Fièvre et anesthésie péridurale au cours du travail obstétrical

Fièvre et anesthésie péridurale au cours du travail obstétrical

Le Praticien en anesthésie réanimation (2013) 17, 20—25 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com MISE AU POINT Fièvre et anesthésie péridural...

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Le Praticien en anesthésie réanimation (2013) 17, 20—25

Disponible en ligne sur

www.sciencedirect.com

MISE AU POINT

Fièvre et anesthésie péridurale au cours du travail obstétrical Maternal fever and epidural analgesia during labour Marie-Pierre Bonnet a,∗,b,1, Hadrien Reyre a a

Département d’anesthésie-réanimation, hôpital Cochin, hôpitaux universitaires Paris Centre, 27, rue du Faubourg-Saint-Jacques, 75014 Paris, France b Inserm U953 recherche épidémiologique en santé périnatale et santé des femmes et des enfants, 53, avenue de l’Observatoire, 75014 Paris, France

MOTS CLÉS Analgésie péridurale ; Travail obstétrical ; Fièvre

KEYWORDS Epidural analgesia; Labour; Fever

∗ 1

Résumé Bien que non formellement prouvé, le lien de causalité entre fièvre et analgésie péridurale obstétricale est généralement accepté en raison d’une abondante littérature en sa faveur. La physiopathologie est encore mal connue. La possibilité d’une inflammation, notamment placentaire, constituerait le mécanisme physiopathologique le plus probable. La fièvre au cours du travail obstétrical associée à l’analgésie péridurale, bien que bénigne la plupart du temps, augmente le nombre de procédures maternelles et fœtales. De plus, elle pourrait avoir des conséquences délétères sur l’enfant, notamment en favorisant les complications neurologiques néonatales. À ce jour, aucune thérapeutique préventive ou curative ne peut être recommandée vis-à-vis de la fièvre au cours du travail. En effet, il n’existe ni preuves formelles d’impacts négatifs sur la mère et l’enfant, ni traitement ayant fait la preuve de son efficacité dans cette indication. Le sujet est donc encore ouvert à de nombreuses questions de recherche. © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Summary Though strong evidences of causality or clear pathophysiological explanations are missing, an association between labour epidural analgesia and maternal fever has been reported in numerous studies. An inflammatory mechanism, especially placental inflammation, is the most commonly accepted theory. Most of the time, maternal fever associated with labour epidural analgesia has no severe consequence, yet it increases the number of invasive procedures performed in mothers and new-borns. Moreover, it could be considered as a risk factor of

Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (M.-P. Bonnet). Photo.

1279-7960/$ — see front matter © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.pratan.2012.12.004

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complications, especially neurological impairment of the newborn. Nowadays, no prophylactic or curative treatment can be recommended, as there is no proof of a real negative impact on mother and child, and no effective treatment against maternal fever related to labour epidural analgesia has been documented so far. Consequently, there is still a need of future research on this topic. © 2013 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

La version audio de cet article est disponible en podcast (Matériel complémentaire, Annexe 1 en fin d’article).

péridurale, les différentes hypothèses physiopathologiques évoquées, les conséquences sur la mère et l’enfant, et enfin la conduite à tenir.

Fièvre et péridurale : mythe ou réalité ? POINTS ESSENTIELS • L’incidence de la fièvre associée à l’analgésie péridurale est variable selon les études. • Les liens de causalités entre fièvre et analgésie péridurale ne sont pas totalement prouvés, notamment du fait d’une physiopathologie non encore clairement élucidée. • Un mécanisme pro-inflammatoire, notamment placentaire serait le plus probable. • À l’inverse, l’hypothèse infectieuse doit être abandonnée. • La fièvre au cours du travail a un impact indirect certain sur la mère et l’enfant par modification de la prise en charge obstétricale et néonatale. • La fièvre jouerait le rôle de facteur favorisant la survenue chez l’enfant, d’effets délétères, notamment neurologiques, sans qu’une preuve formelle n’ait été établie. • Aucun traitement préventif ou curatif de la fièvre puerpérale n’a fait la preuve de son efficacité et ne peut donc être recommandé à ce jour.

