Formes sévères de dépression : efficacité de l’escitalopram

Formes sévères de dépression : efficacité de l’escitalopram

L’Encéphale (2009) 35, 152—159 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com journal homepage: www.em-consulte.com/produit/ENCEP THÉRAPEUTIQUE For...

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L’Encéphale (2009) 35, 152—159

Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com

journal homepage: www.em-consulte.com/produit/ENCEP

THÉRAPEUTIQUE

Formes sévères de dépression : efficacité de l’escitalopram Severe forms of depression: The efficacy of escitalopram C. Spadone Hôpital Saint-Louis, AP—HP, université Paris-Diderot, 1, avenue Claude-Vellefaux, 75010 Paris, France Rec ¸u le 17 juin 2008 ; accepté le 10 septembre 2008 Disponible sur Internet le 31 mars 2009

MOTS CLÉS Dépression ; Dépression sévère ; Antidépresseur ; ISRS ; Escitalopram

Résumé Les formes sévères de dépression sont un enjeu thérapeutique majeur pour la psychiatrie. Elles nécessitent de manière systématique, selon l’ensemble des recommandations des autorités de santé, la mise en place d’un traitement médicamenteux actif, et elles répondent moins bien au placebo que les formes moins sévères. L’escitalopram, qui est l’énantiomère le plus actif du composé racémique (le citalopram), est un produit à la fois particulièrement efficace sur les formes sévères de dépression et très bien toléré aux posologies de l’AMM (10 à 20 mg/j). Plusieurs études ont permis de comparer l’escitalopram à un autre inhibiteur spécifique de la recapture de la sérotonine (IRS) dans les dépressions sévères. Dans une étude sur 24 semaines [Curr Med Res Opinion 22 (2006) 1331—41], l’escitalopram à 20 mg/j a montré, par rapport à la paroxétine à 40 mg/j, une efficacité supérieure sur le critère primaire (modification du score total à la MADRS entre l’inclusion et la fin de l’étude), de manière significative (p < 0,05) ; dans cette même étude, la différence en faveur de l’escitalopram augmente parallèlement à l’augmentation de la sévérité initiale. Dans une analyse groupée de trois études versus citalopram [Pharmacopsychiatry 39 (2006) 180—4], la supériorité d’efficacité de l’escitalopram augmente également en parallèle avec la sévérité initiale. Les antidépresseurs inhibiteurs mixtes de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline (IRSNA) pourraient, en théorie, revendiquer une efficacité supérieure aux IRS du fait de leur mode d’action plus large. Des données récentes sur l’escitalopram viennent infirmer ce fait. Dans une étude comparant l’escitalopram à 20 mg/j et la venlafaxine à 225 mg/j sur huit semaines chez des déprimés sévères (MADRS > 30) [J Clin Psychiatry 65(2004) 1190—6], l’escitalopram entraîne une amélioration significativement plus marquée (p < 0,05). Une analyse groupée de deux études de dessin similaire [Internat Clin Psychopharmacol 21 (2006) 297—309] montre que la différence en faveur de l’escitalopram augmente au fur et à mesure que la sévérité initiale augmente. Une analyse groupée de deux études comparant 10 à 20 mg/j d’escitalopram à 60 mg/j de duloxétine chez des patients sévèrement déprimés [Int Clin Psychopharmacol 23 (2008) 181—7] a montré une

Adresse e-mail : [email protected]. 0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2009. doi:10.1016/j.encep.2008.09.008

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efficacité supérieure de l’escitalopram sur le sous-échantillon des patients sévèrement déprimés (p < 0,01), avec une supériorité significative sur chacun des dix items de la MADRS pris isolément. En dépit des limites des analyses groupées, l’ensemble de ces résultats souligne que l’escitalopram est au moins aussi efficace que les comparateurs, et en particulier que les deux IRSNA étudiés, sur les formes sévères de dépression. © L’Encéphale, Paris, 2009.

