Hallucinations auditives induites par le voriconazole : illustration par le monitorage plasmatique

Hallucinations auditives induites par le voriconazole : illustration par le monitorage plasmatique

Journal de Mycologie Médicale (2011) 21, 214—216 CAS CLINIQUE/CASE REPORT Hallucinations auditives induites par le voriconazole : illustration par l...

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Journal de Mycologie Médicale (2011) 21, 214—216

CAS CLINIQUE/CASE REPORT

Hallucinations auditives induites par le voriconazole : illustration par le monitorage plasmatique Auditory hallucinations due to voriconazole: Illustration by plasma monitoring E. Gaïes *, N. Jebabli, I. Salouage, S. Trabelsi, R. Charfi, M. Lakhal, A. Klouz Service de pharmacologie clinique, centre national de pharmacovigilance de Tunis, 9, avenue Dr. Zouheir-Essafi, 1006 Tunis, Tunisie Rec¸u le 12 fe´vrier 2011 ; rec¸u sous la forme re´vise´e 2 juin 2011; accepte´ le 7 juin 2011 Disponible sur Internet le 20 juillet 2011

MOTS CLÉS Voriconazole ; Aspergillose ; Hallucinations auditives ; Suivi thérapeutique ; Intervalle thérapeutique

Résumé Le voriconazole est un antifongique de deuxième génération largement indiqué dans le traitement de l’aspergillose invasive. Ce médicament est relativement bien toléré. Néanmoins, il présente quelques effets indésirables dont l’hépatotoxicité, la photosensibilité, les rashs cutanés et les troubles visuels. Les hallucinations ont été également rapportées comme effets indésirables. Cependant, les hallucinations auditives ont été rarement observées et semblent secondaires à des concentrations toxiques de voriconazole. Nous rapportons dans ce travail un cas d’hallucination auditive avec un suivi thérapeutique des concentrations plasmatiques de voriconazole. Il s’agit d’un patient âgé de 38 ans, traité par du voriconazole par voie intraveineuse pour aspergillose pulmonaire. Sept jours après le début du traitement, le patient présente soudainement des hallucinations auditives associées à une incohérence et une désorientation temporospatiale. La détermination des concentrations plasmatiques du voriconazole de façon concomitante à l’apparition des hallucinations a montré une concentration plasmatique résiduelle (C0) de 7,5 mg/mL (intervalle thérapeutique : 1,4—1,8 mg/mL) et une concentration au pic (Cpic) de 9,83 mg/mL (intervalle thérapeutique : 2,1—4,8 mg/mL). Le voriconazole a été arrêté et deux jours après, il y a eu une disparition complète de la symptomatologie avec une diminution importante et concomitante de la concentration plasmatique du voriconazole (C0 = 0,11 mg/mL et Cpic = 2,17 mg/mL). Ainsi, nous avons impliqué le voriconazole dans l’apparition de ces hallucinations, vu l’apparition soudaine des hallucinations associées à des concentrations toxiques de voriconazole et l’importante diminution des concentrations de voriconazole concomitantes à l’arrêt de ce médicament et à la disparition des symptômes. # 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

* Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (E. Gaïes). 1156-5233/$ — see front matter # 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.mycmed.2011.06.002

Hallucinations auditives et voriconazole

KEYWORDS Voriconazole; Aspergillosis; Auditory hallucination; Therapeutic monitoring; Therapeutic interval

