains auteurs ont observé que ce sont les proches du patient qui sont avant tout les agresseurs (7, 9). Le personnel infirmier avec une ancienneté peu élevée est la catégorie la plus exposée au risque d’agression. Ceci peut s’expliquer par une présence physique, auprès et à proximité du patient, plus fréquente par rapport aux autres catégories d’agents et par une relation constante, que ce soit pour des soins, des informations ou un soutien psychologique. On peut noter que le personnel médical semble présenter un risque moindre. Ceci peut s’expliquer par des interventions plus ponctuelles, plus techniques, pas toujours isolées et souvent après celles des autres personnels.
562
N. LADHARI ET COLL.
Proportionnellement à la population totale du même sexe, nous avons constaté que le personnel hospitalier masculin est plus exposé au risque d’agression physique. Deux hypothèses peuvent être avancées : les hommes sont plus nombreux dans les services considérés à risques ; ils sont plus souvent sollicités lorsqu’un patient a un comportement agité ou agressif. Nous avons constaté que, dans la majorité des cas, les lésions physiques déclarées demeurent bénignes et superficielles (33,5 % de contusions, 17,5 % de griffures ou de plaies, 16,7 % d’hématomes ou d’ecchymoses), avec cependant 2,9 % de fractures. Un faible pourcentage (15,3 %) conduit à un arrêt de travail assez long, en moyenne de 16 jours. Nos résultats sont proches de ceux de Rodat et al. qui ont observé 60 % de contusions et 5,5 % de fractures (1). Ils ont observé un pourcentage plus élevé d’arrêt de travail (25,9 %), en moyenne de 23 jours (1). Mais il apparaît que seuls 5,7 % des cas présentent des séquelles indemnisables, et essentiellement sous forme forfaitaire (1). On est très loin de la gravité des cas observés chez le personnel soignant aux Etats-Unis d’Amérique. En effet, selon Goodman et al., il y a eu, en 10 ans, 106 meurtres de personnels hospitaliers (dont 26 médecins, 18 infirmiers) (16). L’augmentation des violences contre le personnel de soins dans ce pays est expliquée en partie par l’augmentation de la toxicomanie et une libéralisation du port d’armes (13). À titre indicatif, les départements de la région Auvergne sont parmi les moins touchés par la criminalité. Ainsi, on pourrait conclure que les conséquences sur la santé des agressions physiques sur le personnel hospitalier sont le plus souvent minimes. Mais plusieurs éléments viennent nuancer cette conclusion. Tout d’abord, Rodat et al. évoquent une sévérité excessive de la part de la Commission de réforme susceptible de modifier la réalité et surtout l’importance des séquelles (1). En outre, les séquelles psychologiques n’apparaissent pas. À titre indicatif, sur les 47 questionnaires renvoyés par les victimes, 30 signalent des troubles autres que physiques, certains persistant plusieurs semaines, ce qui voudrait dire qu’ils sont présents dans au moins 21,9 % des cas d’agressions déclarées (30/137). Or ce sont probablement ces conséquences qui sont le plus pénalisantes à long terme pour les victimes, que ce soit sur le plan personnel ou sur le plan professionnel. De nombreuses études récentes, conduites principalement chez les infirmiers, démontrent une association entre une agression et une période émotionnelle suivant l’agression, en dehors des effets immédiats, se traduisant par une anxiété, des troubles du sommeil, une perte de confiance en soi,
