Médecine Nucléaire 33 (2009) 78–87
Article original
Intérêt pronostique de la scintigraphie au 99mTc-MAG3 pour le succès à un an de la transplantation rénale Prognostic value of 99mTc-MAG3 renal scintigraphy for the one-year outcome after kidney transplantation R. Guignard a,*, E. Barbotte b, M. Rossi a, D. Mariano-Goulart a a
Service de médecine nucléaire, hôpital Lapeyronie, CHRU de Montpellier, 191, avenue du Doyen-Gaston-Giraud, 34295 Montpellier, France b Département d’information médical, hôpital Arnaud-de-Villeneuve, CHRU de Montpellier, 191, avenue du Doyen-Gaston-Giraud, 34295 Montpellier, France Reçu le 3 août 2008 ; accepté le 25 septembre 2008 Disponible sur Internet le 25 janvier 2009
Résumé À l’heure actuelle, du fait de l’utilisation croissante de greffons marginaux, il persiste une différence significative en termes de demi-vie entre des greffons de donneur vivant ou de donneur décédé. L’objectif principal de cette étude fut de déterminer la valeur pronostique de divers paramètres scintigraphiques disponibles le jour de la greffe pour le succès à un an de la transplantation rénale. Une étude rétrospective portant sur 100 patients greffés rénaux au CHU de Montpellier, opérés entre 1999 et 2006 et ayant bénéficié d’une scintigraphie rénale au MAG-3 dans les 72 heures après la transplantation rénale, a été réalisée. Il s’agissait de mesurer différents paramètres scintigraphiques quantitatifs des phases angiographique et tubulaire du néphrogramme, évalués sur trois régions d’intérêt (ROI) différentes, puis de les comparer statistiquement au critère de jugement, à savoir le succès ou non de la greffe au cours de la première année. Les résultats de notre étude ont confirmé l’importance des paramètres vasculaires, et en particulier l’index de Kirchner, avec une bonne corrélation avec la fonction rénale à un an ; un greffon bien vascularisé avait, conformément aux hypothèses physiopathologiques, d’excellentes chances de survie à court terme. Cet index a une valeur prédictive négative (VPN) supérieure à 90 % pour le succès de la transplantation à un an (VPP = 75 %). Les paramètres évaluant plus spécifiquement la réserve fonctionnelle néphronique (pente de la fonction tubulaire, rapport du pic de captation sur pic de perfusion) du greffon sont des facteurs de risques indépendants de l’échec au cours des trois premiers mois. # 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Abstract Because of the increasing use of marginal grafts, it remains a significant difference in terms of transplants half-life between living donor or cadaver donor. The main objective of this study was to assess the prognostic value of various isotopic parameters available on the same day than surgery for the one-year outcome after kidney transplantation. A retrospective study of 100 patients, who received a renal allograft at the University Hospital of Montpellier between 1999 and 2006, and who performed 99mTc-MAG3 renal scintigraphy within 72 h after transplantation, was performed. Measurement of various isotopic parameters was performed for angiographic and tubular phases, over three different regions of interest. According to judgment criteria, namely the success or not of transplantation after the first year, previously obtained results were statistically compared. The results of our study confirmed the importance of vascular parameters, especially the Kirchner index, with a good correlation with renal function one year after tranplantation. As expected by the physiological models, a well-perfused graft had the most chances of short-term survival. Kirchner index has a negative predictive value of more than 90% for the one-year success after transplantation (VPP = 75%).
* Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (R. Guignard). 0928-1258/$ – see front matter # 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.mednuc.2008.09.011
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Parameters assessing more specifically nephronic functional reserve (such as tubular function slope or uptake on perfusion peaks report) are independent risk factors for the failure during the first three months. # 2008 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Mots clés : Scintigraphie rénale ; Keywords:
99m
Tc-MAG3 ; Pronostic ; Transplantation rénale
99m
Tc-MAG3; Renal scintigraphy; Prognosis; Kidney transplantation
1. Introduction L’imagerie fonctionnelle isotopique, en tant qu’outil diagnostique des complications postopératoires du patient greffé rénal s’est rapidement développée dans les années 1960 [1], dix ans seulement après l’avènement de la première transplantation rénale chez l’homme (décembre 1954, Murray et Merill, Boston) [2]. Si les progrès observés depuis ces 40 dernières années dans la survie du greffon sont incontestables, grâce notamment à une approche péri-opératoire médicochirurgicale globale du greffon, il n’en demeure pas moins qu’à l’heure actuelle, il persiste une différence significative en termes de survie du greffon de cadavre par rapport au greffon de donneur vivant (respectivement 14 et 22 ans en moyenne) [3]. Parallèlement, l’activité de transplantation rénale est en augmentation constante depuis les dix dernières années en France [4], ce qui suppose une plus large utilisation de greffons de moins bonne qualité. Dans la littérature, les auteurs ont initialement tenté de définir des paramètres scintigraphiques mesurables susceptibles de contribuer au diagnostic différentiel de reprise retardée de la fonction rénale (nécrose tubulaire aiguë [NTA], rejet aigu [RA], toxicité médicamenteuse. . .) en postopératoire immédiat. Le retard de la reprise de fonction est un facteur pronostique avéré de la survie du greffon à un an [5]. Hilson et al. ont décrit un intérêt à quantifier la perfusion (index de Hilson) pour distinguer les greffons normaux de ceux présentant un RA [6]. Ces détracteurs lui reprochaient une trop grande variabilité interopérateur liée à la détermination manuelle des ROI, pouvant cependant être améliorée, selon ces mêmes auteurs, par une sélection informatisée de ces ROI [7]. En partant du postulat que l’atteinte de la perfusion corticale était plus précoce en cas de RA, d’autres auteurs ont tenté de sensibiliser les mesures de perfusion en choisissant des ROI corticales et médullaires [8]. Enfin, certains auteurs ont tenté de déterminer précisément le temps de transit vasculaire du traceur à partir d’une analyse par déconvolution. Si cette méthode pouvait donner des résultats satisfaisants, son intérêt clinique pour la distinction RA/NTA restait controversé [9]. Les indices de perfusion d’un greffon sain seraient meilleurs que ceux d’un greffon pathologique, mais sans avoir un pouvoir discriminant suffisant pour identifier formellement l’étiologie de la reprise retardée de fonction rénale [10]. S’éloignant de l’idée d’établir un diagnostic différentiel du retard à la reprise de fonction du greffon, certains auteurs ont mis en évidence une différence significative en termes de survie
