Exposition à la violence en Smur

Exposition à la violence en Smur

Annales françaises d’anesthésie et de réanimation 21 (2002) 775–778 www.elsevier.com/locate/annfar Article original Exposition à la violence en Smur...

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Annales françaises d’anesthésie et de réanimation 21 (2002) 775–778 www.elsevier.com/locate/annfar

Article original

Exposition à la violence en Smur Exposure of French EMS providers to violence F.X. Duchateau *, M.F. Bajolet-Laplante, C. Chollet, A. Ricard-Hibon, J. Marty Service d’anesthésie-réanimation - Smur, hôpital Beaujon, 100, boulevard du Général Leclerc, 92110 Clichy, France Reçu le 12 février 2002; accepté le 22 juillet 2002

Résumé Objectifs : Évaluer le problème de la violence en Smur et réaliser une typologie des agressions. Type d’étude : Étude multicentrique, ouverte, descriptive. Patients et méthodes : Un questionnaire anonyme a été proposé à l’ensemble des équipes médicales de dix Smur d’Ile-de-France. Les paramètres recueillis étaient : les antécédents d’agressions physiques, leurs caractéristiques, leurs conséquences ainsi que les menaces physiques ou verbales ressenties depuis le début de l’exercice professionnel. Les résultats sont exprimés en pourcentage et en moyenne. Résultats : Deux cent soixante-seize questionnaires ont été recueillis. L’existence d’une ou plusieurs agressions était constatée dans 23 % des cas (n = 61) pour un nombre moyen d’années dans la fonction de 8 ± 7 ans. Les contusions représentaient 40 % des lésions (n = 17), les plaies 9 % (n = 4) et les fractures 2 % (n = 1). Seules 4 % des agressions avaient donné lieu à un arrêt de travail (n = 2), 6 % à une ITT (n = 3) et 15 % à un dépôt de plainte (n = 8). Parmi les agressions observées, 4 % avaient bénéficié d’un suivi psychologique post-traumatique (n = 2). Au total, 88 % des personnes avaient été menacées verbalement (n = 200), 41 % physiquement (n = 82), 13 % avec une arme blanche (n = 25) et 12 % avec une arme à feu (n = 23). Seulement 9 % des personnes avaient déjà bénéficié d’une formation dans ce domaine (n = 24). Conclusion : La violence en Smur est fréquente et le personnel soignant y est peu préparé. La mise en place de formations à la gestion en amont (désamorçage) et en aval (debriefing) devrait être favorisée. © 2002 E´ditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract Objectives: Evaluate the problem of violence in French EMS system and characterize assaults. Study design: Multicentric, descriptive, open study. Patients and methods: A questionnaire was given to a sample of prehospital care providers in Paris area. People were asked about assaults during their careers, typology of the assaults and consequences. Results are presented in percentage and means. Results: Two hundred seventy-six questionnaires were returned. One or more assaults were recounted by 23% (61/271) of the sample (median of 8 ± 7 years experience on the job). The injuries were bruises in 40% (17/43), wounds in 9% (4/43) and fractures in 2% (1/43). Only 4% of assaults were followed by sick leave, 15% by a complaint. After the assaults, 4% (2/45) reported having got therapy against post-traumatic stress disorder. Eighty-eight per cent reported verbal threat and 41% physical threat. Thirteen per cent (25/200) were threatened with a knife and 12% (23/200) with a gun. Only 9% (24/270) had a formal training for management of violence.

* Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (F.X. Duchateau). > Résultats présentés lors du 43e congrès de la Société française d’anesthésie et de réanimation, septembre 2001, Paris. © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. PII: S 0 7 5 0 - 7 6 5 8 ( 0 2 ) 0 0 7 9 6 - 7

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Conclusion: Formal training in the management of violent encounters and prevention of post-traumatic stress should be developed. © 2002 E´ ditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. All rights reserved. Mots clés: Violence; Préhospitalier Keywords: Violence; Prehospital

