Indications et conduite du traitement de l’infection tuberculeuse latente (ITL)

Indications et conduite du traitement de l’infection tuberculeuse latente (ITL)

Symposium A 09 : Infection tuberculeuse latente Indications et conduite du traitement de l’infection tuberculeuse latente (ITL) Orateur : A. Deschild...

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Symposium A 09 : Infection tuberculeuse latente

Indications et conduite du traitement de l’infection tuberculeuse latente (ITL) Orateur : A. Deschildre Résumé rédigé par : M. André

L’

objectif actuel dans les pays occidentaux et en France est de contrôler la tuberculose à travers le traitement des tuberculoses-maladies, mais aussi des tuberculoses-infections. Les recommandations du Conseil Supérieur d’Hygiène Public de France (CSHPF) en 2003 ont d’ailleurs élargi les indications de traitement de l’ITL non seulement chez les enfants dans tous les cas, mais aussi chez l’adulte en cas d’infection récente (fig. 1). Le groupe de travail sur la tuberculose du CSHPF a fait de nouvelles propositions de traitement qui concernent l’entourage d’un cas de tuberculose contaminant. Il recommande de traiter sur la base du résultat des tests tuberculiniques et après avoir éliminé une tuberculose-maladie : tous les enfants ( 15 ans) présentant une infection tuberculeuse latente n’ayant jamais fait l’objet d’un traitement ; les adultes non immunodéprimés sans antécédent de traitement complet ayant présenté un virage récent des tests tuberculiniques (estimé à moins de 2 ans) ; les adultes immunodéprimés ou à risque d’immunodépression.

Adultes

Enfants TB infection TB infection récente TB maladie

Traitement

Traitement

BAAR+

avant

avant

Unité de pneumologie pédiatrique, Hôpital Jeanne de Flandre, CHRU, 59037 Lille cedex, France.

Fig. 1. Correspondance : [email protected]

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Tuberculose-infection. Indications du traitement.

Rev Mal Respir 2008 ; 25 : 48-51 © 2008 SPLF. Édité par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

Infection tuberculeuse latente : Indications et conduite du traitement de l’infection tuberculeuse latente

Quand prescrire un traitement ? Les recommandations de la SPLF Les recommandations de la conférence d’experts de la SPLF sur le traitement de l’ITL [1] ont permis de cibler trois situations de traitement : le sujet contact d’une tuberculosemaladie, le traitement en l’absence de contage avéré dans des populations à risque et le cas particulier de l’infection VIH. Le bilan aura préalablement permis d’éliminer les situations de l’enfant ou de l’adulte symptomatique ou ayant une radiographie anormale suspecte de tuberculose-maladie. Ces propositions de traitement intègrent une double dimension : celle du bénéfice individuel de protéger un individu ayant un risque important de progression de l’infection vers la maladie, celle du bénéfice collectif d’éradiquer la tuberculose-maladie en diminuant le réservoir des ITL dans la population générale. Ainsi, le traitement de l’ITL est recommandé : – chez le sujet contact d’un cas de tuberculose contaminante ayant un terrain à risque de progression rapide vers la tuberculose-maladie, même en l’absence de critères initiaux d’infection ; – chez le sujet contact d’un cas de tuberculose contaminante, asymptomatique, immunocompétent, ayant une radiographie de thorax normale, selon les algorithmes décisionnels pour l’enfant et l’adulte ( 80 ans) décrits dans les figures 2 et 3 ; – et dans certains cas particuliers : • en l’absence de contact avéré, les règles précédentes peuvent être appliquées chez le sujet avec une exposition environnementale à risque (migrants récents de pays à forte prévalence, situation de précarité, exposition professionnelle). • infection à VIH : o traitement systématique en cas de contact avéré, quel que soit le résultat de l’IDR ; o traitement si l’IDR réalisée dépasse 5mm chez le nonvacciné ou 10 mm chez le vacciné et chez qui il existe une forte présomption d’exposition environnementale au bacille tuberculeux (migrant, toxicomane, précarité, détenu, milieu de soins).

Comment traiter ? Propositions des sociétés savantes Les recommandations américaines proposent, en première intention l’isoniazide (INH), 6 ou plutôt 9 mois, en prise quotidienne (5 mg/kg, max : 300 mg). Les recommandations anglaises proposent INH 6 mois ou INH-rifampicine (RMP) 3 mois ou RMP 6 mois en cas de résistance à l’INH. L’Académie Américaine de Pédiatrie recommande un traitement par INH pendant 9 mois chez l’enfant et l’adolescent, en prise quotidienne. En France, les schémas de traitement de l’ITL proposés par le groupe de travail sur la tuberculose du CSHPF sont pour l’adulte : INH, 4 à 5 mg/kg pendant 9 mois (12 mois chez les

1re situation : Enfant « contact » ( 18 ans), asymptomatique Rx de thorax normale : possible TB infection

 2 ans

Âge  2 ans

TYPE DE CONTACT ? Étroit (domicile

Occasionnel

ou classe)

Contaminateur avec caverne ou BAAR  100/champ ?