à long terme (cinq ans) entre des greffons présentant une captation parenchymateuse satisfaisante (Mag-3 Uptake Capacity à dix minutes [MUC10]) et les autres [11]. L’intérêt pronostique des paramètres parenchymateux scintigraphiques fut également décrit avec la mesure de la pente de la fonction tubulaire (Tubular Function Slope [TFS]), index qui se normalisait sur deux examens successifs, après prise en charge adaptée d’un RA ou d’une toxicité à la cyclosporine [12]. La plupart de ces études visait à déterminer l’évolution au cours du temps d’indices perfusionnels et/ou fonctionnels de la scintigraphie rénale dynamique, réalisée avec divers médicaments radiopharmaceutiques, en les corrélant, d’une part, aux processus physiopathologiques impliqués dans la non reprise fonctionnelle et, d’autre part, à l’amélioration à court terme de la fonction du greffon rénal. Contrairement à ces études, qui nécessitaient fréquemment la répétition des examens scintigraphiques, l’objectif principal original de notre étude fut de déterminer, à partir de mesures précoces et réalisées à un instant unique et fixe, la valeur prédictive pour l’évolution de la fonction rénale durant la première année post-transplantatoire de certains de ces paramètres quantitatifs chez des patients présentant un retard de reprise de fonction. 2. Matériels et méthode 2.1. Population Entre 1999 et 2006, 779 transplantations rénales ont été réalisées au centre hospitalier universitaire de Montpellier. Parmi ces patients greffés, 124 (15,9 %) ont bénéficié d’une scintigraphie rénale dans les 72 heures qui ont suivi la transplantation. Les données brutes de 24 scintigraphies n’ont pu être restaurées pour des problèmes techniques liés à l’archivage numérique, excluant par conséquent ces patients. La « perte de vue » de ces patients n’étant pas liée directement au critère de jugement, ce qui exclut en théorie un risque de biais de sélection, ceux-ci n’ont pas été pris en compte dans l’analyse statistique finale. Conformément aux habitudes du service, aucun examen n’a été réalisé à titre systématique. Du fait du recrutement effectué par les seuls cliniciens, les paramètres scintigraphiques concernant les 655 patients (84 %) transplantés sur cette période et non adressés dans le service n’ont pu être évalués et par conséquent pris en compte dans l’analyse statistique finale. Au total, 100 patients ont été inclus dans l’étude (12,8 % de l’effectif total des patients transplantés, sur une période de huit ans dans notre centre).
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2.2. Radiopharmaceutique Les patients ont reçu une injection intraveineuse, en bolus, sous la gamma-caméra, de 99mTc-MAG3 avec une posologie moyenne (sur les huit années de recueil des données) de (506,2 129,1) MBq. Entre 1999 et 2005, la dose moyenne administrée était de 555,1 37,6 MBq. À partir de 2006, après ajustement du protocole du service, conformément aux recommandations industrielles (adulte (70 kg) : posologie comprise entre 185 (5 mCi) et 370 MBq (10 mCi), Mallinckrodt), la dose moyenne injectée était de 200 18,7 MBq. Ces modifications méthodologiques visaient à optimiser la dose radioactive reçue par le patient. Elles n’interfèrent a priori pas sur la qualité des résultats scintigraphiques [13]. 2.3. Protocole scintigraphique Les acquisitions ont été réalisées avec une gamma-caméra General Electric DST-XL. Un seul détecteur positionné en face antérieure, sur un malade en décubitus dorsal dans son lit, et équipé d’un collimateur haute résolution et basse énergie (LEHR) était utilisé. Le zoom était adapté en fonction de la morphologie du patient, avec un champ de vue centré sur l’aorte abdominale et incluant la vessie. Pour la phase vasculaire (ou angiographique), 60 images (1 image/seconde) ont été enregistrées avec une matrice 64 64. La seconde partie de l’examen était enregistrée immédiatement après la première phase, de manière dynamique (100 images de 15 secondes/image) avec une matrice de 128 128. En fin d’examen, un cliché postmictionnel acquis en prétemps (120 secondes, matrice 128 128, sans modification du zoom) était réalisé.
Un score qualitatif, coté de 1 à 6, désigné Tubular Injury Severity score (TISS) [15], déterminé visuellement sur la première image de la phase tubulaire (affichée après sommation toutes les dix images), était déterminé en fonction de la fixation subjective du greffon par rapport aux activités de bruit de fond et vasculaire. Le score minimal (score = 1) correspondait à un greffon normal (pas d’activité vasculaire ou de bruit de fond significatif) et le score maximal (score = 6) correspondait à un défect de fixation de la loge de transplantation (avec une fixation rénale largement inférieure à celle du bruit de fond) ; les scores intermédiaires correspondaient à une activité vasculaire minime sans bruit de fond (TISS = 2), à un bruit de fond minime avec une fixation rénale très supérieure à l’activité vasculaire iliaque (TISS = 3), à un bruit de fond modéré avec une captation rénale proche de la captation vasculaire iliaque (TISS = 4) ou enfin à un bruit de fond marqué avec une captation rénale inférieure à celle de l’artère iliaque, mais supérieure au bruit de fond (TISS = 5). Des courbes temps activité (TAC), établies pour chacune des trois ROI du greffon, et pour l’aorte, soustraites du bruit de fond, ont été déterminées à l’aide d’un logiciel dédié, développé dans le service, pour chaque étape de l’exploration fonctionnelle (angiographique et tubulaire) (Fig. 1). Dans un premier temps, ces courbes étaient analysées visuellement et un grade de néphrogramme était attribué [16] : grade 0 : rénogramme normal ; grade 1 : captation normale, excrétion réduite ; grade 2 : captation normale, courbe d’excrétion en plateau ; grade 3 : courbe ascendante ; grade 4 : taux de captation diminué, courbe ascendante et diminution de la captation absolue ; grade 5 : captation quasi nulle.