Les équipes soignantes sont depuis longtemps sensibilisées au problème de la violence aux urgences. Certaines structures ont vu la mise en place d’une démarche de lutte contre ce phénomène au travers de moyens logistiques et humains et de formations spécifiques du personnel. Un nombre relativement faible de données est disponible en médecine préhospitalière, d’autant plus exposée qu’elle fait intervenir le personnel soignant sur un terrain inconnu, potentiellement hostile, où le recours à un renfort est souvent incertain. Quelques études rétrospectives menées aux États-Unis ont tenté d’évaluer ce risque professionnel [1-4]. Mais le système paramédical américain est différent du système français (Samu) et la criminalité urbaine n’est pas la même. À ce jour, aucune étude n’a été réalisée en France. Les buts de cette étude menée en Ile-de-France ont été de permettre de caractériser en termes quantitatifs l’exposition du personnel des services mobiles d’urgence et de réanimation (Smur) à la violence, de dégager une typologie des agressions, d’évaluer si le personnel est préparé à ces situations, en vue de formuler les propositions pour la prévention primaire de ce risque mais aussi, en aval, pour la prévention des séquelles psychiques induites.

1. Patients et méthodes Il s’agit d’une étude multicentrique, ouverte, descriptive, réalisée d’octobre 2000 à octobre 2001. Un questionnaire anonyme a été réalisé et proposé à 14 Smur d’Île-de-France, tirés au sort. Dix Smur ont répondu au questionnaire. Il s’adressait à toutes les catégories de personnel participant aux interventions. Outre les éléments démographiques (âge, sexe, fonction exercée, nombre d’années dans la fonction), le questionnaire interrogeait chaque personne sur ses antécédents d’agression physique, leur typologie (agresseur, type de lésion, utilisation éventuelle d’une arme), leurs conséquences (arrêt de travail, dépôt de plainte, incapacité temporaire de travail (ITT), suivi psychologique) et cela depuis le début de l’exercice professionnel. Il s’intéressait également à la menace verbale et physique, en termes de fréquence, telle qu’elle était ressentie par les équipes. Les personnes étaient interrogées sur l’opportunité du recours aux forces de l’ordre en cas d’incident, leur sentiment de sécurité sur

intervention, l’existence ou non d’une procédure en cas d’agression dans le service et les occasions qu’elles ont eues ou non de bénéficier d’une formation sur le traumatisme psychique et ses conséquences. Dans chaque site, un interlocuteur référent était chargé de la diffusion du questionnaire, de son explication éventuelle et de sa collecte. Les résultats sont exprimés en moyenne ± DS pour les variables quantitatives et en pourcentage pour les variables qualitatives. L’analyse statistique a été effectuée par un test Chi2 pour les variables qualitatives et une Anova pour les variables quantitatives.

2. Résultats Les principaux résultats sont présentés dans le Tableau 1. Ainsi, 276 questionnaires ont été recueillis pour une population globale de 467 personnes. L’exhaustivité était de 59 %. Les différentes catégories de personnel ayant répondu au questionnaire étaient : des médecins dans 44 % des cas (n = 121), des infirmiers (IDE) et infirmiers-anesthésistes (IADE) dans 21 % des cas (n = 57), des ambulanciers dans 27 % des cas (n = 75) et les médecins en formation (internes et externes) dans 8 % des cas (n = 22). L’âge moyen était de 37 ± 7 ans, le sex-ratio était de 74 hommes pour 26 femmes. Le nombre moyen d’années dans la fonction était de 8 ± 7 ans. L’existence d’une ou plusieurs agressions physiques était constatée dans 23 % des cas (n = 61). Parmi ces agressions physiques, 66 % de ces personnes (n = 40) étaient agressées par le patient lui-même, 22 % par l’entourage (n = 13), 12 % par des tiers (n = 7). Dans la grande majorité des cas, les conséquences de l’agression ont été mineures puisque les contusions représentaient 40 % des lésions relatives à ces agressions (n = 17). Il s’agissait de plaies dans 9 % des cas (n = 4) et de fractures dans 2 % des cas (n = 1). Enfin, dans 49 % des cas (n = 21), il ne s’agissait ni de contusions, ni de fractures, ni de plaies. Seules 4 % des agressions avaient donné lieu à un arrêt de travail (n = 2) et 6 % à une ITT (n = 3). Les agressions avaient fait l’objet d’un dépôt de plainte dans 8 cas (15 %). Seules 4 % des agressions observées avaient bénéficié d’un suivi psychologique post-traumatique (n = 2).

