Journal des Anti-infectieux (2011) 13, 238—245
Disponible en ligne sur
www.sciencedirect.com
INFECTIONS VIRALES — ANTIVIRAUX
Infections à cytomégalovirus humain en transplantation : diagnostic virologique et traitement antiviral Human cytomegalovirus infections in the transplantation setting: Virological diagnosis and antiviral treatment D. Boutolleau a,b,*, S. Burrel a,b a
´ Paris-06, ER1 DETIV, 75013 Paris, France UPMC universite ´ -Salpe ˆ trie ` re, AP—HP, ba ˆ timent CERVI, 83, boulevard de l’Ho ˆ pital, Service de virologie, groupe hospitalier Pitie 75013 Paris, France
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MOTS CLÉS Cytomégalovirus humain ; Diagnostic virologique ; Antiviraux ; Résistance
KEYWORDS Human cytomegalovirus; Virological diagnosis; Antiviral drugs; Antiviral resistance
Résumé Chez les patients recevant une greffe d’organe solide ou de cellules souches hématopoïétiques (CSH), les infections à cytomégalovirus humain (CMV) constituent une cause majeure de morbidité et de mortalité, et ce en dépit de l’existence d’outils diagnostiques très performants (quantification de l’ADN viral par PCR en temps réel) et de molécules antivirales efficaces ([val]ganciclovir, foscarnet, cidofovir). De plus, l’immunodépression profonde de ces patients et la nécessité de traitements antiviraux, prophylactiques ou curatif, prolongés conduisent à l’émergence de résistance du CMV. Le traitement antiviral des infections à CMV ne fait pas l’objet d’un réel consensus, bien qu’il existe différentes recommandations. Une meilleure connaissance des mutations de résistance du CMV aux antiviraux et l’utilisation de nouvelles molécules antivirales sont nécessaires pour une meilleure prise en charge thérapeutique des patients greffés. # 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Summary Among hematopoietic stem cell transplant recipients and solid organ transplant recipients, cytomegalovirus (CMV) infections remain an important cause of morbidity and mortality, despite the improvement of infection monitoring using DNA quantification by realtime PCR and the use of efficient antiviral drugs ([val]ganciclovir, foscarnet, cidofovir). Moreover, high immunosuppression and prolonged prophylactic or curative antiviral treatments lead to the emergence of CMV resistance. Antiviral treatment of CMV infections does not undergo a real consensus, although there are different guidelines. A better understanding of CMV resistance mutations to antivirals and the use of new antiviral drugs are warranted in order to improve therapeutic management of transplant recipients. # 2011 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
* Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (D. Boutolleau). 2210-6545/$ — see front matter # 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.antinf.2011.10.002
Diagnostic et traitement des infections à CMV
Introduction Le cytomégalovirus humain (CMV) est un herpèsvirus ubiquiste. À l’instar des autres herpèsvirus, le CMV est un virus opportuniste dont la pathogénicité s’exprime essentiellement chez les individus immunodéprimés. Chez les patients recevant une greffe d’organe solide ou de cellules souches hématopoïétiques (CSH), les infections à CMV constituent une cause majeure de morbidité et de mortalité, et ce en dépit de l’existence d’outils diagnostiques très performants et de molécules antivirales efficaces. Par ailleurs, l’immunodépression profonde d’origine iatrogène de ces patients et la nécessité de traitements antiviraux prolongés conduisent à l’émergence de résistance du CMV. Cette revue a pour objet de faire le point sur les méthodes de diagnostic virologiques et les traitements antiviraux des infections à CMV chez les patients recevant une greffe.