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Summary Voriconazole is a second-generation azole antifungal that is widely indicated in the treatment of invasive aspergillosis. It is generally well tolerated. It has nevertheless numerous side effects like hepatotoxicity, photosensitivity, skin rashes, and visual disturbances. Hallucinations were also reported as side effects to voriconazole but auditory hallucinations were rarely reported and seem to be related to toxic voriconazole blood levels. We report, herein, a case of auditory hallucination with monitoring of voriconazole plasma concentration during hallucination and after its disappearance. A 38-year-old man was treated with intravenously voriconazole for a pulmonary aspergillosis. Seven days after the initiation of voriconazole, the patient presented a sudden history of auditory hallucination associated to incoherence and temporo-spatial disorientation. Therapeutic drug monitoring of voriconazole showed a plasmatic residual concentration (C0) of 7.5 mg/mL (therapeutic interval: 1.4—1.8 mg/mL) and a pic concentration (Cmax) of 9.83 mg/mL (therapeutic interval: 2.1—4.8 mg/ml). Voriconazole was then stopped and, two days later, symptomatology completely disappeared and at the same time levels of voriconazole decreased (C0 = 0.11 mg/mL and Cmax = 2.17 mg/mL). We concluded in our case that the patient’s auditory hallucinations were caused by voriconazole treatment. In fact, the sudden onset of hallucinations was concomitant with high plasmatic voriconazole levels, and since the medication was stopped, an important decrease of voriconazole levels was observed which was associated with a sudden disappearance of the auditory hallucinations. # 2011 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Introduction Le voriconazole est un antifongique de deuxième génération largement indiqué dans le traitement de l’aspergillose invasive et en prophylaxie chez les sujets greffés à haut risque [7,9]. Ce médicament est relativement bien toléré. Néanmoins, il présente quelques effets indésirables dont l’hépatotoxicité, la photosensibilité, les rashs cutanés et les troubles visuels qui sont essentiellement à type de vision trouble, chromatopsie et photophobie [2,10,15]. Les hallucinations ont été également rapportées comme effets indésirables ; elles sont souvent de type visuel [8,16]. Concernant les hallucinations auditives, elles ont été rarement observées. Elles peuvent être isolées [1] ou associées à des hallucinations visuelles [16] et sont généralement décrites dans le cadre de toxicité neurologique au voriconazole [12,13]. Bien que le mécanisme physiopathologique reste mal connu, le mécanisme toxique de ces hallucinations reste le plus probable. Dans la littérature, les mesures des concentrations plasmatiques du voriconazole n’ont pas été toujours faites ni au moment de la survenue de ce type d’effets indésirable ni à sa disparition. Nous rapportons, dans ce travail, un cas d’hallucination auditive avec un suivi des concentrations plasmatiques de voriconazole.

Cas clinique Il s’agit d’un patient âgé de 38 ans, présentant une aplasie médullaire et traité par du voriconazole à la dose de 300 mg deux fois par jour par voie intraveineuse pour aspergillose pulmonaire. Sept jours après le début du traitement par le voriconazole, le patient a présenté soudainement des hallucinations auditives associées à une incohérence et une désorientation temporospatiale. Le patient entendait plusieurs voies lointaines de personnes inconnues et présentait une attitude d’écoute vis-à-vis de ces hallucinations. Ces hallucinations auditives n’étaient pas accompagnées d’hallucinations visuelles. Par ailleurs, en l’interrogeant, il présentait

un manque de suite dans les idées avec un désordre dans ses pensées. La détermination des concentrations plasmatiques du voriconazole par HPLC de façon concomitante à l’apparition des hallucinations a montré une concentration plasmatique résiduelle (C0) de 7,5 mg/mL (intervalle thérapeutique : 1,4—1,8 mg/mL) et une concentration au pic (Cpic), soit 30 minutes après la fin de la perfusion de 9,83 mg/mL (intervalle thérapeutique : 2,1—4,8 mg/mL). Par ailleurs, le bilan biologique hépatique et rénal était correct. Devant ce tableau clinique avec des concentrations toxiques de voriconazole, il a été décidé d’arrêter ce médicament. Deux jours après, il y a eu une disparition complète de la symptomatologie qui a duré, en tout, cinq jours avec une diminution importante et concomitante de la concentration plasmatique du voriconazole (C0 = 0,11 mg/mL et Cpic = 2,17 mg/mL).

Discussion Le voriconazole est un antifongique à large spectre qui a montré son efficacité dans le traitement des infections fongiques opportunistes à Aspergillus mais également dans les infections dues à des espèces moins fréquentes comme le Fusarium [4,14]. Ce médicament est métabolisé au niveau du foie par le système CYP 450, essentiellement par le CYP2C9, CYP3A4 et CYP2C19 [1] expliquant les nombreuses interactions médicamenteuses qui peuvent être observées [3]. Il passe la barrière hématoencéphalique atteignant des concentrations élevées dans le liquide cérébrospinal et le cerveau [5,6]. En fait, sa concentration dans le liquide cérébrospinal représente approximativement 50 % de sa concentration plasmatique [1]. La concentration élevée de voriconazole au niveau cérébral peut expliquer la survenue des effets indésirables neurologiques, notamment lorsque les concentrations circulantes deviennent importantes, voire toxiques. Ces effets indésirables incluent l’encéphalopathie, la neuropathie périphérique, l’anxiété et les hallucinations [11,12,16]. Imbof et al. [8] ont montré que tous les patients présentant des troubles neurologiques avaient des concentrations circulantes de voriconazole supérieures à 5,5 mg/mL. Par la suite, ce résultat a été confirmé par une autre équipe

