Gérer les risques en imagerie médicale

Gérer les risques en imagerie médicale

J Radiol 2004;85:271-2 © Éditions Françaises de Radiologie, Paris, 2004 éditorial Gérer les risques en imagerie médicale H Leclet epuis quelques an...

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J Radiol 2004;85:271-2 © Éditions Françaises de Radiologie, Paris, 2004

éditorial

Gérer les risques en imagerie médicale H Leclet

epuis quelques années, les démarches qualité se développent, mûrissent et s’enracinent progressivement dans le milieu sanitaire, en particulier en imagerie médicale. Les radiologues français, conscients des nombreux enjeux fonctionnels, humains et économiques liés à la qualité de leurs prestations sont particulièrement dynamiques dans ce domaine (publication d’un manuel d’auto-évaluation sur les bonnes pratiques organisationnelles et managériales d’un service ou d’un cabinet de radiologie et d’imagerie médicale (1), promotion du management de la qualité par une séance thématique aux JFR depuis 1998, organisation de séminaires de formation, cabinets et services d’imagerie engagés dans des démarches qualité, par exemple de certification de conformité à la norme ISO 9001:2000, projet label qualité initié par la FNMR,…). Depuis un à deux ans, nous constatons que la thématique spécifique de la gestion des risques s’individualise fortement au sein de ce vaste domaine qu’est le management de la qualité. De nombreuses raisons expliquent et justifient cette tendance lourde, entre autres, la complexité et la complexification des prises en charge diagnostiques et thérapeutiques, l’évolution du droit de la santé, l’augmentation des exigences et le comportement consumériste des patients qui sont moins tolérants vis-à-vis du système de santé, entretenus dans cette position par l’attitude des médias qui dénoncent affaires et scandales sanitaires (sang contaminé, vache folle, OGM, pratiques de soins à risque, revendication de l’application du principe de précaution en santé.). Ainsi, la sinistralité déclarée explose et conduit à une véritable judiciarisation de la santé, même si la situation française n’a rien de comparable avec celle en Amérique du Nord. Le nombre de procès dus à un accident médical (fautif ou non fautif) a doublé en dix ans. Le coût des indemnisations a augmenté d’au moins 350 % durant la même période. L’assurance en responsabilité civile professionnelle des établissements de santé, des médecins et des autres professionnels de santé, plus assez lucrative voire déficitaire, n’intéresse plus les assureurs qui se désengagent de ce secteur. Là où il y avait encore 15 assureurs il y a 10 ans, il en reste 3 ou 4 ! Cependant l’imagerie n’est pas une spécialité à risques élevés. Les assureurs ont calculé qu’aujourd’hui en France, sur 35 années de pratiques professionnelles, un chirurgien a statistiquement 10 ou 11 procès, un anesthésiste-réanimateur 8, un obstétricien 4 ou 5 et un radiologue 1,5 (2). Ce n’est évidemment pas pour nous une raison pour ne rien faire ! La gestion des risques tient également une place importante dans la procédure d’accréditation des établissements de santé et des réseaux de soins par l’ANAES. Un chapitre entier du manuel d’accréditation lui est consacré (référentiel QPR : gestion de la qualité et prévention des risques) (3). Ce thème devient même un

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Unité d’Imagerie de l’Appareil Locomoteur, Institut Calot – Groupe Hopale, 62608 Berck-sur-Mer cedex Correspondance : H Leclet E-mail : [email protected]