2.4. Traitement de l’image scintigraphique Pour chaque examen scintigraphique, plusieurs ROI ont été dessinées manuellement, par un seul et même observateur pour la totalité des patients, en l’absence de connaissance sur le devenir de la greffe et des paramètres cliniques et biologiques : une ROI semilunaire pour le bruit de fond, en position inférolatérale externe par rapport au greffon, excluant les structures vasculaires ; trois ROI pour le greffon (globale, corticale semilunaire et médullaire) ; une ROI aortique, rectangulaire, placée au-dessus de la bifurcation iliaque. Concernant la détermination des paramètres scintigraphiques étudiés, les critères de choix étaient leur simplicité d’utilisation, leur valeur physiopathologique, leur pertinence clinique et leur diffusion dans la littérature. Nous avons privilégié des paramètres simples, potentiellement prédictifs de l’évolution de la fonction rénale précoce (au cours de la première année), comme peut l’être la créatininémie à six mois ou un an [14].
Fig. 1. Représentation schématique des différents index scintigraphiques mesurés (exemple pour une ROI globale) à partir des courbes TAC vasculaire et rénale. Schematic representation of different isotopic measured index (for a global ROI) from the vascular and renal time activity curves.
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En accord avec les données de la littérature, le rapport de Kirchner et al. [17] était défini comme le rapport de la pente de l’invasion vasculaire du traceur dans le greffon sur celle de l’aorte et déterminé de manière automatique par le logiciel de traitement d’images entre deux points correspondant respectivement à 10 et 90 % de l’activité angiographique maximale. Le rapport rein sur aorte (K/A ratio) [18] était déterminé par le rapport des pics d’activités (en nombre de coups) au cours de la phase angiographique de l’examen. La TFS [19] était la pente moyenne mesurée entre la 30e seconde et la 60e seconde de la courbe du néphrogramme. Le rapport d’activité, proche du rapport uptake/plateau (PU/Pplateau) décrit dans la littérature [20], était défini comme le rapport entre le maximum d’activité durant la phase de captation (correspondant soit au plateau, soit au pic s’il existait une excrétion significative) et le début de la phase d’extraction tubulaire (faisant suite à la phase descendante vasculaire). Un rapport du pic de captation sur le pic vasculaire (désigné PU/Pperf) était également défini. Nous avons testé un paramètre non décrit dans la littérature, correspondant aux premières minutes de l’extraction tubulaire du traceur par le greffon : la pente moyenne mesurée entre les deuxième et cinquième minutes (pente = 2–5 minutes). En cas d’excrétion significative, un rapport d’excrétion, correspondant à l’activité en fin d’examen sur l’activité au moment du pic (équivalent au R20/3) [21] était mesuré. En l’absence d’excrétion, un rapport d’activité entre les dixième et 20e minutes était choisi (R20/10). 2.5. Critères de jugement Le critère de jugement principal retenu pour cette étude rétrospective (modèle d’étude cas–témoin) était le succès (ou l’échec) de la transplantation à différents instants : trois mois, six mois ou un an après la transplantation rénale, les patients en échec de transplantation constituant les cas. L’échec de la transplantation était constitué lorsque le patient, en insuffisance rénale chronique terminale, avait de nouveau recours, de manière inévitable et définitive, à un traitement d’épuration extrarénale (dialyse). L’échantillon n’étant pas homogène pour la durée de suivi des sujets, le suivi à long terme n’a pas été retenu dans les critères de jugements de ce travail. 2.6. Analyse statistique Après vérification de la normalité de la distribution (effectifs suffisants, test de Shapiro-Wilk non significatif dans chacun des sous-groupes) des paramètres scintigraphiques (pour les variables quantitatives) chez les cas (patient en échec pour la transplantation) et les témoins (absence d’échec), les valeurs moyennes (et leurs distributions) ont été comparées par un test de Student. Quand une de ces distributions n’était pas gaussienne ou que l’effectif d’au moins un sous-groupe était trop faible (inférieur à dix), nous avons utilisé un test non paramétrique de MannWhitney-Wilcoxon.