F.X. Duchateau et al. / Annales françaises d’anesthésie et de réanimation 21 (2002) 775–778 Tableau 1 Principaux résultats

3. Discussion

Question

Réponse

(n)

(%)

Avez-vous déjà été victime d’une agression physique ? L’agression a-t-elle entraîné

Oui Non Des contusions Une plaie Une fracture Autre Oui Non Oui Non Oui Non Oui Non Oui Non Oui Non

61 210 17

23 77 40

4 1 21 2 43 8 45 2 43 25 175 23 177 24 246

9 2 49 4

L’agression a-t-elle été suivie d’un arrêt de travail ? L’agression a-t-elle fait l’objet d’un dépôt de plainte ? Avez-vous bénéficié d’un suivi psychologique post-traumatique ? Avez-vous déjà été menacé avec une arme blanche ? Avez-vous déjà été menacé avec une arme à feu ? Avez-vous déjà bénéficié d’une formation ? .

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15 4 13 87 12 88 9 91

L’agression verbale était jugée rare à très rare dans la majorité des cas (47 et 10 % respectivement), fréquente à très fréquente dans 33 et 8 % des cas respectivement, quotidienne dans 4 % des cas. Au total, 88 % des personnes (n = 200) avaient été menacées verbalement ; 41 % des autres avaient été agressés physiquement (n = 82), 13 % avec une arme blanche (n = 25) et 12 % avec une arme à feu (n = 23). Parmi les autres objets utilisés pour menacer les équipes, on retrouvait l’utilisation de bombes lacrymogènes, de tessons de bouteille, de battes de base ball, de chiens de type mollossoïdes. L’intérêt du recours aux forces de l’ordre était jugé de façon très hétérogène. Le sentiment de sécurité sur intervention était jugé le plus souvent bon dans 67 % des cas (n = 175), bon dans 28 % des cas (n = 73). Seulement 9 % des personnes avaient déjà bénéficié d’une formation dans ce domaine (n = 24). Parmi les mesures préventives proposées à la fin du questionnaire, la demande de formations spécifiques à la gestion de la violence était très largement exprimée. Le recours systématique aux forces de l’ordre dans les zones à risque était proposé par de nombreuses personnes. En revanche, certains, préférant leur intervention en seconde intention, avaient prôné l’existence d’une procédure de déclenchement rapide et discret d’un renfort en cas de problème avéré. En terme de fréquence des agressions, l’analyse comparative n’a pas montré de différence significative (χ2 = 3,8 ; p = 0,05) entre les hommes (50/192) et les femmes (10/69). Il n’existait aucune différence significative selon la catégorie de personnel, médical ou paramédical ni le secteur géographique.

Risque professionnel émergent à l’hôpital, la violence a jusqu’alors peu attiré l’attention en préhospitalier. Le cadre d’exercice très particulier des Smur a exclu ces services de l’intérêt porté actuellement à ce problème, alors que d’autres, comme certains services d’Urgences, ont déjà mené une réflexion et mis en place des moyens pratiques de vigilance, des formations spécifiques du personnel ainsi que des procédures en cas d’incident. La littérature tend à s’enrichir dans ce domaine depuis quelques années, constituée essentiellement d’enquêtes rétrospectives américaines. Dans une enquête menée en 1991 sur 4200 interventions en Caroline du Nord, 0,8 % de ces interventions présentent un caractère violent [1]. Les auteurs révèlent que seuls 50 % des techniciens de l’urgence préhospitalière (paramedics) interrogés déclarent disposer de protocoles pour la prise en charge des patients violents. Les moyens mis en œuvre sont le plus souvent des techniques d’autodéfense, comme l’attestent d’autres publications [2]. Une autre étude, publiée en 1998, menée au Nouveau Mexique auprès d’un échantillon de pompiers assurant les premiers secours et le transport des victimes, montre une très forte incidence d’événements (90 %) mais injures, agressions et actes violents sont regroupés [3]. Enfin, dans une étude menée en Californie auprès de paramedics intervenant en zone urbaine, 61 % des personnes rapportent avoir été agressées au cours de leur exercice professionnel, avec des lésions avérées dans 25 % des cas [4]. Il est intéressant de noter que 35 % déclarent posséder un protocole particulier en cas de situation violente. L’usage d’équipement de protection est rapporté dans 73 % des cas, certaines équipes disposant de gilet pare-balles. Le port d’une arme est rapporté dans 19 % des cas, il s’agit le plus souvent d’un couteau ou d’une arme à feu (21/490). Pour les auteurs, ces comportements témoignent d’un sentiment de sécurité sur intervention, qualifié de médiocre. Les mêmes auteurs ont publié plus récemment les résultats d’une enquête prospective qui montre l’existence de facteurs prédictifs de survenue de comportement violent et en particulier la présence de la police, la notion d’alcoolisation ou d’usage de drogues [5]. La problématique est bien différente en France et la médicalisation devrait permettre de privilégier le dialogue et le désamorçage de la violence plutôt que l’acquisition de techniques de défense. Même si cette attitude est déjà adoptée instinctivement par les équipes dans la plupart des cas, des formations spécifiques devraient permettre de structurer cette démarche. Notre enquête a montré une très forte demande de formations dans ce domaine et les résultats, en terme de fréquence, plaident en faveur d’une prise en considération de ce risque professionnel. Si tous les auteurs ont souligné le manque de formation et d’entraîne-

