Stratégie thérapeutique
Évaluation nationale des pratiques de prise en charge thérapeutique des patients atteints de diabète de type 2 (EVADIA) Current practice in the therapeutic management of type 2 diabetes in France (EVADIA) M. Krempf, 1 P. Gourdy2, J. Ferrières3 1
Service d’endocrinologie, maladies métaboliques et nutrition, Hôpital Nord Laennec, CHU de Nantes, Saint-Herblain. 2 Service de diabétologie, maladies métaboliques et nutrition, Institut Cardiomet, CHU Rangueil, Toulouse. 3 Fédération de cardiologie, CHU Rangueil, Toulouse ; Inserm UMR 1027, Université Paul Sabatier, Toulouse.
Résumé La multiplication de nouveaux traitements rend la prise en charge thérapeutique du diabète de type 2 plus complexe. Cette étude observationnelle française, basée sur la méthode des cas-vignettes, permet de constater que les recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS)/Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ansm), diffusées en 2013, semblent avoir peu d’influence sur les choix thérapeutiques des médecins généralistes. Plusieurs paramètres, tels que le taux d’hémoglobine glyquée (HbA1c), les complications microvasculaires, et une prise de poids récente, sont déterminants pour ces choix et rendre compte du manque d’adhésion aux recommandations. Mots-clés : Étude observationnelle – diabète de type 2 – méthodologie des casvignettes – recommandations françaises.
Summary Because of the development of new drugs, the therapeutic management of type 2 diabetes is becoming complex. This French observational study, based on case vignette method has shown that the French National High Authority for Health (HAS)/French National Agency for Medicines and Health Products Safety (ansm) 2013 guidelines appeared to have little influence on the general practitioners’choice of treatment. There are several parameters that determined the choice of therapeutic strategy and could explain the lack of compliance to the guidelines, such as HbA1c level, microvascular complications, and recent weight gain. Key-words: Observational study – type 2 diabetes – case vignette method – French guidelines.
Introduction Correspondance Michel Krempf Service d’endocrinologie, maladies métaboliques et nutrition Hôpital Nord Laennec Boulevard Jacques-Monod, Saint-Herblain 44093 Nantes cedex 1
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• Pour l’Organisation mondiale de la santé (OMS), 347 millions de personnes sont atteintes de diabète dans le monde, dont 90 à 95 % de diabète de type 2 (DT2). Une augmentation de plus de 50 % du nombre de décès lié au diabète est attendue pour les prochaines années,
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le hissant à la 7e cause de mortalité totale en 2030 [1]. Le contrôle glycémique est un élément essentiel de la prise en charge thérapeutique. En France, les recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS) et de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ansm), de 2013, définissent un contrôle glycémique optimal
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par une valeur cible d’hémoglobine glyquée (HbA1c) adaptée au contexte clinique [2]. L’individualisation des objectifs glycémiques devient le principe central de la prise en charge, qui vise à réduire la survenue ou l’aggravation des complications en toute sécurité, avec l’adhésion des patients au traitement. Les options thérapeutiques du DT2 comptent des molécules anciennes, telles que la metformine, les sulfamides hypoglycémiants, les inhibiteurs de l’ʸ-glucosidase et l’insuline ou, plus récentes, comme les traitements visant à renforcer ou mimer l’action des hormones digestives ou « incrétines » (les agonistes du récepteur du glucagon-like peptide-1 [GLP1-RA] et les inhibiteurs de la dipeptidyl peptidase IV [i-DPP4]). Ces incrétines stimulent la sécrétion d’insuline sans provoquer d’hypoglycémie ou de prise de poids, contrairement à la majorité des autres traitements [3, 4]. Les options thérapeutiques se sont ainsi enrichies, mais avec des controverses sur le choix des stratégies optimales. • Peu d’études ont été consacrées aux déterminants des choix de prescription des médecins généralistes (MG), qui assurent en premier recours l’essentiel de la prise en charge des DT2. L’objectif de cette étude était de faire un état des lieux des pratiques d’adaptation thérapeutique chez des patients atteints d’un DT2 et déjà traités par une dose maximale tolérée de metformine. Elle a permis : 1) de décrire et de comprendre les stratégies employées par les MG français ; 2) d’identifier quelles recommandations de la HAS/ansm étaient réellement suivies ; 3) de décrire l’impact de différents paramètres cliniques sur les décisions thérapeutiques.