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Le risque alpha consenti pour les analyses comparatives était de 5 %. Afin d’estimer la valeur prédictive pour le succès de la transplantation des principaux paramètres scintigraphiques apparaissant significativement différents entre les deux sous-groupes (cas et témoins) lors de l’analyse univariée, les aires sous les courbes Receiver Operating Characteristic (ROC), pour ces variables, ont été calculées par la méthode des trapèzes ; les intervalles de confiance à 95 % de ces mêmes aires ont été déterminés par la statistique W de Wilcoxon. Des valeurs seuils prédictives de la reprise en dialyse ont été recherchées empiriquement en faisant varier les seuils en fonction du classement des sujets selon l’échec ou non de la transplantation, de manière à obtenir les meilleures performances prédictives, en particulier en termes de VPN. L’analyse statistique a été effectuée en collaboration avec le département d’information médicale du CHU de Montpellier, à partir du logiciel SAS, V8.2. 3. Résultats Cent patients greffés rénaux (soit 12,8 % des patients greffés rénaux sur la période de suivi considérée), avec un sex-ratio homme/femme de 1,9 (66 hommes/34 femmes) ont été inclus. L’âge moyen au moment de la greffe était de 50,5 ans ( 12,2). Pour 80 % des patients, il s’agissait de la première transplantation rénale. L’âge moyen du donneur était de 49,1 ans ( 15,0), avec un sex-ratio homme/femme de 1,3 (56 hommes/44 femmes) et une créatininémie moyenne de 98,8 mmol/L ( 47,4). La diurèse moyenne du donneur était de 524,2 mL ( 373,1 ; n = 65). Quatre patients sur les 100 inclus dans l’étude ont bénéficié d’une greffe de donneur vivant. Le temps moyen d’ischémie froide était de 22 h 50 min ( 8 h 48 min) et le temps moyen d’anastomose vasculaire était de 45 minutes ( 15 min). La reprise de la diurèse avait lieu en moyenne avant le sixième jour de la période postopératoire (5,8 6,6 jours ; n = 84) ; les patients ayant eu recours à des séances d’épuration extrarénale (transitoires) en postopératoire (n = 80) bénéficiaient en moyenne de trois séances de dialyse (3,1 5,2). Près d’un patient sur deux (47 %) était adressé dans le service de médecine nucléaire pour réalisation d’un examen scintigraphique dans les 24 heures suivant la transplantation, l’autre moitié (53 %) étant adressée dans les 48 à 72 heures postopératoires. La créatininémie mesurée parallèlement à la réalisation de la scintigraphie rénale était en moyenne de 768,8 mmol/L ( 322,1). Dans notre échantillon, la prévalence d’échec, toutes étiologies confondues, de la transplantation rénale à un an était de 16 % (16 patients, sur les 100 vus en scintigraphie en phase postopératoire précoce, ont présenté un échec de la transplantation au cours la première année). La prévalence totale d’échec de la transplantation rénale, pour l’ensemble des patients greffés sur la période de suivi, n’a pas été mesurée.
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Tableau 1 Classification des 100 patients vus en scintigraphie avant le troisième mois posttransplantatoire en fonction du score de sévérité de l’atteinte tubulaire (TISS). Data from 100 included patients for the tubular injury severity score (TISS) before the end of the first trimester after transplantation. Paramètre
Score
TISS
1 2 3 4 5 6 Total
n
IC95 % 22 38 23 11 2 4
14,6–31,6 28,6–48,3 15,43–32,7 5,9–19,2 – –
100
Quatre patients, sur les 100 initialement inclus, avaient une scintigraphie « blanche » (greffon non perfusé) sur l’examen réalisé dans les trois premiers jours du suivi postopératoire. Une scintigraphie blanche correspondait au score TISS maximal (score = 6) selon les données lues dans le Tableau 1. Onze patients ont présenté des complications précoces et n’ont jamais pu sortir de l’hôpital avec un greffon fonctionnel : neuf patients sur 11 (81,8 %) ont présenté des complications vasculaires : thrombose artérielle dans six cas (dont deux avaient une scintigraphie blanche) (54,5 %) et veineuse dans trois cas (dont deux avaient également une scintigraphie blanche) (27,3 %) ; un patient (9 %) a présenté un rejet hyperaigu ; un patient (9 %) un infarctus du myocarde. Parmi les 89 patients sortis de l’hôpital avec un greffon fonctionnel, trois ont présenté une défaillance rénale définitive avant le troisième mois postopératoire ; les étiologies exactes de ces échecs n’ont pu être clairement identifiées. Au total, 14 patients étaient en échec de greffe entre la période périopératoire précoce et le troisième mois posttransplantatoire (Tableau 2). Entre le troisième et le sixième mois, aucun échec de transplantation n’a été observé dans notre échantillon. Les évènements d’intérêts (échec ou non de la transplantation) étant confondus au cours du premier semestre postopératoire, seules les données du premier trimestre sont présentées dans le Tableau 2. Les données manquantes chez trois patients (deux cas et un témoin) pour les paramètres mesurés sur une ROI corticale (Tableaux 2 et 3) étaient liées aux difficultés rencontrées pour extraire une courbe TAC satisfaisante. Les Tableaux 2 et 3 résument les principales variables extraites lors de l’analyse univariée ; ils présentent les valeurs moyennes et écart-types des paramètres scintigraphiques mesurés apparaissant significativement différents ( p < 0,05) en analyse univariée dans les deux sous-groupes de patients. Au second semestre suivant la transplantation (Tableau 3), deux patients supplémentaires ont eu recours de manière définitive à la dialyse (soit deux échecs supplémentaires). À l’exception de la variable (qualitative) TISS, toutes les valeurs moyennes observées chez les patients en échec de la
