Gynécologie Obstétrique & Fertilité 32 (2004) 308–310 www.elsevier.com/locate/gyobfe
Cas clinique
Grossesse sur corne utérine rudimentaire : difficultés diagnostiques et aspects thérapeutiques Pregnancy in rudimentary uterine horn: diagnostic and therapeutic difficulties O. Sefrioui, M. Azyez *, A. Babahabib, F. Kaanane, N. Matar Service de gynécologie–obstétrique B, maternité Lalla-Meryem, CHU Ibn-Rochd, Casablanca, Maroc Reçu le 11 avril 2002 ; accepté le 29 janvier 2004
Résumé La survenue d’une grossesse dans une corne utérine rudimentaire est une situation obstétricale extrêmement rare. L’association d’une grossesse intra-utérine et d’une grossesse implantée dans une corne utérine rudimentaire est une forme de grossesse gémellaire exceptionnelle. Les auteurs rapportent trois observations de grossesse dans une corne utérine rudimentaire dont une était associée à une grossesse dans la corne eutrophique. À travers ces trois cas, ils relatent les risques encourus et les difficultés de la prise en charge de ce type de pathologie, tant sur le plan diagnostique que thérapeutique. Mais, d’une manière générale, soulignent l’intérêt de l’échographie, surtout endovaginale, et de la cœlioscopie dans le diagnostic précoce de ce type de malformation utérine. © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract Ectopic pregnancy in a rudimentary uterine horn is extremely uncommon. Implantation of one embryo in the uterine cavity and of another in a rudimentary uterine horn is an extremely uncommon form of twin pregnancy. The authors report three cases of pregnancies in a rudimentary uterine horn. One was associated to a heterotopic pregnancy in the other eutrophic horn. Through these three cases, they report the risks incurred and the difficulties of the assumption of responsibility of this type of pathology, on the diagnostic as well as therapeutic level. But generally underline the interest of echography especially endovaginale and the coelioscopy in the early diagnosis of this type of uterine malformation. © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Corne utérine rudimentaire ; Grossesse ; Grossesse hétérotopique Keywords: Rudimentary uterine horn; Pregnancy; Ectopic pregnancy
1. Introduction La corne utérine rudimentaire appartient au groupe des malformations utérines majeures selon la classification de
* Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (M. Azyez). © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.gyobfe.2004.01.015
Musset [1]. La fréquence d’une grossesse dans une corne utérine rudimentaire est estimée à un cas sur 150 000 grossesses [2]. L’association d’une grossesse dans l’utérus pseudo-unicorne et d’une grossesse dans la corne utérine rudimentaire est une forme de grossesse gémellaire exceptionnelle. Deux cas ont été décrits dans la littérature [2]. Nous rapportons trois observations de grossesse dans une corne rudimentaire dont une hétérotopique.
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2. Cas cliniques 2.1. Observation no 1 Mme M.S., âgée de 20 ans, primigeste, a consulté au terme de 22 semaines d’aménorrhée pour des douleurs pelviennes et des métrorragies de faible abondance. À l’admission, la patiente était consciente avec un état hémodynamique stable. L’examen retrouvait une sensibilité pelvienne, le toucher vaginal, un utérus augmenté de volume, et un col long, fermé, postérieur. L’échographie endovaginale montrait un hémi-utérus gauche vide et une grossesse arrêtée de 22 semaines d’aménorrhée siégeant dans une corne rudimentaire droite. Pour des raisons purement techniques, une laparotomie à la place d’une cœlioscopie est réalisée. L’exploration a montré un utérus unicorne gauche intact avec annexe gauche normale et une corne rudimentaire droite avec annexe droite normale. Nous avons procédé à une résection de la corne rudimentaire contenant la grossesse avec sa trompe qui n’était reliée à la corne gauche que par un mince tractus fibreux sans aucune communication, ainsi qu’une réimplantation du ligament rond sur l’hémi-utérus. 