une perte d’estime de soi (17). Pour Raphael, ces séquelles sont d’autant plus importantes que les violences ont été perpétrées par un collègue de travail (18). Enfin O’Connell et al. ont suggéré un lien direct entre les agressions et une consommation excessive de médicaments et d’alcool chez les victimes (9). Ces éléments illustrent, là aussi, les limites de la simple étude des AT déclarés. En effet, l’évaluation uniquement au moyen des dossiers de déclaration implique probablement une perte d’informations sur les effets sur la santé, ce qui nécessite de compléter l’évaluation par un interrogatoire des victimes avec un suivi longitudinal. De la même façon, les conséquences sur le travail, en dehors des conséquences immédiates comme l’arrêt de travail, sont mal évaluées par cette méthode. En effet, une démoralisation, des sensations de vulnérabilité et d’insécurité au travail, une attitude négative vis-à-vis du travail ont été rapportées, altérant l’efficacité et augmentant l’absentéisme (5, 6, 7). Ces conséquences peuvent d’ailleurs exacerber les effets des autres stresseurs professionnels (15). La prise en charge médico-légale apparaît suffisante et satisfaisante pour la majorité des victimes qui ont répondu. Mais ceci est d’autant plus vrai que les conséquences sont minimes et qu’elles sont de nature uniquement physique. Or, comme nous l’avons dit précédemment, une évolution psychologique péjorative est possible, avec des troubles anxieux durables ou des états de stress post-traumatiques. On peut noter que ces complications peuvent être actuellement indemnisées au titre du risque professionnel par la Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés (circulaire du 10 décembre 1999, relative à la prise en charge des traumatismes psychologiques au titre du risque professionnel, DRP 37/99, ENSM no 40/99). Mais, dans ces cas là, le simple traitement médicolégal par une déclaration d’AT peut sembler insuffisant. Ainsi, nous pensons qu’une prise en charge systématique et précoce s’avère nécessaire, accompagnée d’un suivi régulier pour vérifier l’évolution. Mais une telle attitude nécessite la mise en place d’une unité spécialisée associant médecins du travail et spécialistes en victimologie. Même si cela n’a pas d’effets immédiats sur la santé du personnel, le caractère répété de certaines agressions, comme les incivilités ou les intimidations, sont susceptibles d’entraîner à plus long terme des effets nocifs pour les agents hospitaliers. Une telle unité pourrait aussi dépister de tels effets et gérer les conséquences de ces situations sur la santé du personnel. J. Arnetz et B. Arnetz décrivent une expérience sur la mise en place en Suède d’une intervention préétablie lors de chaque évènement violent rapporté
AGRESSIONS AU C.H.U. DE CLERMONT-FERRAND
(19). Cette action nécessite le strict enregistrement de chaque agression qui va engendrer une prise en charge systématique de la victime, comprenant par exemple un débriefing, un suivi dans le temps et une éventuelle prise en charge thérapeutique (19). Ces auteurs ont observé un meilleur signalement des incidents violents et une meilleure gestion des patients agressifs ou violents à la suite de la mise en place de cette prise en charge systématique (19). Parallèlement à la prise en charge des victimes, les programmes de formation continue du personnel soignant à la gestion de l’agressivité et de la violence, en particulier pour lui permettre de mieux maîtriser les situations à risque, sont à conseiller. Cependant, comme nous l’avons observé, ces formations sont jugées utiles mais insuffisantes par les victimes interrogées. En outre, certains auteurs ont mis en évidence leur faible influence sur l’incidence de la violence en milieu de soins (5). Par conséquent, ces formations ne doivent pas dispenser l’employeur d’actions de prévention primaire. En effet, l’employeur a l’obligation de mettre en place tous les moyens possibles afin d’assurer la protection des agents hospitaliers et de prévenir les situations de violence à l’hôpital, en particulier en élaborant des programmes d’action et en dégageant les moyens budgétaires pour leur réalisation (circulaire ministérielle DHOS/P 1 no 2000 609 du 15 dé-cembre 2000, relative à l’accompagnement des