G Model
AMEPSY-2390; No. of Pages 10 Annales Me´dico-Psychologiques xxx (2017) xxx–xxx
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Me´moire
Intervenir de`s les signalements : analyses victimologiques du protocole interpartenarial de lutte contre les situations de violence conjugale (France) First records of violence and intervention strategies: An interpartner’s protocol (ADAVIP37) and victimological analyses of domestic violence (France) Erwan Dieu a,*,b, Astrid Hirschelmann a a
EA 2241, centre interdisciplinaire d’analyse des processus humains et sociaux, universite´ de Rennes 2, place du Recteur-Henri-Le-Moal, CS 24307, 35043 Rennes cedex, France b Association de recherches en criminologie applique´e (ARCA-Tours), 37000 Tours, France
I N F O A R T I C L E
R E´ S U M E´
Historique de l’article : Rec¸u le 20 mars 2013 Accepte´ le 8 juillet 2013
Objectif. – La de´tection et la prise en charge socio-judiciaire et psychothe´rapeutique des victimes de violences conjugales s’ave`rent eˆtre au quotidien une action difficile tant pour les victimes que pour les intervenants. Nous avons analyse´ un protocole d’action original qui prend en charge les cas des victimes se signalant tout en refusant de de´poser plainte. Via ce protocole des premiers signalements, nous avons cherche´ a` de´terminer des typologies tant des victimes que des auteurs et des moyens d’acce`s a` ces publics vulne´rables. Me´thode et Mate´riel. – Notre recherche est effectue´e avec la collaboration du service d’aide aux victimes et la gendarmerie du de´partement d’Indre-et-Loire (37). A` partir des 34 questionnaires-victimes issues du protocole et des e´changes re´alise´es entre les victimes et les institutions, nous avons re´alise´ des analyses quantitatives (i) et qualitatives (ii). (i) Nos analyses statistiques fre´quentielles interrogent tant le portrait ge´ne´rique des victimes et des auteurs que le portrait typologique des victimisations auxquelles ces victimes sont confronte´es (aspects de socio-de´mographie, de vulne´rabilite´, de mode ope´ratoire, et d’emprise physique, psychique et sociale). (ii) Nos re´sultats qualitatifs approfondissent l’approche quantitative issue des questionnaires en les joignant aux constats du gendarme re´fe´rent et aux entretiens re´alise´s avec l’ADAVIP37. A` travers l’e´tude des discours des victimes, nous pre´sentons six dimensions victimologiques au sein des premiers signalements. Re´sultats. – Nos analyses quantitatives e´tablissent plusieurs typologies (de victimes, d’auteurs et de victimisations). D’un point de vue victimologique, les victimes sont essentiellement des femmes, me`res, de 35 a` 44 ans, vivant avec leur partenaire au moment des faits. Elles de´clarent subir des violences verbales associe´es a` d’autres formes de violence (psychologiques, e´conomiques, physiques, sexuelles), tout en estimant ne pas eˆtre vulne´rables, et sans recours a` un soutien me´dical, social, civil ou judiciaire. Les analyses qualitatives e´laborent six dimensions victimologiques relevant de proble´matiques spe´cifiques. Les trois dimensions victimologiques perceptibles par les services d’accompagnement pre´sentent les vignettes cliniques d’un cas prototypique de femme violente´e, ne signalant que des gifles et refusant toute action (i), d’un cas d’emprise psychologique refusant la plainte mais envisageant la se´paration (ii), et d’un cas de victimisations multiples subies pendant et apre`s la se´paration et de´sirant porter plainte (iii). Ces trois cas illustrent des profils de victimes au sein du long parcours menant a` la plainte judiciaire. Les trois dimensions victimologiques davantage proble´matiques pour l’intervenant concernent un cas de le´gitimation des violences par la victime et refusant donc toute poursuite du conjoint (i), d’un cas particulier du genre et d’une victime masculine (ii), et d’un cas de re´ve´lation des victimisations sexuelles apre`s un second signalement (iii).
Mots cle´s : Criminologie Mode`le Passage a` l’acte Profil psychologique Psychopathologie Sujet
* Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (E. Dieu). http://dx.doi.org/10.1016/j.amp.2013.07.015 C 2017 Elsevier Masson SAS. Tous droits re ´ serve´s. 0003-4487/
Pour citer cet article : Dieu E, Hirschelmann A. Intervenir de`s les signalements : analyses victimologiques du protocole interpartenarial de lutte contre les situations de violence conjugale (France). Ann Med Psychol (Paris) (2017), http://dx.doi.org/10.1016/ j.amp.2013.07.015
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Conclusion. – Ayant affaire a` un public vulne´rable re´ticent a` signaler les faits, les acteurs de terrain trouveront dans nos analyses des indicateurs pour faciliter la de´tection et la prise en charge des premiers signalements de violence conjugale.
C 2017 Elsevier Masson SAS. Tous droits re ´ serve´s.
A B S T R A C T
Keywords: Acting out Criminology Modeling Psychological profile Psychopathology Topic
Objective. – The detection and socio-judicial or psychotherapeutic care for victims of domestic violence appears to be a difficult daily work for both victims and professionals. We analyzed an experimental protocol that presents the case of victims reporting first but refusing afterwards to file a complaint. Via the records of the first reports, we sought to determine the types of the demand of both victims and perpetrators and to find out how to help these vulnerable groups. Method and Materials. – Our research is conducted in collaboration with the service for victims and the police in the French department Indre and Loire. The 34 questionnaires submitted to the victims of the protocol and the different interviews with victims and institutions have been analyzed with quantitative (i) and qualitative clinical (ii) methods. (i) The statistical frequency analysis questions the generic portrait of victims and perpetrators on the one hand and the typological portrait of victimization process that these victims face (aspects of socio-demographic vulnerability process and physical, psychological and social influence) on the other. (ii) The qualitative results deepen the quantitative approach based on questionnaires by referring to the findings of the police and interviews with ADAVIP37. A discourse analysis allowed differentiation of six dimensions of victimization within the first reports. Results. – Quantitative statistical analyzes establish several types (of victims, perpetrators and victimization). From a typological point of view, victims are mostly mothers or women, 35 to 44 years old, living with their partner at the time. They report having experienced verbal abuse associated with other forms of violence (psychological, economic, physical, sexual), but felt not to be vulnerable and had no recourse to medical, social, civil or judicial help. The qualitative analyzes develop six dimensions with specific issues. The three portraits of victims perceived by the support services are clinical vignettes of a prototypical case of battered woman, reporting only slaps and refusing any action (i), a case of psychological hold denying the complaint but considering separation (ii), and a case of multiple victimization suffered during and after separation and wishing complaint (iii). These three cases illustrate profiles of victims in the long path leading to the legal complaint. Three other dimensions are more problematic for the intervener and concern: a case of legitimized violence by the victim who refuses than any further spouse (i), a particular gender case with an example of a male victim (ii), and a case of sexual victimization revealed only in a second time or report (iii). Conclusion. – Confronted with a vulnerable public who hesitates to report suffered violence, professionals will find in these analyses some indicators to facilitate the detection and adapt the treatment after the first reports of domestic violence.