KEYWORDS Depression; Severe depression; Antidepressant; ISRS; Escitalopram

Summary Severe forms of depression are a major therapeutic concern for psychiatrists. According to Health Authority recommendations, they require the systematic initiation of treatment with active drugs, and they respond less well to placebos than the less severe forms. Escitalopram, which is the most active enanthiomer of the racemic compound (citalopram), is tolerated well at the doses indicated in the marketing authorisation (10 to 20 mg per day) and it is particularly effective in the severe forms of depression. Several studies have compared escitalopram to another specific serotonin recapture inhibitor (SSRI) in severe depression. In a 24-week study, 20 mg per day of escitalopram, compared to 40 mg per day paroxetin, demonstrated significantly greater efficacy (p < 0.05) on the primary criterion (modification of the total MADRS score between inclusion and the end of the study). In this same study, the difference in favour of escitalopram increased in parallel with the increase in initial severity. In a grouped analysis of three studies versus citalopram, the superior efficacy of escitalopram also increased in parallel with the initial severity. The antidepressants, combined serotonin recapture inhibitors and noradrenalin (SRINA), might, in theory, be more effective than the SRI because of their broader mode of action. Recent data on escitalopram have invalidated this fact. In a study comparing 20 mg per day of escitalopram to 225 mg per day of venlafaxine during eight weeks in severely depressed patients (MADRS > 30), escitalopram led to a significantly enhanced improvement (p < 0.05). A grouped analysis of two similarly designed studies showed that the difference in favour of escitalopram increased at the same time as the initial severity increased. An analysis of two studies comparing 10 to 20 mg per day of escitalopram to 60 mg per day of duloxetine in severely depressed patients, revealed the superior efficacy of escitalopram in the sub-sample of severely depressed patients (p < 0.01), with significant superiority on each of the 10 items of the MADRS taken singly. Despite the limits of regrouped analyses, all these results underline the fact that escitalopram is at least as effective as the comparators, and notably compared to the two SRINA studied, in the severe forms of depression. © L’Encéphale, Paris, 2009.

Introduction Le traitement des formes les plus sévères de dépression reste un enjeu essentiel pour les psychiatres, à l’hôpital mais aussi en pratique de ville : lorsque l’entourage est suffisamment présent, ces patients sont en effet souvent traités en ambulatoire. Il s’agit de soulager aussi rapidement que possible la souffrance intense de ces patients, de prévenir le risque suicidaire qui est majoré avec la sévérité de la dépression et d’obtenir une rémission aussi complète que possible, garante d’un meilleur pronostic évolutif. Les dépressions sévères ont des caractéristiques particulières. Elles sont en moyenne plus longues, avec une comorbidité plus fréquente, une plus faible probabilité de rémission spontanée et un taux de rechute plus important [4,13,17]. Dans l’étude STAR*D, par exemple, les 23,5 % de sujets déprimés, qui présentaient à l’inclusion des caractéristiques mélancoliques et qui présentaient en moyenne des scores de sévérité plus élevés, avaient un taux de tentatives de suicide supérieur dans leurs antécédents ou durant l’épisode actuel, un taux de rémission plus faible et une comorbidité psychiatrique plus importante [12].

La définition de la sévérité d’une dépression n’est pas consensuelle, mais elle est néanmoins mieux circonscrite qu’il y a quelques années. Définir comme sévères des dépressions ayant nécessité une hospitalisation est cliniquement pertinent, mais méthodologiquement peu utile, du fait de la grande variabilité du recours à l’hospitalisation. D’un point de vue critériologique, le DSM-IV, comme la CIM-10, détermine la sévérité d’une dépression, d’une part, par le nombre, l’intensité et la fréquence ou la persistance des symptômes dépressifs habituels ; d’autre part, par des symptômes plus spécifiques comme la perte de l’estime de soi, des idées de dévalorisation ou des idées de culpabilité pénibles et marquées. Les mélancolies ou les dépressions avec caractéristiques psychotiques, bien qu’elles représentent cliniquement des formes graves, ne caractérisent pas la sévérité de la dépression : on peut en théorie, selon les systèmes diagnostiques actuels, classer des mélancolies ou des dépressions psychotiques comme n’étant pas des formes sévères de dépression. Dans le cadre des études cliniques, la littérature internationale retient en fait, essentiellement aujourd’hui, comme critère de sévérité le dépassement d’un score-seuil aux échelles d’évaluation quantitative de la dépression, comme la MADRS ou la Ham-D. Le score à l’échelle impression clinique globale—sévérité (CGI-S) est également utilisé — bien

