Hypertension intracrânienne idiopathique chez l’enfant drépanocytaire

Hypertension intracrânienne idiopathique chez l’enfant drépanocytaire

Journal français d’ophtalmologie (2015) 38, e5—e6 Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.com LETTRE À L’ÉDITEUR Hypertension intra...

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Journal français d’ophtalmologie (2015) 38, e5—e6

Disponible en ligne sur

ScienceDirect www.sciencedirect.com

LETTRE À L’ÉDITEUR Hypertension intracrânienne idiopathique chez l’enfant drépanocytaire Pseudotumor cerebri in children with sickle cell disease Une diplopie binoculaire d’apparition brutale chez un drépanocytaire doit faire suspecter une complication neurologique aiguë et grave, parmi celles qui sont habituellement retrouvées sur ce terrain : accident vasculaire cérébral, hématome intracrânien, thrombophlébite cérébrale. Si les céphalées, fréquentes chez le drépanocytaire, sont souvent interprétées comme une manifestation clinique de l’anémie chronique, elles peuvent révéler une hypertension intracrânienne secondaire et, beaucoup plus rarement, une hypertension intracrânienne idiopathique (HII). Une martiniquaise de 14 ans drépanocytaire SS se plaignait de céphalées, d’une diplopie binoculaire en position primaire et dans le regard droit et gauche, d’une photophobie et de vomissements d’apparition aiguë. Ses antécédents étaient marqués par de nombreuses crises vaso-occlusives osseuses et par des pneumopathies. Aucun traitement antérieur par échanges plasmatiques, transfusion ou hydroxyurée n’était noté. Son indice de masse corporel était normal pour son âge. Elle était apyrétique et ne présentait aucun signe neurologique. L’examen ophtalmologique montrait une diminution de l’acuité visuelle à droite à 8/10 non améliorable et une acuité de 10/10 à gauche avec une correction optique appropriée. Le fond d’œil révélait un œdème papillaire de stase bilatéral prédominant à droite. La tomographie par cohérence optique mesurait l’épaisseur de la couche RNFL à 288 microns à droite, 211 microns à gauche. L’angle de l’ésotropie était de 30 dioptries au test à l’écran unilatéral. L’examen de la motilité oculaire montrait une paralysie bilatérale de l’adduction, secondaire à une paralysie des nerfs abducens droit et gauche illustrée par le test de Hess-Lancaster. La périmétrie cinétique ne montrait pas d’altération du champ visuel ni d’élargissement de la tâche aveugle. L’imagerie par résonance magnétique cérébrale était normale. La ponction lombaire mettait en évidence une hyperpression du liquide cérébrospinal à 29 cm d’eau, pour une valeur normale inférieure à 25 cm d’eau chez l’enfant de plus de 8 ans, confirmant le diagnostic d’HII [1]. L’analyse biologique du http://dx.doi.org/10.1016/j.jfo.2014.04.021 0181-5512/© 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

