Evaluation du risque thrombo-embolique veineux après thromboprophylaxie en 2010

Evaluation du risque thrombo-embolique veineux après thromboprophylaxie en 2010

Le Praticien en anesthésie réanimation (2010) 14, hors-série 4, 7-9 Evaluation du risque thrombo-embolique veineux après thromboprophylaxie en 2010 P...

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Le Praticien en anesthésie réanimation (2010) 14, hors-série 4, 7-9

Evaluation du risque thrombo-embolique veineux après thromboprophylaxie en 2010 P. Albaladejo CHU Grenoble, Pôle Anesthésie Réanimation, BP 217, 38043 Grenoble cedex 09, France

Très tôt, la chirurgie a été identifiée comme un facteur majeur lié à la survenue d’événements thromboemboliques graves. Les premières études montrant l’efficacité d’un traitement préventif par de l’héparine remonte aux années 1970 [1]. Dans ces études, la fréquence des événements thrombo-emboliques fatals était sensible, de l’ordre de 1 % en l’absence de thromboprophylaxie. Les autopsies de patients décédés en postopératoire montraient clairement la part prépondérante des embolies pulmonaires dans les causes possibles de décès. L’administration pré et postopératoire d’héparine non fractionnée a considérablement diminué ce risque d’événement létal [2]. Une étude publiée récemment, comparant une héparine de bas poids moléculaire (certoparine) à de l’héparine non fractionnée en chirurgie montre que le taux d’embolie pulmonaire comme cause principale de décès est inférieur à 0,2 % et souvent associé à un facteur de risque majeur comme le cancer [3]. En chirurgie orthopédique majeure, la prise en compte du caractère thrombogène de cette chirurgie, la prescription large et systématique d’une prophylaxie mais surtout les progrès chirurgicaux considérables, semblent avoir contribué à réduire d’année en année le taux d’événements thromboemboliques veineux. Siverstein et al. ont montré sur une étude de population entre 1966 et 1990, une réduction sensible de la fréquence des embolies pulmonaires [4]. Plusieurs études ont montré des tendances similaires en

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Correspondance. Adresse e-mail : [email protected] (P. Albaladejo).

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chirurgie orthopédique majeure. Bjornara et al. ont étudié sur une période de 13 ans (1988 à 2001), la fréquence et le délai de survenue des événements thrombo-emboliques veineux en chirurgie orthopédique majeure [5]. Dans cette étude, les auteurs montrent une réduction sensible de la fréquence des événements thrombo-emboliques veineux dans une population traitée systématiquement par une héparine de bas poids moléculaire. La question posée ici est donc, les stratégies de thromboprophylaxie proposées en 2010 sont-elles suffisantes pour prévenir la survenue d’événements symptomatiques en chirurgie ? En France, deux grandes études observationnelles ont évalué le taux d’événements thrombo-emboliques veineux symptomatiques en chirurgie orthopédique majeure. Dans l’étude FOTO, Samama CM et al. ont montré qu’à 3 mois après PTH ou PTG, le taux d’événements thrombo-emboliques veineux symptomatiques est de 1,8 % (1,3 % pour les PTH et 2,8 % pour les PTG) dont 0,2 % d’embolies pulmonaires non fatales. Parallèlement, le taux de saignement majeur était de 1,4 % [6]. Dans l’étude ESCORTE, Rosencher et al. ont montré que le taux d’événements thrombo-emboliques veineux symptomatiques, 3 mois après fractures du col du fémur était de 1,34 % dont 0,2 % d’EP non fatales et 0,04 % d’EP fatales [7]. Ces études conduisent à faire plusieurs constats. Premièrement, les stratégies de thromboprophylaxie, les