Méthodes • L’étude EVADIA a été une étude observationnelle, non interventionnelle, transversale, nationale et multicentrique, basée sur la méthode des cas-vignettes, et proposée en ligne à des MG français entre septembre 2014 et juillet 2015. Durant cette phase de recrutement, les recommandations de la HAS/ansm pour le traitement du diabète de type 2 (DT2) étaient les seules acceptées et
Tableau I. Paramètres cliniques déterminants utilisés pour construire les cas cliniques . Des contraintes de variation étaient imposées permettant de générer 384 situations cliniques différentes. Chaque médecin généraliste devait analyser 10 cas, permettant ainsi d’inclure dans l’analyse finale 6 986 réponses. Paramètres démographiques et cliniques Ancienneté du diabète Âge du patient Complications microvasculaires du diabète Évolution de poids récente Indice de masse corporelle (IMC) Risque cardiovasculaire Risque d’hypoglycémie Taux d’hémoglobine glyquée (HbA1c)
Variations du paramètre*
Descriptifs des casvignettes évalués N = 6 986 n (%)
- ≥ 10 ans - 3-5 ans - 50-59 ans - 70-75 ans - Présentes - Absentes - Pas d’évolution - Prise de 2 à 3 kg en 6 mois - ≤ 30 kg/m2 - > 30 kg/m2 - Présent - Absent - Présent - Absent - Compris entre 7 et 8 % - Compris entre 8 et 9 % ->9%
3 452 (49,4) 3 534 (50,6) 3 464 (49,6) 3 522 (50,4) 3 477 (49,8) 3 509 (50,2) 3 434 (49,2) 3 552 (50,8) 3 407 (48,8) 3 579 (51,2) 3 488 (49,9) 3 498 (50,1) 3 510 (50,2) 3 476 (49,8) 2 347 (33,6) 2 287 (32,7) 2 352 (33,7)
* Les variations des paramètres ont été définies par les experts pour représenter des situations cliniques fréquentes et pouvant avoir un impact sur les décisions thérapeutiques.
présentées par la caisse d’assurance maladie en médecine générale. – Les cas-vignettes étaient des cas cliniques fictifs, mais suffisamment précis pour permettre au médecin de visualiser des patients crédibles, pour pouvoir répondre à des questionnaires de prise en charge diagnostique et thérapeutique. Pour construire ces cas cliniques, des experts ont identifié, dans la littérature et par consensus, un groupe de huit paramètres cliniques dont la variation est susceptible d’impacter la prise en charge des patients (tableau I). Des variations caricaturales de ces paramètres ont ensuite été définies. L’association et les variations programmées de toutes ces modalités a permis de générer 384 situations cliniques différentes qui avaient pour but d’analyser les choix de traitement en deuxième ligne, après la metformine. Afin de rendre les cas cliniques plus réalistes, mais également de détourner l’attention des praticiens participants, des comorbidités et données sociodémographiques leurres, reconnues sans impact sur la prise en charge étudiée, ont été introduites dans chaque cas clinique. – Chaque MG participant a reçu de façon aléatoire 10 cas cliniques issus
des 384 situations générées avec la méthode précédemment décrite. Il devait définir, pour chacune d’elles, les objectifs en termes de valeur cible d’HbA1c et de stratégie thérapeutique, mais également justifier les raisons de ses choix thérapeutiques. • Pour définir l’adhésion aux recommandations HAS/ansm de 2013 [2] en deuxième ligne de traitement après la metformine, les choix thérapeutiques suivants ont été considérés comme étant en accord : 1) metformine + sulfamide hypoglycémiant ; 2/) metformine + glinide, ou