216 [12] qui a montré que le risque de neurotoxicité augmente avec la concentration plasmatique de voriconazole et pouvant atteindre une fréquence de 90 % à la concentration de 8 mg/mL. Parmi les effets indésirables neurologiques, les hallucinations auditives étaient relativement rarement rapportées et la concentration plasmatique du voriconazole n’était pas toujours fournie. Le premier cas d’hallucinations auditives était rapporté en 2003 par Agrawal et Sherman [1] chez un patient âgé de 78 ans ayant une leucémie myéloïde aiguë et traité en prophylaxie par du voriconazole à la dose de 600 mg/j. Ce patient a présenté des hallucinations auditives trois jours après le début du voriconazole, et trois jours après l’arrêt du traitement, les hallucinations avaient complètement disparu. Les concentrations de voriconazole n’ont pas été déterminées chez ce patient. Depuis cette observation, les hallucinations auditives n’ont été rapportées qu’en 2008 dans le travail de Zonios et al. [16]. Dans cette étude prospective, 72 patients ont été traités par du voriconazole ; les hallucinations visuelles ont été observées dans 12 cas (16,6 %), associées à des hallucinations auditives dans quatre cas. Chez ces quatre patients, la dose de voriconazole était de 6 mg/kg par jour ; les hallucinations étaient apparues le premier jour du traitement par le voriconazole dans trois cas et la durée de ces symptômes était de deux à cinq jours. Le voriconazole a été arrêté dans deux cas et administré par voie orale dans les deux autres cas. Dans cette étude, les concentrations plasmatiques de voriconazole ont été mesurées chez seulement six patients parmi les 12 qui ont présenté les hallucinations et étaient supérieures à 5 mg/mL (5,24—5,79 mg/mL) dans cinq cas, mais malheureusement on n’a pas précisé si ces six patients comprenaient ceux qui avaient les hallucinations auditives ou non. Ces auteurs suggèrent que l’incidence des hallucinations retrouvée dans leur travail est élevée par rapport à ce qui est décrit dans la littérature et l’attribuent à l’analyse prospective axée sur le recueil des effets indésirables et au terrain particulier des malades, incluant ceux ayant des pathologies malignes. Dans le travail de Pascual et al. [12] publié également en 2008, les auteurs ont noté que cinq patients parmi 52 avaient développé des effets indésirables d’ordre neurologiques dont un seul avait présenté des hallucinations auditives six jours après le début du traitement par du voriconazole à la dose de 7 mg/kg par jour, voie intraveineuse. La concentration plasmatique du voriconazole chez ce patient était de 5,6 mg/mL et les symptômes avaient complètement disparu six jours après l’arrêt du traitement. Notre cas rejoint ce qui est décrit dans la littérature, puisque notre malade avait une concentration plasmatique résiduelle de voriconazole supérieure à 5,5 mg/mL (C0 = 7,5 mg/mL) au moment où il avait des hallucinations auditives. Dans notre cas, nous avons pu objectiver des concentrations de voriconazole faibles (C0 = 0,11 mg/mL) concomitantes à l’arrêt du médicament et à la disparition des symptômes. Cela est un argument fort dans l’implication du mécanisme toxique du voriconazole dans l’apparition des hallucinations auditives et témoigne de la nécessité du monitoring régulier de ce médicament afin de prévenir de tels incidents surtout que la relation effets indésirables neurologiques/concentration plasmatique du voriconazole paraît vraisemblable. L’illustration de ce cas par le monitorage plasmatique concomitant du voriconazole vient appuyer l’hypothèse de

E. Gaïes et al. l’origine toxique des hallucinations auditives induites par le voriconazole. Cela nous amène à proposer un suivi thérapeutique régulier des concentrations circulantes de voriconazole permettant d’être à la fois efficace et d’éviter une éventuelle toxicité.

Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

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