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1. Introduction
au plus toˆt les victimisations. La qualification juridique des violences faites aux femmes retenue dans le protocole comprend les violences volontaires, les viols et agressions sexuelles, les menaces, les injures et le harce`lement. La prise en charge de premie`re ligne propose´e par ce protocole intervient quel que soit le sexe de la victime, suivant une prise en charge pluridisciplinaire et inter-partenariale (e.g. gendarmes, juristes pe´nalistes, psychologues). Notre recherche examine les premiers re´sultats de ce protocole, avec la pre´cieuse collaboration de l’ADAVIP37, puisqu’en 2011, 510 personnes au total ont e´te´ rec¸ues au service d’aide aux victimes.
1.1. E´mergence d’un protocole de prise en charge des violences conjugales de`s leurs de´tections « En France, tous les deux jours, un homicide est commis au sein du couple. Cent quarante-six femmes sont de´ce´de´es en une anne´e, victimes de leur compagnon ou ex-compagnon. Vingt-huit hommes sont de´ce´de´s, victimes de leur compagne ou excompagne. En moyenne, une femme de´ce`de tous les 2,5 jours et un homme tous les 13 jours. Cette violence s’exerc¸ant dans le cadre familial, six enfants ont e´galement e´te´ victimes des violences mortelles exerce´es par leur pe`re ou me`re. En incluant les suicides des auteurs et les homicides de victimes collate´rales, ces violences mortelles ont occasionne´ au total le de´ce`s de 240 personnes » [8]. C’est dans ce contexte national qu’en septembre 2010 en Indreet-Loire, dans le cadre du protocole de´partemental de pre´vention et lutte contre les violences faites aux femmes, une action spe´cifique contre les violences intrafamiliales a e´te´ mise en place entre l’ADAVIP371 et le Groupe de gendarmerie 37 afin de de´tecter
1 L’ADAVIP37 (Service d’aide aux victimes d’infractions pe´nales), spe´cialise´e en droit pe´nal, rec¸oit des victimes a` tout moment de la proce´dure (e.g. a` l’issue de l’infraction, pour pre´parer le de´poˆt de plainte, se constituer partie civile, ou recouvrer les dommages et inte´reˆts). Elle est fe´de´re´e par l’Institut national d’aide aux victimes et compose´ de trois juristes-pe´nalistes, une psychologue, un criminologue, et une secre´taire be´ne´vole.
1.2. Les enjeux de la recherche Nos premiers re´sultats ont pu eˆtre discute´s a` l’« International psychological applications conference and trends » de Madrid via une pre´sentation particulie`re des types de victimisations conjugales [6] et une approche globale des interactions auteur–victime [21], approfondissant ainsi un travail pre´liminaire pre´sente´ au 6e Colloque international de psychocriminologie de Grenoble deux ans plus toˆt [7]. Nous analysons dans ce pre´sent article les e´le´ments e´labore´s dans le cadre de l’action spe´cifique, c’est-a`-dire les 34 questionnaires-victimes joints aux fiches-saisines et les entretiens correspondants effectue´s. Les analyses pre´sente´es (quantitatives et qualitatives) ont pour objectif de clarifier les situations de violence conjugale et d’ame´liorer la premie`re intervention professionnelle. Les acteurs de premie`re intervention,
Pour citer cet article : Dieu E, Hirschelmann A. Intervenir de`s les signalements : analyses victimologiques du protocole interpartenarial de lutte contre les situations de violence conjugale (France). Ann Med Psychol (Paris) (2017), http://dx.doi.org/10.1016/ j.amp.2013.07.015
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Fig. 1. Portrait ge´ne´ral de l’auteur apre`s les violences. n = 29 -5NR ; sauf « apaise´ » n = 29 - 6NR- et « directif » n = 26 -8NR.
face a` une personne qui se « de´charge » sans volonte´ d’intervention professionnelle quelconque, peuvent avoir l’impression d’eˆtre instrumentalise´s, d’eˆtre pris au milieu d’un jeu de pouvoir entre l’auteur et la victime (passif/actif [25]) dans lequel ils ne peuvent agir. En effet, ayant affaire a` un public vulne´rable, ambivalent et souvent re´ticent a` signaler les faits, les acteurs de terrain trouveront dans nos analyses des pistes me´thodologiques pour pre´venir les violences et faciliter leurs prises en charge. 1.3. Portraits des victimes lors de la prise en charge des violences conjugales Les analyses quantitatives fre´quentielles (Section 2) nous ont permis d’identifier un portrait ge´ne´ral des victimisations au sein du couple. Ces analyses statistiques, re´alise´es a` partir de 34 questionnaires, e´laborent un portrait typologique des victimes et des auteurs, ainsi que des victimisations auxquelles ces victimes sont confronte´es. L’analyse des questionnaires offre un regard sur les divers impacts de ces violences, comme les facteurs psychosociologiques sur la victime, l’influence sur les enfants expose´s ou encore sur la place des femmes dans la Socie´te´. Les analyses qualitatives (Section 3) ope`rent un autre regard sur les questionnaires, en les joignant aux saisines gendarmerie ainsi qu’aux e´changes re´alise´s avec l’ADAVIP37. L’e´tude des discours victime–institution affine les portraits victimologiques, les formes spe´cifiques des actes de violence et la pluralite´ des visages des violences conjugales. Six portraits sont pre´sente´s ici et soule`vent les diverses dimensions de l’objet e´tudie´. Il s’agit de vignettes cliniques se´lectionne´es afin de pre´senter les difficulte´s auxquelles un professionnel de premie`re intervention peut eˆtre confronte´. Nous avons choisi de pre´senter trois cas en tant que dimensions « ge´ne´rales » ou descriptives des situations de violences conjugales rapporte´es lors d’un premier signalement et trois cas relevant de dimensions « particulie`res », c’est-a`-dire moins visibles et ne´cessitant un regard plus analytique du professionnel. Enfin, nous discuterons des re´sultats observe´s a` la lumie`re de la litte´rature scientifique re´cente (Section 4), avec le souci continu d’apporter des re´ponses concre`tes aux professionnels sur cette population de victimes de violence conjugale qui ne souhaite a priori pas de´poser plainte mais seulement se signaler.