Tableau 2 Paramètres scintigraphiques prédictifs de l’absence de reprise en dialyse à trois mois chez 96 patients pour la ROI globale (dialyse : non : n = 86 ; oui ; n = 10(+4 pour la variable TISS)) et 93 patients pour la ROI corticale (dialyse : Non : n = 85 ; Oui ; n = 8). Scintigraphic predictive parameters for the three-months transplantation failure in two patient groups: 96 patients for the Global ROI group (n = 10 (+4 for the TISS variable) in transplant failure group), and 93 patients for the Cortical ROI group (n = 8 in transplant failure group). Dialyse (Moyenne +/- écart-type) 3 mois
Variable
Non
Oui
p
ROI globale
Kirchner K/Aratio TISS TFS PU/Pperf
4,6 4,6 4,7 3,2 2,2 0,9 2,7 2,7 2,3 1,4
2,2 2,8 2,5 2,1 4,0 1,7 1,0 1,2 1,6 +/+ 0,6
0,01 0,02 < 0,001 0,02 0,04
ROI corticale
Kirchner K/Aratio PU/Pperf
1,2 1,3 1,2 0,9 2,3 1,2
0,6 1,0 0,6 0,7 1,4 0,5
0,02 0,02 0,03
transplantation (cas) sont significativement inférieures aux valeurs moyennes chez les témoins. Les paramètres associés au critère de jugement le sont dans les trois premiers mois ; à six mois, la population en échec est identique et à un an, dans notre échantillon, seuls deux patients supplémentaires se trouvent en situation d’échec vis-à-vis de la greffe. La majorité des échecs survient donc dans les trois mois qui suivent la transplantation ; la survie du greffon durant la première année semble déterminée par les évènements des trois premiers mois. Pour la ROI globale, trois index significativement liés au critère de jugement étaient identiques à trois mois et à un an : le Kirchner, le TISS et le TFS, témoignant de leur lien fort avec un échec précoce, dès trois mois. Pour la ROI corticale, il ne restait plus qu’un index significativement prédictif de la reprise en dialyse à un an, commun aux divers intervalles de temps étudiés : l’index de Kirchner. Pour l’ensemble des variables quantitatives présentées dans les Tableaux 1–3 (le TISS est exclu de fait de cette définition), le Tableau 3 Paramètres scintigraphiques prédictifs de l’absence de reprise en dialyse à un an chez 96 patients pour la ROI globale (dialyse : non : n = 84 ; oui ; n = 12 [+4 pour la variable TISS]) et 93 patients pour la ROI corticale (dialyse : non : n = 83 ; oui ; n = 10). Scintigraphic predictive parameters for the one-year transplantation failure in two patient groups: 96 patients for the Global ROI group (n = 12 (+4 for the TISS variable) in transplant failure group), and 93 patients for the Cortical ROI group (n = 10 in transplant failure group). Dialyse (moyenne écart-type)
1 an Variable
Non
Oui
p
ROI globale
Kirchner TISS TFS
4,6 4,6 2,2 0,9 2,7 2,7
2,5 2,7 3,8 1,8 1,1 1,2
0,04 <0,001 0,02
ROI corticale
Kirchner TFS
1,2 1,4 0,9 1,0
0,7 0,9 0,3 0,5
0,04 0,04
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Tableau 4 Calculs des aires sous les courbes ROC par la méthode des trapèzes et de l’intervalle de confiance par la statistique W de Wilcoxon pour les paramètres scintigraphiques associés à un échec de la transplantation, à trois mois et à un an (ROI globale et corticale). Areas under the receiver operating characteristic curves calculated by trapezoids method and confidence interval calculated by W statistical method of Wilcoxon for scintigraphic parameters associated with a 3-months or 1-year transplantation failure (global and cortical ROI). Test
3 mois ROI globale
ROI corticale
1 an ROI globale ROI corticale
Aire sous la courbe (ROC)
Intervalle de confiance à 95 % de ROC Borne inférieure
Borne supérieure
Z
Test de l’aire sous la courbe à 50 % (écart-réduit)
Kirchner K/Aratio TFS PU/Pperf
0,75 0,73 0,73 0,70
0,57 0,54 0,54 0,51
0,94 0,91 0,91 0,89
262,55 235,87 233,33 206,53
0,009 0,02 0,02 0,04
Kirchner K/Aratio PU/Pperf
0,75 0,74 0,74
0,55 0,54 0,53
0,95 0,94 0,94
232,27 224,02 222,16
0,02 0,03 0,03
Kirchner TFS Kirchner TFS
0,69 0,70 0,70 0,70
0,51 0,53 0,52 0,51
0,86 0,88 0,89 0,89
207,82 227,15 210,234 206,97
0,04 0,02 0,04 0,04
risque d’échec de la transplantation, à trois mois, six mois et un an était statistiquement lié à des valeurs basses de chacun des index. À trois mois et à un an, un index de Kirchner bas apparaissait comme un paramètre systématiquement associé à une reprise en dialyse durant la première année, qu’il soit mesuré à partir d’une ROI corticale ou globale. Des paramètres simples de la phase angiographique, tels que la mesure des pentes vasculaires ou le pic vasculaire du greffon, n’ont montré aucun lien significatif avec notre critère de jugement. À l’exception du paramètre PU/Pperf de la ROI médullaire à trois mois ( p = 0,04), aucun index mesuré à partir d’une ROI médullaire ne présentait un intérêt prédictif significatif du succès de la transplantation rénale à un an. Il en était de même pour les paramètres dits d’excrétion (présence ou non d’un pic de captation (identifiable car précédant une courbe d’excrétion), temps de pic de captation Tmax, rapport d’excrétion (ou R20/10) ainsi que pour la pente des trois premières minutes de la phase d’extraction tubulaire du traceur (pente 2–5 min).
La ROI globale apparaissant dans notre expérience, et dans la littérature, comme la plus reproductible, nous nous sommes intéressés aux courbes ROC et à leurs aires sous la courbe pour les paramètres significativement corrélés à une reprise en dialyse durant la première année. D’après les données du Tableau 4, le meilleur paramètre prédictif, en termes d’aire sous la courbe semblait être l’index de Kirchner (aire sous la courbe = 0,75 au niveau d’une ROI globale ou corticale, à trois mois). Les Tableaux 5 et 6 résument les performances de la scintigraphie pour les seuils déterminés empiriquement, de sorte à obtenir la meilleure valeur prédictive négative (VPN) d’échec de la transplantation. Le PU/Pperf apparaît très sensible (90 %), l’index de Kirchner est hautement spécifique (99 %) et le TFS présente des performances globales intermédiaires (Se = 70% ; Sp = 67 %). Pour une ROI globale, les meilleures performances pronostiques à trois mois de la scintigraphie sont obtenues avec l’index de Kirchner pour un seuil fixé à 0,67 (VPP = 75% ; VPN = 92 %).