154 qu’il laisse une plus grande place à la subjectivité. Les seuils restent toutefois variables : à l’échelle MADRS, la plus utilisée pour définir la sévérité d’une dépression, le seuil fixé peut être un score de 28, 30 ou même 35, selon les études. Au total, le critère le plus communément utilisé dans les essais cliniques pour définir une dépression sévère est un score supérieur ou égal à 30 à la MADRS. Dans les formes sévères de dépression, on considère que seuls 30 à 40 % des patients répondent à un traitement adapté, soit deux fois moins que les patients souffrant d’une forme légère à modérée [4]. Cela peut être dû en partie au fait que, dans les essais cliniques, le taux de placebo—répondeurs est beaucoup moins élevé dans les formes sévères que dans les formes de sévérité légère à modérée. Sur le plan thérapeutique, les inhibiteurs mixtes de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline (IRSNA) pourraient en théorie revendiquer une efficacité supérieure aux inhibiteurs spécifiques de la recapture de la sérotonine (IRS). Pourtant, cela n’a pu être démontré de manière indiscutable ni en terme de nombre de patients répondeurs, ni en terme d’amplitude d’amélioration symptomatique, ni en ce qui concerne l’efficacité sur les formes de dépression les plus sévères. Plusieurs études montrent, en revanche, que l’escitalopram pourrait être plus efficace dans les formes les plus sévères de la dépression, non seulement que les autres IRS, mais aussi que deux IRSNA : la venlafaxine et la duloxétine. Ces études sont d’autant plus significatives que le faible taux de rémission spontanée et le faible taux de patients placebo—répondeurs élimine des analyses sur les patients sévèrement déprimés des effets confondants importants.

Escitalopram versus comparateur unique dans les dépressions sévères Escitalopram versus paroxétine dans les dépressions sévères L’escitalopram est un IRS, particulièrement sélectif. Il s’agit d’un énantiomère du citalopram, constitué de sa forme lévogyre et doté d’une double action sérotoninergique : il agit en effet à la fois sur le site primaire de fixation sur le système de recapture de la sérotonine et sur un site allostérique permettant d’amplifier la réponse induite par la fixation sur le site primaire. Cet antidépresseur a fait la preuve de son efficacité dans le traitement des épisodes dépressifs majeurs, à travers de nombreux essais cliniques randomisés et contrôlés contre placebo, aussi bien en ambulatoire qu’en milieu hospitalier. Sa bonne tolérance est également établie. En France, cela a conduit la Commission de la transparence à évaluer l’amélioration de service médical rendu de l’escitalopram comme étant de niveau IV. Une étude de Boulenger et al. [3] a mis en évidence que l’escitalopram est significativement plus efficace que la paroxétine et est au moins aussi bien toléré, dans le traitement à long terme de la dépression sévère. Il s’agissait d’une étude randomisée en double insu à dose fixe (20 mg/j d’escitalopram versus 40 mg/j de paroxétine) chez des patients présentant une dépression sévère (score à l’inclusion à la MADRS supérieur ou égal à 30). L’étude

C. Spadone

Figure 1 Moyenne des modifications à la MADRS entre l’inclusion et à la semaine 24, chez des patients sévèrement déprimés (MADRS initiale > 35) (ITT, LOCF) *p < 0,05 escitalopram versus paroxétine (ANCOVA, test à deux bras).

a porté sur une durée de 24 semaines, avec comme critère principal d’efficacité la modification du score total à la MADRS entre l’inclusion et la 24e semaine (analyse en LOCF, avec étude de covariance par ANCOVA). Les résultats montrent un changement moyen des scores MADRS supérieur sous escitalopram par rapport à la paroxétine (25,2 versus 23,1 ; p < 0,05). Les analyses intermédiaires montrent que cette supériorité est significative dès la huitième semaine, supériorité également retrouvée aux semaines 12, 16 et 20. Tous les critères secondaires de l’étude (taux de patients en rémission, scores aux échelles Hamilton-Dépression et Hamilton-Anxiété, scores à la CGI-S et à la CGI-I) étaient également significativement en faveur de l’escitalopram. L’un des intérêts essentiels de cette étude est la prise en compte du sous-groupe de patients très sévèrement déprimés, c’est-à-dire avec un score MADRS à l’inclusion supérieur ou égal à 35. Ce sous-groupe était de taille importante (plus de 100 patients dans chacun des deux bras thérapeutiques), ce qui donne du poids aux résultats retrouvés. Dans ce sous-groupe, la supériorité de l’escitalopram est significative dès la quatrième semaine (p = 0,01) (Fig. 1). De plus, une analyse des taux de patients en rémission complète à S 24 (MADRS < 5) montre que la différence en faveur de l’escitalopram est de plus en plus marquée au fur et à mesure que la sévérité initiale augmente (Fig. 2).

