Journal français d’ophtalmologie (2012) 35, 477—490
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ARTICLE ORIGINAL
Étude des mouvements binoculaires lors d’activités de poursuites et de lecture Binocular movements during pursuit and reading: Eye tracking study F. Boussand 3, rue des pavillons, 92800 Puteaux, France Rec ¸u le 27 juillet 2011 ; accepté le 5 octobre 2011 Disponible sur Internet le 14 mars 2012
MOTS CLÉS Mouvements binoculaires ; Poursuites ; Lecture ; Maturation du système visuel
KEYWORDS Binocular movements; Pursuit; Eye tracking; Reading; Maturation of the visual system
Résumé La spécification des mouvements oculaires fins et lents ne fait pas l’objet d’études récentes. Dans ce but, un matériel a été développé ainsi que l’élaboration de tests simples, d’un logiciel d’enregistrement et d’analyse. L’étude de ces mouvements à l’aide de ce matériel, adapté au suivi des deux yeux, a permis la prise en compte de la binocularité dans l’analyse précise des stratégies oculaires. L’enregistrement des mouvements oculaires de 166 enfants et adultes a permis d’en mettre en évidence les caractéristiques principales et de définir un développement des capacités oculomotrices à partir de l’âge de cinq ans. Ces mouvements ont été étudiés lors de poursuites calibrées ou lors d’activité de lecture. La persistance d’anomalies oculomotrices au cours du développement peut permettre de définir un tableau d’« immaturité visuelle » ou d’« inefficacité visuelle ». L’étude de ces anomalies pendant la lecture explique une partie des difficultés d’apprentissage. © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Summary Detailed analysis of fine, slow ocular movements has not been the object of recent studies. With this in mind, special hardware and a simple testing protocol were developed, along with software for recording and analysis. The study of these movements, using this hardware adapted to follow both eyes, allowed the inclusion of binocularity in the precise analysis of ocular pursuit and reading. Recording the eye movements of 166 children and adults permitted identification of the main features of oculomotor development from age five years. These movements were studied during calibrated pursuit and reading. The persistence of oculomotor
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[email protected] 0181-5512/$ — see front matter © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.jfo.2011.10.003
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F. Boussand abnormalities during development can help to define an array of ‘‘visual immaturity’’ or ‘‘visual inefficiency’’. The study of these anomalies during reading explains some learning difficulties. © 2012 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
Introduction L’étude des stratégies visuelles fait l’objet de nombreuses recherches. Alamargot et al. montrent bien, par exemple, leur importance lors de l’écriture [1,2]. Paradoxalement, les stratégies fines des mouvements binoculaires lents ne sont pas étudiées de fac ¸on très détaillée. L’analyse des mouvements oculaires a longtemps reposé sur l’enregistrement des mouvements d’un seul œil en raison de problèmes de coût d’un capteur binoculaire et du présupposé que la rapidité et la précision des fixations ne pouvaient être mises en cause. Ce postulat tombé, l’étude des enregistrements binoculaires a montré des anomalies de mouvements touchant les saccades, les vergences, les fixations. . . Beaucoup de travaux étudient des caractéristiques spécifiques et isolées des mouvements oculaires. Ainsi Benedetto et al. étudient la fréquence des microsaccades et des grandes saccades exploratrices lors de la multiplication des tâches visuelles à accomplir [3], Semmlow et al. étudient la symétrie des mouvements oculaires et des saccades correctrices en fonction de la position de la cible [4], Clark étudie les variations de latence des saccades [5] et Bucci et al. le font chez les enfants normaux et dyslexiques [6,7], Liversedge et al. étudient la disparité de fixation en fonction du temps, des mouvements, de la durée de fixation [8]. Le présent travail projette de décrire, à partir de ces éléments déjà décrits, la séméiologie du regard par l’examen des caractéristiques de tracés entiers portant sur une durée déterminée ou une tâche de lecture définie. Les lois où postulats de Donders et de Listing, notamment évoquées par Maxwell et Schor [9] décrivent l’équilibre binoculaire de fac ¸on intuitive et globale. Elles sont plus évocatrices cliniquement que certaines caractéristiques des mouvements oculaires prises isolément. L’enregistrement des mouvements oculaires lors de poursuites calibrées permet de définir leurs caractéristiques et leurs particularités. L’enregistrement de ces mouvements, dont les contraintes ont été décrites notamment par Bullinger et Kaufmann [10] lors de la lecture, met en évidence des caractéristiques spécifiques que dès 1992 Vauras et al. essayaient d’analyser [11]. L’étude de ces particularités lors de la lecture montre des corrélations entre maturation des systèmes visuels en fonction de l’âge, anomalies oculomotrices et troubles de l’apprentissage de la lecture comme veulent le démontrer Juhasz et al. [12] et Kapoula et al. [13]. Le présent travail étudie ces particularités à partir d’enregistrements d’un panel de patients âgés de cinq ans à l’âge adulte. Si la fonction visuelle est mise en cause dans certains troubles de l’apprentissage, le panel de patients doit inclure des individus jeunes et ce, préalablement à l’apprentissage visé. Le panel de patients étudiés n’est donc pas homogène en âges et performances et ne permet donc pas d’analyse statistique rigoureuse. Il permet cependant
de mettre en évidence la maturation du système visuel. Il est avant tout séméiologique. Le choix et la réalisation du matériel de mesure tiennent compte des mouvements oculaires lents. L’élaboration de tests standardisés permet la comparaison des tracés selon les âges. L’étude de ces tracés dégage les particularités des mouvements et insiste sur l’aspect binoculaire.