Quelques données virologiques Le CMV appartient à la famille des Herpesviridae et à la sousfamille des Betaherpesvirinae qui inclut également les herpèsvirus humains de types 6 et 7 (HHV-6 et HHV-7). Il existe quatre génotypes différents de CMV (I à IV), fondés sur la séquence de la glycoprotéine d’enveloppe B (gB). Comme les autres herpèsvirus, le génome du CMV est constitué d’une molécule d’ADN linéaire bicaténaire. Ce génome code plus de 200 protéines, et notamment deux protéines majeures impliquées dans la résistance du CMV aux antiviraux : la phosphotransférase (codée par le gène UL97) et l’ADN polymérase (UL54). La prévalence de l’infection par le CMV, dont l’homme est le seul hôte naturel, est étroitement liée au niveau socioéconomique : en France, elle est de l’ordre de 50 % au sein de la population adulte. La physiologie est caractéristique des herpèsvirus avec une primo-infection suivie d’une persistance définitive sous une forme latente et la possibilité de réactivations, les réinfections par un génotype différent étant également possibles. Les modes de transmission du CMV sont multiples : échanges salivaires au cours de la petite enfance, transmission sexuelle, allogreffe d’organe solide ou de CSH, transmission verticale materno-fœtale. Le tropisme du virus in vivo concerne une large gamme de cellules différentes : monocytes/macrophages, progéniteurs et cellules stromales médullaires, cellules endothéliales, musculaires lisses, trophoblastiques, fibroblastiques, épithéliales, glandulaires, neuronales, gliales. Le(s) récepteur(s) cellulaire(s) n’est (ne sont) pas précisément connu(s). La dissémination du virus par voie sanguine (virémie) aux organes cibles fait intervenir les monocytes circulants, les cellules endothéliales infectées qui se détachent, et surtout les polynucléaires neutrophiles qui acquièrent le virus au contact des cellules endothéliales infectées qui sécrètent des chimiokines. Les sites de latence virale sont essentiellement constitués par les monocytes circulants, les progéniteurs de la moelle osseuse, et les cellules endothéliales. Au cours des infections secondaires (réactivations ou réinfections), le virus excrété au niveau de la salive, des urines, ou des sécrétions génitales constitue une source potentielle d’infection. À l’instar des autres herpèsvirus, l’immunité à médiation cellulaire innée (macrophages, cellules NK, sécrétion d’interférons) et spécifique
239 (lymphocytes T CD4+ et CD8+) joue un rôle essentiel dans le contrôle de l’infection virale. Le CMV a développé des stratégies complexes d’échappement au système immunitaire par dissimulation, action antagoniste et détournement au profit de la dissémination virale. De plus, l’infection à CMV provoque un état d’immunodépression transitoire [1].
Infection à cytomégalovirus humain chez les patients recevant une greffe L’infection à CMV chez les patients greffés peut avoir plusieurs origines [2] : primo-infection chez un receveur (R) séronégatif avant la greffe recevant un greffon d’un donneur (D) séropositif (D+/R ) ; réactivation d’une infection latente chez un receveur séropositif avant la greffe (R+), du fait des traitements immunosuppresseurs ; réinfection du receveur séropositif avant la greffe (R+) par une souche différente transmise par l’organe greffé. Chez un patient greffé, les manifestations cliniques de la réplication active du CMV, mise en évidence par une charge virale élevée dans le sang périphérique, sont diverses (Tableau 1) [3]. Tout d’abord, le patient peut être parfaitement asymptomatique, on parle alors d’infection à CMV. Cette infection à CMV peut s’accompagner de manifestations clinicobiologiques qui sont la conséquence directe de la réplication à haut niveau du virus. Il peut s’agir d’un
Tableau 1 à CMV.
Conséquences clinico-biologiques des infections
Effets directs
Effets indirects
Syndrome CMV
Dysfonctionnement et rejet du greffon (aigu, chronique) GvHD Infections fongiques et bactériennes secondaires PTLD associé à EBV
Fièvre, asthénie Leucopénie, thrombopénie Cytolyse hépatique Maladies à CMV Ulcérations du tube digestif (œsophagite, colite, . . .) Troubles de l’hématopoïèse Choriorétinite Atteintes du système nerveux central (neuropathie périphérique, myélite, encéphalite) Hépatite Pneumopathie Pancréatite Néphrite Myocardite
EBV : virus Epstein-Barr ; GvHD : réaction du greffon contre l’hôte (graft versus host disease) ; PTLD : lymphoprolifération post-transplantation (Posttransplantation lymphoproliferative disease).