Introduction La fièvre représente un symptôme fréquent au cours du travail obstétrical. Elle est définie par une élévation de la température tympanique au-delà de 38 ◦ C. Elle peut avoir des étiologies diverses, les infections maternofœtales, en particulier la chorioamniotite, étant les plus redoutées. L’élévation de la température maternelle au cours du travail serait associée à la présence d’une analgésie péridurale, sans que les liens de causalité et les mécanismes physiopathologiques de cette association ne soient totalement élucidés. L’impact de cette élévation de température maternelle liée à l’analgésie péridurale a pendant longtemps été sous-estimé. Cependant, des études récentes montrent que la fièvre associée à la péridurale pour analgésie obstétricale aurait des effets secondaires significatifs à la fois chez la mère et chez l’enfant. Dans cette revue, nous aborderons l’épidémiologie de la fièvre au cours du travail en lien avec une analgésie

L’incidence de la fièvre au cours du travail obstétrical chez les parturientes soulagées par une analgésie péridurale varie entre 2 % et 46 % selon les études, les différences de caractéristiques des populations entre chaque étude étant très probablement à l’origine de cette variation [1]. La première description d’une association entre fièvre et analgésie péridurale au cours du travail obstétrical a été rapportée par Fusi et al. en 1989 [2]. Dans ce travail, une augmentation progressive de la température, en moyenne de 1 ◦ C sur sept heures, était observée chez les femmes qui bénéficiaient d’une analgésie péridurale, alors que la température restait constante chez celles accouchant sans péridurale et traitées par péthidine injectée en intramusculaire à la demande. L’association entre fièvre et analgésie péridurale au cours du travail a ensuite été retrouvée dans de nombreuse essais observationnels ou rétrospectifs comparant la température maternelle entre des femmes ayant eu une péridurale à celles qui n’en bénéficiaient pas, en général par choix personnel [3—6]. Du fait de la conception de ces études, le lien de causalité entre la péridurale et l’élévation de la température ne peut être prouvé. En effet, des biais de sélection et des biais d’indication peuvent influencer les résultats, les femmes choisissant une péridurale pouvant aussi être celles plus à risque d’hyperthermie (travail long, durée prolongée de l’ouverture de l’œuf, examens cervicaux répétés). Une étude prospective observationnelle récente a même remis en question le lien entre hyperthermie et péridurale [7]. Cette étude, qui comparait l’allure de la courbe de température avant la pose de péridurale et après, ne retrouvait pas de différence significative. Cependant, des essais randomisés ont aussi démontré une association significative entre élévation de la température maternelle et analgésie péridurale [8—11]. Ces études randomisées sur la technique d’analgésie ne sont pas non plus totalement dénuées de biais, en particulier du fait de l’absence d’aveugle des obstétriciens vis-à-vis de la péridurale, pouvant influencer la prise en charge obstétricale (examens du col répétés, rupture artificielle des membranes, travail dirigé par ocytocine, plus fréquemment réalisés en cas d’analgésie péridurale qu’en son absence). De plus, l’élévation de la température en moyenne au cours du temps pourrait être due à un artéfact de mesure, la température moyenne étant calculée parmi une majorité de femmes dont la température n’est pas modifiée au

22 cours du travail et une minorité qui développent une fièvre. Cependant, ces études randomisées mettent également en évidence une différence significative concernant la survenue de fièvre au cours du travail et pas uniquement une différence entre les températures moyennes. Ainsi, bien qu’aucune étude ne soit totalement dépourvue de biais, devant l’abondance des travaux qui mettent en évidence une association positive entre péridurale et hyperthermie au cours du travail (notamment la quasi-totalité des essais randomisés contrôlés), l’existence d’un lien de causalité est hautement probable. La compréhension des mécanismes physiopathologiques est un élément majeur pour pouvoir définitivement conclure à une causalité.