Matériel et méthodes L’examen du sujet se fait tête libre, placé devant l’écran d’examen à une distance de 40 cm. De faibles variations de distance (± 2 cm) au cours de l’examen n’entachent pas les résultats des tests.
Les tests Test de calibration (type Lancaster) L’étude de la vision binoculaire repose sur l’analyse des déviations relatives entre l’œil droit et l’œil gauche. Le choix des patients se fait à partir de la présence d’une vision binoculaire. Dès lors, le test de calibration se fait les deux yeux ouverts et les tests suivants interprètent les données de la caméra, rectifiées selon l’étalonnage validé. Le test, composé de neuf points disposés en trois rangées horizontales (Fig. 1), permet d’étalonner l’appareil de prise de mesures. Il consiste en la fixation bilatérale de neuf points projetés successivement sur l’écran d’examen. L’opérateur valide chaque point après une seconde de fixation. Cet étalonnage s’est révélé performant, fiable et rapide dans cette utilisation.
Figure 1. Tracé de calibration. Le tracé de l’œil droit est représenté en vert et celui de l’œil gauche en rouge. Chaque fixation dure au moins une seconde.
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Figure 2. Schéma du parcours de la cible. Les points de présentation des mouvements de poursuite sont représentés et numérotés dans l’ordre d’apparition. Les chevrons représentent les poursuites lentes.
Test de poursuites imposées La Fig. 2 montre qu’il est composé de 61 points de fixations différents projetés successivement toutes les 800 ms ainsi que de quatre déplacements lents intercalés entre les points 17—18, 32—33, 44—45, 56—57. L’amplitude des mouvements lents est de 7,2 cm pour les deux stimulations horizontales et de 3,6 cm pour les verticales. Le mouvement horizontal est simulé par la projection de 60 points distants de 1,2 mm toutes les 20 ms, soit 7,2 cm/1,2 s = 6 cm/s. Le mouvement vertical est simulé par la projection de 30 points distants de 1,2 mm toutes les 20 ms, soit 3,6 cm/0,6 s = 6 cm/s. Cette disposition des points de fixations permet d’analyser les mouvements oculaires dans toutes les directions, de mettre en jeu tous les muscles oculomoteurs, avec des amplitudes différentes et réalisant des modes de poursuites et de saccades. Les variations d’amplitudes et de directions empêchent la mémorisation des déplacements et ne permettent donc pas l’anticipation de la poursuite. L’ensemble des points est présenté en 56 secondes.
Test de lecture Il est composé de trois lignes de texte affichées sur l’écran d’examen en position centrale inférieure. Le test démarre avec l’affichage du texte. Il peut être interrompu à tout moment par l’examinateur, de préférence après la lecture d’une ligne entière. Le texte comprend 447 caractères espaces compris. La première ligne comprend 154 caractères sur une longueur de 23,4 cm. Les espaces sont comptabilisés comme caractères. Pour un observateur placé à 40 cm, le test est vu sous un angle de 33,4◦ . Compte tenu du nombre de caractères et de la longueur de la première ligne, chaque caractère mesure en moyenne 1,5 mm et est donc vu sous un angle de 12 .
• • • • • •
la possibilité de tête libre ; la fiabilité de la détection (indice de fiabilité des images) ; la précision des mesures (15 ) ; l’interfac ¸age avec le logiciel de présentation de tests ; l’interfac ¸age avec le logiciel d’analyse ; le coût du matériel (inférieur à 4000 D pour une série dépassant dix appareils).
L’élaboration des tests et des principes d’analyse des résultats est de ma conception ainsi que l’écriture et le code du logiciel qui les utilisent. Le matériel est constitué de trois unités distinctes dans leurs fonctionnalités ainsi qu’un module logiciel d’analyse des résultats.
Le projecteur de test Il consiste en un écran choisi pour sa clarté, luminance et taille. Les deux machines sont équipées du même écran, ce qui permet de garantir sans modification logicielle l’équivalence stricte des dimensions des tests. La résolution de l’écran est de 1366/768 pixels pour des dimensions d’écran de 33 × 20,7 cm. Toutes les distances données sont mesurées à partir de ces caractéristiques. Comme le montre la Fig. 3, le patient est positionné face à l’écran, le plan des yeux coupe perpendiculairement le plan de l’écran au niveau de son tiers inférieur. Un retour
Le matériel Le matériel d’enregistrement a été élaboré en partenariat avec la société IDMED qui est spécialisée dans l’étude de la pupille. Les aspects de détection de direction du regard ont été gérés par cette société en fonction des impératifs fixés pour la réalisation des tests. Ces impératifs comprenaient : • la rapidité et la qualité de calibration (inférieure à 15 secondes) ;
Figure 3. La fenêtre de retour caméra disparaît pendant le test. La fenêtre de test, ici en blanc, peut être présentée en noir et le point de stimulation en blanc pour diminuer l’éclairage.
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F. Boussand • quatre LEDs IR haute puissance, réparties de part et d’autre de la caméra ; • éclairage par flash de 5 ms synchronisés par la caméra ; • puissance moyenne rec ¸ue à 40 cm : inférieure à 1 mW/cm2 ; • alimentation DC 15 V, régulée. Le positionnement des LEDs et de la caméra est conc ¸u pour favoriser la précision horizontale de la mesure. C’est aussi la position optimale lors des clignements, ou la paupière vient occulter le globe oculaire de haut en bas ou en cas de ptosis relatif.
L’analyse par eyetracker des mouvements oculaires
Figure 4. crète.
Le bloc caméra est rajouté sous l’écran de fac ¸on dis-
caméra lui permet de se positionner de fac ¸on plus intuitive et efficace. Le fond d’écran est noir et l’ambiance mésopique pour éviter l’éblouissement, favoriser une relative mydriase et diminuer l’impact de sources lumineuses débordant dans l’infrarouge.