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ment à la gestion de situations de violence, les personnes interrogées dans notre enquête en ayant bénéficié représentaient un effectif bien plus réduit encore. Si une partie des personnes interrogées ont jugé souhaitable la présence systématique des forces de l’ordre sur place dans certains quartiers à risque ou pour certains motifs d’intervention, la majorité a semblé privilégier leur recours dans un deuxième temps, jugeant que leur intervention pouvait acutiser le phénomène. Ceci dit, l’amélioration des moyens permettant de déclencher rapidement ce type de renfort a été proposé par de nombreuses personnes, jugeant les moyens actuels peu pertinents. En effet, la nécessité de passer par la régulation du Samu, démarche potentiellement longue et délicate dans certaines situations, peut être très pénalisante pour une équipe en difficulté, ce d’autant qu’elle est inhabituelle et risque de ne pas donner lieu de manière immédiate à l’engagement de moyens adaptés. Enfin, certains ont souligné l’importance d’une distinction nette des différents services de secours (tenues, sérigraphie des véhicules), le caractère médical du Smur lui procurant une relative immunité, en opposition avec la police. Notre étude a montré également l’absence de procédure définie en cas d’agression dans la plupart des cas. Les suites ne sont en effet pas suivies d’une démarche définie, à l’image de ce qui a été mis en place dans d’autres secteurs d’activités mettant le personnel en contact avec le public (les transports, le secteur bancaire, notamment) : déclaration immédiate de l’accident de travail, accompagnement de la victime pour toutes les démarches judiciaires (dépôt de plainte, consultation dans une structure médico-judiciaire). Le suivi psychologique post-traumatique est parfois assuré par les cellules d’urgences médico-psychologiques (CUMP), liées aux Samu depuis 1997. Le plus souvent, les psychiatres et psychologues de ces CUMP sont tout à fait disponibles pour ce type de mission annexe. Du fait des limites attendues de l’autoquestionnaire, les conséquences psychologiques en terme d’éléments anxieux, dépressifs, psychotraumatiques, de retentissement sur la qualité de vie personnelle ou professionnelle n’ont pas fait l’objet de questions précises et n’ont donc pas pu être présentées en terme de fréquence. Toutefois, certaines victimes ont exprimé sous forme de commentaires un

certain nombre de manifestations propres au stress posttraumatique telles que les reviviscences et les conduites d’évitement. Les limites de cette étude sont tout d’abord la très probable sous-notification du phénomène, due à la banalisation des événements mineurs, intégrés comme des éléments habituels et liés à l’activité et le type même de l’enquête recherchant des faits parfois anciens. L’absence d’information relative aux non-répondants peut constituer également un biais méthodologique.

5. Conclusion Cette étude menée en Ile-de-France est une approche purement quantitative du problème de la violence en Smur. La méthodologie ne permet pas d’extrapoler les données en terme d’incidence mais les données recueillies semblent indiquer que le phénomène est fréquent. Le personnel médical et paramédical y est manifestement peu préparé. Cette enquête constitue un état des lieux qu’il faudrait faire suivre d’un recueil prospectif des événements, prenant en compte notamment les conséquences psychologiques à moyens et long termes et l’incidence sur le travail. La mise en place de formations spécifiques à la gestion des situations de violence et de vraies procédures d’intervention en cas d’événement devrait être favorisée : incitation au dépôt de plainte, facilitation pour l’ensemble des démarches, prise en charge psychologique systématiquement proposée.

Références [1] [2]

[3] [4] [5]

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