Escitalopram versus citalopram dans les dépressions sévères Une analyse groupée d’Azorin et al. [1], sur trois études, a montré, en 2004, une efficacité supérieure de l’escitalopram par rapport au citalopram dans les dépressions sévères (score à la MADRS > 30). Lam et Andersen, en 2006 [9], ont effectué une analyse regroupant les données de trois études contrôlées contre placebo dans le trouble dépressif majeur, en fonction du degré de sévérité initiale de la dépression. Ces trois études comparaient le citalopram,

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Figure 4 Score total à la MADRS (LOCF) chez des patients sévèrement déprimés dans l’étude de Bielski et al. [2]. *p < 0,05 (escitalopram versus venlafaxine XR). Figure 2 Score total à la MADRS à l’inclusion. Analyse des taux de rémission complète (MADRS < 5) avec escitalopram versus paroxétine lors de la dernière évaluation (LOCF), selon la sévérité initiale (vue le nombre réduit des patients, ajustée par pays au lieu de par centre à la MADRS > 36).*p < 0,05 ; **p < 0,01 ; ***p < 0,001 escitalopram versus paroxétine. p = 0,012 pour l’absence d’interaction entre la sévérité initiale et le traitement (selon le score total à la MADRS).

à des posologies de 20 à 40 mg/j, et l’escitalopram, à des posologies de 10 à 20 mg/j, et ont inclus au total plus de 1200 patients. Si la différence d’efficacité entre citalopram et placebo reste constante quelle que soit la sévérité initiale, en revanche, la différence entre escitalopram et placebo est de plus en plus marquée lorsque la sévérité initiale augmente, de même que la différence entre escitalopram et citalopram, confirmant ainsi que l’escitalopram est particulièrement utile dans les formes sévères de dépression (Fig. 3).

Figure 3 Méta-analyse de la modification entre l’inclusion, en moyenne du score total MADRS (±95 % IC), et la huitième semaine de traitement par l’escitalopram versus placebo (p = 0,0010 en l’absence de modification entre l’escitalopram et placebo ; escitalopram versus citalopram p = 0,0012 en l’absence de modification entre escitalopram et citalopram), selon la sévérité initiale (basé sur le total des scores MADRS).

Escitalopram versus venlafaxine dans les dépressions sévères Deux études ont comparé, de manière randomisée et contrôlée en double insu, l’escitalopram et la venlafaxine dans le traitement des troubles dépressifs majeurs. La première, publiée par Bieslki et al. [2] a comparé les deux produits aux posologies maximales approuvées par la Food and Drug Administration (FDA) aux États-Unis : 20 mg/j pour l’escitalopram et 225 mg/j pour la venlafaxine. Ces posologies sont d’autant plus intéressantes dans une étude comparative que les 225 mg/j de venlafaxine utilisés sont supposés permettre une complète synergie des effets sérotoninergiques et noradrénergiques de la molécule. La seconde étude, de Montgomery et al. [14], comparait l’efficacité et l’acceptabilité de l’escitalopram à des posologies de 10 à 20 mg/j versus la venlafaxine à des posologies de 75 à 150 mg/j, en prescription de médecine générale. Dans sa publication, Bielski a précisé les résultats pour le sous-groupe des patients sévèrement déprimés (MADRS > 30 à l’inclusion) : il montre, dans ce cas, une amélioration plus marquée, de manière significative (p < 0,05), pour les patients sous 20 mg d’escitalopram que pour ceux sous 225 mg de venlafaxine, sur le critère principal d’efficacité de l’étude, c’est-à-dire l’évolution des scores MADRS entre l’inclusion et la huitième semaine (Fig. 4). Les deux études ont été pratiquées avec des méthodologies similaires (en particulier, le critère principal, qui est dans les deux études l’évolution moyenne des scores totaux à la MADRS à huit semaines de traitement), ce qui a permis une analyse regroupée des données, publiée par Montgomery et Andersen [15]. Les résultats de cette analyse groupée montrent, comme dans les comparaisons avec le citalopram ou avec la paroxétine, que la différence en faveur de l’escitalopram augmente parallèlement à l’augmentation de la sévérité du tableau dépressif initial (Fig. 5), l’absence de significativité pour les sous-goupes de patients ayant des scores inférieurs ou égaux à 32 et 35 étant sans doute liée au nombre trop faible de patients remplissant ces critères. L’analyse regroupée montre également que, dans le souséchantillon des patients sévèrement déprimés (MADRS > 30 à l’inclusion), la proportion de patients en rémission sous 20 mg/j d’escitalopram était significativement supérieure à

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Figure 5 Méta-analyse [regroupant les données des études de Montgomery [14] et Bielski [2] de la moyenne du score total à la MADRS (±95 % IC), après huit semaines (LOCF) de traitement par escitalopram versus venlafaxine XR, selon la sévérité initiale, basée sur le total des scores à la MADRS.

celle des patients sous 225 mg/j de venlafaxine (47 % versus 29 % ; p < 0,05).