Hypothèses physiopathologiques La physiopathologie de la fièvre associée à l’analgésie péridurale obstétricale reste encore mal connue actuellement. La fièvre est due à un ajustement de la température centrale à un seuil supérieur au niveau du centre hypothalamique thermorégulateur, suite à la production de substances pyrogènes endogènes en réponse à une infection, une inflammation, ou encore à un traumatisme ou une réaction antigénique. Classiquement, la réalisation d’une anesthésie péridurale pour chirurgie, en particulier pour césarienne, entraîne une hypothermie, du fait de la vasodilatation périphérique secondaire au bloc sympathique qui provoque une redistribution de la chaleur du noyau central vers la périphérie. La fièvre observée dans le contexte d’une analgésie péridurale au cours du travail obstétrical constitue donc une situation particulière. Plusieurs hypothèses sont évoquées concernant l’étiologie de l’hyperthermie associée à l’analgésie péridurale obstétricale.

Une altération de la thermorégulation ? Les premières hypothèses physiopathologiques reposaient sur une perturbation de la balance production—élimination de chaleur au cours du travail, secondaire à la mise en place d’une analgésie péridurale. Le travail obstétrical correspond à un exercice physique avec production de chaleur. Une altération des mécanismes physiologiques de dissipation de l’hyperthermie pourrait participer au phénomène de fièvre associé à la péridurale : Le bloc sympathique secondaire à la péridurale entraînerait une diminution de la sudation au niveau de la partie inférieure du corps, empêchant ainsi la température corporelle de baisser. De plus, la douleur étant soulagée, l’hyperventilation associée à la douleur disparaîtrait et la perte de chaleur par évaporation serait donc également diminuée en cas d’analgésie péridurale. En outre, le blocage des afférences centrales des fibres thermoalgiques peut entraîner une perturbation potentielle de la thermorégulation centrale maternelle : l’absence de perception des sensations de chaleur et de froid peut provoquer une thermogénèse et une élévation de la valeur cible au niveau de l’hypothalamus par un mécanisme pyrogène non élucidé. Les frissons associés à l’analgésie péridurale obstétricale participeraient également à l’élévation de la température par augmentation de la libération de cytokines. Gleeson et al. ont montré que les femmes qui frissonnaient après

M.-P. Bonnet, H. Reyre la mise en place de la péridurale pouvaient plus facilement développer une fièvre dès la première heure suivant la réalisation de la péridurale [12]. Dans cette étude, la température maximale et l’incidence de la fièvre étaient significativement supérieures chez les femmes qui frissonnaient. Cependant, les frissons peuvent être aussi bien la cause que la conséquence de l’élévation de la température. Il faut toutefois rappeler que ces phénomènes sont observés principalement en cas de bloc péridural anesthésique. L’analgésie péridurale obstétricale produit un bloc moins complet susceptible de moins d’effet sur la thermorégulation. Dans une maternité dont l’environnement thermique est contrôlé, les parturientes peuvent rétablir facilement la balance thermique uniquement avec la partie supérieure du corps. L’hypothèse d’une perturbation de la thermorégulation paraît donc peu probable.

Par conséquent, l’hyperthermie associée à l’analgésie péridurale obstétricale serait due à une fièvre régulée plutôt qu’à une simple élévation passive de la température [13].

Une susceptibilité à l’infection ? Certains auteurs ont proposé que l’association entre hyperthermie et péridurale obstétricale soit due à un risque augmenté de fièvre d’origine infectieuse. En effet, du fait de la prise en charge adéquate de la douleur, l’équipe obstétricale serait susceptible de réaliser plus fréquemment des gestes à risque infectieux, tels que des examens cervicaux répétés, ou une rupture artificielle des membranes. Cependant, un essai randomisé contrôlé récent a montré que l’administration prophylactique de cefoxitine immédiatement avant la pose de l’analgésie péridurale ne diminuait pas l’incidence de fièvre supérieure à 38 ◦ C [14]. Cet essai est donc en faveur de l’absence de mécanisme infectieux à l’origine de la fièvre associée à la péridurale. De plus, Riley et al. ont rapporté, dans une analyse de cohorte, que 18,5 % des nullipares avec une péridurale, développaient une fièvre au cours du travail, mais que seulement 4,5 % de la totalité des parturientes avaient une infection prouvée par une culture positive [15]. Par ailleurs, parmi ces patientes avec une culture positive, seulement deux sur neuf avaient été fébriles, et 95 % des cas de fièvre au cours du travail ne présentaient aucun signe d’infection bactérienne. Des résultats de cette étude montrent également que la fièvre intrapartum est associée à des prélèvements bactériologiques négatifs au niveau placentaire. Ces études mettent ainsi en évidence l’absence de lien favorisant entre péridurale obstétricale et infection.