Le système d’enregistrement des mouvements oculaires Il est composé d’un bloc caméra intégré à l’écran et situé sous son bord inférieur, comprenant une caméra infrarouge à haute définition et un éclairage pulsé. La fréquence de saisie des images est de 25 Hz, ce qui est suffisant dans le cadre de l’étude de la partie lente des mouvements oculaires. L’analyse des données est effectuée en temps réel. Les contraintes d’éclairage ambiant ont imposé le choix d’un éclairage infrarouge pour maîtriser les reflets indirects. L’éclairage est pulsé et contrôlé par la caméra à raison d’un éclair de 5 ms toutes les 40 ms. La rampe d’éclairage comprend quatre diodes émettant dans le proche infrarouge disposées de part et d’autre de la caméra. La puissance moyenne rec ¸ue à la distance de 40 cm est inférieure à 1 mW/cm2 et donc dépourvue de toxicité. La Fig. 4 montre une vue d’ensemble écran et caméra.
Caméra Les spécifications techniques de la caméra sont ci-dessous : • résolution 1280 × 1024 ; • liaison PC par USB2 480 mb/s ; • fréquence image variable, mais réglée à 25 Hz dans la version actuelle ; • positionnée au centre du dispositif, sous un moniteur 19 (1366 × 768) ; • sensible aux infrarouges ; • munie d’un filtre laissant passer les infrarouges ; • objectif de focale 25 mm corrigé infrarouge.
Éclairage Les spécifications techniques de l’éclairage sont ci-dessous :
Il se fait sur l’ordinateur de l’examinateur en temps réel et permet la surveillance de l’enregistrement et du bon suivi du test. Historiquement, l’enregistrement des mouvements oculaires a pu faire le sujet de recherches exploitant des techniques différentes. On cite : • l’électro-oculographie étudiée par Quéré et OgerLavenant [14] ; • la technique galvanométrique ; • la technique des reflets de Hirschberg ; • la vidéo-oculographie ; • les techniques actuelles mixtes. Dans notre application, le traitement de l’image comprend le fenêtrage de l’image, le repérage des zones oculaires, le repérage des reflets des diodes sur le dioptre cornéen, le repérage de la zone pupillaire et le calcul de sa surface. La position du vecteur de fixation est déduite du calcul du centre de la surface pupillaire et du barycentre des reflets cornéens. Le contrôle de l’intervalle interpupillaire permet de corriger les mouvements de la tête et les données pour des mouvements limités à quelques centimètres d’avant en arrière. Le fenêtrage de l’image permet de limiter le volume des données analysées. En effet, la fenêtre d’analyse de l’image (Fig. 5) mesure 639 pixels sur 161 pixels. Le débit et le traitement des informations porteront sur 102 879 pixels 25 fois par seconde. Le traitement de la totalité de l’image caméra aurait nécessité une puissance nettement supérieure pour l’analyse de la totalité des 1 310 720 pixels. Le repérage des zones oculaires permet lui aussi de limiter les zones d’analyse mais il permet aussi de délimiter les zones dans lesquelles seront recherchés les reflets des quatre diodes. Cette disposition est particulièrement utile pour les enregistrements de patients possédant une correction par verres. Les reflets sur les verres et les montures seront plus faciles à traiter et à éliminer ainsi que les reflets engendrés par les rivières lacrymales. L’analyse des reflets cornéens permet d’obtenir, par un calcul barycentrique, une première approximation de la position du vecteur de la direction du regard. Elle permet aussi d’estimer la distance du globe par rapport à la caméra par le calcul de la distance des diodes entre elles. La reconnaissance de la forme pupillaire ronde ou plus souvent elliptique permet, quant à elle, le calcul de la surface de l’aire pupillaire. La précision donnée par le calcul du centre de cette surface se révèle bien supérieure à la
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Figure 5. Capture de l’écran de contrôle de l’eyetracker et test. On remarque le fenêtrage œil par œil avec l’indice de confiance affiché sur chaque carré. Les reflets des quatre diodes sont bien visibles et la surface pupillaire est reconnue en jaune.
simple analyse d’un reflet isolé (méthode des reflets de Hirschberg). En dernier lieu, toutes ces données sont analysées et leur cohérence est examinée. Un indice de cohérence est affecté à chaque image avec un coefficient variant de 1 (pour cohérence insuffisante) à 4 (pour bonne cohérence). Cette approche permet de n’éliminer aucune donnée. Les données affectées d’un indice de cohérence insatisfaisant seront alors analysées en fonction des données précédentes et suivantes pour décider de leur viabilité ou de leur exclusion (Fig. 5). La précision obtenue est de 1,5 mm en coordonnées horizontales et 3 mm en coordonnées verticales pour un patient immobile à 40 cm de l’écran. Ces mesures correspondent à un angle de vue compris entre 12 et 30 .
Tableau 1 Âge (ans)
On rappellera que : • l’étude clinique d’un observateur expérimenté permet une détection de l’ordre de deux dioptries soit environ 4◦ ; • l’extériorisation fovéale ou angle de vision de la fovéa est compris selon les calculs entre 1◦ et 1,5◦ ; • la longueur de la ligne de lecture du test représente 33,4◦ pour 23,4 cm ; • chaque caractère étant vu sous un angle de 12 , l’empan visuel théorique est donc de cinq à sept lettres.
La précision du capteur répond à la précision requise pour l’étude des troubles de la lecture à l’échelle d’une lettre.