Tableau 5 Seuils, caractéristiques intrinsèques et performances de la scintigraphie rénale pour la prédiction de la reprise en dialyse à trois mois et à un an, pour les variables mesurées sur la ROI globale. Thresholds, intrinsic characteristics and performances of renal scintigraphy for predicting the dialysis recovery at three months and one year after transplantation, for the global ROI measured parameters. Variable
Temps
Seuil
Sensibilité
Spécificité
Index de Youden
VPP
VPN
Kirchner
3 mois 1 an
0,67
0,30 0,25
0,99 0,99
0,29 0,24
0,75 0,75
0,92 0,90
K/Aratio
3 mois 1 an
2,01
0,60 0,50
0,78 0,77
0,38 0,27
0,24 0,24
0,94 0,91
TFS
3 mois 1 an
1,3
0,70 0,67
0,67 0,67
0,37 0,35
0,20 0,23
0,95 0,93
PU/Pperf
3 mois 1 an
2,2
0,90 0,92
0,41 0,42
0,31 0,33
0,15 0,18
0,97 0,97
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Tableau 6 Seuils, caractéristiques intrinsèques et performances de la scintigraphie rénale pour la prédiction de la reprise en dialyse à trois mois et à un an, pour les variables mesurées sur la ROI corticale. Thresholds, intrinsic characteristics and performances of renal scintigraphy for predicting the dialysis recovery at three months and one year after transplantation, for the cortical ROI measured parameters. Variable
Temps
Seuil
Sensibilité
Spécificité
Index de Youden
VPP
VPN
Kirchner
3 mois 1 an
0,67
0,88 0,80
0,56 0,57
0,44 0,37
0,16 0,18
0,98 0,96
K/Aratio
3 mois 1 an
0,45
0,75 0,60
0,81 0,81
0,56 0,41
0,27 0,27
0,97 0,94
PU/Pperf
3 mois 1 an
1,8
0,88 0,80
0,56 0,57
0,44 0,37
0,16 0,18
0,98 0,96
Tableau 7 Analyse multivariée réalisée sur différents paramètres prédictifs (donneur, receveur, chirurgie, scintigraphie) de l’absence de reprise en dialyse (paramètres scintigraphiques d’une ROI globale). Multivariate analysis with different predictive parameters from a global ROI (donor, recipient, surgery, scintigraphy) for transplantation success. Estimation du rapport de cotes ou odds ratio (OR) Facteurs
Estimation ponctuelle
TFS (3 mois) TFS (1 an)
1,50 1,44
Tableau 8 Analyse multivariée réalisée sur différents paramètres prédictifs (donneur, receveur, chirurgie, scintigraphie) de l’absence de reprise en dialyse (paramètres scintigraphiques d’une ROI corticale). Multivariate analysis with different predictive parameters from a cortical ROI (donor, recipient, surgery, scintigraphy) for transplantation success. Estimation du rapport de cotes ou odds ratio (OR) Facteurs
Estimation ponctuelle
PU/Pperf (3 mois) TFS (1 an)
4,14 4,43
Le seuil de l’index de Kirchner a été fixé afin d’obtenir la meilleure VPN (méthode identique pour les autres seuils) : pour un index de Kirchner supérieur à 0,67, il y a plus de 92 % de chance que la greffe soit un succès durant la première année. En revanche, si l’index est inférieur à 0,67, il y a 75 % de risque que la greffe soit un échec au cours du premier trimestre. Le seuil obtenu pour l’index de Kirchner mesuré sur une ROI corticale est strictement identique à celui obtenu pour une ROI globale. À l’exception des index de Kirchner étudiés sur ROI globale, la plupart des paramètres, qui ont d’excellentes valeurs prédictives négatives (volontairement sélectionnées) aux seuils considérés, ont des valeurs prédictives positives faibles. Les Tableaux 7 et 8 récapitulent les résultats des analyses multivariées. Après ajustement sur l’âge au moment de la greffe, la pente tubulaire (TFS) apparaît comme un facteur indépendant de risque d’échec de la transplantation au troisième mois et à un an, tant pour une ROI globale que corticale. Pour toute diminution d’un point de sa valeur, il y a quatre fois plus de risque (pour une ROI corticale) que la greffe soit un échec à un an.