2. Analyses statistiques-quantitatives des questionnaires de violences conjugales Les analyses statistiques fre´quentielles pre´sente´es ici sont issues des re´ponses des victimes se signalant sans de´poser plainte, via le questionnaire pre´vu a` cet effet. Nos re´sultats sont re´alise´s a` partir de 34 questionnaires et interrogent tant le portrait ge´ne´rique des victimes et des auteurs (Section 2.1) que le portrait typologique des victimisations auxquelles ces victimes sont confronte´es (Section 2.2), comprenant les aspects de socio-de´mographie, de vulne´rabilite´, de mode ope´ratoire et d’emprise physique, psychique et sociale. 2.1. Portrait ge´ne´rique de la victime et de l’auteur 2.1.1. Socio-de´mographie de la victime de violences conjugales La victime de violence conjugale serait une femme (97 %), aˆge´e de 35–44 ans (38 %), concubine (41 %) ou marie´e (32 %), vivant avec l’auteur au moment des faits (81 %). La victime a un enfant (38 %) ou deux (35 %), ayant plutoˆt moins de cinq ans (34 %). Madame est salarie´e/ouvrier ou sans emploi/retraite (79 %), dans un lieu diffe´rent de celui de l’auteur (97 %). La plupart des victimes et auteurs travaillent et dans les cas ou` les revenus sont rapporte´s, la victime est davantage repre´sente´e que l’auteur dans les revenus modestes (aucun revenu, RSA, handicap, retraite, < 1000 s) et moyens (1000– 1500 s), ainsi que dans les revenus supe´rieurs a` 1500 euros. 2.1.2. Vulne´rabilite´ de la victime de violences conjugales La victime n’est pas particulie`rement vulne´rable (75 %2) et elle n’a re´alise´ aucune de´marche me´dicale, sociale, civile et/ou judiciaire avant le signalement (61 %). Lors du signalement, la victime envisage rarement le recours me´dico-judiciaire, qu’il s’agisse d’un de´poˆt de plainte (20 %), d’un renseignement judiciaire/main courante (37 %), d’un acce`s me´dical (30 %) ou d’un contact avec une association d’aide aux victimes (46 %) ; toutefois, la se´paration avec l’auteur est largement souhaite´e (seulement 13 % ne souhaitant pas se se´parer). 2 Vulne´rable e´tant de´fini selon les crite`res suivants : enceinte (0 %), handicape´(e) (3 %), maladie grave (3 %), autre (19 %).
Pour citer cet article : Dieu E, Hirschelmann A. Intervenir de`s les signalements : analyses victimologiques du protocole interpartenarial de lutte contre les situations de violence conjugale (France). Ann Med Psychol (Paris) (2017), http://dx.doi.org/10.1016/ j.amp.2013.07.015
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2.1.3. Attitude ge´ne´rale de l’auteur L’auteur des violences posse`de rarement une arme (20 %) et il n’est pas particulie`rement violent avec l’entourage (27,6 %), ne´anmoins il se montre de´fiant a` l’e´gard des protecteurs de la victime (54 %). Il est un consommateur re´gulier de substance psychoactive (68 %, dont l’alcool a` 43 %), notamment en dehors des acce`s violents (70,6 %). Apre`s les violences, il semble apaise´ (58,6 %), ne s’excuse pas (69 %), se montre accusateur (69 %) et dans la moitie´ des cas directif envers la victime (54 %) (Fig. 1). 2.2. Portrait typologique des victimisations signale´es 2.2.1. Analyse des victimisations Sur 64 faits de violence signale´s, la part des violences verbales (44 %) est majoritaire, meˆme si les violences psychologiques/ e´conomiques (25 %) et physiques (22 %), et plus rarement sexuelles (9 %) sont repre´sente´es. Il s’agissait des violences rapporte´es a` l’ensemble des faits signale´s. Si l’on tient seulement compte des 34 victimes, 85 % d’entre elles indiquent avoir subi des violences verbales, 47 % des violences psychologiques/e´conomiques, 41 % des violences physiques, 18 % des violences sexuelles. 2.2.2. Analyse des victimisations verbales Les violences verbales sont massivement rapporte´es (85 %), effectue´es sans arme par l’auteur (82 %). Il s’agit d’insultes (49 %) subies une ou plusieurs fois par mois (60 %). Certaines victimes avouent subir des menaces de mort (22 %) et du chantage (21 %). Ces violences verbales de tout type peuvent s’exercer une ou plusieurs fois par jour (24 %). Quasi-exclusivement au domicile (87 %), en pre´sence des enfants (52 %) ou d’autres personnes (32 %), ces victimisations durent depuis un a` cinq mois (37 %), voire plus d’un an (36 %). La victime indique qu’elle n’he´site pas a` re´pondre a` l’auteur (77 %). 2.2.3. Analyse des victimisations psychologiques/e´conomiques Les 47 % de victimes signalant des violences psychologiques/ e´conomiques, majoritairement au domicile (91 %) en pre´sence des enfants (80 %), estiment eˆtre atteintes par des propos et/ou comportements me´prisants qui de´nigrent a` la fois leur personne (30 %), leurs opinions (20 %), leurs valeurs (24 %) et leurs actions (26 %). Les diverses modalite´s de victimisations psychologiques e´tant syste´matiquement releve´es par les victimes, a` une fre´quence re´partie d’une ou plusieurs fois par jour (31 %), semaine (38 %), mois (31 %). En outre de la fre´quence, les faits peuvent durer depuis plus d’un an (40 %). Nous constatons que les victimes ne subissent jamais ces de´gradations psychologiques/e´conomiques depuis moins d’un mois, elles les vivent en ge´ne´ral depuis moins d’un an (60 %) avant de signaler les faits. Ces victimisations psychiques et e´conomiques se manifestent ainsi : la victime peut eˆtre empeˆche´e de sortir de chez elle (20,6 %) ; de recevoir sa famille a` son domicile (14,7 %) ; de rencontrer ses ami(e)s (23,5 %). De plus la victime indique ne pas avoir d’activite´s exte´rieures (20,6 %) et avoir peur de son conjoint(e) (23,5 %). De manie`re moins re´pandue, la victime est prive´e de nourriture (3 %), n’a pas le droit de travailler (6 %) et n’a pas acce`s aux comptes bancaires du me´nage/documents administratifs (11,8 %). Seulement 20 % des victimes de violences psychologiques ont de´ja` consulte´ un psychologue ou un psychiatre (Fig. 2). 2.2.4. Analyse des victimisations physiques Seulement 21 % des victimes se signalant indiquent ne pas subir de violences physiques. Ces violences sont essentiellement des coups (69 %) porte´s a` main nue (83 %), ayant lieu au domicile (90 %)
Fig. 2. Victimisations psychologiques et e´conomiques. n = 34 -15NR.