La répartition selon l’âge. Nombre d’enregistrements
Enregistrement de la lecture
Enregistrement des poursuites
4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 > 20
1 11 7 25 23 19 28 15 10 7 6 2 2 2 8
0 1 0 6 5 8 8 5 2 1 2 1 1 1 1
1 10 7 19 18 11 20 10 8 6 4 1 1 1 7
Total
166
42
124
482
Figure 6.
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Tracé réel d’un test de poursuites. Tracé normal : les poursuites sont dépouillées, il n’existe pas de mouvements anormaux.
L’analyse logicielle des mouvements oculaires testés Le logiciel réalise la restitution en direct des enregistrements effectués sous la forme d’un tracé se superposant au test projeté. C’est une première analyse dynamique ainsi qu’une surveillance du bon déroulement du test. L’enregistrement des données permet d’aborder l’analyse du tracé sous des angles plus spécifiques : • analyse des composantes horizontales ; • analyse des composantes verticales ; • suppression des artefacts ; • correction des données ; • fabrication des indices ; • étude du suivi de la cible et du test ; • étude de la binocularité.
La population étudiée Il a été réalisé et retenu 166 enregistrements lors d’une consultation ophtalmologique à orientation pédiatrique. L’ensemble des patients a subi un examen ophtalmologique comprenant : • réfraction subjective ; • examen de la convergence ; • examen et mesure de la vision stéréoscopique au test de TNO. L’ensemble de la population étudiée possède une vision binoculaire utilisable. Toutes les tropies ont été éliminées ainsi que les phoro-tropies trop instables ne permettant pas la calibration de l’appareil en binoculaire. La répartition selon le sexe est un peu disharmonieuse avec 73 filles pour 93 garc ¸ons. On peut retrouver la répartition selon l’âge sur le Tableau 1. Le nombre de porteurs de lunettes est de 88 dont : • 45 hypermétropies bilatérales ; • une hypermétropie unilatérale droite ; • 20 hypermétropies associées à un astigmatisme ; • deux myopes unilatéraux gauches avec hypermétropie droite ; • sept myopes bilatéraux ;
• 13 myopes astigmates bilatéraux.
Les résultats Les mouvements normaux Les poursuites Le mouvement normal des yeux est caractérisé par une succession de mouvements rapides de recherche et de mouvements plus lents de re-fixation. On retrouve sur la Fig. 6 un parcours de poursuite normal. La trajectoire des mouvements rapides est parfaitement droite. Toutefois, les directions de l’œil droit et de l’œil gauche ne sont pas parallèles. Ces saccades sont appelées « saccades hypométriques initiatrices » ou S1. En cas d’incertitude sur le but à atteindre, il existe de petits arrêts du mouvement de 40 à 80 ms suivis de « saccades de correction » ou S2 jusqu’à atteindre la cible. Ces saccades font l’objet d’études nombreuses. On citera notamment Gérardin et al. dans une étude à paraître [15] et Coubard et Kapoula [16].
Les re-fixations Il y a alors un mouvement en boucle de 2 à 3 mm (24 à 36 d’arc) de diamètre puis un rapprochement des deux tracés qui tendent à rejoindre plus précisément la cible par refixations progressives et successives. Nous appellerons refixation cet ensemble de mouvements arrivant à la fixation après un mouvement rapide.
La fixation La fixation en elle-même consiste en une série de micromouvements autour de la cible délimitant une surface de diffusion de la fixation, variable selon l’âge et la maturation visuelle. Pour un adulte normal, ce cercle de diffusion a un rayon de 1 mm (12 d’arc) autour de la cible. Pendant cette période, les mouvements des yeux ne sont pas congruents. Ils balayent la cible de fac ¸on indépendante voire autonome (Fig. 7).
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qu’il est plus émoussé sur l’autre. De même, il existe parfois une très légère avance au départ de l’œil fixateur qui semble disparaître à l’arrivée.
Le mouvement élastique d’arrêt Figure 7. Poursuite, re-fixation, fixation. On remarque l’arrêt au cours du trajet d’une cible à l’autre avec reprise de fixation de 80 ms avant le nouveau départ.
La latence Les mouvements rapides présentent une latence de déclenchement égale en moyenne à 200 ms selon Wyman et Steinman [17]. L’apprentissage et la maturation visuelle peuvent réduire cette latence à 160 ms. Chez l’enfant, la latence est souvent de l’ordre de 240 ms. La latence est calculée en détectant tous les mouvements oculaires d’une amplitude suffisante et en direction de la cible dans un intervalle de temps supérieur à 120 ms (Fig. 8). Les données sont alors moyennées pour fournir une valeur.
L’œil directeur Lors de l’initiation du mouvement, on observe un déclenchement asymétrique comme si le signal du départ était donné par « l’œil fixateur ». De la même fac ¸on on observe un « atterrissage » asymétrique. Cette particularité se manifeste par une angulation aiguë dans le tracé d’un œil alors
Lors de l’arrêt d’un mouvement rapide, on assiste à un petit retour en arrière des deux yeux qui correspond à un phénomène de rebond en rapport avec l’élasticité du rideau musculo-aponévrotique de suspension du globe oculaire. L’amplitude de ce mouvement peut avoisiner le millimètre soit 12 d’arc. Lors des mouvements de lecture, il faudra bien le différencier du vrai retour arrière (Fig. 9). On peut systématiser les déplacements et les décomposer.