metformine + inhibiteur de l’alpha-glucosidase, ou metformine + i-DPP4, en cas d’écart à l’objectif de contrôle glycémique de moins de 1 % et si les hypoglycémies ou la prise de poids sont préoccupantes ; 3) metformine + insuline, ou metformine + GLP1-RA en cas d’écart à l’objectif de contrôle glycémique de plus de 1 % et si l’indice de masse corporelle (IMC) était supérieur à 30 kg/m2, ou la prise de poids sous insuline ou les hypoglycémies sont préoccupantes. • Des questionnaires complémentaires définissant le profil d’activité, la
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connaissance des recommandations HAS/ansm 2013, ainsi que l’influence du coût sur les décisions thérapeutiques devaient également être renseignés. Tous les MG sollicités pouvaient remplir ces questionnaires, incluant ceux qui finalement n’ont pas rempli – ou incorrectement – les cas-vignettes. • Analyses statistiques • Les analyses ont été effectuées avec le logiciel SAS® version 9.4 (SAS Institute Inc., Cary, NC, USA). Afin de déterminer les facteurs associés aux écarts de pratique par rapport aux recommandations, des analyses bi-variées (paramètres quantitatifs comparés à l’aide d’une analyse de variance ou d’un test de Kruskall Wallis selon le comportement des données), puis multivariées (paramètres secondaires qualitatifs comparés à l’aide d’un test du Khi-2 ou de Fisher selon les effectifs) ont été réalisées. La multi-colinéarité des variables a été étudiée en analysant le rapport entre l’estimation des coefficients et de leurs écarts-types. Un effet aléatoire « médecin » a été ajouté au modèle pour tenir compte de la corrélation des réponses intra-médecins. Le seuil de significativité des tests a été établi à p = 0,05.
Résultats
travaillaient au sein d’un groupe, et 620 (83 %) avaient un correspondant diabétologue.
Profil des médecins • Au total, 1 196 MG ont été sollicités et 748 ont évalué 7 471 cas-vignettes, dont 6 986 ont été retenus pour l’analyse. En effet, 485 cas-vignettes ont été exclus, car le choix thérapeutique retenu par le MG était inattendu dans le contexte de deuxième ligne de traitement avec, soit une monothérapie sans intolérance signalée à la metformine (sulfamide hypoglycémiant pour 126 cas-vignettes ; glinide pour 62 cas-vignettes) ou, plus surprenant, une tétra-thérapie (144 casvignettes) ou une penta-thérapie (153 cas-vignettes). • L’âge moyen des MG était de 49 ans (extrêmes : 27-69 ans), avec une moyenne de 19,7 ± 11,2 années d’exercice (0-44 ans). Il y avait une majorité d’hommes (64 % versus 36 % de femmes), et beaucoup des MG (84 %) ont affirmé avoir une bonne expérience dans la prise en charge du DT2, avec une moyenne de 12 patients diabétiques/semaine (1-70 patients). Parmi les participants, 471 (63 %) exerçaient en milieu urbain, 341 (46 %)
GLP1-RA : agoniste du récepteur du glucagon-like peptide-1 ; sulfamide : sulfamide hypoglycémiant ; i-DPP4 : inhibiteur de la dipeptidyl peptidase IV.
Figure 1. Principales associations thérapeutiques proposées par les médecins généralistes à partir de cas-vignettes de patients en échec de monothérapie de metformine. Les associations proposées dans moins de 1,5 % ne sont pas représentées. Au total, 56,9 % des associations proposées ne suivaient pas les recommandations Haute Autorité de santé (HAS)/ Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ansm) 2013.
