Hyperbilirubinémies sévères et ictères nucléaires en France en 2011

Hyperbilirubinémies sévères et ictères nucléaires en France en 2011

Table ronde Traitements actuels des ictères néonatals Hyperbilirubinémies sévères et ictères nucléaires en France en 2011 A. Bedu Unité de Néonatolog...

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Table ronde Traitements actuels des ictères néonatals

Hyperbilirubinémies sévères et ictères nucléaires en France en 2011 A. Bedu Unité de Néonatologie, Département de Pédiatrie Medicale, Hôpital de la Mère et de l’Enfant, Limoges

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’ictère en période néonatale est une pathologie d’une grande fréquence retrouvée chez 50 à 70 % des nouveaunés (NN), sans aucune conséquence dans l’immense majorité des cas, concourant ainsi à sa banalisation. Seul un très faible nombre d’enfants présenteront une hyperbilirubinémie (HB) sévère aux conséquences redoutables en l’absence de prise en charge adéquate ou retardée. La prise en charge dans les années 1950 des incompatibilités Rhésus par les exsanguino-transfusions, le développement de l’immunoprophylaxie Rhésus, puis l’introduction de la photothérapie ainsi que ses améliorations techniques, en a fait considérablement diminuer l’incidence laissant croire que cette pathologie avait disparu. La résurgence d’ictères nucléaires constatée aux États-Unis dans les années 1990, en partie liée aux sorties précoces de maternité, a donné lieu à des recommandations de l’Académie américaine de pédiatrie (AAP) [1,2]. En France, un récent communiqué de l’Académie nationale de médecine alerte également sur la résurgence de l’ictère nucléaire [3].

1. Définitions La définition des HB sévères du NN n’est pas univoque et reste difficile car elle repose sur des taux de bilirubine totale pour lesquels ont été décrites des atteintes neurologiques. Le taux de 340 μmol/l (200 mg/l) est le plus souvent cité. Les facteurs augmentant la diffusion de la bilirubine libre (indirecte) à travers la barrière hémato-encéphalique (âge < 2 jours, prématurité, acidose, taux élevé concomitant de bilirubine conjuguée (directe), hypo-albuminémie ou utilisation de drogues diminuant la liaison bilirubine-albumine, durée prolongée de l’HB) sont susceptibles d’en accroître la toxicité [1,4,5]. Cette toxicité vis-à-vis du système nerveux central intéresse préférentiellement les pallidum et les noyaux sous thalamiques, cochléaires et oculomoteurs [5,6]. L’AAP distingue le terme « encéphalopathie aiguë bilirubinémique » (acute bilirubin encephalopathy) pour désigner les manifestations aiguës et potentiellement réversibles présentées par le NN (somnolence, léthargie, succion faible, hypotonie auxquelles succèdent en l’absence de traitement, cri aigu, hypertonie avec opisthotonos, apnées, convulsions pouvant conduire au décès) de celui d’ictère nucléaire (kernicterus) pour les séquelles chroniques Correspondance. e-mail : [email protected]

fixées (dystonie, chorée-athéthose, surdité centrale prédominant sur les aigus, paralysie oculomotrice, dysplasie dentaire) [1]. A posteriori, l’imputabilité de l’ictère dans la survenue d’anomalies du développement psychomoteur va reposer sur la combinaison d’arguments anamnestiques, cliniques et paracliniques. La notion d’antécédents d’ictère intense du NN (avec éventuels signes cliniques concomitants) et la constatation d’anomalies neurologiques fixées (dystonie, chorée…) sont nécessaires [5]. La mise en évidence d’anomalies des potentiels évoqués auditifs (diminution d’amplitude, latence des ondes III et V) alors que la recherche des oto-émissions reste positive (atteinte des noyaux auditifs) est un élément évocateur d’ictère nucléaire [5]. Une atteinte isolée des pallidum et des noyaux sous thalamiques, (perte neuronale et gliose) objectivée à l’IRM (hyper puis hypo intensité en T1, hyper intensité FLAIR et T2 ensuite) est très spécifique de l’ictère nucléaire [5,6].