liquide était normale. Un traitement par acétazolamide oral à 10 mg/kg/j était institué, et permettait une disparition des symptômes en huit jours. À 7 mois, l’acuité visuelle, le champ visuel et le test de Hess-Lancaster étaient normaux, seul persistait un œdème papillaire chronique bilatéral : l’épaisseur de la couche RNFL s’élevait à 125 microns à droite et 138 à gauche. La drépanocytose est une hémoglobinopathie autosomique récessive fréquente dans la population afroaméricaine. Les accidents vasculaires cérébraux sont une des principales causes de morbidité et de mortalité [2]. Les diverses étiologies et causes favorisantes de l’HII ont été exclues dans notre observation (troubles de la coagulation, anémies, infections, endocrinopathies, thrombophlébite cérébrale, prise de poids rapide et importante ou prise médicamenteuse [3]). D’une expression voisine à celle de l’adulte, l’HII chez l’enfant se traduit fréquemment par une apathie ou une somnolence plutôt que par des douleurs [4]. Une diplopie par paralysie du nerf abducens est plus rarement observée (9 % versus 12 % chez l’adulte) [1]. La physiopathologie de l’HII est mal connue, cependant, l’association avec l’anémie chronique est bien établie. De nombreuses observations ont été rapportées au cours des anémies mégaloblastiques, ferriprives, aplastiques acquises ou hémoglobinuriques (hémoglobinurie paroxystique nocturne) [5—8]. Des modifications hémodynamiques dues à l’hypoxie des tissus cérébraux entraîneraient une augmentation de la perméabilité capillaire cérébrale, à l’origine d’une hyperpression du liquide cérébrospinal [6]. La drépanocytose a été exceptionnellement mise en cause dans l’HII de l’enfant. Seuls 3 cas ont été rapportés. Toutes étaient des filles de 8 à 16 ans ayant vécu de graves complications drépanocytaires. L’une, drépanocytaire SC de 9 ans et demi, obèse, a souffert d’une HII quelques mois après l’introduction de l’hydroxyurée, suggérant la responsabilité de ce traitement. Les deux autres étaient drépanocytaires SS. Dans un cas, l’HII s’est révélée par une diminution de l’acuité visuelle et dans l’autre cas par des céphalées [9]. Dans aucune de ces observations ne figurait comme dans la nôtre une paralysie bilatérale du nerf abducens. L’HII est aussi exceptionnelle chez l’adulte drépanocytaire, car 2 cas ont été décrits [10]. Afin de prévenir les séquelles oculaires, l’acétazolamide est actuellement le traitement de choix. Prescrit à la dose de 10 à 15 mg/kg/j, il permet la disparition de l’œdème papillaire en 3 à 9 mois [1].

e6 Bien que l’association de l’HII à divers types d’anémie chronique soit bien établie, l’HII est exceptionnelle dans la drépanocytose. Elle survient chez l’enfant ou l’adulte, et ne semble pas avoir de forme génotypique de prédilection. La sévérité du syndrome drépanocytaire pourrait favoriser son apparition. Cependant, un œdème papillaire chez un patient drépanocytaire impose d’écarter en priorité une lésion vasculaire intracérébrale aiguë.

Lettre à l’éditeur

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Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêt en relation avec cet article. Références [1] Rangwala LM, Liu GT. Pediatric idiopathic intracranial hypertension. Surv Ophthalmol 2007;52:597—617. [2] Redding-Lallinger R, Knol C. Sickle cell disease pathophysiology and treatment. Curr Probl Pediatr Adolesc Health Care 2006;36:346—76. [3] Biousse V. Idiopathic intracranial hypertension: diagnosis, monitoring and treatment. Rev Neurol 2012;168:673—83. [4] Lessell S. Pediatric pseudotumor cerebri. Surv Ophthalmol 1992;37:155—66. [5] Van Gelder T. A patient with megaloblastic anemia and idiopathic intracranial hypertension. Case history. Clin Neurol Neurosurg 1991;93:321—2. [6] Tugal O, Jacobson R, Berezin S, Foreman S, Berezin S, Brudnicki A, et al. Recurrent benign intracranial hypertension due to iron

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deficiency anemia. Case report and review of the literature. Am J Pediatr Hematol Oncol 1994;16:266—70. Jeng MR, Rieman M, Bhakta M, et al. Pseudotumor cerebri in two adolescents with acquired aplastic anemia. J Pediatr Hematol Oncol 2002;24:765—8. Benoit P, Lozes G, Destée A, Jouet JP, Jomin M, Warot P. Benign intracranial hypertension and Machiafava-Micheli disease. Rev Neurol 1986;142:782—5. Henry M, Driscoll MC, Miller M, Chang T, Minniti CP. Pseudotumor cerebri in children with sickle cell disease: a case series. Pediatrics 2004;113:265—9. Segal L, Discepola M. Idiopathic intracranial hypertension and sickle cell disease: two case report. Can J Ophthalmol 2005;40:764—7.

P. Butori a,∗ , A. Jean-Charles a , G. Elana b , H. Merle a a

Service d’ophtalmologie, centre hospitalier universitaire de Fort-de-France, hôpital Pierre-Zobda-Quitman (French West Indies), BP 632, 97261 Fort-de-France cedex, Martinique b Service de pédiatrie, centre hospitalier universitaire de Fort-de-France, hôpital Pierre-Zobda-Quitman, BP 632, 97261 Fort-de-France cedex, Martinique ∗ Auteur

correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (P. Butori) Disponible sur Internet le 15 d´ ecembre 2014