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Objectif de contrôle glycémique L’objectif d’HbA1c a été fixé à ≤ 6,5 % pour 27,0 % (n = 1 889), ≤ 7 % pour 45,0 % (n = 3 146), ≤ 7,5 % pour 22,4 % (n = 1 567), ≤ 8 % pour 5,0 % (n = 350), ou > 8 % pour 0,5 % (n = 34) des cas-vignettes évalués. Une analyse post-hoc a permis de mettre en évidence le lien entre des paramètres cliniques et ces valeurs cibles déclarées d’HbA1c. L’ancienneté du diabète, l’âge, et la valeur initiale d’HbA1c, étaient les trois paramètres principalement associés au choix de l’objectif glycémique. Un contrôle plus strict était proposé si le patient était plus jeune, ou si le diagnostic de diabète était récent. Un objectif d’HbA1c à 6,5 % a été retenu dans 55,5 % pour des cas-vignettes pour lesquels le diabète avait été diagnostiqué depuis 3 à 5 ans, et dans 44,5 % alors que le diagnostic avait plus de 10 ans.
Évaluation de la stratégie thérapeutique Le traitement par metformine a été maintenu dans 88,5 % (6 182) des cas. Le choix de l’association ne suivait pas l’arbre décisionnel des recommandations de la HAS/ansm dans 56,9 % des cas, avec rarement aucun traitement (0,7 %) mais, le plus souvent, une bithérapie (31,2 %) et une trithérapie (9,5 %) non recommandées. Les stratégies thérapeutiques prescrites sont détaillées dans la figure 1. L’association metformine/sulfamide hypoglycémiant était l’association la plus fréquemment prescrite, mais ne l’était que dans environ 1/5 cas (18,4 %). L’association metformine/iDPP4, était presque autant prescrite (18,3 %), le plus souvent en contradiction avec les recommandations HAS/ansm, puisqu’elle ne correspondait que dans 1/20 cas (4,2 %) aux indications proposées par la HAS/ ansm. Les autres choix thérapeutiques étaient proposés dans moins de 10 % des situations. Les MG auraient adressé 35 % des patients à un diabétologue.
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Analyses des critères ayant conduit au choix de la stratégie thérapeutique • Le critère rapporté comme étant le principal déterminant de la stratégie thérapeutique était le niveau d’HbA1c dans la majorité des cas (52,5 %), suivi par l’âge du patient (11,6 %) et les complications (11,2 %). Le risque d’hypoglycémie a été considéré comme un critère principal dans seulement 2,0 % des cas. Parmi les critères secondaires, l’ancienneté du diabète était citée dans 6 cas sur 10, et les autres items (tableau II) étaient cités dans un quart à un tiers des cas, à l’exception du risque d’hypoglycémie qui était peu retenu (12 %). • L’analyse du risque d’absence d’adhésion à l’arbre décisionnel des recommandations était en partie expliquée par la présence de complications microvasculaires (odds ratio, OR = 1,25 [intervalles de confiance à 95 %, IC 95 % : 1,13-1,39] ; p < 0,0001), une prise de poids récente (OR = 1,21 [IC 95 % : 1,08-1,34] ; p = 0,0004), le risque d’hypoglycémie (OR = 1,20 [IC 95 % : 1,08-1,33] ; p = 0,0007), et un taux d’HbA1c > 9 % (OR = 1,43 [IC 95 % : 1,26-1,63] ; p < 0,0001). Tous les paramètres utilisés pour constituer les cas-vignettes, à l’exception du risque d’hypoglycémie, avaient une influence sur la décision du MG pour proposer une consultation chez un spécialiste. En particulier, la présence de complications vasculaires (OR = 3,06 [IC 95 % : 2,67-3,50] ; p < 0,0001), un risque cardiovasculaire élevé (OR = 1,68 [IC 95 % : 1,47-1,92] ; p < 0,0001), un IMC élevé (OR = 1,26 [IC 95 % : 1,111,44] ; p = 0,0004) ou une prise de poids récente (OR = 1,26 [IC 95 % : 1,10-1,43] ; p = 0,0006), étaient les paramètres les plus significatifs.