situations de violence). En Grande Bretagne, la campagne « Tolérance Zéro » dans le système national de santé, outre des conseils sur les mesures de sécurité (bouton d’alarme, système de vidéo-surveillance…) inclut le signalement systématique de tout acte et des programmes d’éducation des responsables, du personnel et du public (17). Des représentants de la police et de la justice sont impliqués dans ces programmes. En conclusion, le risque d’agression pour le personnel hospitalier du CHU de Clermont-Ferrand semble peu élevé par rapport aux autres causes d’AT. Cependant les conséquences ne sont sûrement pas négligeables pour les victimes et pour l’hôpital. En outre il existe probablement une sous-estimation du nombre des agressions autres que physiques par la méthode d’étude des dossiers de déclaration d’AT. Par conséquent, cela justifie la mise en place d’actions de prévention : primaire comme par exemple le repérage des situations de travail dangereuses, une comptabilisation plus exhaustive des agressions quelle que soit leur nature, secondaire comme par
563
exemple une meilleure formation du personnel sur la gestion de ce problème, ou tertiaire comme une prise en charge précoce et si nécessaire plus longue des victimes. RÉFÉRENCES [1] Rodat S., Daumont A., Rodat O. : Enquête sur les violences exercées sur le personnel d’un centre hospitalier. Arch Mal Prof, 1998, 59, 252-255. [2] Akrout M., Kalfallah T., Bchir N., Chaari N., Hanchi A., Mrizak N., Masmoudi M.L. : Etude des violences exercées sur le personnel de trois centres hospitaliers tunisiens. Arch Mal Prof, 2003, 64, 13-17. [3] Nunez R. : La violence dans les hôpitaux espagnols. Arch Mal Prof, 1998, 59, 57-58. [4] Carter R. : High risk of violence against nurses. Nurs Manag (Harrow), 1999, 6, 5. [5] Dalphond D., Gessner M., Giblin E., Hijazzi K., Love C. : Violence against emergency nurses. J Emerg Nurs, 2000, 26, 105. [6] Farrell G.A. : Aggression in clinical settings: nurses’ view: a follow-up study. J Adv Nurs, 1999, 29, 532-541. [7] Nabb D. : Visitors’ violence: the serious effects of aggression on nurses and others. Nurs Stand, 2000, 14, 36-38. [8] Nolan P., Dallander J., Soares J., Thomsen S., Arnetz B. : Violence in mental health care: the experiences of mental health nurses and psychiatrists. J Adv Nurs, 1999, 30, 934941. [9] O’Connell B., Young J., Brooks J., Hutchings J., Lofthouse J. : Nurses’ perceptions of the nature and frequency of aggression in general ward settings and high dependency areas. J Clin Nurs, 2000, 9, 602-610. [10] Saverimuttu A., Lowe T. : Aggressive incidents on a psychiatric intensive care unit. Nurs Stand, 2000, 14, 33-36. [11] Graydon J., Kasta W., Khan P. : Verbal and physical abuse of nurses. Can J Nurs, 1994, 7, 70-89. [12] Fernandes C.M., Bouthillette F., Raboud J.M., Bullock L., Moore C.F. : Violence in the emergency department: a survey of health care workers. CMAJ, 1999,161, 1245-1248. [13] Simonowitz J.A. : Health care workers and workplace violence. Occup Med, 1996, 11, 277-291. [14] Renoleau M.R. : L’infirmier et la violence dans les services d’urgences. Soins, 2002, 664, 39-42. [15] Ericksson J., Williams-Evans S. : Attitudes of emergency nurses regarding patient assaults. J Emerg Nurs, 2000, 26, 210-215. [16] Goddman R., Jenkins L., Mercy C. : Workplace-related homicide among health care workers in the United States 1980 through 1990. JAMA, 1994, 272, 1686-1688. [17] Jackson D., Clare J., Mannix J. : Who would want to be a nurse? Violence in the workplace- a factor in recruitment and retention. J Nurs Manag, 2000, 10, 13-20. [18] Raphael B. : Pressures on women at work. Ment Health Aust, 1992, 4, 20-27. [19] Arnetz J., Arnetz B. : Implementation and evaluation of a practical intervention programme for dealing with violence towards health care workers. J Adv Nurs, 2000, 31, 668-680.