4. Discussion Si certains auteurs préconisent la distinction entre des ROI globale, corticale et médullaire [8], seules les mesures sur une région d’intérêt globale sont apparues pertinentes dans notre étude pour la prédiction de la reprise précoce de la fonction du greffon. En effet, aucun paramètre médullaire n’est apparu associé à un risque d’échec de la transplantation. Il est impossible, du fait, d’une part, de la faible résolution spatiale de l’ordre du centimètre de la gamma-caméra et, d’autre part, de l’acquisition d’images de projection, de déterminer une ROI corticale stricte. La reproductibilité de ce type de mesure paraît donc très aléatoire. Enfin, les principaux paramètres qui sont apparus intéressants dans ce travail concernent les premières minutes d’acquisition de l’examen, ce qui implique une très faible participation de l’activité médullaire aux quantifications effectuées (à l’exception du paramètre PU/Pperf). Contrairement aux données de la littérature, qui remettent souvent en cause la pertinence des index de perfusion rénale en raison de leurs fortes variabilités liées, entre autres, aux conditions de réalisation de l’examen [22], l’index de Kirchner que nous avons mesuré de façon automatique, sans que le médecin nucléaire ait à ajuster l’intervalle temporel au cours duquel les pentes sont calculées, sur une région d’intérêt comprenant la totalité du greffon, est apparu comme un facteur prédictif majeur du succès de la transplantation rénale durant le premier trimestre. Cette donnée, qui s’accorderait avec une théorie physiopathologique associant viabilité du greffon et qualité de sa perfusion dès la période postopératoire immédiate, concorde avec les attentes des néphrologues quant aux informations attendues de la scintigraphie. Comme certains auteurs l’ont démontré [7], il existe une variabilité (interobservateur) inacceptable lorsque des ROI dessinées manuellement sont choisies ; ces mêmes auteurs préconisent une méthode automatisée de sélection informatisée des ROI afin d’améliorer la concordance des résultats obtenus. Contrairement aux travaux cités, notre étude ne permet pas de conclure quant à la robustesse et à la reproductibilité des résultats obtenus. Au-delà de la simple information qualitative sur la perfusion du greffon, l’index de perfusion scintigraphique du greffon, à un seuil déterminé dans notre étude à 0,67 (tant pour ROI globale que corticale), a d’excellentes VPN (> 0,90) et
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spécificité (99 %) pour le succès de la transplantation rénale au cours du premier trimestre post-transplantatoire. Qui plus est, cette valeur correspond (17) à la valeur normale décrite dans la littérature (0,87 0,23 soit supérieure à 0,64). Si la valeur seuil prédictive retenue est comparable aux données de la littérature, les résultats moyens obtenus pour cet index automatique apparaissent plus élevés que dans la littérature ; la concordance des valeurs obtenues (pour le seuil retenu dans notre étude) entre les méthodes automatique et manuelle avaient été validées au préalable dans notre service (travail non publié). Il a été décrit dans la littérature que les valeurs d’indices de perfusion du greffon sain étaient significativement supérieures à celles observées pour les greffons en situation de RA ou de NTA, avec une différence entre NTA et RA : les greffons en NTA ayant de meilleurs indices que ceux en RA [10]. Nos résultats coïncideraient avec les modèles théoriques dans lesquels l’altération vasculaire serait moins importante que l’altération tubulaire dans le cas d’une NTA, comparativement à un RA [23]. Dans ce cadre, le paramètre K/A ratio, dont nous avons mis en évidence la valeur pronostique à court terme (augmentation du risque d’échec précoce au troisième mois), apporte une information complémentaire sur la sévérité de l’atteinte perfusionnelle (le pic perfusionnel rénal décrivant le volume sanguin rénal). Si le risque d’échec de la transplantation est associé, comme nous l’avons démontré, à des indices perfusionnels bas, cela suppose que l’atteinte vasculaire est prédominante dans l’insuffisance rénale aiguë postopératoire observée (par rapport à l’altération de la sécrétion tubulaire) et est donc indirectement le témoin d’une forme de « souffrance du greffon ». L’hypothèse empirique sous-jacente de reprise retardée de la fonction du greffon (delayed graft function [DGF]) secondaire à un RA n’a pu être confirmée dans notre étude rétrospective, en l’absence de comparaison entre nos résultats scintigraphiques et ceux d’un examen histologique, non réalisé de manière systématique dans notre centre. Cette hypothèse semble confortée par l’augmentation du risque d’échec précoce de la transplantation rénale associé au paramètre PU/Pperf, tant en analyse univariée que multivariée. En effet, dans la littérature, une diminution de cet index, mesuré sur une ROI corticale pour un examen réalisé au DTPA [20], serait associé à un risque accru de néphropathie chronique du greffon. Selon les auteurs, cet index, lorsqu’il est élevé, est un marqueur de la réserve rénale. Dans notre étude, toute diminution d’un point de ce paramètre est associée à un risque accru (quatre fois) d’échec de la transplantation dans les trois premiers mois. D’un point de vue physiopathologique, un rapport bas de cet index témoigne d’une hyperfiltration, ou hyperperfusion relative, qui si elle est absolument nécessaire en posttransplantation immédiate pour adapter la fonction de filtration, devient délétère à l’usage, si elle se prolonge ; ce phénomène a par ailleurs été également observé chez les donneurs de reins, pour lesquels ce rapport est initialement diminué du fait de l’hyperfiltration. À long terme, une hyperperfusion prolongée favorise une glomérulosclérose (par augmentation de la
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pression intraglomérulaire) et participe ainsi, en qualité de facteur non immunologique, à une néphropathie chronique du greffon, ce que semble traduire l’odds ratio élevé. Une approche alternative, non évoquée dans la littérature, serait de considérer la diminution de cet index comme le reflet d’une capacité d’extraction tubulaire du greffon altérée. À notre connaissance, nous sommes parmi les premiers à avoir repris cet index avec le MAG-3, avec une reproductibilité probablement meilleure en raison des mesures effectuées sur une ROI globale ; les résultats préalablement obtenus sur une ROI corticale se vérifiant également au MAG-3. Nous avons cependant observé, vraisemblablement en raison de la différence de traceur utilisé, le MAG-3 ayant une extraction tubulaire supérieure à celle du DTPA, que les valeurs moyennes obtenues dans notre étude sont supérieures à celles décrites dans la littérature (0,90 0,10). Le risque d’échec précoce de la transplantation est également associé dans notre étude à des valeurs basses de la TFS, décrit dans littérature comme un index de la masse fonctionnelle. Il apparaît