Neuro-imagerie
Feuillets de Radiologie, 2005, 45, n° 6, 456-459 © Masson, Paris 2005
Fiche pratique Fiche n°° 3 : Dissection des artères cervicales M. EDJLALI, O. NAGGARA, M.-P. GOBIN METHEIL , H. MOULAHI , C. OPPENHEIM, J.-F. MEDER
L’incidence annuelle des dissections symptomatiques des artères cervico-céphaliques est relativement importante puisqu’elle est estimée à 3 pour 100 000 habitants, survenant le plus souvent chez le sujet jeune (pic 40-45 ans). Leur diagnostic, qu’il est nécessaire de faire rapidement en raison des risques de complications ischémiques, repose très largement sur les données de l’imagerie [1]. QUAND Y PENSER ? Devant un AVCI Systématiquement, devant un accident vasculaire cérébral ischémique (AVCI) survenant chez un sujet jeune. La dissection des artères cervicales représente en effet la cause principale des AVCI du sujet de moins de 45 ans. Elle s’exprime dans 25 % des cas par un accident ischémique transitoire (cécité monoculaire transitoire…). Lorsque existent des signes locaux Ils sont présents chez 75 % des patients et précèdent les signes ischémiques [2]. Douleur : elle constitue le premier point d’appel clinique dans 50-70 % des cas et peut d’ailleurs être l’unique symptôme ; il s’agit de cervicalgies ou hémicrânies homolatérales à la dissection, avec parfois irradiation ascendante, de douleurs faciales en cas de dissection carotidienne, de douleurs nucales ou occipitales en cas de dissection de l’artère vertébrale. Atteinte nerveuse : un syndrome de Claude BernardHorner (ptosis, myosis, enophtalmie) traduit l’atteinte des fibres sympathiques post-ganglionnaires péricarotidiennes cervicales et/ou pétro-caverneuses (fig. 1). Même si ce syndrome n’est pas synonyme de dissection (une atteinte des fibres sympathiques pré-ganglionnaires de la région sousthalamique à la moelle thoracique supérieur, comme dans le syndrome de Wallenberg, peut donner un Claude BernardHorner), celle-ci doit systématiquement être évoquée. Il est le premier signe d’appel dans 10-20 % des cas. Associé à une cervicalgie, il signe le diagnostic de dissection de l’artère carotide interne jusqu’à preuve du contraire. Une paralysie des nerfs crâniens IX, X, XI, XII homolatéraux à la dissection est possible.
Fig. 1. — Patient de 32 ans, cervicalgies brutales spontanées, associées à un syndrome de Claude Bernard-Horner droit. Pas de déficit neurologique. IRM, coupe axiale cervicale en séquence pondérée T1 après saturation du signal de la graisse. Image « en croissant » élargissant le diamètre externe de l’artère carotide interne droite. La lumière circulante est visible en asignal.
Acouphènes : inaugurant aussi bien les dissections carotides que de l’artère vertébrale dans 2-10 % des cas. Dans les suites d’un traumatisme cervical Lorsque le tableau clinique s’installe dans les suites d’un traumatisme cervical ou crânien ; toutefois, les dissections sont le plus souvent spontanées ou surviennent après un traumatisme mineur, un effort de toux, de vomissement, une activité banale de la vie quotidienne entraînant une hyperextension et une rotation du cou [3]. À la suite d’une maladie du tissu conjonctif Lorsque le patient est atteint d’une maladie du tissu conjonctif (dysplasie fibromusculaire, maladie de Marfan, ostéogenèse imparfaite, pseudoxanthome élastique, syndrome de Ehlers-Danlos).
Département d’imagerie morphologique et fonctionnelle, Centre hospitalier Sainte-Anne, 1, rue Cabanis, 75675 Paris Cedex.
POURQUOI LE BILAN D’IMAGERIE EST-IL URGENT ?
