ÉDITORIAL
GÉNOMIQUE ET SANTÉ PUBLIQUE
Le terme de génomique est un néologisme inventé pour rendre compte des bouleversements introduits en génétique et génétique moléculaire par l’étude globale des génomes, des plus petits (ceux des virus simples) aux plus grands, par exemple le génome humain et ceux des plantes de grande culture. Pour le grand public, cette approche a un intérêt limité à l’étude, au diagnostic et aux traitements des maladies génétiques. En réalité, c’est l’ensemble du champ de la santé publique, bien au-delà des maladies génétiques qui est appelé à être bouleversé par les retombées de la génomique. Leur génome constitue une signature des agents infectieux. Aussi, les méthodes d’hybridation moléculaire et d’amplification génique (PCR) sont-elles aujourd’hui largement utilisées pour le diagnostic et le typage des virus et des bactéries. La séquence du génome du VIH a permis d’identifier les protéines virales responsables de ses effets pathogènes. C’est ainsi qu’ont été mises au point les molécules actives dans le Sida, d’abord les inhibiteurs de la transcriptase inverse, puis les antiprotéases. Par ailleurs, le génie génétique est aujourd’hui très largement utilisé pour préparer de nouveaux vaccins, tel celui contre l’hépatite B. L’élucidation des mécanismes d’une maladie bénéficie évidemment de la génomique. C’est selon ce principe que des anticancéreux de nouvelles générations ont récemment été mis au point, dirigés contre les cibles modifiées à la suite des altérations géniques spécifiques des cancers. L’Imatinib mesylate ou Glivec, actif dans certaines formes de leucémies et de cancers en est une très belle illustration. Récemment, l’éclaircissement des mécanismes de certaines formes de maladies d’Alzheimer et d’athérosclérose a débouché sur l’identification de protéines clés (présénilines et transporteurs inverses du cholestérol de la famille ABC) qui constituent autant de cibles privilégiées d’une recherche thérapeutique aujourd’hui très active. Par ailleurs, les protéines elles-mêmes sont souvent des médicaments actifs ; tel est le cas de l’insuline, de l’érythropoïétine (EPO), de l’hormone de croissance, ou de fractions coagulantes. La purification de ces protéines médicamenteuses à partir de tissus ou de sang animaux ou humains a abouti, dans le passé, à des drames de santé publique : contamination des hémophiles par le virus des hépatites et du VIH, transmission de l’agent de la maladie Creutzfeld-Jakob à des enfants traités par l’hormone de croissance, etc. La préparation de ces produits par génie génétique écarte aujourd’hui tout risque de contamination infectieuse. Le potentiel thérapeutique des protéines recombinantes n’est encore qu’imparfaitement exploré ; il est sans doute appelé s’accroître dans l’avenir. Les bases génétiques des effets bénéfiques ou maléfiques des médicaments sont de mieux en mieux connues ; elles permettront d’adapter de façon judicieuse le traitement aux malades en fonction de leurs caractéristiques ; c’est la pharmacogénomique. Enfin, quoique les difficultés restent importantes, la réparation des gènes eux-mêmes, ou bien l’utilisation des gènes en tant qu’agents thérapeutiques, ce que l’on réunit sous le terme de thérapie génique, fait l’objet de recherches intenses. C’est bien la totalité de la santé publique qui peut ainsi de bénéficier des multiples conséquences de l’étude globale des génomes, celui des agents infectieux, des constituants vivants des aliments ou de l’homme. Seront-elles accessibles à tous ceux qui, sur notre Terre, en ont besoin ? Cela est loin d’être le cas, tout le monde le sait. Mais face aux conséquences des inégalités économiques entre les hommes, la médecine, la science et la génomique à elles seules restent impuissantes. Pour autant, les médecins ne peuvent s’en désintéresser.
A. KAHN Cah. Nutr. Diét., 39, 3, 2004
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