Escitalopram versus duloxétine dans les dépressions sévères Dans le cadre d’une étude récente dont l’objectif était pharmacoéconomique, Wade et al. [19] ont montré que l’escitalopram (20 mg/j) était supérieur à la duloxétine (60 mg/j) en terme de rapport efficacité/coût dans la dépression majeure. Cette étude fournit des informations intéressantes en terme d’efficacité, même si certains outils utilisés sont inhabituels dans l’évaluation de l’efficacité, puisqu’ils sont choisis en premier lieu pour leur pertinence en terme d’analyse de coûts. Ainsi, les auteurs retrouvent une supériorité d’efficacité de l’escitalopram sur le score à l’échelle de handicap de Sheehan (SDS), qui est le critère primaire de l’étude ; ils retrouvent également une durée moyenne de maladie pour l’épisode en cours significativement inférieure sous escitalopram par rapport à la duloxetine (30,7 jours versus 62,2 jours ; p < 0,001). Une étude récente de Khan et al. [7] a montré une efficacité supérieure de l’escitalopram sur la duloxétine dans une population de patients déprimés. Le seuil de dépression à l’inclusion retenu dans cette étude (MADRS > 26) ne caractérisait pas des dépressions sévères, mais le score moyen dans l’ensemble de la population étudiée était de 31, ce qui indique un niveau moyen de sévérité relativement élevé. Dans cette étude, l’escitalopram entraînait une amélioration symptomatique plus marquée que la duloxétine sur le score à la MADRS (analyse en LOCF, p < 0,05) et entraînait, de manière significative, moins de sorties d’étude (87 % versus 69 % sous duloxétine [p < 0,01] avec, en particulier, 2 % de sortie pour effets indésirables sous escitalopram versus 13 % sous duloxétine [p < 0,01]). Les auteurs concluent que, dans cette population, l’escitalopram est au moins aussi efficace et est mieux toléré que la duloxétine. Dans une analyse poolée de deux études, permettant de définir un groupe de déprimés sévères de taille suffisante, Lam et al. [10], en 2008, ont comparé l’efficacité de l’escitalopram et de la duloxétine. L’analyse portait sur

C. Spadone les données de deux études randomisées en double insu ayant comparé l’escitalopram à des posologies de 10 à 20 mg/j, à la duloxétine à 60 mg/j, en s’intéressant au souséchantillon des patients sévèrement déprimés, c’est-à-dire ayant un score à la MADRS > 30. Le recrutement était effectué par des spécialistes dans la première étude, par des spécialistes et des généralistes dans la seconde, les deux en pratique ambulatoire. La première étude était l’étude citée de Khan et al., sur huit semaines, comparant 10 à 20 mg/j d’escitalopram (10 mg pendant quatre semaines, augmentés ensuite à 20 mg en cas de réponse insuffisante) versus 60 mg/j de duloxétine, incluant au total 278 patients souffrant de trouble dépressif majeur [7]. La seconde étude, de Wade et al., comparait sur 24 semaines des posologies de 20 mg/j d’escitalopram (10 mg/j pendant deux semaines, puis 20 mg/j) et de 60 mg/j de duloxetine, sur un total de 294 patients [18] ; dans l’analyse regroupée, les auteurs ont utilisé seulement les données des huit premières semaines de cette étude. L’escitalopram s’est montré d’une efficacité supérieure à la duloxétine dans le sous-échantillon des patients sévèrement déprimés sur le critère principal d’évaluation, qui était l’amélioration moyenne du score à la MADRS entre le score de base et le score aux semaines 1, 2, 4 et 8 (Fig. 6). La différence moyenne des scores à la huitième semaine était de 3,7 (p < 0,01). L’analyse item par item de l’évolution des scores sur la MADRS dans le sous-groupe des patients sévèrement déprimés montre une supériorité statistiquement significative de l’escitalopram à chacun des dix items (Fig. 7), alors que cette supériorité n’est significative que pour sept items sur dix sur la population totale des patients déprimés. Le taux de rémission (score MADRS total à S8 < 10) et le taux de répondeurs (plus de 50 % de diminution du score total à la MADRS) sont également significativement plus élevés, pour les patients sévèrement déprimés, sous escitalopram par rapport à ceux sous duloxétine. Sur le critère numbers needed to treat (NNT), l’analyse est également en faveur de l’escitalopram, avec, chez les patients sévèrement déprimés, un NNT de 6 sur le taux de

Figure 6 Estimation du score total à la MADRS par visite chez les patients ayant un score initial à la MADRS > 30. Toutes les données sont celles des patients traités, LOCF. *p < 0,05 ; **p < 0,01 ; ***p < 0,001.