Correspondance : O. Naggara, à l’adresse ci-dessus. E-mail :
[email protected]
Les complications ischémiques expliquent la nécessité d’un bilan d’imagerie en urgence ; en effet, 80 % des acci-
FICHE N ° 3 : DISSECTION DES ARTÈRES CERVICALES
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dents ischémiques surviennent précocement dans les 15 premiers jours. Cet intervalle est la période privilégiée pour prévenir la constitution d’un AVCI. Outre les dissections révélées par des signes locaux unilatéraux, des formes multiples représentent 15 à 25 % des cas. Les dissections de l’artère vertébrale sont bilatérales dans 40 à 60 % des cas, et associées à une dissection carotidienne dans 30 % des cas. Les dissections de l’artère carotide sont bilatérales dans 10 à 30 % des cas. Ces dissections multiples peuvent s’associer de façon concomitante ou décalée dans le temps. Cette implication de deux, trois, voire les quatre axes cervicoencéphaliques doit être recherchée de façon systématique par l’imagerie [4].
(accélération des vitesses circulantes ou obstacle hémodynamique sévère). La sensibilité du Doppler est quasiment de 100 % en cas de sténose serrée ou d’occlusion, seulement de 80 % en cas de sténose modérée.
QUEL BILAN D’IMAGERIE ?
Imagerie en coupes
Le bilan d’imagerie comporte une étude de l’encéphale et celle des vaisseaux cervicaux. Seul ce bilan sera envisagé ici, l’exploration en IRM de l’ischémie cérébrale sera envisagée dans la « fiche Neuro-imagerie n° 4 ». L’exploration des vaisseaux cervico-encéphaliques repose aujourd’hui sur des méthodes non invasives, l’angiographie numérisée n’a plus d’indication. Rappelons d’abord les caractéristiques anatomiques principales des dissections cervicales : — elles se présentent sous trois formes : sténosante, la plus fréquente, ou occlusive, selon que l’hématome réduit ou occlut la lumière artérielle ; anévrismale lorsqu’il communique avec la lumière artérielle ; — à l’étage cervical, à la différence des localisations intra-crâniennes, sous-adventicielles, les dissections sont sous-intimales et donc la rupture de la paroi n’est pas à redouter ; — les dissections de l’artère carotide interne respectent la bifurcation et débutent au dessus du bulbe de l’artère, le plus souvent en regard des deux premières vertèbres cervicales ; — les dissections de l’artère vertébrale touchent par ordre de fréquence décroissante le segment V3 (moitié à deux tiers des cas), atloïdo-axoïdien, puis le segment V2, inter-transversaire (C6 à C3) ; les dissections du segment V1, pré-vertébral, sont exceptionnelles. Explorations ultrasonores ÉCHOGRAPHIE CERVICALE Elle a pour objectif de montrer l’hématome pariétal, hypoéchogène ou isoéchogène, qui élargit le calibre externe de l’artère et réduit, en cas de forme sténosante, sa lumière. Elle peut être mise en défaut dans les formes occlusives qui n’ont pas, en dehors d’un diamètre externe augmenté, de caractéristiques échographiques spécifiques. La sensibilité de l’échographie seule est de 75 % environ et la visualisation d’un double chenal et d’un hématome pariétal n’est que de 30 %. DOPPLER CERVICAL Il montre le retentissement hémodynamique de l’hématome pariétal en particulier lorsque la dissection siège dans un segment artériel inaccessible à l’échographie ; toutefois, il n’y a pas de spécificité des signes observés en Doppler
DOPPLER TRANS-CRÂNIEN Il a pour but d’apprécier l’incidence hémodynamique des lésions cervicales et les possibilités de suppléances offertes par le polygone de Willis. Le bilan ultrasonore est le plus souvent complété par une autre méthode d’imagerie, en raison de l’impossibilité d’étudier les axes artériels sur toute leur longueur et de son caractère opérateur-dépendant.