Un mécanisme pro-inflammatoire ? Depuis la mise en évidence d’une augmentation des concentrations plasmatiques d’interleukines en cas d’analgésie péridurale, un mécanisme pro-inflammatoire à l’origine de la fièvre associée à l’analgésie péridurale est évoqué. En effet, une élévation des concentrations plasmatiques en interleukine 6 (IL-6) au cours d’une analgésie péridurale a été observée dans différents travaux [16]. Goetzl et al.

Fièvre et anesthésie péridurale au cours du travail obstétrical ont retrouvé des concentrations plasmatiques initiales en IL-6 plus élevées chez la mère et une augmentation des concentrations plasmatiques et dans le sang de cordon d’IL6 chez les femmes qui développaient une fièvre au cours du travail par rapport à celles qui n’en développaient pas [17]. Dans cette étude, plus la durée d’exposition à la péridurale augmentait, plus la concentration plasmatique en IL-6 était élevée. La disparition de l’élévation de température en cas d’injection de corticoïdes à forte dose (méthylprednisolone 100 mg/4 h), et non en cas d’injection de paracétamol est également un argument en faveur de l’hypothèse proinflammatoire. Ces résultats suggèrent qu’un état pro-inflammatoire préexisterait avant le travail chez les femmes qui développent ensuite une fièvre au cours du travail, et que cette inflammation serait accentuée par l’analgésie péridurale. Plusieurs éléments peuvent être à l’origine d’une inflammation chez la parturiente. Du reste, plusieurs études ont mis en évidence l’existence d’une inflammation placentaire. Dans une étude prospective, l’examen anatomopathologique de placenta chez des femmes ayant accouché plus de six heures après la rupture des membranes, rapportait 61 % de chorioamniotite dans le groupe péridurale contre 36 % dans le groupe sans péridurale (p < 0,05 %) [5]. Parmi les parturientes dont le placenta montrait des signes de chorioamniotite, seulement 54 % avaient présenté une hyperthermie au cours du travail obstétrical. Sharma et al. ont également démontré que la fièvre était plus fréquente chez les femmes présentant une inflammation placentaire avec infiltration de neutrophiles [14]. Les auteurs concluaient que l’analgésie péridurale pouvait être associée à une fièvre intrapartum uniquement en cas d’inflammation placentaire qui serait à l’origine d’un dérèglement de la thermorégulation centrale. À ce jour, l’hypothèse pro-inflammatoire et en particulier la susceptibilité à l’inflammation placentaire est la plus valide en ce qui concerne la fièvre associée à l’analgésie péridurale au cours du travail.

Conséquences maternelles et fœtales potentielles La fièvre associée à l’analgésie péridurale au cours du travail obstétrical n’est pas sans conséquence, non seulement pour la mère, mais aussi pour l’enfant. Elle augmenterait le taux et la sévérité de certaines complications maternelles et fœtales. Cependant, il est difficile de différencier l’effet propre de la fièvre et celui de la cause sous-jacente, en particulier si les arguments cliniques font suspecter une chorioamniotite ou une autre infection.

Effets maternels Une élévation de la température maternelle est associée à une hausse du rythme et du débit cardiaque, de la consommation d’oxygène et de la production de catécholamines. Ces effets physiologiques sont sans conséquence chez la patiente sans antécédent, mais peuvent participer à la

23 décompensation de certaines pathologies cardiaques ou respiratoires sévères. Du fait de l’association de fièvre et de frissons, les patientes fébriles en travail sont plus souvent considérées comme infectées et dès lors, la réalisation de bilans infectieux et l’administration de traitements antibiotiques sont plus fréquentes [1]. De plus, il semble que la fièvre maternelle augmente le risque d’interventions obstétricales. Dans une étude rétrospective incluant 1233 nullipares, Lieberman et al. ont rapporté, après prise en compte des facteurs confondants par ajustement, un risque multiplié par deux d’extraction instrumentale et de césarienne chez les patientes fébriles par rapport aux parturientes apyrétiques [18]. Cependant, cette étude ne permet pas de savoir si cette augmentation du risque d’extraction instrumentale et de césarienne est liée directement à la présence de fièvre maternelle, par anticipation de complication maternelle ou fœtale, ou indirectement du fait du retentissement de la fièvre maternelle sur la dynamique obstétricale et/ou sur le rythme cardiaque fœtal.