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Escitalopram versus comparateurs multiples dans les dépressions sévères

Figure 7 Estimation des différences des scores de chaque item MADRS à la huitième semaine chez les patients ayant une maladie dépressive majeure (MADRS initial > 30) ; item 1 : tristesse apparente, item 2 : tristesse observée, item 3 : tension intérieure, item 4 : sommeil réduit, item 5 : appétit diminué, item 6 : problèmes de concentration, item 7 : lassitude, item 8 : insensibilité, item 9 : pensées pessimistes, item 10 : pensées suicidaires. Toutes les données sont celles des patients traités, LOCF. *p < 0,05 ; **p < 0,01 ; ***p < 0,001 en faveur de l’escitalopram.

répondeurs et un NNT de 8 pour le taux de patients en rémission (score MADRS total à S8 < 10). Cela signifie que 18 patients supplémentaires sont répondeurs et 14 patients supplémentaires sont en rémission, pour chaque groupe de 100 patients sévèrement déprimés traités par escitalopram plutôt que par duloxétine. La tolérance dans le groupe des patients sévèrement déprimés était également en faveur de l’escitalopram, avec un taux de sortie d’essai pour effet indésirable de 5,7 % sous escitalopram versus 12,3 % sous duloxetine (p < 0,05), correspondant à un number needed to harm (NNH) de 15.

Dans une publication de 2006, SH Kennedy et al. [6] ont groupé les données de toutes les études publiées qui ont comparé l’escitalopram à des IRS et un IRSNA (fluoxétine, paroxétine, sertraline, citalopram et venlafaxine). Ces dix essais, tous randomisés et contrôlées en double insu, ont concerné 2700 patients présentant un trouble dépressif majeur. L’analyse regroupée permet d’obtenir une taille suffisante pour le sous-échantillon des patients sévèrement déprimés (MADRS > 30 à l’inclusion) ; dans cette population, l’escitalopram s’est montré significativement plus efficace que les comparateurs (p < 0,001). Encore une fois, l’analyse en fonction de la sévérité initiale de la dépression montre que la différence entre escitalopram et comparateurs s’accroît au fur et à mesure que le score de dépression à l’inclusion augmente (Fig. 8). Dans une autre analyse groupée, Korotzer et al. [8] ont regroupé les données des quatre études comparant escitalopram et IRSNA : escitalopram et venlafaxine [2,14] et escitalopram et duloxétine [7,18]. Ces quatre études avaient comme critère primaire d’efficacité identique le score MADRS à huit semaines. L’analyse groupée portait ainsi sur 1051 patients, dont 622 avaient une dépression sévère (score MADRS à l’inclusion > 30). Dans cette population de 622 sujets (reprenant les sujets inclus dans les analyses groupées de Montgomery et Andersen [15] et de Lam et al. [10]), Korotzer et al. montrent également une supériorité significative de l’escitalopram sur les deux comparateurs sur le critère primaire (p < 0,001). La différence en faveur de l’escitalopram était significative dès la semaine 1, et le restait aux semaines 2 et 4 (Fig. 9). L’analyse item par item de la MADRS montrait, dans cette sous-population de dépressions sévères, une supériorité de l’escitalopram sur les comparateurs pour huit des dix items (Fig. 10). L’analyse groupée des quatre études montrait également, parmi les patients sévèrement déprimés, un taux de patients

Figure 8 Estimation des différences dans les effets du traitement (avec 95 % IC), entre l’escitalopram et les comparateurs avec le score total à la MADRS, en fin de traitement, selon la sévérité initiale de la dépression. ESC = escitalopram ; MADRS = MontgomeryAsberg Depression Rating Scale.

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Figure 9 Estimation du score total du MADRS par visite chez les patients ayant une MADRS initiale > 30, LOCF (population de sécurité).

C. Spadone les scores par items de la MADRS, les taux de rémission ou les taux de patients répondeurs. Non seulement l’efficacité de l’escitalopram augmente au fur et à mesure de la sévérité de la dépression (score initial à la MADRS), mais la différence avec les comparateurs augmente également. Une revue de la littérature sur l’ensemble des études cherchant à montrer une supériorité d’un antidépresseur sur les autres a été menée par un groupe international d’experts indépendants et reconnus [16]. Après une sélection rigoureuses des seuls articles pertinents comparant deux produits, les auteurs retrouvent que seuls trois antidépresseurs (la clomipramine, la venlafaxine et l’escitalopram) montrent une supériorité certaine d’efficacité dans la dépression majeure et que seul l’escitalopram montre une supériorité certaine d’efficacité dans le traitement des dépressions sévères, confirmant ainsi l’intérêt de l’escitalopram dans cette pathologie.