Les composantes horizontales Analysés dans leur composante horizontale, les mouvements oculaires apparaissent bien organisés et précis. Quand l’attention est de bonne qualité, les deux tracés sont distants au maximum de 1 mm (12 d’arc) et se recoupent souvent. En cas d’attention moins soutenue, cet écart peut augmenter légèrement. Lors des mouvements de poursuite rapide, la superposition des tracés est presque parfaite et les tracés sont lisses sur le trajet de la cible qu’ils dépassent parfois par hypermétrie. La vitesse moyenne des déplacements horizontaux lors du test est de 15 cm/s soit 30◦ /s.
Figure 8. Éléments horizontaux d’une poursuite, latence. Le temps est représenté sur l’axe horizontal. Sur l’axe vertical sont représentées les coordonnées horizontales des mouvements oculaires. Les marches d’escalier représentent le trajet de la cible.
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Figure 9. Œil directeur et mouvement élastique d’arrêt. Agrandissement de coordonnées horizontales en rouge et vert. L’angulation aiguë à l’initiation du mouvement rapide et à son arrivée signe l’œil directeur. Les tracés se recoupent plusieurs fois par seconde.
Les composantes verticales La composante verticale montre une congruence des mouvements beaucoup plus relative. Le tracé met en évidence un hachage de la trajectoire dont l’amplitude peut atteindre 12 mm (2,4◦ d’arc). L’imprécision verticale, très importante dans l’enfance, tend à diminuer avec l’âge. La vitesse moyenne des déplacements verticaux lors du test est de 10 cm/s soit 20◦ /s.
La comparaison des deux composantes horizontales et verticales Tous les enregistrements analysés mettent en évidence une très bonne précision horizontale. En revanche, la précision verticale est beaucoup moins bonne. Il semblerait que les meilleurs indices prédictifs d’une maturation visuelle insuffisante découlent de cette particularité des tracés verticaux (Fig. 10).
Les mouvements anormaux
fixation prolongée provoquent l’apparition des clignements assez rapidement chez l’enfant dont la maturité visuelle est inachevée. Conjointement un larmoiement peut survenir.
La fixation indépendante ou recherche erratique Certains tracés très immatures permettent de constater l’existence d’instants ou la fixation se déconnecte de la poursuite. Les yeux regardent dans le vague. Quelques centaines de millisecondes plus tard, la poursuite reprend. Ces pauses compensatoires sont souvent précédées d’une disjonction importante des axes oculaires de l’ordre de 10 mm (soit 2◦ d’arc). Le repos semble favoriser la reprise d’une trajectoire plus normale. Les tests choisis sont courts et isolés dans le temps. La fatigue oculaire induite y est sans doute minime et sûrement inférieure à beaucoup de tâches de la vie quotidienne. L’apparition de ces arrêts oculaires semble très évocatrice d’une immaturité visuelle.
Les clignements
Les stratégies d’évitement
Lors des clignements, la fixation est perdue. De la même manière, le reflet cornéen n’est plus visible pendant un court instant. Sur les enregistrements, une pointe ample et fine de direction inférieure apparaît de fac ¸on typique. Lors du maintien palpébral empêchant la fermeture des yeux, le tracé reste à peu près équivalent sous la forme de ce déplacement inférieur des globes. Il témoigne de la mise en tension conjointe du droit inférieur et de l’orbiculaire des paupières. Bien que présents de fac ¸on normale, les clignements (Fig. 11) perturbent les mouvements oculaires volontaires. Ils peuvent altérer les poursuites si leur fréquence est trop élevée. Les efforts de
De la même fac ¸on, on constate parfois le « besoin de regarder ailleurs » et de ne plus suivre cette cible exigeante. Ce mouvement brutal et ample (Fig. 12) précède ou succède fréquemment un clignement de paupières. Ces mouvements, annonciateurs de fatigue, sont aussi souvent accompagnés d’une modification de la distance à l’écran, permettant de récupérer une congruence des deux axes oculaires sur la cible. L’effort douloureux de convergence s’en trouve soulagé. Parfois, l’enfant stoppe de lui-même l’exercice. Ce refus est parfois accompagné de larmoiements et ou de frictions oculaires.
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Figure 10. Superposition des coordonnées horizontales et verticales. Test normal. On remarque la différence de précision des deux tracés signant l’importance du balayage vertical lors des fixations.
Les mouvements lors de la lecture La lecture normale L’analyse des stratégies des mouvements oculaires lors de la lecture ne préjuge pas des facultés de compréhension ni des erreurs de lecture. Le tracé brut permet de visualiser les mouvements et leur dynamique lors de la lecture. Toutefois, l’analyse en temps réel reste difficile et ne permet pas l’analyse fine des stratégies. Il est donc nécessaire d’en analyser les différentes composantes sur des graphes et schémas et de pouvoir déterminer des indices précis.
La projection horizontale des mouvements de lecture En raison de l’écriture horizontale de notre langue, c’est la composante horizontale de la lecture qu’il importe d’étudier et qui apportera le plus de renseignements sur la dynamique de la lecture (Fig. 13). L’étude des mouvements oculaires lors de la lecture permet de définir les phases rapides de déplacement et les phases de fixation et de saisie visuelle. La rapidité de lecture est visualisée sur l’échelle de temps figurant sur la barre supérieure de l’écran. On analyse aussi la qualité et la précision du retour à la ligne.
La projection verticale des mouvements de lecture La composante verticale dans la lecture est théoriquement nulle puisque le déplacement est par définition horizontal
Figure 11. Représentation agrandie du tracé réel lors d’un clignement. Pour améliorer la visualisation instantanée du tracé dynamique, les trajectoires oculaires changent de couleur et passent du rouge et vert à violet et jaune pour ensuite disparaître laissant une empreinte du mouvement d’une seconde.