TECHNIQUES Scanner : la dissection est exceptionnellement visible sur un simple scanner cérébral avec injection. Cet examen ne sera pas proposé en première intention afin d’affirmer le diagnostic de dissection artérielle cervicale. IRM : à l’étage cervical, des coupes fines en pondération T1 avec saturation du signal de la graisse sont indispensables, éventuellement couplées à des coupes en pondération T2, acquises dans le même plan et au même niveau. RÉSULTATS Les formes sténosantes se traduisent en scanner par une image en cocarde de diamètre supérieur à celui de l’artère saine : prise de contraste adventitielle, hématome pariétal et lumière artérielle, excentrée et de petit calibre, rehaussée par le produit de contraste. En IRM, l’hématome, en forme de croissant excentré par rapport à la lumière circulante résiduelle, a un signal évoluant comme celui de tout hématome (cf. la fiche de Neuro-imagerie n° 1 [5]) ; il est rapidement en hypersignal mais peut passer inaperçu à la phase hyperaiguë. Il peut exister des faux négatifs lorsque la dissection est très localisée et des faux positifs liés à l’existence de plexus veineux qui entourent l’artère vertébrale. Le diagnostic des formes occlusives peut être plus difficile et ne repose que sur une augmentation de calibre, par rapport à l’artère controlatérale. La sensibilité diagnostique est d’environ 80 % pour les artères carotides, plus faible pour les vertébrales. Imagerie vasculaire TECHNIQUES Angioscanner : il s’agit d’un examen rapide et fiable qui permet une étude simultanée des artères cervicales et du polygone. L’analyse des artères vertébrales peut être difficile et des artefacts, en particulier de déglutition, sont parfois gênants. L’angioscanner, dont les images ne sont pas dépendantes d’artéfacts liés à la réduction du flux, a une place pour la distinction entre occlusion et sub-occlusion [6]. Angiographie par résonance magnétique (ARM) : la technique 3D TOF (Time Of Flight) montre à la fois la lumière sténosée et, du fait de sa pondération T1, l’hématome sous la forme d’un hypersignal allongé. La résolution de l’ARM 3D TOF est relativement satisfaisante toutefois
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M. EDJLALI ET COLLABORATEURS
des artefacts peuvent en gêner l’interprétation : mouvements (durée de l’acquisition), graisse (pondération T1). L’ARM avec injection de gadolinium présente, par rapport à la technique précédente les avantages suivants : elle permet un plus large volume d’exploration, le temps acquisition est très court, les artefacts de flux peu nombreux, et la distinction est possible entre occlusion et sub-occlusion (fig. 2). RÉSULTATS Les techniques d’imagerie vasculaire montrent : — dans les formes sténosantes, une réduction allongée de la lumière artérielle, irrégulière. Le diamètre artériel est souvent augmenté par rapport au côté opposé ou à un segment adjacent non disséqué ; — dans les formes occlusives, une occlusion effilée, en flamme de bougie ; — dans les formes anévrismales, une image d’addition. Au total, la place des examens non invasifs est prépondérante, en particulier en cas de dissection carotide. L’association d’un examen morphologique recherchant un hématome de paroi (échographie, IRM) et d’un examen donnant des signes indirects (Doppler, imagerie angiographique) ou hémodynamiques (Doppler) semble une pratique appropriée [7].
QUELLE EST LA PLACE DE L’IMAGERIE DANS LE SUIVI ? Le pronostic des dissections des artères cervicales dépend de l’existence d’un AVCI et de sa sévérité. En l’absence de complications ischémiques, les dissections cervicales sont de bon pronostic. Les formes sténosantes évolue habituellement vers le retour à la normale en 6 mois environ dans 90 % des cas ; seules des irrégularités pariétales peuvent persister chez un tiers des patients. La restitution ad integrum est plus rare en cas de formes occlusives mais une recanalisation s’observe dans deux tiers des cas. En ce qui concerne les formes anévrismales, la disparition de la poche est possible ; toutefois, à la différence des dissections des artères intracrâniennes, susceptibles de se rompre, les localisations cervicales sont de siège sous-intimal et la rupture de l’artère n’est jamais à redouter. Enfin, les récidives sont rares, leur taux étant inférieur à 1 % par an et se font exceptionnellement sur le même vaisseau. Aucun consensus n’est actuellement établi à propos du suivi radiologique des patients. Un contrôle en imagerie de la dissection cervicale ainsi qu’une imagerie cérébrale à 2 mois (pour rechercher une éventuelle aggravation des lésions) puis à 6 mois (pour vérifier la normalisation de la paroi artérielle), semble judicieux ; l’IRM est l’examen le plus adapté. En cas de persistance d’une lésion, un suivi au-delà de 6 mois est discuté, l’artère disséquée ne semblant plus se modifier.