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« syndrome CMV » avec des signes généraux (fièvre, asthénie) et des signes biologiques (leuco-thrombopénie, cytolyse hépatique) ou d’une maladie à CMV avec localisation viscérale, témoin du caractère invasif de l’infection à CMV. Très schématiquement, en greffe d’organe solide, l’organe transplanté est volontiers le siège d’une localisation viscérale de la maladie à CMV : hépatite, pneumopathie, pancréatite, néphrite, myocardite. Les localisations digestives de la maladie à CMV peuvent intéresser tout le tractus digestif depuis l’œsophage jusqu’au côlon. Les choriorétinites à CMV sont rares, et la symptomatologie est identique à celle observée chez les patients atteints de sida. Toutefois, chez les patients transplantés, elle témoigne d’une profonde immunodépression et son pronostic est péjoratif. L’infection à CMV peut se localiser au niveau du système nerveux central avec des manifestations de type neuropathie périphérique, myélite, ou encéphalite [4]. Chez le patient allogreffé de CSH, la pneumopathie interstitielle hypoxémiante à CMV est la manifestation clinique la plus grave. Un processus à la fois direct et indirect (immunopathologique) est invoqué. Par ailleurs, l’infection à CMV peut être à l’origine d’un retard à la sortie d’aplasie ou d’une insuffisance médullaire secondaire survenant après un début de reconstitution hématologique [5]. Les effets indirects de l’infection à CMV sont quant à eux liés aux capacités immunomodulatrices du virus [6]. Ils seraient la conséquence d’une réplication virale prolongée à bas niveau. Le CMV peut ainsi être associé à un rejet du greffon en greffe d’organe solide ou à une maladie du greffon contre l’hôte (GvHD) en greffe de CSH. De plus, l’immunodépression transitoire induite par l’infection à CMV favorise la survenue de surinfections fongiques ou bactériennes. Enfin, l’infection à CMV pourrait favoriser la survenue de lymphoproliférations posttransplantation associées à EBV (Tableau 1). En greffe d’organe solide, l’infection à CMV survient généralement entre le premier et le quatrième mois posttransplantation, en dehors de toute instauration de traitement antiviral préventif. La fréquence varie en fonction du type de greffe (Tableau 2). Les facteurs de risque de survenue d’une infection à CMV au cours de la période postgreffe sont bien identifiés. Le risque est plus élevé si l’immunodépression est plus importante. Ainsi, schématiquement, le risque est faible pour les greffes de rein, intermédiaire pour les greffes de cœur et de foie, et élevé pour les greffes de poumon, intestin, pancréas. Les statuts sérologiques prégreffe D/R sont aussi très importants. Ainsi, les patients le plus à risque sont ceux du groupe D+/R (primo-infection CMV post-greffe). L’utilisation de certains immunosuppresseurs comme le sérum anti-lymphocytaires favorise aussi la survenue d’infection à CMV. En greffe de CSH, les infections à
CMV surviennent entre le premier et le deuxième mois postgreffe. La fréquence est de l’ordre de 40—50 %. Le risque est plus élevé si le receveur est séropositif pour le CMV (R+) avant la greffe [1,3,4].
Diagnostic des infections à cytomégalovirus humain Si le diagnostic sérologique (ou indirect) de l’infection à CMV est très peu contributif pour le diagnostic d’une infection virale active au cours de la période post-greffe (Tableau 3), il garde tout son intérêt en période prégreffe pour déterminer les statuts sérologiques du couple D/R afin d’évaluer le risque de survenue d’infection à CMV post-greffe et d’instaurer si besoin un traitement préventif [4,7]. Chez le patient greffé, le diagnostic virologique direct doit être privilégié [4,7]. Le CMV peut être isolé en culture cellulaire. Les cellules de choix sont les fibroblastes embryonnaires humains. L’effet cytopathique (ECP) apparaît en une à trois semaines. La culture dite « rapide » permet d’accélérer le délai d’obtention du résultat. Elle associe une centrifugation de l’inoculum sur les fibroblastes et la détection par immunocytochimie, après 24 à 48 heures, des antigènes viraux très précoces synthétisés au cours du premier cycle de réplication. L’antigénémie CMV pp65 correspond à la présence de la protéine pp65 (codée par le gène UL83) dans le noyau des polynucléaires neutrophiles, et est donc le reflet d’une virémie. Cette phosphoprotéine virale est captée par les polynucléaires circulants au contact des cellules endothéliales infectées. Les résultats semi quantitatifs, exprimés en nombre de cellules positives pour 2 105 leucocytes observés, permettent de suivre l’efficacité de l’instauration d’un traitement antiviral. Cette technique est sensible, facile, et relativement rapide. Toutefois, il s’agit d’une technique manuelle, non automatisable, contraignante du fait de l’obligation de traiter immédiatement les échantillons sanguins, subjective du fait de la lecture au microscope. De plus, l’antigénémie pp65 reste peu performante chez les patients neutropéniques (greffés de CSH). La détection du génome viral par PCR est la plus sensible et constitue la méthode de choix [8,9]. Par ailleurs, l’avènement, il y a quelques années, de la PCR en temps réel a Tableau 3 Méthodes de diagnostic virologique des infections à CMV. Formes de diagnostic
Méthodes
Diagnostic direct
Isolement en culture de cellules (fibroblastes humains) Détection d’antigènes viraux En culture de cellules (culture « rapide ») Antigénémie pp65 Détection du génome viral par PCR classique ou temps réel Détection des IgG et des IgM anti-CMV (Elisa)
Tableau 2 Prévalence des infections à CMV chez les patients greffés d’organe solide. Type de greffe
Prévalence (%)
Rein Cœur Foie Poumon ou cœur/poumon Pancréas ou rein/pancréas Intestin grêle
8—32 9—35 22—29 39—41 50 22
Diagnostic indirect
Elisa : réaction immuno-enzymatique (enzyme linked immunosorbent assay).