une a` plusieurs fois par jour (46 %) depuis plus d’un mois (88 %– dont 25 % plus d’un an). Bien que les enfants soient rarement euxmeˆmes victimes de violences physiques (4 %), ils en sont tout de meˆme te´moins/expose´s (68 %) et en sont perturbe´s (56,5 %). La majorite´ des victimes de violences physiques ne se pre´sentent pas chez le me´decin (58 %) ; et seulement 8 % ont une consultation suivie d’un certificat me´dical avec ITT3. 2.2.5. Analyse des victimisations sexuelles Quatre-vingt-deux pour cent des victimes signalent ne pas subir de violences sexuelles, toutefois l’exemple d’une victime (cf. Mme G., cas no 6 analyses qualitatives) ayant fait deux signalements a` un mois d’e´cart nous permet de rester prudents sur ces affirmations statistiques. En effet, lors de son second signalement, Mme G. avait modifie´ plusieurs informations en principe statiques et signale´ des violences sexuelles sans indiquer depuis quand elle en e´tait victime. Les victimes de violences sexuelles de´clarent que la sexualite´ force´e n’a pas e´te´ accompagne´e de sce´nario pornographique ou re´alise´e par plusieurs partenaires ; toutefois la moitie´ de ces violences furent commises avec des brutalite´s/menaces (50 %). Les victimisations sexuelles ont lieu une ou plusieurs fois par mois (60 %), ou par semaine (40 %), depuis plus d’un mois (80 %) et lorsque les conjoints sont seuls (83 %). Ici encore, les victimisations sexuelles ne sont pas me´dicalement constate´es ; 67 % des victimes de violences sexuelles n’ont pas fait de consultation me´dicale (Fig. 3). 3. Analyses qualitatives et portraits de victimisations Nos analyses qualitatives approfondissent les re´sultats quantitatifs issus des questionnaires (« Q » in texte), en les joignant aux 3
ITT : interruption temporaire de travail.
Pour citer cet article : Dieu E, Hirschelmann A. Intervenir de`s les signalements : analyses victimologiques du protocole interpartenarial de lutte contre les situations de violence conjugale (France). Ann Med Psychol (Paris) (2017), http://dx.doi.org/10.1016/ j.amp.2013.07.015
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apre`s les acce`s agressifs, semblent davantage empathiques et sous l’emprise de leur conjoint.
Fig. 3. Les victimisations sexuelles. n = 33 -1NR.
« saisines gendarmerie » qui rapportent le constat de l’agent public (« SG » in texte), ainsi qu’aux e´changes re´alise´s entre les victimes et l’ADAVIP37 (« VA » in texte). L’e´tude des discours victimeinstitution affine de`s lors les portraits victimologiques pre´sente´s ci-dessus, sous la forme de vignettes explorant les diverses dimensions victimologiques constate´es qualitativement. Trois dimensions sont ge´ne´rales, communes aux diffe´rentes victimes et directement perceptibles par les services d’accompagnement et trois semblent moins visibles au sein des premiers signalements. 3.1. Les trois dimensions victimologiques ge´ne´rales des violences conjugales, visibles lors du premier signalement 3.1.1. Mme E. et l’emprise, le portrait ge´ne´ral de la femme violente´e Mme E. a 53 ans au moment du signalement. Elle a six enfants, travaille, comme son concubin, et gagne un salaire dans la meˆme tranche salariale que celui-ci (1200/1500 euros par mois). Elle « se pre´sente. . . [en 2011] a` 16 heures pour signaler qu’elle souhaite se se´parer de son compagnon. . . [plus jeune qu’elle], qu’ils ont un bail en commun pour la location de maison et qu’elle craint qu’il n’emporte les biens » (SG). Bien que sur le questionnaire Mme E. indique eˆtre victime d’insultes chez elle devant ses enfants, ainsi que victime de violences psychologiques/e´conomiques et de violences physiques plusieurs fois par mois, toujours en pre´sence des enfants, qui en sont perturbe´s. . . elle n’a pour le moment entame´ aucune de´marche, ni me´dicales ni judiciaires, et n’envisage pas de de´poser plainte. Mme E. « souhaite surtout connaıˆtre les de´marches afin que son compagnon, avec qui elle ne s’entend plus, quitte le domicile ». En e´changeant un peu plus avec le gendarme, elle « fait e´tat par la meˆme occasion de violences au sein du couple, remplit de fac¸on sommaire le formulaire d’accueil et pre´cise ne pas de´sirer porter plainte » (SG). Alors que Mme E. reconnaıˆt que son conjoint la violente de coups porte´s a` main nue, de propos et comportements me´prisants qui de´nigrent ses valeurs et sa personne, et alors qu’elle lui re´pond, elle n’envisage rien d’autre qu’une se´paration. Comme dans nombre d’autres cas similaires, « a` ce jour, malgre´ plusieurs tentatives, [l’ADAVIP37] n’arrive pas a` joindre Mme E. . . . ne laisse pas de message sur le re´pondeur ne sachant pas si Monsieur y a acce`s » (VA). Mme E. ne donne-t-elle pas de nouvelles apre`s une se´paration qui a re´gle´ les diffe´rents conflits ? Ou est-elle toujours sous l’emprise d’un conjoint qui l’empeˆche de sortir, d’avoir des activite´s exte´rieures, d’avoir acce`s aux comptes bancaires du me´nage et aux documents administratifs ? (Q) Les enfants, te´moins des violences, sont-ils un moyen de pression sur Mme E. ? Parmi toutes ces violences, la sexualite´ force´e est-elle re´ellement absente ou fait-elle partie d’une complexion victimale et encore taboue ? Nous constatons que les victimes dont le conjoint s’excuse de ses violences, malgre´ ici l’accusation et le non-apaisement de l’auteur
3.1.2. Mme L. : survivre dans la violence polymorphe Mme L. est victime de violence polymorphique, c’est-a`-dire qu’elle subit un ensemble de victimisations : violences verbales, psychologiques et e´conomiques, physiques et sexuelles (a` la diffe´rence de Mme E.). A` seulement 19 ans et jeune me`re d’un enfant d’un an, elle est se´pare´e de Monsieur et ne vit donc plus avec lui au moment des violences. Sans emploi, elle part vivre au domicile de ses beaux-parents, tandis que Monsieur, boulanger, est autosuffisant. Mme L. indique ne pas eˆtre vulne´rable, pourtant elle reconnaıˆt avoir e´te´ hospitalise´e apre`s des coups porte´s par son conjoint alors qu’elle e´tait enceinte de trois mois, ce qui entraıˆna une fausse couche (Q). Elle dit n’avoir e´tabli aucune de´marche particulie`re, alors qu’elle s’est se´pare´e de Monsieur quatre mois auparavant. « Le. . . [en 2011] a` 19 h 40, Mme L. se pre´sente a` la gendarmerie [. . .]. Elle est accompagne´e de sa me`re et de son beaupe`re. Elle vient de´noncer des violences commises par son exconcubin [. . .]. Elle pre´sente un certificat me´dical mentionnant six jours d’ITT portant notamment sur des marques de strangulation et sur l’avant-bras. Elle de´pose une plainte [. . .]