fondamental de la seconde mouture de la procédure d’accréditation puisque la gestion des risques est la troisième référence (sur soixante et une) de la version 2 du manuel d’accréditation (4). C’est dire son importance ! La notion de risque est difficile à appréhender. Le risque fait partie de la vie et existe dans toute activité humaine… et dans tout acte de soin. On définit classiquement le risque comme la probabilité objective ou subjective qu’un événement non souhaité se réalise. Le risque n’est pas une fatalité. Il nous faut dépasser cette notion encore trop profondément ancrée dans les esprits ! De très nombreux risques sont évitables. Mais d’autres ne le sont pas. On parle alors d’aléas qui correspondent à l’imparable, l’impondérable qui existe toujours, quelles que soient les précautions prises. Ainsi, tous les accidents médicaux ne sont pas prévisibles, ni évitables, ni fautifs. Quand un risque se réalise, il provoque un sinistre qu’on appelle écart, dysfonctionnement, incident, accident ou catastrophe, selon la gravité de ses conséquences. Le management des risques se définit comme la fonction qui vise, au sein d’une entité (établissement de santé, service ou cabinet d’imagerie), à identifier, analyser, évaluer, éviter les risques qui pourraient compromettre l’atteinte des objectifs de l’entité ou à réduire leurs conséquences et prévoir leur financement. Les objectifs de la gestion des risques en santé (et en imagerie) sont, d’abord et avant tout, d’assurer l’hygiène et les sécurités, dont un grand nombre sont d’ailleurs des obligations réglementaires. Cela revient à éliminer les risques jugés inacceptables et à maîtriser les risques résiduels pour diminuer le nombre des accidents et la gravité de leurs conséquences. C’est passer de l’insécurité à la sécurité. Deux questions fondamentales se posent alors. Tout d’abord, sur quels risques souhaitons-nous agir ? Est-ce sur les risques liés aux pratiques médicales, c’est-à-dire ceux qui ne concernent que les médecins radiologues ? Ou sur les risques liés à la réalisation des actes d’imagerie, qui concernent alors tous les professionnels médicaux et paramédicaux de l’imagerie ? Ou encore sur les risques liés à la prise en charge d’un patient pour réalisation d’un acte d’imagerie, au sens le plus vaste, en incluant là tous les risques (hygiène, vigilances sanitaires, incendie, vol, sécurité des biens et des personnes, radioprotection, sécurité liée à l’utilisation des équipements d’imagerie, sécurité du dossier médical et des données informatiques,…) ? Cette dernière possibilité implique alors tous les membres du service ou cabinet d’imagerie, soignants et non soignants. Le bon sens impose de travailler dans un premier temps sur les risques les plus fréquents et/ou les plus graves et sur ceux dont la maîtrise est imposée par la réglementation. Seconde question : qui a la légitimité pour accepter ou refuser un risque et qui prend cette responsabilité, à l’échelle individuelle et collective ? Le groupe de travail Management de la Qualité – SFR – FNMR – AFPPE – Syndicat des radiologues de l’AP-HP/SEQASS - CERF – SRH qui a publié en avril 2001 le manuel d’auto-évaluation cité en introduction (1), y a proposé dans ce document un « plus petit commun dénominateur » des

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risques à maîtriser dans tout service et cabinet d’imagerie. Audelà de ce minimum incompressible, chacun peut choisir les risques qu’il veut traiter, en fonction des spécificités de sa pratique, de son environnement, des pathologies prises en charge, de son plateau technique, de son histoire et de sa propre sensibilité. Chaque choix est légitime à condition qu’il soit raisonné et pragmatique. Mais la définition du seuil d’acceptation sociale des risques ne peut être que collectif. Il est de notre responsabilité de partager ces choix avec les patients, les associations qui les représentent et les autres acteurs du système sanitaire et de définir ensemble les risques inacceptables et les risques acceptés. Il est de toute façon illusoire de vouloir traiter tous les risques. En effet, nous ne pourrons jamais être sûrs de les avoir tous identifiés, car les risques se déplacent dans le temps et dans l’espace et traiter un risque peut en créer un autre ailleurs, parfois plus dangereux. En pratique et de manière synthétique, mettre en œuvre une démarche de gestion des risques revient à utiliser trois types d’outils. Tout d’abord, des outils pour savoir, c’est-à-dire identifier les risques existants, pour ensuite faire le choix de les accepter ou pas, de les traiter ou pas. Les circuits de signalement des événements indésirables (du petit dysfonctionnement sans gravité au presque accident) se mettent en place dans les établissements de santé, mais, à notre connaissance, il n’y a pas d’outil spécifique de déclaration pour l’imagerie. Puis des outils pour comprendre et analyser la chaîne des causes et l’enchaînement des événements et de leurs conséquences. Ce sont les nombreux, classiques et universels outils d’analyse et de résolution de problèmes. Enfin, des outils pour agir et traiter les risques : les supprimer, les réduire ou en limiter les conséquences et la gravité s’ils se réalisent. Pour être rapidement efficace, la gestion des risques en imagerie (et en santé en général) doit impérativement tenir compte de quelques données avérées issues de l’observation du terrain. On sait en effet que : • de très nombreux sinistres sont dus à une mauvaise organisation plus qu’à des défaillances individuelles et des erreurs humaines, • qu’un accident survient rarement de façon isolée mais qu’il est très souvent précédé de dysfonctionnements mineurs négligés. Ainsi, une politique de prévention basée sur le signalement puis l’analyse et le traitement des événements indésirables peut être très payante, • enfin les vigilances sanitaires réglementées (hémo, pharmaco et matériovigilance) ne représentent que 5 % de la sinistralité déclarée. Aujourd’hui, les vrais risques sanitaires sont donc ailleurs. Cependant, la maîtrise des vigilances est une obligation réglementaire incontournable. Pour espérer réussir une démarche de gestion des risques, il convient de tenir compte de plusieurs facteurs clés de succès. D’abord, les responsables hiérarchiques (médecins radiologues, chefs de service, surveillants, mais aussi les responsables administratifs, en particulier les directeurs d’établissements) doivent prendre conscience de l’importance et de la gravité du problème pour décider de le traiter en appuyant fortement l’action, en montrant l’exemple et en donnant aux acteurs les moyens d’agir. Ensuite, toutes les ressources humaines d’un cabinet/service d’imagerie : radiologues, manipulateurs, secrétaires, infirmières, personnel technique et d’entretien, personnel administratif, doi-