2.2. Observation no 2 Mme B.F., âgée de 33 ans, ayant un enfant vivant, sans antécédents obstétricaux pathologiques, a été admise pour des douleurs pelviennes sur un retard de règles à huit semaines d’aménorrhée. L’échographie sus-pubienne retrouvait une grossesse évolutive de dix semaines d’aménorrhée et une malformation utérine diffıcile à préciser y compris après la réalisation d’une cœlioscopie étant donné le stade précoce de la grossesse et la petite taille de la corne. Devant le doute diagnostique concernant le type de la malformation, les risques de laisser évoluer la grossesse sur cet utérus malformé, une surveillance clinique et échographique rapprochée a été alors décidée. Cinq jours plus tard, la patiente a présenté un tableau de choc hémorragique. La laparotomie a permis l’évacuation d’un hémopéritoine de deux litres et a retrouvé une corne rudimentaire rompue qui a été réséquée. Les suites opératoires ont été simples. 2.3. Observation no 3 Mme E.S., âgée de 27 ans, deux enfants vivants issus de deux grossesses spontanées à développement normal, a été hospitalisée en urgence dans un tableau de choc hémorragique avec douleurs pelviennes, sur un retard de règles à huit semaines d’aménorrhée. Ce tableau d’extrême urgence avec hémorragie interne importante n’a pas permis l’exploration préopératoire et a imposé sans délai une laparotomie pour suspicion du GEU. L’exploration a montré un hémopéritoine d’un litre, une corne utérine gauche borgne rompue à son extrémité supérieure avec issue d’un sac
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embryonnaire complet colmaté par l’épiploon et un utérus unicorne ramolli gravide. L’intervention a consisté en une résection de la corne rudimentaire. L’échographie, réalisée en postopératoire, a montré la présence en intra-utérin d’un embryon avec activité cardiaque négative estimée à 12 SA. Un curetage a été réalisé. Chez nos trois patientes, l’exploration des loges rénales en peropératoire ainsi qu’une urographie intraveineuse réalisée après quatre mois n’avaient pas montré de malformations rénales.
3. Discussion Du point de vue de l’embryologie, les utérus pseudounicornes résultent d’un défaut de développement d’un des deux canaux de Müller. Ils ne sont pas fréquents et représentent environ 12 % des malformations utérines [1,3]. Seule une partie d’entre eux possède une corne rudimentaire canaliculée et tapissée d’un endomètre fonctionnel permettant l’implantation d’un œuf [1]. Dans 90 % des cas, il n’y a pas de communication avec la corne normale selon Buttram [4]. Cependant, dans la classification de Musset [1], il n’existe jamais de communication entre la corne rudimentaire et la corne eutrophique. L’absence de rétention menstruelle peut être expliquée par l’aplasie de l’isthme dont la présence est nécessaire à l’instauration de la menstruation. Cette malformation utérine majeure est associée dans 10 % des cas à des malformations urinaires type agénésie ou ectopie rénale homolatérale [3] et parfois à des malformations osseuses (spina bifida) et/ou ovariennes (ectopie). En dehors de la grossesse, les utérus pseudo-unicornes sont la malformation utérine la plus difficile à détecter par l’échographie et c’est la cœlioscopie qui détermine de façon formelle ce type de malformation utérine. L’IRM peut certainement apporter une aide notable au diagnostic [5]. Ce bilan radiographique est réalisé devant une dysménorrhée, une stérilité inexpliquée ou des avortements à répétition ou de découverte fortuite lors d’une intervention. Dans les trois premiers mois de la grossesse, on peut être alerté par une masse latéro-utérine correspondant à la petite corne gravide à côté de la corne normale. Cette masse fait évoquer une grossesse extra-utérine ou un kyste de l’ovaire, une cœlioscopie est proposée lorsqu’il y a un doute sur la localisation de la grossesse ou sur la nature de la malformation utérine [5,6]. Dans notre cas, l’observation no 1 illustre l’intérêt de l’échographie endovaginale qui a permis de poser le diagnostic avec certitude à la 22e semaine d’aménorrhée. En revanche, dans l’observation no 2, l’échographie a permis de détecter une malformation utérine sans en préciser la nature. Le doute diagnostique a persisté même après la réalisation de la cœlioscopie étant donné le stade précoce de la grossesse et la petite taille de la corne rudimentaire. Ce n’est que plus tard, au stade de la complication, que le recours à la laparotomie s’est avéré nécessaire, affirmant ainsi le diagnostic et permettant l’exérèse de la corne utérine rudimentaire.