. Mme X., assistante sociale du secteur, e´tait a` proximite´ lors des faits. Contacte´e, elle ne de´sire pas eˆtre entendue, souhaitant rester neutre. Elle nous communique le nume´ro de son rapport [. . .] dans lequel elle mentionnera le comportement de [conjoint de Mme L.] » (SG). Mme L. vient reconnaıˆtre un ensemble de violences et porter plainte, soutenue par sa famille. Les violences verbales concernent des insultes, du chantage, des menaces de mort, avec une arme a` feu, et plusieurs fois par jour. Chez eux, l’auteur l’empeˆchait de sortir. Les violences psychologiques et e´conomiques sont issues de comportements et/ou propos me´prisants de´nigrant ses opinions, ses valeurs, ses actions et sa personne, plusieurs fois par jour, puis plusieurs fois par semaine depuis la se´paration. Mme L. ne pouvait ni sortir, travailler, exercer des activite´s exte´rieures, ni accueillir quiconque a` son domicile (y compris famille) ou rencontrer ses amis. En outre, elle n’avait pas acce`s aux comptes bancaires du me´nage et aux documents administratifs. Les violences physiques sont des coups et blessures perpe´tre´s a` mains nues, en pre´sence d’un enfant (qui en est perturbe´). Ces coups et blessures furent constate´s par un me´decin (ITT de six jours). Ajoute´ a` cela, Mme L. a subi des violences sexuelles, a` savoir une sexualite´ force´e accompagne´e de brutalite´s physiques et/ou de menaces (Q). Mme L. dit ne pas avoir peur de son ex-conjoint, mais elle reconnaıˆt aussi ne jamais lui avoir re´pondu. Monsieur posse`de une arme, il est violent avec l’entourage et avec ceux qui de´fendent Mme L., il consomme de l’alcool, des stupe´fiants et des me´dicaments de fac¸on habituelle. Apre`s les violences, il ne s’excuse pas, il reste accusateur bien qu’il soit apaise´ (Q). Mme L. dit envisager toutes les de´marches, de´poˆt de plainte et consultation me´dicale (ce qui est fait), et joindre une association d’aide aux victimes. Mais, l’ADAVIP37 essaie en vain « de contacter Mme L. Le re´pondeur est au nom de [conjoint de Mme L.]. . . ne laisse pas de message » (VA). Cette tentative est renouvele´e trois fois, e´tale´e dans la semaine, toujours sans re´ponse. La gendarmerie informe le service d’aide aux victimes que la situation a e´te´ pre´sente´e a` Mme L. et que celle-ci s’est engage´e a` prendre contact, ce qu’elle n’a en re´alite´ pas fait (depuis un an). 3.1.3. Mme S : les premie`res gifles ou le de´but de la fin Le portrait de Mme S. pre´sente´ ici soule`ve une dimension victimologique supple´mentaire, commune aux diffe´rentes victimes, a` laquelle les premiers intervenants sont re´gulie`rement confronte´s. Mme S., quarante ans, marie´e, ayant un enfant de sept ans, vit, au moment des faits, avec Monsieur qui n’a pas d’emploi. Mme S. n’est pas vulne´rable et n’a jamais entame´ une quelconque
Pour citer cet article : Dieu E, Hirschelmann A. Intervenir de`s les signalements : analyses victimologiques du protocole interpartenarial de lutte contre les situations de violence conjugale (France). Ann Med Psychol (Paris) (2017), http://dx.doi.org/10.1016/ j.amp.2013.07.015
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proce´dure a` l’encontre de son mari (me´dicale, sociale, civile, judiciaire). Point de violence polymorphique, Mme S. vient signaler des gifles. Bien qu’il s’agisse de violences physiques, Mme S. ne les classe pas dans les « coups » et ne fournit aucun renseignement supple´mentaire (arme ? fre´quence ? lieu ? depuis quand ?. . .) Elle nous renseigne sur la non-pre´sence des enfants et l’absence de consultation me´dicale. Monsieur aurait agi sans arme, lui qui est non violent avec l’entourage, non consommateur d’alcool, de stupe´fiants ou de me´dicaments. Mme S. ne signale rien concernant l’attitude de son mari apre`s les violences et n’envisage aucune de´marche supple´mentaire, ni civile ni me´dico-judiciaire. . . et souhaite poursuivre la vie commune (Q). Ce premier signalement de Mme S. n’est pas particulier. Avant d’entretenir toute autorite´ de certaines violences, le premier pas consiste en ge´ne´ral a` prendre des informations. Le signalement des gifles (et non des coups), puis d’un portrait du mari non violent, correspond a` une euphe´misation des violences, une certaine forme de de´ni de victimisation, en ce qui la concerne, et des agir violents, en ce qui concerne son e´poux. Les informations fournies caracte´risent-elles un portrait exact de la situation ? N’est-ce que le de´but du cycle de la violence ? Ou encore, n’est-ce que le premier pas d’une reconnaissance d’une position de victime ? 3.2. Les trois dimensions victimologiques des violences conjugales, non apparentes lors du premier signalement 3.2.1. Mari aimant = mari violent ? La le´gitimation des violences par la victime Mme I. est une employe´e de banque de 49 ans, marie´e et vivant avec son mari, un chef d’e´quipe jardinier. Avec lui, elle a deux grands enfants (autour de la vingtaine). Mme I. de´clare eˆtre vulne´rable du fait d’un trouble psychiatrique (trouble bipolaire) pour lequel elle a e´te´ re´cemment hospitalise´e durant plusieurs semaines. Jusqu’ici, elle n’avait jamais envisage´ une quelconque de´marche judiciaire a` l’encontre de son mari. « De`s son arrive´e, Mme I. a indique´ ne pas vouloir de´poser plainte, mais simplement signaler les faits. Elle nous a informe´s souffrir d’une pathologie psychiatrique. [. . .] Elle pense que son mari est exaspe´re´ par cette pathologie car celui-ci pensait que le nouveau traitement suivi par son e´pouse allait permettre a` cette dernie`re de gue´rir, ce qui n’est pas le cas. Elle serait e´galement de´pendante a` l’alcool, de son propre aveu. En raison de cette situation, Mme I. dit eˆtre insulte´e une a` deux fois par mois par son mari. Elle aurait e´te´ ‘‘empoigne´e’’ re´cemment par son e´poux au niveau du col de ses veˆtements, entraıˆnant de le´ge`res ecchymoses sous le bras droit. Le mari se confondrait ensuite en excuses » (SG). Suite a` la de´claration de Mme I., et conforme´ment au protocole e´tabli, le service d’aide aux victimes prend contact afin d’avoir plus d’informations sur les faits. Mme I. argumente alors « que c’e´tait tre`s ‘‘ponctuel’’, qu’elle souffre de troubles bipolaires et a tendance a` accentuer les difficulte´s qu’elle rencontre. . . ce qui aurait e´te´ le cas lorsqu’elle est alle´e a` la gendarmerie. Selon elle, son mari est au contraire tre`s soutenant, aidant. D’autant plus qu’elle serait difficile a` vivre et aurait fait traverser des moments vraiment durs a` sa famille. Aujourd’hui encore, les me´dicaments ne compenseraient pas tout » (VA). L’ADAVIP37 indique alors a` Mme I. « que malgre´ ces difficulte´s, elle doit rester prudente sur sa qualite´ potentielle de victime. Mme I. re´pond que le pas est vite franchi et qu’en l’occurrence il ne l’avait pas frappe´e, mais essayait simplement de la relever pour qu’elle aille se coucher. Mme I. dit e´galement marquer vite. Enfin, elle explique avoir un fort caracte`re et qu’elle ne serait pas reste´e trente ans avec un homme violent. Aujourd’hui, elle ne se conside`re pas comme une femme battue. Son mari fait ce qu’il peut » (VA). Comprenant qu’il est vain d’insister, la juristepe´naliste de l’aide aux victimes signale seulement a` Mme I. la possibilite´ d’avoir un soutien juridique et psychologique si besoin.