Influence du coût des traitements La plupart des MG participants (91 %) ont estimé que le coût du traitement n’avait pas une influence majeure dans leur décision thérapeutique (tableau III). Environ trois-quarts des MG participants connaissaient les recommandations HAS/ansm 2013, mais un peu moins de la moitié affirmaient les suivre dans leur pratique courante. Près de 60 % d’entre
Tableau II. Critères intervenant dans le choix de la stratégie thérapeutique. Paramètres
Considéré comme critère Considéré comme critère principal secondaire principal N = 5 892 N = 6 986 n (%) n (%)
Taux d’hémoglobine glyquée (HbA1c) Âge
3 665 (52,5)
1 797 (30,5)
808 (11,6)
1 629 (27,6)
Complications du diabète
782 (11,2)
1 778 (30,2)
Risque cardiovasculaire
637 (9,1)
1 845 (31,3)
Indice de masse corporelle (IMC)
316 (4,5)
1 645 (27,9)
Evolution de poids récente
296 (4,2)
1 096 (18,6)
Ancienneté du diabète
241 (3,4)
3 507 (59,5)
Risque d’hypoglycémie
139 (2,0)
676 (11,5)
Autre paramètres
102 (1,5)
161 (2,7)
eux les considéraient cependant adaptées à toutes les situations cliniques (tableau III).
Discussion • Dans cette étude observationnelle, les recommandations HAS/ansm 2013 ont eu peu d’influence sur les choix thérapeutiques des MG. Un traitement ne correspondant pas à l’arbre décisionnel a été choisi pour près de 60 % des situations cliniques évaluées. Le taux d’HbA1c, les complications microvasculaires, et une prise de poids récente, étaient les principales raisons expliquant ce choix. • La méthodologie des cas-vignettes (ou cas papier) est utilisée depuis des
années pour évaluer la pratique médicale [5]. Bien qu’elle ne tienne pas compte de la relation médecin-patient, elle présente l’avantage d’être fiable, rapide, et peu coûteuse [6]. Sa limite principale est qu’il s’agit d’une approche transversale, sans l’étape clinique d’évaluation du patient et des traitements qui peut conduire à des ajustements différents de la décision initiale. • L’individualisation des objectifs avec la répartition des seuils d’HbA1c cible ou les critères de choix des traitements, démontrent que cette notion, finalement assez récente, a bien été assimilée en pratique générale. Cependant, même si la cible d’HbA1c est ajustée en fonction des profils, elle reste principalement centrée autour de 7 %, alors que beaucoup de patients auraient pu bénéficier
Tableau III. Influence du coût du traitement sur la stratégie thérapeutique et connaissance des recommandations Haute Autorité de santé (HAS)/Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ansm) 2013.
Influence importante du coût du traitement dans la décision thérapeutique Oui, n (%) Non, n (%) Connaissance des recommandations HAS/ansm 2013 Oui, n (%) - Suivent les recommandations dans la pratique courante [ratio*, (%)] - Estiment qu’elles sont adaptées à toutes les situations cliniques [ratio*, (%)]
Médecins généralistes (MG) ayant répondu au cas-vignettes N = 748
Totalité des MG sollicités N = 1 196
66 (8,8) 682 (91,2)
111 (9,3) 1 084 (90,7)
582 (77,8)
883 (73,8)
274/575 (47,7)
437/870* (50,2)
326/551 (59,2)
503/836 (60,2)
* effectif ayant répondu « Oui » / effectif ayant répondu à la question.
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d’un objectif proche de 6,5 %. La crainte de l’hypoglycémie n’apparaît pas être un déterminant majeur pour la décision de l’objectif. Ce premier décalage des pratiques médicales par rapport aux recommandations provient probablement d’un effet mémoire des objectifs cibles fixés il y a quelques années, ou peut-être, de l’absence d’arguments convaincants dans la formation des médecins sur la nécessité des contrôles très stricts pour la prévention des complications. • En accord avec les recommandations, le traitement par la metformine en monothérapie a été poursuivi pour 88,5 % des cas. L’origine des décisions d’arrêt de ce traitement en l’absence d’intolérance ou de contre-indication n’est pas claire, mais il est vrai que cette situation n’avait pas clairement été anticipée lors de l’élaboration des questionnaires. Il est peu probable que ce choix d’arrêt ait été guidé par une absence d’efficacité, en accord avec les propositions du National Institute for Health and Care Excellence (NICE) en Grande-Bretagne [7] ou, plus récemment, de la Société Francophone du Diabète (SFD) [8].