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Figure 12. Tracé immature : tracé montrant des mouvements anormaux en dehors de la trajectoire des cibles, des latences anormalement élevées, un rabotage des poursuites, une disjonction des tracés droit et gauche, un tracé droit anormalement long.
(Fig. 14). L’étude des tracés montre que cela est loin d’être le cas. On retrouve les mouvements de fixation décrits lors des poursuites avec le même cercle de diffusion autour de la cible.
Figure 13. Lecture normale à huit ans : composante horizontale. On remarque quatre retours arrière pour la première ligne et un seul à la deuxième ligne, un retour à la ligne de bonne qualité, la conjonction presque parfaite des deux yeux. Les déplacements rapides sont déjà homogènes.
L’empan de fixation L’empan de fixation représente le nombre de lettres qui sont vues et analysées lors d’une fixation. Les déplacements rapides d’un point de fixation au suivant, s’ils sont constants, donnent la valeur de l’empan de fixation ou tout du moins de l’empan analysable. On peut donc le mesurer en nombres de lettres, en mm ou en degrés. Les caractéristiques de cet empan visuel sont faciles à décrire chez le lecteur expérimenté ou il est régulier, uniforme et large. Chez l’enfant en apprentissage, les choses sont moins faciles. Tout se passe comme si la largeur de l’empan visuel était variable en fonction de fonctions cognitives qui permettent l’analyse du mot et en fonction d’une mécanique oculomotrice en cours de réglage. En effet, on remarque que l’empan de fixation se raccourcit pour les mots longs ou inconnus. Il peut, à cette occasion, n’être que de la largeur
Figure 14. La composante verticale du même tracé montre peu de déviations verticales. On note une disjonction à 11,5 secondes pour le retour à la ligne. La ligne noire représente le niveau de la première ligne de texte. Le tracé passe normalement en dessous après le retour à la ligne.
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d’une lettre. Toutefois même en l’absence de mot difficile, on constate des anomalies de longueur de l’empan de fixation avec des phases à empan court et des phases où il se rallonge. Quand l’empan est trop long, il y a perte de signification ce qui provoque un retour en arrière, plus ou moins important.
Les retours en arrière ou régressions À l’état normal, il n’existe pas ou peu de régressions. On entend par « état normal », la situation d’un lecteur confirmé n’ayant pas subi de troubles de l’apprentissage de la lecture dans l’enfance. Ces régressions isolées sont de plus limitées à quelques lettres. Il faut bien distinguer la régression, qui est un mouvement volontaire de ré-exploration de la chose mal vue, du petit mouvement élastique cité plus haut de l’ordre du mm (12 d’arc). La régression mesure plusieurs millimètres. Lors de l’apprentissage de la lecture, ces régressions sont présentes mais peu fréquentes par rapport aux mouvements de fixation prolongée sur un mot ou lettre inconnus. Elles diminuent régulièrement au cours de l’apprentissage. Les régressions sont dues à une mauvaise appréciation de la largeur des sauts de fixation. Les sauts sont alors supérieurs à l’empan de fixation et le retour en arrière s’impose. Cette anomalie de stratégie de fixation a tendance à se pérenniser si elle est trop répétitive. Les tracés d’adolescents ayant présenté des troubles d’apprentissage de la lecture « d’origine visuelle », montrent une normalisation relative de la vitesse de lecture avec persistance de nombreuses régressions (Fig. 15).L’approche des troubles de la lecture d’origine visuelle amène à définir des caractéristiques plus fines qui signent l’éloignement de la normalité (Fig. 16 et 17).
Les indices chiffrés La notion de distance parcourue Le tracé d’un mauvais lecteur montre une augmentation de largeur du rayon de re-fixation puis de fixation. La distance parcourue par unité de temps pour l’accomplissement de cette tâche est ainsi augmentée. La distance parcourue diminue avec la maturation du système visuel et avec l’apprentissage de la lecture. L’absence de diminution de la distance parcourue signe un déficit réel de la précision oculomotrice. Pour un adulte normalement lecteur, la distance parcourue, lors de lecture, est supérieure de 50 % à la distance utile. Sur cette distance inutile, la moitié est due à la verticalité. La quantification de cette distance inutile par seconde (qui s’apparente par son unité à une vitesse) est de 1,2 cm/s (soit environ 2,5◦ /s), tant en vertical qu’en horizontal. En cas d’immaturité visuelle et de troubles de la lecture qu’elle engendre, le calcul de cette distance parcourue montre qu’elle peut être dix fois supérieure à la distance nécessaire. Lors d’un déplacement imposé (poursuite de cible), la distance parcourue est aussi égale à 1,5 fois la distance nécessaire (parcours de la cible).
La notion d’efficacité visuelle L’importance du parcours inutile pousse à proposer un indice de rendement visuel où « gain » qui, pour une tâche donnée, est le rapport entre la distance nécessaire (distance parcourue par la cible) et la distance parcourue par l’œil. Ce
Figure 15. Lecture anormale à 15 ans, coordonnées horizontales. On note 12 retours arrière pour une ligne avec une vitesse de lecture à 150 mots par minute. Tracé de séquelles visuo-motrices lors de l’apprentissage de la lecture.
rapport est compris entre 0,5 et 0,7 chez les individus efficaces. L’augmentation progressive de l’indice d’efficacité signe la maturation visuelle.
La différence de trajet entre l’œil droit et l’œil gauche Il est apparu intéressant de comparer la distance parcourue par les deux yeux. Chez l’adulte, la différence de parcours est inexistante ou statistiquement non significative. Elle peut être importante chez certains enfants immatures. Trop importante, cette différence accompagne souvent une perte du reflet cornéen par le capteur. Il faut donc apprécier cet indice de fac ¸on prudente et vérifier, dès lors, l’absence d’anomalie d’enregistrement.