Mme I. a donc signale´ avoir e´te´ victime d’insultes a` domicile, sans jamais avoir subi des victimisations physiques, sexuelles, psychologiques ou e´conomiques. La situation est suffisamment proble´matique pour la signaler comme un portrait qualitatif particulier : que faire dans le cas ou`, outre le non-de´sir de la victime de ne pas poursuivre judiciairement son conjoint, elle dit s’eˆtre emporte´e et rationalise apre`s coup la situation violente ? En effet, l’attitude de l’auteur est sans particularite´ notable, il n’a pas d’arme ni d’attitude violente. Il ne boit de l’alcool que pour son repas du soir. Apre`s les faits, il s’est apaise´ et excuse´ et il est (re)devenu protecteur. En plus de le´gitimer l’attitude agressive (verbale) de son mari, voire de renforcer son attitude ge´ne´rale, Mme I. de´pre´cie son propre comportement en de´crivant son fort caracte`re et sa pathologie. Finalement, elle n’envisage aucune de´marche, ni me´dicale ni judiciaire. Elle souhaite poursuivre la vie commune et ne pas quitter le domicile. . . sauf « tre`s [souligne´ par elle] occasionnellement une nuit a` l’hoˆtel pour ‘‘couper’’ le conflit »4. Mme I. se justifie de ne pas vivre avec un homme violent puisque si celui-ci e´tait violent, elle ne vivrait pas avec. . . sauf les nuits occasionnelles a` l’hoˆtel. Une autojustification donc, et limite´e quand on connaıˆt la difficulte´ a` s’extirper d’un cycle de violence conjugale, lorsque cela est possible. « Aujourd’hui, elle ne se conside`re pas comme une femme battue. Son mari fait ce qu’il peut » (VA). Mme I. traduit-elle une situation sociale a` surmonter en couple, et donc les difficulte´s rencontre´es dans ces e´preuves, ou un conflit conjugal volontairement atte´nue´ par sentiment de culpabilite´ ? 3.2.2. Monsieur aussi est une victime « Le. . . [2012] a` 20 heures, une dispute e´clate entre Monsieur S. et Madame au domicile de Madame [. . .]. Le couple est ensemble depuis un an. Il n’y a pas d’enfants en commun. Madame [. . .] a de´ja` deux enfants. M. S. aurait peut-eˆtre une fille de quatre ans. Sur fond d’alcool, Madame [. . .] reproche a` son compagnon de trop boire. En re´ponse, il lui donne une gifle. Madame [. . .] de´clare lui avoir donne´ plusieurs gifles (poings ferme´s). M. S. indique que ce n’est pas la premie`re fois qu’elle le frappe. Aucune plainte n’est de´pose´e. Le couple se se´pare. Une demande de logement est faite. . . » (SA). Monsieur S., 36 ans, est ouvrier et vit avec Madame, nourrice agre´e´e, au moment des faits. M. S. a rendez-vous avec le me´decin, il ne de´pose pas de plainte (mais une main courante). M. S. est victime de violences verbales via des insultes et des menaces de mort, a` une fre´quence bimestrielle, en exte´rieur comme au domicile. Il subit e´galement des violences physiques (he´matome) en pre´sence des enfants, qui en sont perturbe´s. M.S. indique ne pas eˆtre victime de violence psychologique, e´conomique ou sexuelle. Sa conjointe consomme des toxiques (alcool, stupe´fiants ou me´dicaments), notamment au moment des violences. Apre`s les violences, celle-ci devient protectrice, accusatrice et directive. Elle ne s’excuse pas, bien qu’elle se soit apaise´e (Q). M.S. nous montre que les roˆles re´gulie`rement constate´s, auteur de sexe masculin et victime de sexe fe´minin, sont interchangeables. Plus que cela, le renversement des roˆles ne change ni la nature des violences (physiques et verbales ici), ni le comportement ge´ne´ral de l’auteur (e.g. toxicite´, accusation de la victime apre`s les phases de violence, absence d’excuse). Un e´le´ment est largement a` prendre en conside´ration : la re´ciprocite´ des e´changes agressifs entre Monsieur et Madame. Cette interrelation ge´ne`re une variation du type de violence ; cette variation estelle en lien avec le genre de l’auteur et de la victime ? La litte´rature scientifique va dans ce sens (cf. partie 3). Ce cas te´moigne de la ne´cessite´ d’analyser les violences conjugales suivant leurs deux facettes, en e´largissant le spectre d’action, afin d’avoir une vue d’ensemble des relations de pouvoir dans le couple et non une perspective semi-genre´e qui biaiserait toutes conclusions. 4 ´ Ele´ments fournis a` partir d’une note de Mme I. sur le questionnaire de la gendarmerie nationale.