Diagnostic et traitement des infections à CMV permis non seulement de raccourcir le délai de rendu des résultats (quelques heures), mais aussi de quantifier précisément le nombre de copies d’ADN viral présent dans l’échantillon biologique. À côté des méthodes dites « maison », mises au point par différentes équipes, il existe désormais de nombreuses trousses commerciales marquées CE. Toutefois, il s’avère que, toutes ces méthodes n’étant pas standardisées, l’expression en nombre de copies de génome viral n’est pas équivalente d’une technique à une autre : des différences de près d’un log (facteur 10) ont en effet pu être mises en évidence. C’est pourquoi le suivi de la charge virale CMV d’un patient doit toujours être effectuée dans le même laboratoire de virologie avec la même technique. Il n’est pas possible à ce jour de comparer des résultats obtenus dans deux laboratoires différents. Néanmoins, l’existence désormais d’un standard international OMS quantifié en unités internationales (UI) devrait permettre rapidement de résoudre ce problème. La charge virale CMV dans le sang constitue un facteur prédictif de la survenue d’une maladie à CMV. En revanche, elle ne constitue pas le reflet de l’efficacité d’un traitement antiviral en cas de maladie à CMV. Hormis le sang périphérique, d’autres prélèvements biologiques peuvent êtres testés : liquide céphalo-rachidien, urine, liquide broncho-alvéolaire. En cas d’atteinte viscérale, une biopsie pourra être pratiquée. Le diagnostic pratiqué dans le laboratoire d’anatomopathologie, consistera alors en la mise en évidence de cellules infectées par le CMV : ECP caractéristique (inclusion intranucléaire entourée d’un halo clair et repoussant le nucléole : image en « œil de hibou »), immunomarquage à l’aide d’anticorps monoclonaux spécifiques [4].
Traitement des infections à cytomégalovirus humain À ce jour, les molécules antivirales utilisées pour la prévention et le traitement des infections à CMV chez les patients transplantés sont le ganciclovir (GCV ; Cymévan1), le valganciclovir (VGCV ; Rovalcyte1), le cidofovir (CDV ; Vistide1) et le Foscanet (FOS ; Foscavir1). Le VGCV est la prodrogue du GCV (ester de valine) zt possède une biodisponibilité par voie orale dix fois supérieure au GCV (Fig. 1). Ces différentes molécules possèdent une certaine toxicité : toxicité hématologique pour le GCV (neutropénies), et néphrotoxicité pour le CDV et le FOS. Ces antiviraux sont des inhibiteurs de l’ADN polymérase virale (codée par le gène UL54) : ils entraînent un ralentissement, voire un arrêt de l’élongation de la chaîne d’ADN viral néosynthétisé (Fig. 2). Le FOS est directement actif : il bloque la réplication virale en se fixant de façon compétitive et réversible sur le site de liaison du résidu pyrophosphate de l’enzyme. Le GCV (analogue nucléosidique de la guanosine) et le CDV (analogue nucléotidique de la cytosine) sont activés au sein de la cellule par phosphorylation. Le GCV, actif sous forme triphosphate, est successivement phosphorylé par la phosphotransférase du CMV (codée par le gène UL97) et par des kinases cellulaires. Les deux phosphorylations du CDV nécessaires à son activation sont assurées par des kinases cellulaires. Une fois activés, le GCV et le CDV agissent par compétition avec les désoxynucléosides triphosphates (dNTP) naturels pour l’incorporation dans la chaîne d’ADN viral [4,10].
