Fibrose rétropéritonéale et myélome multiple : association fortuite ?

Fibrose rétropéritonéale et myélome multiple : association fortuite ?

La Revue de médecine interne 31 (2010) e4–e6 Cas clinique Fibrose rétropéritonéale et myélome multiple : association fortuite ? Retroperitoneal fibro...

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La Revue de médecine interne 31 (2010) e4–e6

Cas clinique

Fibrose rétropéritonéale et myélome multiple : association fortuite ? Retroperitoneal fibrosis and multiple myeloma: Fortuitous association? I. Sinapi a , J. Caers b , T. Connerotte b , S. Koutaissoff c , M. Lambert a,∗ a

Service de médecine interne générale, cliniques universitaires Saint-Luc, université catholique de Louvain, avenue Hippocrate, 1200 Bruxelles, Belgique Service d’hématologie, cliniques universitaires Saint-Luc, université catholique de Louvain, avenue Hippocrate, 1200 Bruxelles, Belgique c Service de radiologie, cliniques universitaires Saint-Luc, université catholique de Louvain, avenue Hippocrate, 1200 Bruxelles, Belgique b

i n f o

a r t i c l e

Historique de l’article : Disponible sur Internet le 31 mars 2010 Mots clés : Fibrose rétropéritonéale Myélome multiple

r é s u m é La fibrose rétropéritonéale (FR) est une maladie inflammatoire et fibrosante du tissu rétropéritonéal périaortique, dont l’étiopathogénie reste mal comprise. Des données récentes suggèrent que la FR pourrait, dans certains cas, être l’expression particulière d’une dyscrasie lymphoplasmocytaire. Nous rapportons ici l’observation d’un homme de 59 ans présentant une FR associée à un myélome IgG lambda, et discutons les arguments physiopathologiques pouvant relier ces deux affections. Cette observation soulève l’hypothèse que l’association FR et dyscrasie plasmocytaire n’est peut-être pas fortuite. © 2010 Société nationale française de médecine interne (SNFMI). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

a b s t r a c t Keywords: Retroperitoneal fibrosis Multiple myeloma

We report a 59-year-old man presenting with retroperitoneal fibrosis (RF) associated with IgG lambda multiple myeloma. Recent clinical and immunohistochemical findings suggest that RF might be a particular expression of plasma cell/lymphoid dyscrasia, and that this association is not merely fortuitous. We review the pathophysiological evidence supporting this hypothesis. © 2010 Société nationale française de médecine interne (SNFMI). Published by Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

La fibrose rétropéritonéale (FR), également appelée péri-aortite chronique, est un processus inflammatoire et fibrosant rare du tissu rétropéritonéal engainant l’aorte abdominale et les organes adjacents tels que les uretères ou la veine cave inférieure [1]. La forme idiopathique de la maladie représente plus de deux tiers des cas. La FR peut cependant être secondaire à de nombreuses étiologies : néoplasies, infections, traumatismes, radiothérapie et prise de certains médicaments [2]. La physiopathologie de la FR idiopathique reste encore mal comprise. Elle pourrait être la conséquence d’une réaction inflammatoire autoallergique locale aux lipoprotéines oxydées de bas-poids moléculaire (LDL) et aux céroïdes qui sont présents dans les plaques athéromateuses de l’aorte abdominale, ou d’une vascularite des vasa vasorum de l’adventice aortique et des petits vaisseaux péri-aortiques rétropéritonéaux. Certaines observations indiquent que la FR pourrait aussi être la manifestation d’une maladie systémique auto-immune [2].

∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (M. Lambert).

Plus récemment, la constatation d’une incidence accrue de lymphomes malins survenant après un diagnostic initial de FR idiopathique ainsi que des études immuno-histochimiques de biopsies de tissus fibreux péri-aortiques ont fait évoquer l’hypothèse d’un désordre primaire des lymphocytes B pouvant contribuer à la pathogénie de la maladie ou, à l’inverse, d’une prédisposition de la FR à la survenue de lymphomes malins [3,4]. Si des cas de lymphomes B associés à une FR ont déjà été rapportés, des myélomes multiples liés à cette affection ne l’ont été que très rarement. Nous décrivons ici un nouveau cas d’une telle association. 1. Observation Un homme de 59 ans, avec pour seul antécédent une bronchopneumopathie chronique obstructive post-tabagique, était hospitalisé pour des douleurs lombaires intenses apparues deux jours plus tôt au décours de travaux de jardinage. En dehors du tableau algique, l’examen clinique était sans particularité. Il existait un syndrome inflammatoire avec une protéine C réactive à 52 mg/L, et il était mis en évidence une gammapathie monoclonale IgG lambda (24,3 g/L) associée à une diminution du taux d’IgA (360 mg/L), sans protéinurie de Bence Jones. La fonction rénale

0248-8663/$ – see front matter © 2010 Société nationale française de médecine interne (SNFMI). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.revmed.2009.04.011

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hypermétabolique au FDG-TEP-scan. Le diagnostic de FR associée à un myélome multiple à IgG lambda de stade IA était posé. Les lombalgies du patient étaient attribuées à la hernie discale et s’amélioraient spontanément au bout d’une semaine. Pour des raisons éthiques, aucune biopsie du tissu péri-aortique n’était réalisée. Étant donnés le caractère asymptomatique du myélome et l’absence de complication locorégionale de la FR, aucun traitement systémique n’était administré. Lors du contrôle à six mois, la FR n’avait pas progressé et le myélome restait quiescent. 2. Discussion

Fig. 1. Examen tomodensitométrique (coupe transversale). Autour de l’aorte opacifiée (étoile), infiltration hypodense de la graisse rétropéritonéale (flèche blanche) correspondant à de la fibrose. Veine cave inférieure (triangle).