Pour citer cet article : Dieu E, Hirschelmann A. Intervenir de`s les signalements : analyses victimologiques du protocole interpartenarial de lutte contre les situations de violence conjugale (France). Ann Med Psychol (Paris) (2017), http://dx.doi.org/10.1016/ j.amp.2013.07.015
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3.2.3. Mme G. se pre´sente deux fois. . .la re´ve´lation des violences sexuelles Mme G. est un cas prototypique quant a` la reconnaissance des violences sexuelles. En effet, Mme G. se pre´sente deux fois a` la gendarmerie en 2011, a` seulement un mois d’e´cart. Il est inte´ressant de comparer les deux questionnaires remplis avec ce mois de de´calage, tant les variations que les invariants. Tout d’abord, Mme G. se pre´sente ainsi : 37 ans, assistante maternelle, sans vulne´rabilite´ notable, et vivant avec Monsieur au moment des faits. Ils ont deux enfants de moins de dix ans (Q). Dans un premier temps, nous analysons les invariants. Lors des deux signalements, Mme G. entreprend des mesures civiles de se´paration, sans de´marche me´dico-sociale. Dans les deux cas, Mme G. indique eˆtre victime de violences verbales, psychologiques et physiques, donc aucune violence sexuelle. Les violences verbales sont une accumulation d’insultes, de chantage et de menaces de mort, toujours en pre´sence des enfants. Les violences psychologiques/ e´conomiques concernent tant les comportements et/ou propos de´nigrant ses opinions, ses valeurs, ses actions que sa personne. Ces violences ont lieu au domicile, en pre´sence des enfants. Mme G. ne peut ni sortir du domicile, ni avoir des activite´s exte´rieures, ni rencontrer ses amis. Au second signalement, Mme G. a toujours peur de son (ex)conjoint, elle n’a pas acce`s aux comptes bancaires du me´nage et aux documents administratifs. Les violences physiques sont e´galement perpe´tre´es au domicile en pre´sence des enfants (qui en sont perturbe´s). Les deux signalements e´voquent des coups. L’auteur des violences ne posse`de pas d’arme, il est de´fiant a` l’encontre des personnes qui de´fendent Mme G5. Il ne consomme ni alcool ni stupe´fiant. Apre`s les violences, premie`res et secondes de´clare´es, l’auteur est accusateur envers la victime. Il ne s’excuse pas et devient directif. Lors du second signalement, Mme G. souhaite toujours se se´parer de Monsieur, ce qu’elle a de´ja` fait en quittant le domicile (Q). Elle reprend alors contact avec l’ADAVIP37. Si nous analysons maintenant les variations, nous pouvons soulever de nombreuses questions. Lors de ce second signalement, des violences verbales, psychologiques et physiques sont une nouvelle fois rapporte´es, avec en sus des violences sexuelles. Toutes ces violences sont de´sormais plus espace´es, passant d’une fre´quence journalie`re a` hebdomadaire, certainement du fait de la se´paration. La premie`re fois, Mme G. indiquait re´pondre aux violences verbales, ce qu’elle ne re´pe`te pas la seconde fois. Concernant les violences psychologiques/e´conomiques, Mme G. change d’avis sur la privation de nourriture, indiquant que cela ne lui est jamais arrive´, changement peut-eˆtre lie´ a` la difficulte´ de la question (pose´e sous forme ne´gative). Dans le second cas, les violences physiques apparaissent de nouveau, mais avec des blessures porte´es a` mains nues et avec un objet. Mme G. de´cide de´sormais de consulter un me´decin (Q). Le re´el changement se cristallise sur la reconnaissance de victimisations sexuelles subies, via une sexualite´ force´e au domicile. Est-ce un fait re´cent ou cela caracte´rise-t-il une e´tape supple´mentaire dans l’acceptation de la posture de victime ? Mme G. ne pre´cise pas depuis quand elle subit ces violences sexuelles. Toutefois, nous savons qu’elle est se´pare´e de son conjoint depuis cinq mois, soit quatre mois avant le premier signalement. Pour ces faits, Mme G. consulte le me´decin qui lui remet un certificat me´dical (Q). Le portrait de l’auteur est changeant lui aussi. Au moment des secondes violences de´clare´es, l’auteur avait pris des me´dicaments. Et apre`s ces secondes violences, il s’apaise, ce qui n’e´tait pas le cas auparavant (Q). Mais quelles violences Mme G. e´voque-t-elle ? S’agitil de nouvelles violences, et dans ce cas, l’ensemble des victimisations subies en un mois tout en e´tant se´pare´e de son (ex)concubin ? Ou s’agit-il des violences ante´rieures, et dans ce cas, d’un portrait e´clairci de ce qu’elle a pu subir ? Mme G. souhaite 5
Cette information n’est pas pre´cise´e lors du second fait (nr = 99).
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prendre des renseignements judiciaires, toujours sans de´poser plainte. Bien entendu, il s’agit d’une e´volution puisque la victime ne souhaitait entamer aucune proce´dure judiciaire lors du premier signalement. Les violences reconnues suivent-elles cette meˆme e´volution ? Cette fois, la victime n’est pas contre un he´bergement d’urgence pour quitter le domicile. Nous pouvons donc penser que le second signalement de´crit des violences toujours perpe´tre´es sur Mme G. et que le questionnaire de la gendarmerie est lui aussi victime d’une re´tention d’informations. 4. Discussion de nos re´sultats a` la lumie`re de la litte´rature scientifique concernant les situations de violence conjugale Dans cette troisie`me partie, nous questionnons la litte´rature scientifique a` propos des diffe´rents e´le´ments souleve´s au sein de nos analyses, notamment la question du genre et le caracte`re polymorphique des situations de violence conjugale, sans oublier d’interroger la proble´matique des violences sexuelles dans le couple. Au-dela` d’un diagnostic diffe´rentiel des violences conjugales, nous souhaitons ici re´fle´chir a` l’aide que le professionnel peut apporter en matie`re soit d’orientation–conseil soit d’amorce the´rapeutique. En effet, les diffe´rentes vignettes expose´es montrent que le professionnel est sollicite´ comme tiers re´cepteur d’une souffrance dont le dessein reste incertain et pre´caire. La solitude qui se cre´e au fur et a` mesure de l’installation de la violence pour chacun des deux partenaires nous alerte et nous ame`ne a` chercher une solution plus individuelle qu’a` envisager une me´diation ou confrontation avec l’autre. Il est e´vident que le professionnel encourt le risque de stigmatiser de fait les deux parties et empeˆcherait toute forme de responsabilisation s’il cautionnait une de´marche individuelle qui n’implique pas de confrontation a` l’autre (dans le travail psychique) et ne convoque pas la loi (dans la qualification des faits). En meˆme temps, l’avortement de toute possibilite´ de suite, tel qu’e´voque´ dans les vignettes, le pousse sans re´vocation dans cette position potentiellement proble´matique de ne servir que de te´moin, pire de caution ou de pre´texte dans une situation dont il ne maıˆtrise a` ce stade ni les tenants ni les aboutissants. On comprend ici la ne´cessite´ pour le professionnel de travailler en re´seau. Si l’amorce the´rapeutique ne de´pend pas du de´poˆt de plainte de la victime et d’une de´marche sur le registre pe´nal, il est ne´anmoins indispensable que le professionnel dans son suivi dispose de bonnes connaissances socio-me´dico-judiciaires, voire travaille en re´seau [1]. Nous comprenons la difficulte´ pour les professionnels a` lire les signalements et a` envisager les suites correspondantes. 