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Figure 1 Structure des antiviraux utilisés pour le traitement des infections à CMV.
Différentes stratégies thérapeutiques des infections et maladies à CMV sont utilisées chez les patients greffés (Fig. 3). Le traitement curatif consiste à administrer l’antiviral par voie intraveineuse chez les patients présentant une maladie à CMV avérée. Il est classiquement suivi d’un traitement d’entretien per os. Les deux autres stratégies sont des attitudes de prévention. Le traitement anticipé (ou « préemptif »), qui vise à prévenir la survenue de la maladie à CMV, est administré sur des arguments purement virologiques d’infection active à CMV (charge virale sanguine). Ce type de traitement nécessite un suivi systématique de la survenue des infections à CMV au cours des premiers mois suivant la greffe. Enfin, le traitement prophylactique consiste à administrer systématiquement l’antiviral pendant les premiers mois de la greffe [4,10]. Le choix des stratégies thérapeutiques, prophylactiques ou thérapeutiques, les mieux appropriées et les modalités de suivi de l’efficacité de ces traitements antiviraux ne font pas l’objet d’un consensus international formel. Il existe bien un certain nombre de recommandations internationales ou nationales [5,11,12]. Toutefois, à ce jour, la prise en charge thérapeutique des infections à CMV dans le domaine de la greffe d’organes solides ou de CSH reste encore spécifique du pays, et même du centre de transplantation concerné. Le choix entre traitements préventifs de type prophylactique ou anticipé en greffe d’organe solide reste encore débattu. En général, les patients à haut risque d’infection à CMV (D+/R ) bénéficient d’un traitement prophylactique, alors que les patients R+ bénéficient d’un traitement anticipé, mais cela ne constitue pas une règle absolue. La durée du traitement
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Figure 2 Mécanisme d’action des antiviraux utilisés pour le traitement des infections à CMV. CDV : cidofovir ; GCV : ganciclovir ; FOS : foscarnet ; P : groupement phosphate.
prophylactique reste encore à définir précisément. Toutefois, des études ont montré l’intérêt supérieur d’un traitement par VGCV de six mois par rapport à trois mois [13]. Par ailleurs, l’avantage, tant pour l’efficacité antivirale à long terme que pour les aspects financiers, d’un traitement par rapport à l’autre n’a pas encore été formellement démontré [14,15]. Un autre sujet largement débattu est celui de la définition des seuils de charge virale CMV d’intervention thérapeutique [16]. Il est évident que l’absence de correspondance entre les différentes méthodes de quantification du CMV ne facilite pas l’établissement d’un consensus. En règle générale, cette prise en charge est très dépendante du site de transplantation. À la Pitié-Salpêtrière, sur la base d’études comparatives de notre technique de PCR en temps réel « maison » avec la technique d’antigénémie pp65 et en accord avec les équipes de cliniciens concernées, nous avons
établi les recommandations suivantes : les seuils indicatifs de charge virale CMV dans le sang total pour une intervention thérapeutique sont de 1000 copies/mL en greffe de CSH, et de 2000 à 5000 copies/mL en greffe d’organe solide. Dans tous les cas, l’arrêt du traitement antiviral curatif ou l’instauration d’un traitement d’entretien ne doit être effectué qu’après l’obtention de deux résultats négatifs de PCR à une semaine d’intervalle [9].
Nouveaux antiviraux De nouveaux antiviraux pour lutter contre les infections à CMV sont en cours d’essai. Le CMX001, prodrogue du CDV administrable par voie orale, possède une activité antivirale supérieure est une moindre néphrotoxicité que le CDV [10]. Il s’agit probablement de la prochaine molécule anti-CMV susceptible d’obtenir une autorisation de mise sur le marché. Le maribavir (MBV) est un inhibiteur direct de la phosphotransférase du CMV. Les premiers essais de phase II étaient concluants. Toutefois, les résultats obtenus au cours d’un essai international de phase III n’a pas montré de supériorité de cette molécule par rapport au placebo dans le traitement prophylactique chez las patients greffés de CSH [17]. Un nouveau composé, le AIC246, semble très prometteur. Il possède notamment un nouveau mode d’action, inhibition du complexe terminase du CMV, ce qui en fait un composé actif sur les virus devenus résistants aux autres antiviraux [18].