Limites

Figure 10 Estimation des différences des scores pour chaque item MADRS chez les patients ayant une MADRS initiale > 30 à la semaine 8, LOCF.

répondeurs significativement supérieur sous escitalopram (68,7 %) par rapport aux comparateurs (54,4 % ; p < 0,001).

Discussion Contrairement à la mise en évidence d’une supériorité d’un antidépresseur sur le placebo, les études comparant l’efficacité de deux produits nécessitent généralement de recruter des populations importantes pour montrer des différences significatives. Les comparaisons de produit à produit, de produit à classe ou de classe à classe recourent souvent, dans le domaine de la dépression, à des analyses groupées ou des méta-analyses portant sur plusieurs études, surtout lorsqu’il s’agit d’étudier des sous-échantillons particuliers comme les sujets sévèrement déprimés. Cela est possible à condition que les études soient de méthodologie similaire, avec des critères de sélection identiques, un dessin de l’étude similaire (au moins pour la partie de l’étude prise en compte) et des critères d’évaluation identiques [11]. D’une manière générale, les études et les analyses groupées présentées ici soulignent dans la population des patients sévèrement déprimés une efficacité supérieure de l’escitalopram sur les différents comparateurs ou groupes de comparateurs testés, aussi bien sur le critère primaire (score MADRS total) que sur des critères secondaires comme

Les résultats doivent toutefois être interprétés prudemment. D’une part, une partie des résultats présentés sont issus de l’analyse conjointe de plusieurs études ; or une analyse groupée ou une méta-analyse n’a pas la même puissance ni la même pertinence clinique que l’analyse issue d’une seule étude. Les précautions d’interprétations doivent être plus importantes encore lorsque les analyses groupées comparent un produit unique à un ensemble de produits considérés comme un comparateur unique, produits présentés souvent sous la dénomination abusivement large de « classe », par exemple « la classe des IRS » ou « la classe des IRSNA ». D’autre part, plusieurs des analyses présentées reprennent les résultats des mêmes études : par exemple, l’étude publiée par Bielski et al. [2] est reprise dans l’analyse groupée de Montgomery et Andersen [15] comparant l’escitalopram avec la venlafaxine, ainsi que dans l’analyse groupée de Kotzer et al. [8], comparant l’escitalopram avec la venlafaxine et la duloxétine. Même si les différents produits étudiés avaient tous démontré leur supériorité d’efficacité sur le placebo dans d’autres études, celles utilisées ici n’avaient pas toutes des bras placebo permettant d’affirmer la supériorité des produits sur le placebo. Par ailleurs, toutes les études utilisées dans une analyse groupée n’utilisaient pas toujours la même posologie. Dans les analyses comparant l’escitalopram et des IRSNA dans la sous-population des patients sévèrement déprimés, la question de la posologie du comparateur est importante. Si la venlafaxine a été utilisée aux posologies maximales utiles dans l’étude Bieslki, il n’en est pas de même dans l’étude Montgomery, où la fourchette posologique de 75 à 150 mg/j correspond plutôt à des posologies moyennes. En ce qui concerne la duloxétine, les posologies étaient toujours de 60 mg/j : cela correspond aux recommandations de la HAS, inscrites dans l’AMM, mais différents essais cliniques avec la duloxétine ont été réalisés avec des posologies allant jusqu’à 120 mg/j, même s’il n’a pas été démontré que des posologies supérieures à 60 mg/j entraînent des bénéfices thérapeutiques

Formes sévères de dépression : efficacité de l’escitalopram

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complémentaires dans les troubles dépressifs caractérisés [4,5].