NON

OUI IDR  15 mm si BCG+ IDR  10 mm si BCG+ ou phlycténulaire ou phlycténulaire ou  10 mm si BCG– ou  5 mm si BCG– OUI

NON Traitement indispensable

Surveillance

NON

Traitement Surveillance indispensable (IDR et Rx thorax

(IDR et Rx thorax dans 8 semaines)

dans 8 semaines)

Fig. 2.

Algorithme décisionnel pour l’enfant.

2e situation :

Adulte « contact », asymptomatique Rx de thorax normale : possible TB infection

Occasionnel

TYPE DE CONTACT ?

Étroit

Contaminateur avec caverne ou BAAR  100/champ ?

IDR

NON

 15 mm ou phlycténulaire

NON Surveillance

IDR

 10 mm ou phlycténulaire

OUI

(Contrôle IDR et Rx thorax dans 8 semaines)

OUI

Traitement si infection récente

NON Surveillance (Contrôle IDR et Rx thorax dans 8 semaines)

Fig. 3.

Algorithme décisionnel pour l’adulte.

immunodéprimés), ou RMP, 10 mg/kg-INH, 4 à 5 mg/kg pendant 3 mois, ou RMP, 10 mg/kg-pyrazinamide (PZA), 20 mg/kg pendant 2 mois. Les experts du CSHPF rapportent que les données de la littérature ne permettent pas de privilégier l’un ou l’autre schéma et que le dernier schéma n’est pas recommandé en première intention et doit conduire à une surveillance hépatique. Le groupe ne s’est pas prononcé précisément quant à l’enfant. Les recommandations de la Société de Pathologie Infectieuse de Langue Française sont d’utiliser la bithérapie INH-RMP avant l’âge de 3 ans.

Données de la littérature Isoniazide (INH)

En 1970, Ferebee [2] a rapporté dans une méta-analyse les résultats du traitement par INH de 13 essais contrôlés portant sur plus de 100 000 personnes. Tous ont été traités © 2008 SPLF. Édité par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

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A. Deschildre

par INH ou placebo pendant un an. La durée du suivi a varié d’un à dix ans après la mise en œuvre du traitement. L’efficacité de l’INH a été de 25 à 92 % selon les études. Dans tous les cas, l’efficacité a été maximale pendant l’année de traitement et a persisté au-delà. Une autre méta-analyse [3] regroupe 73 000 patients dans 11 études comparant l’INH au placebo pour des durées variables de traitement et suivis pendant au moins deux ans. Le traitement permet de réduire le risque de tuberculose-maladie de 60 % dans les deux ans. Il n’a pas été noté de différence entre les durées de traitement de 6 et 12 mois. Il n’y a pas d’augmentation significative du taux de bacilles résistants à l’INH chez les patients traités. La durée de traitement recommandée est souvent de 9 mois, c’est-à-dire davantage que pour le traitement de la maladie, malgré l’absence d’étude randomisée. Ceci repose sur une étude montrant, dans une population adulte, une diminution d’efficacité pour une durée inférieure à 9 mois [4]. Isoniazide-rifampicine (INH-RIF)

Une méta-analyse récente comparant l’association INHRIF à l’INH seul a réuni 1 926 patients (patients VIH et nonVIH) suivis de 13 à 37 mois [5]. Elle a montré l’efficacité équivalente des deux schémas sans différence significative pour les effets secondaires. Une étude par comparaison historique [6] a rapporté l’efficacité de cette association dans une population pédiatrique traitée initialement 9 mois puis 3 mois. Rifampicine (RIF)

Une étude randomisée [7] a été réalisée chez des adultes silicosés où la rifampicine est comparée aux traitements de référence suivis pendant 5 ans. L’efficacité est équivalente. La RIF a été étudiée chez 157 adolescents exposés à une souche résistante traités 24 semaines et suivis 2 ans [8]. Aucun n’a développé de tuberculose-maladie. Le traitement par RIF présente un bon profil de tolérance et une observance supérieure. Rifampicine-pyrazinamide (RIF-PZA)

L’efficacité chez le patient VIH ou non-VIH avec un schéma de traitement de 2 mois est équivalente à l’INH 6 mois. Néanmoins, la toxicité hépatique de PZA est un effet secondaire inacceptable. En effet, 18 hépatites toxiques/1 000 traitements, 3 hospitalisations/1 000 traitements et 0,9 décès/ 1 000 traitements ont été rapportés par le CDC chez des patients traités pour ITL par PZA [9].

Toxicité La toxicité de l’INH est connue, rare chez l’enfant, et survient surtout sur des terrains prédisposés (âge, alcoolisme, hépatopathie, perpartum). La rifampicine, peu hépatotoxique, est surtout connue pour ses interactions médicamenteuses. La 50

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toxicité hépatique du PZA rend son indication inacceptable dans le traitement de première intention de l’ITL.