Résistance du cytomégalovirus humain aux antiviraux Figure 3 Traitement des infections à CMV. Les différents types de traitements antiviraux sont indiqués en fonction du niveau de réplication virale justifiant leur mise en place.
La résistance du CMV aux antiviraux est une cause majeure d’échec du traitement antiviral et de mise en jeu du pro-
Diagnostic et traitement des infections à CMV nostic fonctionnel, voire vital du patient. La résistance clinique correspond à la persistance d’une réplication virale associée ou non à des manifestations cliniques d’infection à CMV sous traitement antiviral bien conduit. Elle doit conduire à la recherche d’une souche de CMV résistante aux antiviraux chez le patient. Néanmoins, il faut garder à l’esprit que cette situation peut aussi être la conséquence d’une mauvaise observance du traitement antiviral par le patient, de l’administration de doses sub-optimales d’antiviral, d’une diffusion insuffisante de la molécule au niveau du site de l’organisme où se réplique activement le virus, ou encore d’une immunodépression cellulaire majeure (notamment chez les patients allogreffés de CSH). La résistance virologique, quant à elle, correspond à la mise en évidence chez un patient d’une souche de CMV résistante à un ou plusieurs antiviraux par des méthodes phénotypiques ou génotypiques [10]. L’identification du phénotype de résistance d’une souche de CMV vis-à-vis d’un antiviral donné repose sur la mesure de la concentration de l’antiviral inhibant 50 % de la multiplication virale (CE50) en culture de cellules. La technique consensus définie par le groupe de travail CMV de l’AC11 de l’ANRS préconise de tester en parallèle la souche de référence AD169. On peut alors calculer un indice de résistance (IR) : IR = CE50 (souche de patient) / CE50 (souche AD169). Une souche de CMV avec un IR supérieur à 3 peut-être considérée comme résistante pour l’antiviral testé. Ces méthodes phénotypiques nécessitent l’isolement préalable de la souche de CMV à partir d’un prélèvement biologique du patient, sont longues (plusieurs semaines), et manquent de reproductibilité. Elles sont réservées à des laboratoires spécialisés. La mise en évidence d’une résistance génotypique consiste à identifier une ou plusieurs mutations associées à la résistance aux antiviraux par séquençage des gènes qui codent les deux protéines virales directement impliquées dans le mécanisme d’action des antiviraux : le gène UL97 (qui code la phosphotransférase) et le gène UL54 (qui code l’ADN polymérase) [10,19,20]. Les méthodes génotypiques présentent le grand avantage de pouvoir être effectuées directement à partir des prélèvements biologiques du patient (par exemple, sang total), sans nécessité d’isoler la souche de CMV. À ce jour, de nombreuses mutations associées à la résistance phénotypique du CMV sont répertoriées. La résistance du CMV à un antiviral donné est susceptible d’apparaître lorsque le virus se réplique en présence de cet antiviral. La pression de sélection exercée par l’antiviral va alors favoriser l’émergence de virus mutants résistants initialement minoritaires. Chez les patients immunodéprimés, un certain nombre de facteurs favorisant la survenue d’un tel scénario, et donc l’émergence de la résistance du CMV, ont été identifiés : charge virale CMV élevée, traitement antiviral prolongé (par exemple, certains traitements prophylactiques de longue durée), posologie réduite (par exemple, traitements d’entretien), immunodépression cellulaire importante (par exemple, transplantation cœur/poumon), statut sérologique CMV D+/R (Tableau 4) [10,21]. Les données rapportées dans la littérature concernent essentiellement la résistance du CMV chez les patients recevant une greffe d’organe solide et traités par GCV pour une maladie à CMV. Ces données ont été obtenues en rétrospective ou en per-protocole avant l’utilisation du VGCV. Dans ce
243 Tableau 4 Facteurs de risque d’émergence de résistance du CMV aux antiviraux. Greffe d’organe solide
Greffe de CSH
Charge virale élevée Persistance d’une faible réplication virale Immunodépression cellulaire intense Traitement antiviral prolongé Posologie suboptimale d’antiviral Sérologie CMV R+ Sérologie CMV D+/R Greffe pulmonaire Greffe de CSH de sang de cordon CSH : cellules souches hématopoïétiques ; D : donneur ; R : receveur.