2. Incidence de l’ictère nucléaire et des HB sévères La plupart des études d’incidence reposent sur des registres de cas rapportés avec des définitions parfois différentes. En Grande-Bretagne une incidence de 7,1/100 000 cas d’HB libre ≥ 510 μmol/l est rapportée [7]. Au Danemark un taux de 45/100 000 est retrouvé pour les NN présentant un taux de bilirubine totale ≥ 450 μmol/l [8]. Dans ces deux études, le taux d’ictère nucléaire est proche de 1/100 000 NN [7,8]. Au Canada, on retrouve une incidence d’encéphalopathie aiguë de 1/49 000 et d’ictère nucléaire de 1/43 000. Aux États-Unis, 98/119 NN (82 %) présentant un ictère nucléaire avaient une bilirubinémie totale ≥ 513 μmol/l [1]. Des données du Centre national de référence en hémobiologie périnatale (CNRHP) regroupant 283 cas (allo-immunisations Rh et Kell exclues) permettent d’estimer l’incidence des bilirubinémies ≥ 340 μmol/l et ≥ 425 μmol/l à respectivement 37/100 000 et 8/100 000 en Île-de-France. L’analyse rétrospective des registres d’ictères nucléaires a permis d’identifier des facteurs de risque pour la survenue d’ictère sévère : âge gestationnel ≤ 37 SA, sexe masculin, sortie précoce de maternité avec un taux de bilirubine (ou bilirubine transcutanée) précédant la sortie en zone de risque des courbes prédictives (normogramme), allaitement maternel exclusif mal initié avec perte de poids, allo-immunisation ou incompatibilité de groupe ABO, déficit en G6PD, origine est-asiatique, céphalhématome [1,2,7,8].

17 © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Archives de Pédiatrie 2011;18:17-18

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Archives de Pédiatrie 2011;18:17-18

Pour les NN avec taux ≥ 340 μmol/l le CNRHP retrouve une incompatibilité ABO dans 36 % des cas, un déficit en G6PD (19 %), un allaitement difficile associé à une prématurité tardive et/ou un hématome dans 35 % des cas. En fonction de la date de survenue de l’ictère, les incompatibilités ABO représentent 65 % des étiologies pour un âge ≤ J3 alors qu’au-delà, hématomes, allaitement difficiles ou AG ≤ 37 SA sont retrouvés dans plus de la moitié des cas.

(ictère nucléaire) en l’absence de dépistage et de prise en charge adaptée. L’évaluation pour chaque NN du risque d’HB prenant en compte ses facteurs de risque, l’étiologie éventuelle (allo-immunisations, déficit en G6PD), la cinétique de la bilirubine pendant le séjour en maternité et au moment de la sortie, conditionne le suivi. Ce dépistage rationalisé avec utilisation adéquate de la photothérapie devrait permettre d’éviter les HB sévères.

3. Prévention

Références

L’ictère est la complication la plus fréquente après 48 h de vie et intéresse 2,5 % de l’ensemble des NN [9]. La survenue d’HB sévères au-delà de J3 (plus de 50 % des cas du CNRHP) impose la prise en compte des recommandations de l’ANAES [10]. Il est clairement énoncé qu’une sortie précoce est contre-indiquée en cas : « d’ictère avec bilirubinémie prédictive d’ictère sévère selon les courbes de référence, d’ictère des 24 premières heures de vie, d’antécédent d’ictère grave dans la fratrie, d’incompatibilités rhésus ou ABO, de risque d’infection néonatale » [10]. Il est de plus recommandé de prendre en compte les facteurs de risque de survenue d’ictère sévère cités ci-dessus (ictère avant 24 h de vie, antécédents d’ictère sévère, allaitement maternel exclusif…) [2,10]. Des propositions plus récentes suggèrent une mesure systématique de la bilirubine (sérique ou transcutanée) avant la sortie, avec évaluation du risque sur courbe spécifique. L’algorithme proposé varie selon les facteurs de risque associés [2]. En cas de sortie avant 72 h de vie un suivi de 48 h doit être organisé avec mesure transcutanée de la bilirubinémie ; une sortie à moins de 24 h de vie implique de répéter cette mesure quotidiennement jusqu’à J3, puis en fonction de l’évolution des taux [2]. L’information des parents et le soutien cohérent pour un allaitement maternel efficace doivent également être intégrés à cette démarche préventive qui suppose un réseau de soins d’aval efficace.

4. Conclusion Les HB sévères ne représentent qu’une faible part des ictères néonataux, mais sont pourtant responsables de séquelles définitives

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