était normale (créatininémie à 8 mg/L) de même que la calcémie (88 mg/L), l’albuminémie (37 g/L) et l’hémogramme (hémoglobine 12,3 g/dL, leucocytes 11 000/mm3 , plaquettes 306 000/mm3 ). À la ponction-biopsie médullaire, la moelle osseuse était infiltrée par des plasmocytes anarchiques (27 %). Le diagnostic de myélome multiple à IgG lambda était posé, de stade IA selon la classification de Salmon et Durie et de stade I selon l’International Staging System. Aucune anomalie chromosomique (délétion (13q14), réarrangement IgH, délétion (17p13)) n’était détectée par l’interphase FISH. L’imagerie par résonance magnétique de la colonne lombaire ne mettait en évidence aucune lésion lytique mais révélait une hernie discale en L3-L4 ainsi qu’un processus tissulaire de 9 mm d’épaisseur autour de l’aorte abdominale sous-rénale légèrement ectasique (diamètre 25 mm), s’étendant sur une hauteur de 7 cm vers la bifurcation iliaque sans engainement des uretères (Fig. 1 et 2). Ce tissu péri-aortique apparaissait fortement

Cette observation décrit un cas de FR associé à un myélome multiple IgG lambda. À ce jour, seules trois observations similaires ont été rapportées. Le premier patient était un homme âgé de 72 ans présentant une FR compliquée d’insuffisance rénale secondaire à une urétéro-hydronéphrose bilatérale, et un myélome à chaîne légère kappa [5] ; le second, un homme de 58 ans, était admis pour sub-occlusion causée par une FR et présentait simultanément un myélome multiple à IgG lambda de stade III [6] ; le dernier patient était une femme de 59 ans, ayant dans ses antécédents un lymphome non hodgkinien qui développait une FR en même temps qu’une récidive de son lymphome folliculaire et un myélome multiple latent à IgG lambda [7]. Dans tous les cas, comme dans notre observation, l’examen immuno-histochimique du tissu rétropéritonéal n’a pu être réalisé. L’association FR et hémopathie maligne pourrait n’être que fortuite, mais les observations de lymphome malin faisant suite à un diagnostic initial de FR idiopathique suggèrent que cette maladie inflammatoire fibrosante pourrait rentrer dans le cadre plus large des dyscrasies lymphocytaires et prédisposer à l’apparition de lymphomes malins de bas grade [3,4]. Plus récemment, des études anatomopathologiques sur des biopsies de FR idiopathique ont montré la présence de lymphocytes, de cellules plasmocytaires, d’histiocytes et de granulocytes, parfois associés à des follicules lymphocytaires à l’intérieur du tissu conjonctif fibreux [3]. En immuno-histochimie, la présence de réarrangements clonaux ou oligoclonaux des chaînes lourdes d’immunoglobulines au sein du tissu de FR a pu être démontrée [3]. Ces résultats suggèrent que la FR pourrait faire partie du spectre des dyscrasies lymphocytaires. Inversement, une inflammation rétropéritonéale chronique pourrait engendrer une prolifération lymphocytaire monoclonale, qui représenterait un stade précoce d’hémopathie lymphoïde maligne, un mécanisme similaire à la physiopathologie des lymphomes du manteau (MALT) [2]. De plus, les néoplasies lymphocytaires peuvent mimer la FR, comme dans l’observation de Chim et al. chez un patient qui présentait un lymphome diffus à cellules B [8]. L’imagerie contribue à différencier la fibrose d’une infiltration lymphocytaire. La tomodensitométrie est l’examen de choix. La FR idiopathique est confluante, entourant sans les déplacer les parois antérieures et latérales de l’aorte, et encerclant la veine cave inférieure, alors que l’atteinte rétropéritonéale maligne tend à déplacer l’aorte abdominale vers l’avant et les uretères latéralement [1]. Comme cela a déjà été rapporté [9], le tissu fibreux rétropéritonéal chez notre patient apparaissait hypermétabolique au FDG-TEP-scan. 3. Conclusion

Fig. 2. Examen tomodensitométrique (reconstruction frontale). Infiltration du tissu graisseux rétropéritonéal périaortique (flèches blanches), débutant en-dessous des artères rénales (flèches noires) et s’étendant jusqu’à la bifurcation aortique. Aorte opacifiée (étoile).

En l’absence de biopsie du tissu péri-aortique, nous ne pouvons que supposer que la FR soit ici l’expression particulière d’une dyscrasie plasmocytaire. Cette association pourrait également être fortuite, la FR résultant d’un processus inflammatoire autour d’une aorte ectasique et athéroscléreuse. Néanmoins, en cas de FR, la présence d’une dyscrasie plasmocytaire pourrait être systémati-

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quement recherchée. L’utilisation de plus en plus fréquente du TEP-scan dans le bilan du myélome [10] permettra de savoir, dans un futur proche, si l’association des deux affections est confirmée. 4. Conflit d’intérêt Aucun. Références [1] Vaglio A, Greco P, Corradi D, Palmisano A, Martorana D, Ronda N, et al. Autoimmune aspects of chronic periaortitis. Autoimmunity Rev 2006;5:458–64. [2] Vaglio A, Salvarani C, Buzio C. Retroperitoneal fibrosis. Lancet 2006;367:241–51. [3] Oshiro H, Ebihara Y, Serizawa H, Shimizu T, Teshima S, Kuroda M, et al. Idiopathic retroperitoneal fibrosis associated with immunohematological abnormalities. Am J Med 2005;118:782–6.

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