même comme un facteur de risque indépendant après ajustement sur l’âge au moment de la greffe. Des valeurs basses de cet index avaient été identifiées en situation de retard de reprise de fonction et une association entre une diminution de 20 % de la TFS sur deux examens consécutifs et le RA avait été mis en évidence [12] ; par ailleurs, les auteurs avaient observé qu’une normalisation de sa valeur était gage d’une récupération fonctionnelle (et donc d’un meilleur pronostic). Notre travail confirme les données de la littérature [15] pour le TISS score (évalué par ses auteurs sur une population de 34 patients greffés), puisqu’un score moyen supérieur ou égal à 4 (3,8 pour le risque à un an) est associé à un risque augmenté d’échec de la transplantation dans les six premiers mois. L’impression visuelle qualitative, qui évalue subjectivement la capacité du greffon à extraire le radiopharmaceutique du secteur vasculaire (traceur de la captation corticale initiale, entre les première et quatrième minutes de l’examen), coïncide avec les résultats quantitatifs obtenus pour les principaux paramètres sur cet intervalle de temps : les index mesurés sur cette période évaluent, soit la masse fonctionnelle néphronique (TFS), soit la réserve fonctionnelle rénale (PU/Pperf) et apparaissent comme des facteurs de risque indépendants d’échec précoce. Il semblerait même qu’il existe une relation de type « dose– effet » (non évaluée dans notre travail, car nous n’avons pas cherché à quantifier le TISS de façon continue) : plus le score est élevé, plus le risque d’échec précoce est grand ; cet index étant une estimation subjective de la masse fonctionnelle rénale, l’hypothèse d’une telle relation semble plausible. Il est malheureusement impossible de déterminer un seuil pour cette relation avec une variable qualitative. Si une courbe de rénogramme normale (ou supranormale) est considérée par certains auteurs comme un paramètre utile pour exclure la survenue d’événements cliniques indésirables en postopératoire précoce [16], la détermination subjective d’un score du rénogramme n’est pas apparue dans notre travail comme un facteur prédictif fiable pour le succès de la
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transplantation rénale à un an. Cela peut s’expliquer par le fait que peu de greffons avaient une courbe normale (n = 5), avec un pic de captation suivi d’une excrétion efficace ; ce qui correspond dans notre expérience à la réalité de notre recrutement de patients transplantés, adressés exclusivement en cas de complications précoces de type DGF, et généralement en situation d’insuffisance rénale oligo-anurique. Il existe possiblement une séquence temporelle qui reste à déterminer entre l’apparition d’anomalies de la réserve fonctionnelle et l’altération perfusionnelle. N’ayant pas eu la possibilité de connaître la cause exacte de l’échec de la transplantation par une biopsie rénale systématique, et cette étude n’ayant pas été réalisée à partir de résultats d’examens scintigraphiques répétés, il nous est impossible de décrire une telle séquence temporelle. Il pourrait être intéressant, dans une étude future, de rechercher un seuil du volume sanguin rénal (K/A ratio) à partir duquel nous pourrions observer une diminution significative de la réserve fonctionnelle néphronique (TFS ou PU/Pperf). L’échographie couplée au Doppler, avec mesures des index de résistance et pulsatilité ou de la vélocité artérielle [24], est une alternative diagnostique non invasive à la scintigraphie rénale. L’échographie présente, selon les études, de bonnes performances intrinsèques lorsqu’elle est réalisée dans les 24 heures après la transplantation (sensibilité-spécificité : 72– 74 %) [25]. Les performances de l’échographie sont améliorées par la combinaison à des critères cliniques de rejet, mais elles sont influencées par l’expérience de l’opérateur. Elles restent discutées dans la littérature, notamment en raison de la disparité des échantillons de patients étudiés ou de la variété de conception des études : patients sains [26] ou non [27], survie à court ou long terme [28]. Il n’existe pas, à notre connaissance, d’étude comparant les valeurs prédictives scintigraphiques et échographiques chez des patients présentant un retard de reprise de la fonction, évaluées en période postopératoire immédiate. 5. Conclusion Notre étude démontre que la scintigraphie rénale au 99mTcMAG3 n’est pas exclusivement destinée à apporter des résultats dichotomiques sur la perfusion et/ou la fonction du greffon, mais qu’elle peut être utilisée comme un outil d’aide à la décision thérapeutique, eu égard à ses performances pronostiques à un an. En présence d’arguments scintigraphiques de bon pronostic, le néphrologue pourra choisir d’adopter une attitude moins agressive, en évitant par exemple le recours à un examen histologique non dénué de risque. Il ne s’agit pas tant d’identifier de manière certaine des complications précoces que d’apporter des arguments physiopathologiques prédictifs de la bonne évolution du greffon à court terme. Par ailleurs, notre étude confirme, ou valide dans le cas de certains paramètres non étudiés avec le MAG-3, les principales données antérieures de la littérature, en apportant de nouveaux éléments de réflexion. Le succès d’une transplantation rénale est soumise à l’impérieuse nécessité pour le greffon d’être bien
perfusé, et ce dès la phase postopératoire initiale, ce qui encourage à quantifier cette perfusion de manière plus systématique par des index automatisés simples et reproductibles, comme recommandé dans les consensus internationaux sur la prise en charge en médecine nucléaire des patients transplantés rénaux. Une hyperperfusion relative prolongée semble délétère pour le greffon dans le sens où elle favorise la glomérulosclérose impliquée, entre autres facteurs, dans la néphropathie chronique du greffon. La quantification de cette hyperperfusion relative, au moyen du rapport PU/Pperf, peut constituer un outil de suivi à plus long terme, simple et non invasif, afin de détecter l’apparition d’un rejet chronique. La quantification de la réserve fonctionnelle rénale, autre facteur pronostique associé au succès précoce de la greffe, semble un élément important du suivi postopératoire du patient greffé, en particulier dans un contexte d’évènements physiopathologiques d’ischémie-reperfusion. Enfin, il est important de noter que le contrôle qualité visuel de l’examen demeure primordial, eu égard aux bonnes performances pronostiques du TISS confirmées dans notre travail et qui coïncident avec les résultats obtenus pour les paramètres quantitatifs évalués sur le même intervalle de temps. La problématique de la valeur pronostique à long terme des paramètres quantitatifs scintigraphiques reste ouverte, ainsi que celle de sa valeur ajoutée par rapport à un examen plus largement disponible et non invasif comme l’échographie rénale couplée au Doppler.
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