L’association avec la metformine d’un sulfamide hypoglycémiant, recommandée de façon prioritaire par la HAS/ansm 2013 lors du passage à une bithérapie, a été prescrite majoritairement, mais seulement dans environ 20 % des cas, et pratiquement à égalité avec la prescription d’un i-DPP4. Pour cette dernière association, ce choix était en accord avec les propositions des recommandations HAS/ansm pour un nombre limité de cas (4,2 %), et essentiellement quand un risque d’hypoglycémie était signalé. Le choix de l’i-DPP4 par rapport aux sulfamides hypoglycémiants est actuellement justifié par leur efficacité, jugée identique par les études de comparaison directe, mais surtout, par l’absence de risque d’hypoglycémie et une bonne tolérance [9, 10]. Ce choix des MG apporte une confirmation, par l’expérience de la pratique, de l’avantage du bénéfice par rapport au risque de cette classe thérapeutique. Les recommandations HAS/ansm les reléguaient après les sulfamides hypoglycémiants du fait de leur coût et du manque de recul sur leur sécurité. Lorsque cette étude EVADIA a été réalisée, les données de
Les points essentiels • Les options thérapeutiques pour le diabète de type 2 (DT2) se sont enrichies, mais rendent la stratégie thérapeutique plus complexe. • Cette étude observationnelle réalisée en France fait un état des lieux des pratiques d’adaptation thérapeutique chez des patients DT2 déjà traités par metformine à dose maximale tolérée. • La méthode utilisée est celle des cas-vignettes (ou cas papier). Il s’agit de cas cliniques fictifs, mais concrets, et suffisamment précis pour permettre au médecin de visualiser des patients crédibles. • Cette étude montre qu’il existe en France un écart entre les recommandations de la Haute Autorité de Santé (HAS)/Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ansm) 2013 et les pratiques courantes de traitement du DT2. • La prise en compte des caractéristiques cliniques et du concept d’individualisation des options de traitement exerce un impact bien réel sur les pratiques de prise en charge thérapeutique des patients atteints de DT2. • En général, le médecin généraliste (MG) propose un traitement ne correspondant pas à l’arbre décisionnel des recommandations actuelles quand il l’estime nécessaire. • Plusieurs paramètres influençant les choix thérapeutiques permettent d’expliciter les écarts aux recommandations. Le taux d’hémoglobine glyquée (HbA1c), les complications microvasculaires, et une prise de poids récente, sont les principaux paramètres rendant compte de cette situation. • Curieusement, le risque d’hypoglycémie ne fait pas partie des préoccupations principales des MG.
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sécurité cardiovasculaire, très convaincantes, de cette classe thérapeutique, n’avait pas encore étaient publiées. Cette absence de donnée n’était, à l’évidence, pas un élément d’inquiétude pour les praticiens qui la prescrivaient déjà largement. L’impact du retrait de la rosiglitazone pour ses éventuels effets cardiovasculaires délétères et les précautions proposées depuis par les autorités de santé concernant tous les nouveaux antidiabétiques, ne semblent pas influencer le choix thérapeutique de nombre de MG français. Cette étude montre également que le coût n’est pas un facteur décisif du choix de traitement par rapport à la perception par le médecin de la situation médicale du patient ou du bénéfice/risque des traitements, en dépit des campagnes très actives des payeurs pour orienter les choix vers les molécules les moins onéreuses. • Curieusement, le risque d’hypoglycémie, qui est intuitivement un des critères de choix entre les différentes molécules, n’apparaît pas comme un élément important dans la décision des objectifs thérapeutiques et, plus globalement, dans les critères de gravité de la maladie pris en compte dans les décisions de modifications de traitement. Malgré les nombreuses données concordantes issues des grandes études, et les efforts de formation médicale concernant l’association entre les hypoglycémies sévères et la survenue d’événements graves [11], ce paramètre est manifestement encore trop négligé dans le cadre du soin de premier recours. Compte tenu de l’impact des accidents hypoglycémiques sur la qualité de vie des patients, et les surcoûts qu’ils engendrent, cette étude souligne la nécessité de renforcer la formation médicale sur ce sujet, qui pourrait être un thème prioritaire sélectionnés par les organismes officiels de formation. • Les MG auraient adressé leur patient à un diabétologue dans 35 % des cas. Cette fréquence est surprenante car, d’après les données disponibles en France, le recours au diabétologue est souvent tardif [12], et principalement lié à un déséquilibre glycémique sévère (HbA1c > 9 %). Les principales raisons évoquées par les MG pour ce retard sont les difficultés à obtenir un rendez-vous auprès