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techniques chirurgicales et la prise en charge médicale, sont efficaces et correctement calibrées pour maintenir aussi bas que possible les taux d’événements symptomatiques. Deuxièmement, toute nouvelle approche (nouveaux médicaments, nouvelles stratégies) se heurte à une difficulté en terme d’évaluation de son efficacité, puisqu’elle doit se fonder sur des critères de substitution (l’événement thrombo-embolique veineux asymptomatique fait le lit d’un événement thrombo-embolique veineux symptomatique) dont la pertinence est remise en cause. Doit-on en conclure que le risque d’événement thrombo-embolique veineux est correctement couvert en chirurgie ? Et ce, quel que soit la qualité de la stratégie mise en œuvre ? Il existe plusieurs études montrant la relation entre stratégie et maladie thrombo-embolique veineuse en chirurgie. Ainsi, une étude réalisée dans les hôpitaux belges montre que la qualité de la stratégie de thromboprophylaxie est un facteur de risque de maladie thrombo-embolique veineuse d’une part et de mortalité d’autre part en chirurgie orthopédique majeure [8]. La relation entre stratégie et mortalité met en lumière la relation entre la qualité globale de la mise en œuvre des soins et la mortalité au sein d’un établissement (non-qualité de l’ensemble des procédures de soins). La durée de la thromboprophylaxie postopératoire joue un rôle majeur. Ainsi le registre GLORY a mis en lumière d’une part la réalité d’une maladie thrombo-embolique veineuse symptomatique résiduelle prolongée après chirurgie orthopédique majeure et d’autre part la grande hétérogénéité des attitudes en termes de durée de la thromboprophylaxie en particulier, en chirurgie orthopédique majeure [9]. Les patients qui ne reçoivent pas de thromboprophylaxie à la sortie d’une hospitalisation pour PTH ou PTG ont une mortalité sensiblement augmentée [10]. Cette discussion sur la durée optimale reste d’actualité en particulier pour la PTG, pour laquelle, l’évolution du risque thrombo-embolique dans le temps a longtemps justifié une thromboprophylaxie plus courte. L’étude PROTHEGE montre qu’une prophylaxie prolongée permet de prévenir la survenue d’ETEV potentiellement symptomatique [11]. Nous pouvons donc faire le constat que les éléments qui ont contribué à la réduction de la MTEV en chirurgie et en particulier en chirurgie orthopédique sont directement lié à la conformité des stratégies de prévention à un certain nombre de références (protocoles, durée… etc…). La prévention de la maladie thrombo-embolique veineuse en chirurgie telle qu’elle est proposée dans les référentiels a pour principe général que la chirurgie porte en soit un risque à prendre en compte. L’identification du patient à risque est rendue aisée par la qualification simple de la chirurgie. Les référentiels proposent donc une stratification reposant sur le risque lié à la chirurgie. La stratégie proposée est donc dépendante du type de chirurgie. En pratique, dans les chirurgies dites à risque, c’est le risque lié à la chirurgie qui est prééminent pour définir la stratégie à mettre en œuvre. Ainsi, il devient facile de mettre en place des protocoles par type de chirurgie. Ces protocoles sont plus efficaces que la stratégie consistant à personnaliser le risque de maladie thrombo-embolique veineuse. De larges cohortes ont mis en évidence qu’ainsi, la conformité des stratégies de prévention de la maladie thrombo-embolique veineuse avec les référentiels existants

P. Albaladejo

(principalement les guidelines de l’ACCP) est meilleure en chirurgie qu’en médecine [12]. Mais en chirurgie, elle est meilleure en orthopédie qu’en urologie ou en chirurgie carcinologique. En clair, la conformité à un référentiel est meilleure dans une chirurgie où l’identification du risque est plus facile, en chirurgie orthopédique majeure plus qu’ailleurs car cette chirurgie est identifiée comme une chirurgie à risque en soit indépendamment du risque thrombotique lié au patient. Le RIETE est un registre international, multicentrique et prospectif qui collige de façon consécutive tous les patients présentant un événement thrombo-embolique veineux symptomatique, confirmé par un test objectif [13]. Chez les patients ayant présenté un événement thrombo-embolique veineux après chirurgie, il apparait que la conformité de la prise en charge aux référentiels est excellente pour la chirurgie orthopédique majeure. Les événements thromboembolique veineux que l’on peut donc appeler résiduels (puisque survenant dans un contexte de bonne conformité avec les référentiels) surviennent chez les patients porteurs de facteurs de risque de maladie thrombo-embolique veineux liés aux patients (ATCD de MTEV par exemple) qui se surajoutent au risque (élevé) lié à la chirurgie. Certains de ces facteurs de risque ont été identifiés dans de larges bases de données. Ainsi White et al. ont identifié 4 facteurs de risque important associés à la survenue d’événement thrombo-embolique chez des patients opérés d’une PTH : l’âge (> 85 ans, OR = 2,1 [1,1–3,9]), le surpoids (IMC > 25, OR = 1,8 [1,1 – 2,9]), les ATCD de MTEV (OR = 3,4 [1,7 – 7,0]) et le sexe (féminin, OR = 1,4 [1,0 – 1,9]). Néanmoins, la cartographie des facteurs de risque à prendre en compte chez les patients opérés de chirurgie à haut risque et dont la thromboprophylaxie est « conforme aux référentiels » reste à préciser. En effet, des facteurs moins bien identifiés doivent être pris en compte. Dans une étude très récente, il apparait que les antécédents médicaux comme l’insuffisance cardiaque ou les antécédents respiratoires sont associés à la survenue d’événements thrombo-emboliques veineux chez les patients opérés de chirurgie orthopédique majeure [14]. Cependant, le poids de ces facteurs de risque, leur intégration dans une stratification et une modification des protocoles existants tenant compte de ces facteurs restent à déterminer. Conclusion : lorsque l’on observe la MTEV résiduelle après chirurgie, en particulier orthopédique majeure, il apparaît que plusieurs causes peuvent être identifiées. La conformité aux référentiels existants joue certainement un rôle majeur pour expliquer ces événements. Dans ce contexte, la présence de facteurs de risque d’événement thrombo-emboliques liés aux patients doit être prise en compte lorsque le risque lié à la chirurgie est faible. Dans le cadre de la chirurgie à haut risque (orthopédique majeure par exemple), l’intégration de ces facteurs reste un défi.

Conflits d’intérêt Activités de conseil : pour les laboratoires Bayer, Boehringer-Ingelheim, Sanofi-Aventis, BMS, Pfizer, DaiichiSankyo, Lilly, LFB.

Evaluation du risque thrombo-embolique veineux après thromboprophylaxie en 2010

Conférences : Intervenant pour les laboratoires Bayer, Boehringer-Ingelheim, Sanofi-Aventis, BMS, Pfizer, DaiichiSankyo, Lilly, LFB. Invitations en qualité d’auditeur par Bayer Schering, Boehringer Ingelheim et Servier.

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Références [1]

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