contexte, la fréquence de détection de résistance du CMV au GCV est de 2 à 10 %, cette résistance survenant plus fréquemment chez les patients D+/R et/ou recevant une greffe pulmonaire. À l’ère des traitements prophylactiques et anticipés par le VGCV, cette fréquence est diminuée, entre 0 et 5 %. L’étude menée par le Centre National de Référence du CMV a retrouvé une fréquence de 5,2 %. En ce qui concerne les autres molécules antivirales (FOS et CDV), seules des observations ponctuelles sont rapportées dans la littérature. À ce jour, il n’existe pas de données de cohorte en termes de résistance du CMV après greffe de CSH [10,21]. La Fig. 4 présente l’ensemble des mutations de résistance identifiées à ce jour dans les deux protéines cibles des molécules anti-CMV : la phosphotransférase (UL97) et l’ADN polymérase (UL54). Les mutations conférant la résistance au GCV dans la protéine UL97 sont soit des substitutions d’acides aminés, soit des délétions de un à 17 acides aminés, principalement retrouvées aux codons 460, 520, et entre les codons 590 et 607. Les quelques mutations de résistance au MBV identifiée à ce jour se situent en amont des mutations de résistance au GCV. La majorité des mutations dans UL54 responsables de la résistance à un ou plusieurs des antiviraux sont situées dans les domaines conservés de la protéine. Par ailleurs, le phénotype de résistance diffère selon la localisation de la mutation dans l’ADN polymérase. Ainsi, les mutations localisées dans le motif ExoI, la partie N-terminale du domaine dC, les régions IV et V sont associées à une résistance croisée au GCV et au CDV, alors que celles situées dans les régions II, VI et la partie C-terminale du domaine dC sont associées à une résistance au FOS [10]. Le nombre limité de molécules antivirales pour traiter les infections à CMV, la toxicité de ces molécules, et l’existence de phénotypes de résistance croisée de certaines souches de CMV vis-à-vis de plusieurs antiviraux sont des facteurs qui compliquent la prise en charge thérapeutique d’une infection due à une souche de CMV résistante chez un patient greffé. En pratique, si une résistance virologique à un antiviral donné est documentée chez un patient, le traitement antiviral devra être stoppé et être remplacé par un autre traitement efficace sur la souche de CMV du patient. L’existence d’une résistance vis-à-vis de plusieurs antiviraux devient plus délicate à prendre en charge. Dans certains cas, une bithérapie peut être proposée. Certaines alternatives peuvent aussi être envisagées dans des cas de multirésistance du CMV : levée partielle de l’immunodépression
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Figure 4 Mutations dans la phosphotransférase (UL97) et l’ADN polymérase (UL54) conférant la résistance du CMV aux antiviraux. Les régions conservées des enzymes virales UL97 et UL54 sont représentées par les rectangles rouges, et leurs positions au sein de la protéine sont indiquées par les nombres en-dessous. A. Mutations dans la phosphotransférase (UL97) associées à la résistance du CMV au ganciclovir (GCV) et au maribavir (MBV). Les barres verticales indiquent la position des substitutions d’acides aminés, et la boîte hachurée correspond à la région où ont été décrites des délétions (1 à 17 acides aminés). Les positions suivies d’une astérisque correspondent aux mutations de résistance au MBV. B. Mutations dans l’ADN polymérase (UL54) associées à la résistance du CMV au ganciclovir (GCV), au cidofovir (CDV) et au foscarnet (FOS).
pour favoriser la reconstitution de l’immunité cellulaire antiCMV, utilisation de certains immunosuppresseurs comme l’évérolimus (Certican1) qui semble, au regard de données rapportées dans la littérature, être associé à la survenue moins fréquente d’infections à CMV [22], ou encore administration d’immunoglobulines polyvalentes. Il faut noter qu’à ce jour, les études n’ont pas montré que le pouvoir pathogène des souches résistantes de CMV était augmenté.
tique des patients infectés par une (ou plusieurs) souches de CMV résistantes.
Conclusion
Références
La résistance du CMV aux antiviraux constitue un problème émergent chez les patients transplantés. Des avancées considérables dans la compréhension des mécanismes moléculaires d’action des antiviraux et de résistance du CMV ont été réalisées ces dernières années. Néanmoins, l’arrivée de nouvelles molécules antivirales (comme CMX001) reste très attendue afin d’améliorer la prise en charge thérapeu-
Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.
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