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d’un spécialiste, et la crainte de ne plus revoir le patient [12]. Notre résultat est d’autant plus surprenant que, pour ces patients (cas-vignettes), il ne s’agissait que d’une phase précoce de traitement (2e ligne), habituellement peu référés aux spécialistes. Un biais, en lien avec la présentation de ce type d’étude qui a pu être vécue comme un contrôle d’activité, est probable. Cette information témoigne cependant de la conscience de la nécessité d’un recours spécialisé précoce pour beaucoup de MG, surtout en présence de complications vasculaires, d’un risque cardiovasculaire élevé, d’un IMC élevé ou rapidement évolutif. Le contrôle glycémique n’apparait pas dans ces critères, suggérant que les MG ne sont peut-être pas assez conscients des risques associés à un taux d’HbA1c entre 7 et 9 % [12]. • La principale information de cette étude est que les MG français n’hésitent pas à proposer des nouvelles classes thérapeutiques aux patients si l’efficacité, la tolérance et la sécurité sont bonnes et, indépendamment des propositions officielles et du coût. Le décalage entre les mises à jour des recommandations HAS/ansm et la mise à disposition de nouvelles
Conclusion L’étude EVADIA montre clairement qu’il existe, en France, un écart entre les recommandations de la HAS/ansm 2013 et la pratique courante pour la prise en charge thérapeutique du DT2. Plusieurs paramètres cliniques exercent un effet réel sur les décisions thérapeutiques, illustrant l’adhésion à l’individualisation du traitement. En général, le MG va proposer un traitement ne correspondant pas à l’arbre décisionnel des recommandations quand il l’estime nécessaire. Le risque d’hypoglycémie n’apparait pas être un critère de choix important des traitements, et représente probablement un point de vigilance important à prendre en compte dans les programmes de formation continue.
molécules joue probablement un rôle important dans ces distorsions. La prise de position récente de la Société Francophone de Diabétologie (SFD) [8], qui sera actualisée tous les 2 ans sur le modèle d’autres sociétés savantes internationales, va dans un sens favorable en apportant un éclairage actualisé sur des éléments scientifiques pour les prescriptions et cautionner les choix des médecins dictés par l’expérience. Remerciements – Les auteurs remercient l’ensemble des médecins ayant participé à cette étude. – L’étude, réalisée en collaboration avec la société FAST4 (Nîmes, France), a été financée par AstraZeneca France. – La rédaction de la publication a été réalisée par Keyrus Biopharma, Levallois-Perret, France (Julie De Wever et Marie-Anne Thil). Ce soutien a été financé par AstraZeneca France. Déclaration d’intérêts – Michel Krempf déclare avoir reçu des honoraires occasionnels, à titre personnel ou institutionnel, pour des activités d’orateur, de conseiller scientifique, ou de recherche clinique, de la part des laboratoires Abbott, Amgen, AstraZeneca, Boehringer Ingelheim, Merck Sharp & Dohme (MSD), Novartis, Novo Nordisk, Sanofi. – Pierre Gourdy déclare avoir reçu des honoraires occasionnels, à titre personnel ou institutionnel, pour des activités d’orateur, de conseiller scientifique, ou de recherche clinique, de la part des laboratoires AstraZeneca, Bristol-Myers Squibb, Boehringer Ingelheim, Eli Lilly, GlaxoSmithKline, Janssen, Merck Sharp & Dohme (MSD), Novartis, Novo Nordisk, Sanofi, Servier, Takeda. – Jean Ferrières déclare avoir reçu des honoraires occasionnels, à titre personnel ou institutionnel, pour sa présence à des conférences en qualité d’intervenant au nom des laboratoires AstraZeneca, Amgen, Merck Sharp & Dohme (MSD), Sanofi.