[5] HAS, Avis de la Commission de la Transparence, 14 mars 2007, http://www.has-sante.fr/portail/jcms/c 523247/cymbalta. (Consulté en septembre 2008). [6] Kennedy SH, Andersen HF, Lam RW. Efficacy of escitalopram in the treatment of major depressive disorder compared with conventional SSRI’s and venlafaxine. J Psychiatr Neurosci 2006;31:122—31. [7] Khan A, Bose A, Alexopoulos GS, et al. Double-blind comparison of escitalopram and duloxetine in the acute treatment of MDD. Clin Drug Investig 2007;27:481—92. [8] Korotzer A, Alexopoulos GS, Dayong Li et al. Escitalopram vs SNRI Antidepressants in the Acute Treatment of Major Depression. Poster 153, ACNP Annual Meeting, Dec 2007. [9] Lam RW, Andersen HF. The influence of baseline severity on efficacy of escitalopram and citalopram in the treatment of MDD: an extended analysis. Pharmacopsychiatry 2006;39: 180—4. [10] Lam RW, Andersen HF, Wade AG. Escitalopram and duloxetine in the treatment of major depressive disorder: a pooled analysis of two trials. Int Clin Psychopharmacol 2008;23: 181—7. [11] Lieberman JA, Greenhouse J, Hamer RM, et al. Comparing the effects of antidepressants: consensus guidelines for evaluating quantitative reviews of antidepressant efficacy. Neuropsychopharmacology 2005;30:445—60. [12] McGrath PJ, Khan AY, Trivedi MH, et al. Response to a SSRI (citalopram) in Major Depressive Disorder with Melancholic features: a STAR*D report. J Clin Psychiatry 2008;24. [13] Millet B. Place de l’escitalopram dans les épisodes dépressifs sévères. L’Encéphale 2008;3(Suppl.):S111—4. [14] Montgomery SA, Huusom AK, Bothmer J. A randomised study comparing escitalopram with venlafaxine XR in primary care in patients with major depression? Neuropsychobiology 2004;50:57—64. [15] Montgomery SA, Andersen HF. Escitalopram versus Venlafaxine XR in the Treatment of Depression. Internat Clin Psychopharmacol 2006;21:297—309. [16] Montgomery SA, Baldwin DS, Blier P, et al. Which antidepressants have demonstrated superior efficacy? A review of evidence. Internat Clin Psychopharmacol 2007;22:323—9. [17] Nemeroff CB. The burden of severe depression: a review of diagnostic challenges and treatment alternatives. J Psychiatr Res 2007;41:189—206. [18] Wade A, Gembert K, Florea I. A comparative study of the efficacy of acute and continuation treatment with escitalopram vs duloxetine in patients with MDD. Curr Med Res Opin 2007;23:1605—14. [19] Wade AG, Fernández JL, Franc ¸ois C, et al. Escitalopram and duloxetine in MDD: a pharmacoeconomic comparison using UK cost data. Pharmacoeconomics 2008;26:969—81.

Conclusion En dépit de ces limites, les études et analyses présentées ici, qui montrent une supériorité statistiquement significative de l’escitalopram sur les différents comparateurs (paroxétine, citalopram, fluoxétine, sertraline, venlafaxine et duloxetine), ont une pertinence clinique manifeste. Elles permettent, en particulier, d’établir clairement que les inhibiteurs mixtes de la sérotonine et de la noradrénaline, venlafaxine et duloxétine, ne sont pas plus efficaces que l’escitalopram dans le cadre des dépressions sévères. Elles soulignent l’intérêt particulier de l’escitalopram dans les dépressions sévères, qui apparaît de plus en plus marqué au fur et à mesure que la sévérité initiale de la dépression est importante. Les antidépresseurs anciennement commercialisés, comme les tricycliques ou les IMAO, ont une efficacité attestée par l’expérience clinique, aussi bien dans l’ensemble des dépressions majeures que dans les dépressions sévères. Néanmoins, leur tolérance est nettement moins bonne que celle des nouveaux produits, IRS ou IRSNA et l’escitalopram, en particulier, apparaît bien toléré. Parmi les nouveaux antidépresseurs, les différentes études reprises ici montrent donc que l’escitalopram apporte un bénéfice en terme de balance efficacité/ tolérance, par rapport à l’ensemble des produits disponibles.

Références [1] Azorin JM, Llorca PM, Despiegel N, et al. L’escitalopram est plus efficace que le citalopram pour le traitement des troubles dépressifs majeurs sévères. L’Encéphale 2004;30:158—66. [2] Bielski RJ, Ventura D, Chang CC. A double-blind comparison of escitalopram and venlafaxine extended release in the treatment of major depressive disorder. J Clin Psychiatry 2004;65:1190—6. [3] Boulenger JP, Huusom AK, Florea I, et al. A comparative study of the efficacy of long-term treatment with escitalopram and paroxetine in severely depressed patients. Curr Med Res Opinion 2006;22:1331—41. [4] Eli Lilly Company (2009). Site internet cymbalta.com, 2009, http://www.insidecymbalta.com/productinformation/ prescribinginformation.jsp#AL1. (Consulté en septembre 2008).