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vent être impliquées. La gestion des risques est une affaire collective. Chacun est concerné, doit être responsabilisé et doit participer à la gestion des risques qui l’entourent. Le bon sens prévaut et doit toujours être présent à l’esprit. La démarche doit être simple, concrète, ciblée, progressive, pragmatique, compatible avec l’organisation du cabinet/service d’imagerie et facilement compréhensible. Sinon, elle sera rejetée et inefficace. L’objectivité, l’approche factuelle et la mesure d’indicateurs qui permettent le suivi temporel et qualitatif des actions sont encore d’autres préceptes à respecter. Les initiés reconnaîtront ici quelques grands fondamentaux de toute bonne démarche qualité, ce qui est normal puisque la gestion des risques est une fille du management de la qualité. Enfin, un dysfonctionnement ne doit plus être assimilé à une faute mais à une opportunité de progrès. L’important n’est pas de dénoncer un coupable (qui n’est d’ailleurs bien souvent luimême que la victime des défauts d’organisation), mais de prendre conscience de la réalité du risque et de traiter sa cause avant qu’il ne se réalise. Ainsi, l’intérêt de diminuer la sinistralité liée aux défauts de nos pratiques est évident. Gérer des risques, c’est gérer des compromis et établir des règles partagées de fonctionnement. Ces actes ne reposent que sur nos décisions, c’est-à-dire sur une bonne part d’appréciatif et de subjectif. Nous devons donc nous méfier de l’impression de fausse sécurité engendrée par le système de gestion des risques lui-même car il existe un fort risque paradoxal de déresponsabiliser les professionnels de l’imagerie sous couvert du strict respect de procédures préétablies. Une bonne démarche de gestion des risques doit évidemment se traduire par des mesures techniques décrites dans un nombre limité de procédures judicieuses focalisées sur les zones les plus risquogènes. Mais ces mesures et ces procédures n’exonèrent pas le professionnel, acteur critique et pensant du système de santé, de sa responsabilité morale individuelle. Les valeurs éthiques et déontologiques qui sous-tendent la politique de gestion des risques en imagerie doivent être partagées entre les professionnels de l’imagerie, mais aussi avec les autres parties intéressées : patients, médecins prescripteurs, payeurs, tutelles. Les radiologues, conscients de leur obligation d’information et de transparence doivent ici encore être proactifs.

Références 1.

2.

3.

4.

Manuel d’auto-évaluation sur les bonnes pratiques organisationnelles et managériales d’un service ou d’un cabinet de radiologie et d’imagerie médicale. http://www.sfr-radiologie.asso.fr (rubrique Groupes de travail, puis Assurance Qualité). Sicot C. Sécurité et gestion des risques : les points de vue de l’assureur. Guide Hygiène et sécurité dans les établissements de santé. AFNOR Edition, Paris, 2001, XII.40. ANAES. Manuel d’accréditation des établissements de santé. Mise à jour Juin 2003, 93-97. http://www.anaes.fr (rubrique Publications puis Accréditation). ANAES. Manuel d’accréditation des établissements de santé. Deuxième procédure d’accréditation. Version expérimentale. Novembre 2003, 33-34. http://www.anaes.fr (rubrique Publications puis Accréditation).

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