Nature du traitement : récapitulatif Le schéma INH 6 ou 12 mois est sous tendu par le plus fort niveau de preuve (A). La durée de 9 mois n’a pas fait l’objet d’étude randomisée contrôlée. L’association INH-RIF 3 mois est une alternative intéressante (B). On manque encore de données pour le schéma RIF utilisée seule (B). L’association RIFPZA présente une toxicité hépatique inacceptable (B). La proposition logique est : – chez l’enfant : RIF (10 mg/kg/j) + INH (5 mg/kg/j ; 10 mg/kg/j avant 2 ans) 3 mois ; – chez l’adulte : INH (5 mg /kg /j) 6 (9) mois ou RIF + INH 3 mois.

Surveillance biologique La surveillance doit être essentiellement clinique (douleurs abdominales, vomissements, troubles du transit) [10]. La surveillance biologique des transaminases ne doit pas être systématique et limitée aux patients présentant un terrain à risque. Elle est proposée chez l’adulte de plus de 35 ans. Elle n’est pas utile chez l’enfant sain. Chez le patient à risque (alcoolisme, hépatite virale, hépatopathie, post-partum, antécédents de cytolyse, anomalie du bilan initial), la surveillance biologique des transaminases sera réalisée avant le traitement, puis toutes les 2 à 4 semaines. En cas de cytolyse avec des SGPT  3 fois la normale sans symptômes, il faut évaluer le risque, réévaluer les posologies et rapprocher les contrôles. En cas de cytolyse avec des SGPT entre 3 et 6 fois la normale, il convient de réévaluer le rapport bénéfice/risque. L’INH sera arrêté si les SGPT sont supérieurs à 6 fois la normale ou 3 fois en cas de symptômes cliniques.

Comment traiter dans les situations particulières L’évaluation bénéfice/risque doit être précise. L’infection VIH est bien documentée. Les indications sont larges et ont été précisées. Le traitement par INH sera privilégié en raison des interférences liées à la RIF et à la toxicité du PZA. Chez le sujet âgé ( 80 ans), il est nécessaire d’évaluer le bénéfice/ risque. En cas de grossesse, d’allaitement, d’insuffisance rénale le schéma habituel sera proposé. Dans l’hépatopathie chronique, la RIF pourra être proposée en raison de sa moindre hépatotoxicité. En cas de résistance isolée à l’INH, on pourra utiliser RIF seule. Les autres situations doivent bénéficier d’un avis spécialisé. Chez les patients nécessitant un traitement par anti-TNFα, l’interrogatoire, l’IDR et la radiographie thoracique sont obligatoires avant traitement,

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selon les recommandations [11]. On traitera toute situation correspondant à une ITL. On traitera les sujets à risque de réactivation (tuberculose-maladie avec incertitude sur le traitement), les patients présentant une IDR supérieure à 5 mm ou phlycténulaire, les contacts étroits avec une tuberculose pulmonaire et les patients originaires d’un pays à forte endémie. Le traitement recommandé est INH 9 mois ou INHRIF 3 mois [11].

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Références 1

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Deschildre A, Poirier C, Cadranel J : Dans quelles circonstances et comment traiter une infection tuberculeuse latente ? Rev Mal Respir 2004 ; 21 : 3S25-34. Ferebee SH : Controlled chemoprophylaxis trials in tuberculosis: a general review. Adv Tuberc Res 1970 ; 17 : 28-106. Smieja MJ, Marchetti CA, Cook DJ, Smaill FM : Isoniazid for prevening tuberculosis in non HIV infected persons. In: The Cochrane Library, Issue 2, 2003. Oxford : Update Software. Comstock GW : How much isoniazid is needed for prevention of tuberculosis among immunocompetent adults? Int J Tuberc Lung Dis 1999 ; 3 : 847-50.

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Ena J, Valls V : Short course therapy with rifampicin plus isoniazid, compared with standard therapy with isoniazid, for latent tuberculosis infection: a meta-analysis. Clin Infect Dis 2005 ; 40 : 670-6. Ormerod LP : Rifampicin and isoniazid prophylactic chemotherapy for tuberculosis. Arch Dis Child 1998 ; 78 : 169-71. Hong Kong Chest Service/Tuberculosis Research Centre, Madras/British Medical Research Council: A double-blind placebo-controlled clinical trial of three antituberculosis chemoprophylaxis regimen in patients with silicosis in Hong Kong. Am Rev Respir Dis 1992 ; 145 : 36-41. Villarino ME, Ridzon R, Weimuller PC, Elcock M : Rifampin preventive therapy for tuberculosis infection. Experience with 157 adolescents. Am J Respir Crit Care Med 1997 ; 155 : 1735-8. Centers for Disease Control and Prevention (CDC); American Thoracic Society. Update: adverse event data and revised American Thoracic Society/CDC recommendations against the use of rifampin and pyrazinamide for treatment of latent tuberculosis infection-United States, 2003. MMWR Morb Mortal Wkly Rep 2003 ; 52 : 735-9. Saukkonen JJ, Cohn DL, Jasmer RM, et al. ; ATS (American Thoracic Society) Hepatotoxicity of Antituberculosis Therapy Subcommittee. An official ATS statement: hepatotoxicity of antituberculosis therapy. Am J Respir Crit Care Med 2006 ; 174 : 935-52. AFSSAPS Recommandations pour la prévention et la prise en charge des tuberculoses survenant sous antiTNF alpha. www.afssaps.sante.fr.

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