Les mouvements verticaux dans la lecture Pendant la lecture, qui est par définition (en écriture occidentale) horizontale, on aurait pu supposer l’absence de
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F. Boussand des moments de fusions où ces coordonnées sont comprises dans un intervalle de 0,5 mm de rayon (inférieur à la largeur d’une lettre) tant en vertical qu’en horizontal, montre que ces moments sont plus rares que prévu. On peut considérer comme normal un tracé dont le nombre de fusions verticales et horizontales approche une fusion par seconde. Pour améliorer la précision de cette notion, on calcule aussi les fusions horizontales ou les deux trajectoires sont situées sur la même verticale (coordonnée X) et les fusions verticales ou les deux trajectoires sont situées sur la même horizontale (coordonnée Y).
La disparité axiale moyenne
Figure 16. Lecture anormale à sept ans : coordonnées horizontales. Fixation prolongée de mauvaise qualité entre les secondes 14 et 16 et les secondes 21 à 25.
mouvements verticaux. Il est donc étonnant de découvrir leur importance. Pourtant ces mouvements verticaux « inutiles » sont aussi importants que les mouvements horizontaux « inutiles » mais ils sont visibles. L’importance des déplacements verticaux peut être chiffrée entre 20 et 25 % du total des mouvements chez l’adulte normal. Chez le lecteur débutant, l’importance des mouvements verticaux dépasse souvent 30 % du déplacement total. En cas de troubles de l’apprentissag, certains tracés montrent des mouvements verticaux égaux à 50 % du déplacement total ce qui signifie, alors, que le déplacement horizontal de la lecture est noyé dans le bruit de fond de la fixation. La disparition progressive de ces anomalies verticales ou leur diminution signe une maturation des systèmes visuels nécessaire à l’obtention d’une lecture rapide et fluide. On définit ces mouvements par un indice de quantité de mouvement par seconde tant verticalement qu’horizontalement.
Le nombre de fusions Lors des déplacements oculaires vers une cible, la distance des axes oculaires en convergence où divergence, verticale et horizontale est en perpétuelle variation. Le calcul
Les coordonnées de chaque œil sont calculées à chaque prise de vues et soustraites pour obtenir la distance entre les deux yeux. On en tire, sur une portion de courbe analysée, la disparité axiale moyenne qui est un très bon reflet de la binocularité. Un bon indice se situe aux alentours de 2 mm pour le test des poursuites imposées dans sa totalité. En effet, certaines portions de courbes ont des indices de disparité axiale moyenne bien inférieurs et de l’ordre d’une fraction de mm. Ce sont notamment les poursuites lentes et les portions de courbe situées en début de test. Les portions finales sont souvent dégradées par la fatigue. Pour la lecture, l’indice de disparité axiale moyenne est aussi très évocateur. Les bons lecteurs ont un indice égal à une fraction de mm alors que chez l’enfant immature l’indice de disparité axiale est souvent supérieur à 2 mm.
Le nombre de retours arrière ou régressions L’importance du rebond élastique lors de l’arrêt des mouvements rapides étant de l’ordre du millimètre, tout déplacement arrière supérieur à cette valeur sera comptabilisé comme une régression anormale. Le nombre de régressions est à l’état normal inférieur ou égal à un par ligne de texte parcourue.
La rapidité de lecture La rapidité de lecture est corrélée aux différents précédents indices oculomoteurs. Cette rapidité de lecture n’est jamais normale en présence d’anomalies oculomotrices. A contrario, il est possible de mettre en évidence des indices oculomoteurs normaux avec une mauvaise vitesse de lecture. On infirmera alors la responsabilité oculomotrice dans le facteur d’apprentissage.
Discussion
Figure 17. Lecture anormale à sept ans : coordonnées verticales. Balayage vertical et disjonction droite-gauche importants.
L’analyse des mouvements oculaires d’un patient repose sur l’étude précise des tracés. Le tracé des poursuites calibrées permet de se faire une première idée de la maturation des systèmes visuels et d’apprécier la cohérence de la vision binoculaire. L’analyse du tracé de lecture permet d’apprécier la motricité volontaire, les capacités d’attention et de fixation ainsi que l’éventuelle rupture de la vision binoculaire. Le tracé des poursuites devra apprécier : • le tracé en temps réel et son image finale ; • poursuites ; • re-fixations ;
Étude des mouvements binoculaires lors d’activités de poursuites et de lecture • • • • • •
fixations ; latence des mouvements rapides ; œil directeur ; la composante horizontale ; la composante verticale ; l’existence de mouvements anormaux.