Références [1] Organisation Mondiale de la Santé. Aidemémoire n°312 : Diabète. Novembre 2017. http:// www.who.int/mediacentre/factsheets/fs312/fr/. [2] Haute Autorité de Santé (HAS) ; Agence nationale de sécurité du médicament et
des produits de santé (Ansm). Stratégie médicamenteuse du contrôle glycémique du diabète de type 2. Recommandation de bonne pratique. Janvier 2013. Saint-Denis la Plaine: Haute Autorité de Santé. https://www.has-sante. fr/portail/upload/docs/application/pdf/201302/10irp04_reco_diabete_type_2.pdf [3] Eriksson JW, Bodegard J, Nathanson D, et al. Sulphonylurea compared to DPP-4 inhibitors in combination with metformin carries increased risk of severe hypoglycemia, cardiovascular events, and all-cause mortality. Diabetes Res Clin Pract 2016;117:39-47. [4] Foroutan N, Muratov S, Levine M. Safety and efficacy of dipeptidyl peptidase-4 inhibitors vs sulfonylurea in metformin-based combination therapy for type 2 diabetes mellitus: Systematic review and meta-analysis. Clin Invest Med 2016;39:E48-62. [5] Bachmann LM, Mühleisen A, Bock A, et al. Vignette studies of medical choice and judgement to study caregivers’ medical decision behaviour: systematic review. BMC Med Res Methodol 2008;8:50. [6] Peabody JW, Luck J, Glassman P, et al. Comparison of vignettes, standardized patients, and chart abstraction: a prospective validation study of 3 methods for measuring quality. JAMA 2000;283:1715-22. [7] National Institute for Health and Care Excellence (NICE). NICE guideline. Type 2 diabetes in adults: management (NG28). Published: 2 December 2015; last updated May 2017. London, UK; National Institute for Health and Care Excellence. https://www.nice.org.uk/guidance/ ng28/resources/type-2-diabetes-in-adults-management-1837338615493. [8] Darmon P, Bauduceau B, Bordier L, et al; Société Francophone du Diabète (SFD). Prise de position de la Société Francophone du Diabète (SFD) sur la prise en charge médicamenteuse de l’hyperglycémie du patient diabétique de type 2. Médecine des maladies Métaboliques 2017;11:577-93. [9] Halimi S, Quéré S, Dejager S. Intensification thérapeutique après la metformine chez les diabétiques type 2 en France : chez quels patients, quels éléments de choix, importance de l’âge des patients ? Étude ENVISAGE. Diabetes Metab 2013;39(Suppl.1):A59 [Abstract P1118]. [10] Penfornis A, Bourdel-Marchasson I, Quéré S, Dejager S. Real-life comparison of DPP4inhibitors with conventional oral antidiabetics as add-on therapy to metformin in elderly patients with type 2 diabetes: the HYPOCRAS study. Diabetes Metab 2012;38:550-7. [11] Zhuang XD, He X, Yang DY, et al. Comparative cardiovascular outcomes in the era of novel anti-diabetic agents: a comprehensive network meta-analysis of 166,371 participants from 170 randomized controlled trials. Cardiovasc Diabetol 2018;17:79. [12] Le Pautremat V, Bihan H, Cahen-Varsaux J, et al. Réflexions sur la prise en charge du diabétique de type 2 : les incompréhensions de l’alliance médecins généralistes-diabétologues. Médecine des maladies Métaboliques 2011;5:613-8.
Médecine des maladies Métaboliques - Septembre 2018 - Vol. 12 - N°5