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La complication la plus fréquente et la plus redoutable est la rupture utérine de la grossesse sur la corne rudimentaire survenant en général pendant le deuxième trimestre (80 à 90 % des cas) [5,7–9], réalisant un syndrome abdominal aigu hémorragique similaire à une GEU rompue cataclysmique. Une grossesse dans une corne rudimentaire permettrait exceptionnellement de donner naissance à un enfant à terme. Neuf cas d’enfants vivants ont été rapportés dans la littérature [2,10,11]. Enfin, il peut y avoir mort in utero du fœtus et formation d’un fœtus papyracé [5,7]. Si l’anomalie est détectée avant toute gestation, l’attitude thérapeutique pour la majorité des auteurs est l’exérèse de la corne, surtout si elle est creuse ; d’autres préconisent une simple ligature tubaire unilatérale [5,10]. Au cours de la grossesse lorsqu’il n’y a pas de rupture et si l’enfant est vivant, on pourrait attendre l’évolution de la grossesse jusqu’au terme tout en prenant des mesures strictes de surveillance de cette gestation [11,12]. Aireau [12] a présenté deux cas d’évolution favorable d’une grossesse dans une corne utérine rudimentaire où une attitude conservatrice a été adoptée sous surveillance en milieu hospitalier avec tocolyse et césarienne à 33 SA et 36 SA, alors que le diagnostic était connu dès le premier trimestre. En cas de rupture de la corne rudimentaire gravide ou de rétention d’œuf mort, l’ablation de la corne gravide s’impose. Après extraction du fœtus, on réalise une hémi-hystérectomie associée à une salpingectomie homolatérale à l’anomalie afin d’éviter tout risque de grossesse ectopique ultérieure. Dans le cas particulier d’une grossesse combinée dont l’une sur corne utérine rudimentaire, le fœtus dans l’utérus pseudo-unicorne a une survie très compromise par le risque de collapsus entraîné par la rupture de la corne gravide controlatérale. Si la grossesse dans la corne rudimentaire s’arrête, les risques possibles dans l’évolution de la grossesse restante sont liés au maintien d’un mort in utero avec d’éventuels troubles de la coagulation et passage possible de microthrombis entraînant des lésions du deuxième jumeau [13,14]. Le traitement de la grossesse hétérotopique a pour but de supprimer la grossesse cornuale en conservant au maximum la GIU, de préserver la fertilité ultérieure et de limiter les risques de récidive. Le traitement peut être médical ou chirurgical (cœlioscopie ou laparotomie) [15]. La cœlioscopie est l’examen de référence pour confirmer le diagnostic [16] et réaliser le geste thérapeutique. Elle permet en effet le traitement de la GEU sans grande conséquence sur la GIU surtout quand le diagnostic est fait précocement. La laparotomie peut être indiquée quand la GIU est avancée ou en cas de choc hémorragique. Le traitement chirurgical [16] doit s’efforcer d’être conservateur et consiste en une résection de la corne utérine rudimentaire gravide tout en protégeant la grossesse restante par tocolyse si elle est évolutive [13]. Le
traitement médical repose sur l’injection intratubaire sous contrôle échographique de chlorure de potassium avec un taux de succès de 80 % [17]. 4. Conclusion La découverte d’un utérus unicorne justifie la recherche par l’échographie et/ou la cœlioscopie d’un utérus rudimentaire susceptible d’être le siège ultérieur d’une grossesse. Dans une telle situation, la résection de cette corne rudimentaire s’avère nécessaire pour prévenir la rupture qui peut engager le pronostic vital maternel. Références [1] [2] [3] [4] [5] [6] [7]
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