Effets fœtaux L’impact de la fièvre maternelle sur le fœtus et le nouveauné est également controversé ; il existerait des effets indirects de la fièvre par modification des pratiques de soins néonatales, ainsi que des effets directs sur l’enfant. Les nouveau-nés de mère fébriles subissent en effet plus de prélèvements à visée diagnostique, alors même que les taux d’infection ne sont pas différents [4]. Le nombre de transferts en réanimation néonatale pour suspicion d’infection maternofœtale est également augmenté [19]. Ces enfants présentent par ailleurs des taux de cytokine inflammatoires plus élevés, en particulier IL-6, IL-8, RANTES [20]. De manière plus inquiétante, plusieurs études suggèrent qu’une température maternelle élevée, probablement par activation pro-inflammatoire, pourrait avoir des conséquences délétères sur le fœtus, en particulier au niveau de son système nerveux en développement. L’exposition fœtale et néonatale à l’hyperthermie ou à l’inflammation semble ainsi être associée à une augmentation du risque de survenue de complications neurologiques comme l’encéphalopathie néonatale (odds ratio 4,7—8,1) [21] et la paralysie cérébrale (odds ratio ajusté 4,1—9,3) [22]. De plus, la fièvre au cours du travail obstétrical diminuerait le seuil d’apparition d’une encéphalopathie hypoxique. Récemment, Greenwell et al., dans une étude rétrospective incluant 2784 patientes, ont montré que la morbidité néonatale, notamment neurologique (hypotonie transitoire ou prolongée, manœuvres réanimatoires, score d’Apgar inférieur à 7 à cinq minutes, convulsion néonatales inexpliquées précoces) était plus élevée chez les mères fébriles ayant eu une péridurale que chez celles n’ayant pas développé de fièvre associée à l’analgésie péridurale [23]. Dans cette étude, plus la température augmentait, plus la morbidité était élevée. Par ailleurs, certaines études rétrospectives ont retrouvé une association significative entre la présence d’une infection maternelle ou de la fièvre au cours du travail et des déficits cognitifs dans l’enfance, ainsi que d’autres types de troubles neuropsychiatriques (schizophrénie, autisme, etc.) [1].

24 Toutefois, plusieurs modèles animaux d’hyperthermie montrent que la fièvre isolée a très peu d’effets secondaires sur le fœtus [1]. Par ailleurs, une revue systématique récente de la Cochrane concernant l’analgésie au cours du travail obstétrical a démontré que la péridurale n’était pas associée avec une fréquence plus élevée de scores d’Apgar inférieur à 7 à cinq minutes (RR 0,8 [IC 0,54—1,2] 18 essais, 6898 patientes), mais s’associait significativement à moins d’acidoses néonatales (pH < 7,2) (RR 0,8, IC 0,68/0,94, 3643 patientes) et n’avait pas d’impact sur la fréquence des admissions en soins intensifs néonataux (RR 1, 19 ; IC [0,94/1,42]) [24]. Au total, si des études expérimentales récentes semblent conforter le fait que l’inflammation intra-utérine est associée à des conséquences néfastes pour le fœtus à terme [16], il n’est pas évident que la fièvre associée à la péridurale analgésique ait des effets délétères néonataux propres en l’absence d’inflammation ou d’infection clinique.