L’étude du tracé de la lecture apprécie sur les coordonnées horizontales : • la vitesse de lecture ; • l’empan de fixation ; • l’existence de retours arrière ou régressions ; • la congruence des tracés. Sur la composante verticale on appréciera : • l’importance des mouvements inutiles ; • la congruence des tracés. La lecture des indices chiffrés permet une première approche beaucoup plus rapide permettant de situer le tracé d’un patient dans une fourchette de développement du système visuo-moteur. L’efficacité visuelle et la distance inutile parcourue par seconde signent la qualité globale de la tâche. La différence de parcours entre œil droit et œil gauche ainsi que le nombre de fusions par seconde et la divergence moyenne signent la binocularité. Lors de la lecture, la distance verticale parcourue par seconde, le nombre de retours arrière ainsi que la divergence moyenne signent la précision du système visuel lors des tâches d’attention et d’apprentissage. Les calculs d’indices sont très évocateurs et permettent d’apprécier les phases de développement de fac ¸on cohérente. Entre les âges de cinq et sept ans, les anomalies motrices perturbent tous les indices. À un âge supérieur, on remarque souvent une discordance d’indices signant la présence d’une amélioration de l’agilité visuomotrice avec persistance de séquelles. L’appréciation des défauts des trajectoires oculaires met donc en évidence les deux aspects principaux de la vision fonctionnelle que sont la précision du regard et son efficacité. La disjonction oculaire sous-tend une diplopie frustre ou une diffusion du signal visuel qui en diminue les capacités d’analyse. Ce retard ou défaut d’analyse induit, en feedback, une réponse motrice correctrice. En effet, si les disparités d’images sont trop importantes, la construction d’une représentation en trois dimensions n’est pas possible. Un signal de rétroaction est alors envoyé pour corriger la position binoculaire. Une fois la commande motrice effectuée, une nouvelle paire d’images est adressée aux centres visuels pour analyse et la boucle continue aussi longtemps que la trop grande disparité visuelle en empêche l’analyse. Quand le signal est enfin analysable il est alors transmis à la région du carrefour occipito-pariétal puis aux aires d’intégration visuelle. Il semblerait qu’un niveau moins important de qualité d’image permette une intégration rapide dorsale par le faisceau long. L’interprétation de ces hypothèses sort du champ de l’étude. Si l’on reste au niveau de la création d’un couple d’images cohérentes, on peut interpréter ces re-fixations et fixations trop larges comme autant d’échecs à construire une représentation analysable. On en déduit la répétition des fixations, la latence augmentée de la réaction aux stimuli, l’augmentation du trajet moyen nécessaire à l’accomplissement d’une tâche simple.
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Conclusion L’étude des mouvements oculaires lors de poursuites imposées permet de définir les caractéristiques principales des mouvements oculomoteurs et de la maturation du système oculomoteur. L’étude des mouvements spontanés lors de l’activité de lecture révèle de la même fac ¸on l’existence de mouvements inappropriés signant l’immaturité visuelle et dont la responsabilité dans l’efficacité de la lecture semble devoir être prise en compte. La binocularité est un concept qui doit être révisé et repensé par la notion de fréquence de fusion et de rayon de diffusion de la fixation. Souvent appréciée par l’absence de diplopie et par le pouvoir de convergence qu’elle nécessite, on a l’habitude de penser la binocularité de fac ¸on statique. Bien au contraire, l’étude dynamique de la vision binoculaire révèle son caractère fragile, sa construction de tous les instants, ses failles nombreuses et sa maturation progressive pour obtenir une fusion de qualité, pérenne dans le temps. La disparité axiale montre que cette binocularité est variable dans le temps selon l’état de fatigue et d’attention du sujet ainsi qu’avec la longueur du test et la tâche de compréhension associée. La présente étude essaye de décrire la dynamique des mouvements oculaires, la mécanique de la binocularité ainsi que sa complexité. Cette approche demande à être confirmée mais déjà elle apporte un regard nouveau sur la motricité oculaire autant par les aspects séméiologiques que par la précision angulaire jusqu’alors inconnue en strabologie, neuro-ophtalmologie et physiologie oculaire. La mise au point d’un matériel stable, fiable, précis et peu cher est un apport précieux. L’analyse plus précise des différents aspects de ce travail doit aider à définir une meilleure pertinence d’utilisation des divers indices. Ce travail n’emprunte pas le chemin de la recherche fondamentale sur la vision binoculaire et le substratum qui la sous-tendent. Il s’appuie, pourtant, sur les définitions et quantifications des mouvements oculaires précédemment décrites (saccades, régressions, latences. . .). L’analyse des mouvements de poursuites imposées et de lecture au cours du développement psycho-visuel peut aider le clinicien à mieux comprendre les enchaînements d’acquisitions et d’améliorations de la fonction d’exploration visuelle ainsi que les apprentissages corolaires. La recherche d’un signe particulier et pathognomonique d’une pathologie s’avère décevante. À ce jour, aucune des caractéristiques classiques étudiées isolément ne reflète le développement psycho-visuel ou sa pathologie. La réalité est souvent plus fluctuante, faite de variations temporelles, interindividuelles, d’améliorations, de fragilité au stress, à la fatigue, à l’apprentissage, à l’entraînement. . . La dynamique du regard semble participer de cette complexité et son étude globale paraît nécessaire à la compréhension des acquisitions en dépendant. Nous avons tenté cette description plus dynamique de l’acte de « regarder ». Par exemple, plutôt que de décrire le nombre de fixations en convergence ou en divergence nous avons décrit un indice de disparité moyenne des axes oculaires au cours d’une tâche, reflétant différemment l’importance des mouvements parasites. De même, le temps de latence ne paraît pas être un signe fiable en soi, en revanche ses variations d’un instant à l’autre ou lors d’une
490 tâche difficile semblent évocatrices de surcharge visuelle. Et de surcroît, la conjonction de ces deux indices renforce leur valeur. De cette approche, peu traditionnelle, ressort donc un aspect de la « fluidité » visuelle, faite de l’étude simultanée des multiples caractéristiques motrices qui fait sortir la recherche des labos pour l’usage clinique. De nombreuses applications doivent pouvoir bénéficier de cette approche comme l’analyse de la conduite à la fatigue ou en ambiance mésopique ainsi que l’étude et la surveillance des activités nécessitant une acuité et attention maximales mais dès maintenant l’étude des troubles de la lecture d’origine visuelle doit permettre d’envisager des techniques de rééducation plus ciblées, précoces et efficaces. En effet, de nombreux enregistrements réalisés après rééducation ciblée nous encouragent dans cette voie de progression encore inexplorée.
Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.
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