Références
A B
Fig. 2. — ARM des troncs supra aortiques après injection de gadolinium. Forme sténosante (A) avec une réduction de calibre progressive de la lumière circulante de l’artère carotide interne, en « queue de radis ». Notez le respect du bulbe carotidien. Forme anévrysmale (B) avec image d’addition sur l’artère carotide interne pré pétreuse (flèche). Seconde dilatation anévrysmale du segment caverneux (tête de flèche).
1. Biousse V, Guillon B, d’Anglejan-Chatillon J, Bousser MG. Dissections des artères cervicoencéphaliques extra-et intracrâniennes. Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), Neurologie 1999 ; 17-046-B10 : 10 p. 2. Touzé E, Gauvrit JY. Histoire naturelle des dissections des artères cervicales. J Neuroradiol 2002 ; 29 : 251-6. 3. Guillon B, Levy C, Bousser MG. Internal carotid artery dissection: an update. J Neurol Sci 1998; 153: 146-58. 4. Touzé E, Oppenheim C, Zuber M, Meary E, Meder JF, Mas JL. Early asymptomatic recurrence of cervical artery dissection: three cases. Neurology 2003; 61: 572-4. 5. Petkova M, Naggara O, Gauvrit JY, Hamon M, Oppenheim C, Meder JF. Hématome cérébral spontané (fiche Neuro-imagerie n° 1). Feuillets de Radiologie 2005 ; 45 (cahier 1) : 217-20. 6. Leclerc X, Godefroy O, Salhi A, Lucas C, Leys D, Pruvo JP. Helical CT for the diagnosis of extracranial internal carotid artery dissection. Stroke 1996; 27: 461-6. 7. Trystram D, Dormont D, Gobin Metteil MP, Iancu Gontard D, Meder JF. Imagerie des dissections des artères cervicales : enquête multicentrique et revue de la littérature. J Neuroradiol 2002 ; 29 : 257-63.
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TEST DE FORMATION MÉDICALE CONTINUE Dissection des artères cervicales (fiche n°3 Neuro-imagerie)
M. EDJLALI, O. NAGGARA, M.-P. GOBIN METHEIL, H. MOULAHI, C. OPPENHEIM, J.-F. MEDER
Qu’avez-vous retenu de cet article ? Testez si vous avez assimilé les points importants de l’article en répondant à ce questionnaire sous forme de QCM. 1. Quelle est la proposition exacte :
2. Quelle est la proposition fausse :
A : La dissection se présente généralement comme une lésion de la carotide ; B : La rupture est exceptionnelle car la dissection est sous-intimale ; C : L’artère carotide est en général disséquée en dehors de la bifurcation ; D : Le segment V2 (intertransversaire de C6 à C3) de l’artère vertébrale est le plus exposé à cause de l’environnement osseux ; E : Le taux de récidive après guérison est de 20 à 30 % par an.
A : Un syndrome de Claude Bernard Horner associé à une cervicalgie est un signe très évocateur de dissection de l’artère carotide ; B : L’existence d’une maladie de Marfan est un élément de suspicion ; C : Les signes cliniques locaux précédent les signes ischémiques ; D : Le traumatisme cervical ou crânien est la circonstance étiologique la plus fréquente ; E : 80 % des accidents ischémiques surviennent dans les 15 jours après installation de la dissection.
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Réponses : p. 460
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