Traitement et prévention de l’hyperthermie Du fait des conséquences potentiellement délétères de la fièvre sur la mère et l’enfant, plusieurs techniques ont été proposées pour éviter la survenue d’une fièvre au cours du travail sous péridurale. Certaines études récentes suggèrent qu’une gestion active du travail visant à en réduire la durée (et donc la durée de la péridurale) pourrait réduire l’incidence de la fièvre [1]. En ce qui concerne la technique de péridurale elle-même, l’utilisation de la ropivacaïne provoquerait moins souvent de la fièvre que la lévobupivacaïne, du fait d’une moindre inflammation ; cela reste à démontrer. Comme la plupart des études montrant une augmentation de la température maternelle associée à la péridurale incluaient des parturientes recevant une analgésie péridurale en débit continu, ce mode d’administration a été suspecté de favoriser le phénomène. Cependant, une étude prospective randomisée comparant l’évolution de la température maternelle chez des parturientes recevant l’analgésie péridurale en continu et en bolus ne retrouvait pas de différence significative entre les deux groupes [25]. De même, les études randomisées contrôlées les plus récentes comparant des techniques d’analgésie péridurale précoce et tardive par rachipéridurale combinée, n’ont pas rapporté de différence en termes d’incidence de fièvre [26]. Le raccourcissement de la durée d’exposition à l’analgésie péridurale ne permet donc pas de diminuer la survenue de fièvre au cours du travail. En conclusion, la technique d’analgésie péridurale, le mode de perfusion et la nature de l’anesthésique local ne semblent pas modifier l’incidence de la fièvre, suggérant que l’inflammation est probablement essentiellement due à l’effraction méningée [16]. Plusieurs études ont montré une réduction de l’augmentation de la température maternelle au cours du travail, chez les femmes recevant une analgésie systémique par opiacés. En fait, seuls les agonistes mu atténueraient les effets hyperthermiques de la péridurale et de fac ¸on modeste. De plus, l’administration de morphiniques par voie péridurale ou intrathécale n’a pas

M.-P. Bonnet, H. Reyre d’effet sur la survenue de fièvre au cours du travail [27]. Ainsi, la potentialité que des morphiniques diminuent la température centrale semble faible dans ce contexte. Le paracétamol par voie intraveineuse serait inefficace sur la fièvre intrapartum [16]. À l’inverse, la méthylprednisolone à forte dose par voie intraveineuse supprime quasiment toute fièvre au cours du travail, mais au prix d’une augmentation de bactériémies néonatales asymptomatiques [28]. Son utilisation dans cette indication n’est donc pas recommandée en pratique. Enfin, en 2011, un essai randomisé de petite taille a étudié l’effet de dexaméthasone par voie péridurale [29]. Cette technique semble diminuer la température et les taux d’IL-6 dans le sang maternel, mais cette étude manque de puissance pour pouvoir recommander une telle pratique en routine. De plus, les effets néonataux des corticoïdes par cette voie n’ont pas été étudiés. Dans une revue de la littérature, Segal a proposé d’autres pistes pour prévenir ou traiter la fièvre maternelle au cours du travail : le refroidissement actif de la mère ou du fœtus, les anti-inflammatoires non stéroïdiens par voie générale dans le cadre de l’hypothèse inflammatoire, ainsi que l’utilisation de N-acetyl-cystéine, connue pour atténuer les effets neurologiques liés à l’inflammation dans les modèles animaux [1]. Des études randomisées sont nécessaires avant de pouvoir conclure sur l’utilité et l’innocuité de ces traitements.

Conclusion Bien que le mécanisme de la fièvre associée à l’analgésie péridurale au cours du travail ne soit toujours pas totalement élucidé, le lien entre la technique et le symptôme semble hautement probable en raison du grand nombre de preuves dans la littérature. L’hypothèse d’une stimulation pro- inflammatoire, en particulier placentaire, est actuellement la plus vraisemblable, mais le lien entre inflammation placentaire et péridurale est encore obscur. La fièvre intrapartum a des conséquences maternelles et fœtales indirectes du fait d’une modification des pratiques obstétricales ; en particulier des effets délétères directs, notamment neurologiques chez l’enfant, sont suspectés mais non prouvés. L’impact d’une fièvre associée à l’analgésie péridurale en dehors d’un contexte infectieux est encore inconnu. À ce jour, les différentes thérapeutiques préventives ou curatives étudiées n’ayant pas prouvé leur efficacité et leur innocuité, aucune ne peut être préconisée.

Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

Annexe 1. Matériel complémentaire La version audio (format mp3) de cet article est disponible en podcast en ligne sur http://www.sciencedirect.com et http://dx.doi.org/10.1016/j.pratan.2012.12.004.

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