4.1. Le portrait criminologique du conjoint violent Le portrait des auteurs de violences conjugales (tire´ de l’analyse des questionnaires et des fiches de signalement correspondantes) est des plus communs. Ainsi, nous pouvons dire qu’en ge´ne´ral les auteurs ne de´tiennent pas d’arme et ne sont pas particulie`rement violents avec l’entourage, bien qu’ils se montrent de´fiants a` l’e´gard des protecteurs de la victime et qu’ils sont des consommateurs re´guliers d’alcool. Apre`s les violences, ils semblent apaise´s, mais ne s’excusent pas aupre`s des victimes. Ils sont meˆme accusateurs et directifs a` leur e´gard. Le cycle de la violence est long, et tant l’attitude de la victime que celle de l’auteur se modifient re´ciproquement, en e´cho de l’un a` l’autre. D’un conjoint apaise´ et peu accusateur, auteur de « seulement quelques gifles » (e.g. Madame S.), la situation peut subtilement basculer, a` travers un long processus, a` une relation d’emprise dans laquelle l’auteur devient de plus en plus violent et la victime de moins en moins autonome. La dimension de l’emprise inscrit la violence conjugale dans un processus bien connu en criminologie–victimologie, a` savoir une dynamique relationnelle et affective qui ne s’instaure
Pour citer cet article : Dieu E, Hirschelmann A. Intervenir de`s les signalements : analyses victimologiques du protocole interpartenarial de lutte contre les situations de violence conjugale (France). Ann Med Psychol (Paris) (2017), http://dx.doi.org/10.1016/ j.amp.2013.07.015
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qu’a` condition d’eˆtre deux [12]. Chacun pris isole´ment pre´sente moins un profil criminologique ou victimologique particulier qu’une fragilite´ le ou la rendant vulne´rable dans certaines conditions d’exposition a` (la fragilite´ de) l’autre. La fragilite´ creuse ainsi le lit de la dangerosite´ et constitue le couple pe´nal (agresseur– victime) [14,25]. Encore est-il inexact de parler d’agresseur et de victime, car les diffe´rentes vignettes que nous avons pre´sente´es montrent que le discours des personnes qui de´clarent subir la violence de leur partenaire ne se retrouve pour autant pas dans le suppose´ rapport de domination–soumission entre un agresseur (qui domine) et une victime (soumise), mais de´crivent davantage un rapport d’horizontalite´ confrontant un(e) « victimant » et une victime [17]. Autrement dit, les deux acteurs implique´s (puisqu’il en faut ne´cessairement deux pour que la violence s’exprime) tirent sur une meˆme corde (la violence), dynamique qui n’exclut d’ailleurs pas que l’un et l’autre poˆle s’e´changent, chacun participant et entretenant ainsi a` sa manie`re la violence. Le constat que le premier signalement est associe´ dans un meˆme mouvement a` la fre´quente banalisation de la violence nous donne un premier indicateur sur le dilemme qui anime la victime. Pignol (2011) [17] en a identifie´ quatre, dont deux se situent sur l’axe de la responsabilite´ (mise en normes) et deux sur celui de la culpabilite´ (mise en valeurs). Les deux premiers questionnent l’imputation (« il est tout aussi proble´matique d’y avoir e´te´ pour quelque chose que de n’y avoir e´te´ pour rien ») et la qualification (« il est tout aussi proble´matique de qualifier l’e´ve´nement que ne de pas le qualifier [que ce soit quelque chose et que ce ne soit rien] ») ˆ ou et font re´fe´rence a` la loi. Les deux suivants interrogent le du l’indemnisation–« il est tout aussi proble´matique d’y perdre que d’y gagner »)–et la peine ou la condamnation–« il est aussi proble´matique de faire payer que de ne pas faire payer, de condamner que de pardonner »). Ces quatre dilemmes motivent les signalements autant qu’ils les font avorter par la suite. Le professionnel doit ˆ t et l’enjeu psychiques que la de´marche donc d’entre´e mesurer le cou repre´sente pour le sujet. Du coˆte´ de l’agresseur, les dilemmes sont sensiblement les meˆmes, ce qui atteste encore une fois du lien e´troit entre les positions de l’agresseur et de la victime [4]. 4.2. La question du genre dans les situations de violence conjugale Situe´es dans le cadre intrafamilial, les violences conjugales interrogent les relations de pouvoir au sein du couple, et plus ge´ne´ralement la structure de la famille dans une socie´te´ a` un endroit et un moment donne´s. Les carences releve´es dans les relations conjugales n’ont pas de liens concrets avec une structure dite « naturelle » de la famille [23]. Ce mode`le classique d’institution familiale questionne le rapport des femmes a` la jouissance et a` leurs positions subjectives, puisque « pour une femme, se retrouver en position d’objet pour le fantasme d’un homme c’est aussi risquer de se retrouver prise dans des positions mortife`res, surtout si en place d’un fantasme elle a affaire chez ce partenaire a` des constructions plus ravageantes, perverses ou de´lirantes par exemple » [11]. De`s lors, la question du « genre » au sein des violences conjugales paraıˆt tout a` fait le´gitime. Le cas de Monsieur S. pre´sente´ dans ce dossier en est une illustration ; nous avons pu voir que les roˆles « auteur »/« victime » e´taient interchangeables, ne´anmoins le type de relation paraissait particulier. Selon Borges et Le´veille´e [16], il existerait des divergences dans les violences selon le sexe des agresseurs. Par exemple, « l’homicide commis par les hommes re´pond a` une strate´gie d’appropriation tandis que celui commis par les femmes correspond plutoˆt a` une strate´gie de protection ». Ne´anmoins, peu d’hommes ont e´te´ recense´s dans le cadre du protocole de lutte contre les violences intrafamiliales. Selon nos analyses, les victimes de violences intrafamiliales sont essentiellement des femmes aˆge´es de 35-44 ans, me`res d’un jeune enfant ou de deux,
concubines ou marie´es et vivant avec l’auteur au moment des faits. Elles ne sont pas particulie`rement vulne´rables, sans ante´ce´dents me´dicaux, sociaux, civils et/ou judiciaires avant le signalement. Lors du signalement, la victime envisage rarement le recours me´dico-judiciaire, bien qu’une se´paration avec l’auteur soit de´sire´e. L’avenir du couple, in extenso de la famille, est difficilement envisage´ par la victime. Lors du premier signalement, la situation de « victime » n’est pas force´ment avoue´e, ou de´licate a` estimer (cf. Madame I. qui, ayant des troubles psychiatriques, justifie les possibles de´bordements de son mari). Pour autant, malgre´ des situations parfois mal appre´cie´es, et sans de´sir de de´poser plainte, une majorite´ de victimes indiquent vouloir quitter le domicile. Nous retrouvons ici la situation de´ja` e´voque´e ou` la solution de la se´paration re´sulte non seulement de la radicalisation et solitude des positions des protagonistes mais constitue aussi davantage un e´vitement du conflit qu’une re´solution efficiente du proble`me. Englue´e dans la dynamique violente, la victime, qu’elle soit une femme ou un homme, ne sait plus distinguer culpabilite´ et responsabilite´ (« quel roˆle ai-je joue´ ? Qu’est-ce que c’e´tait ? Quelle est la faute ? Dois-je et comment puis-je mieux faire ? »). Le professionnel est amene´ ici a` « faire d’abord le tri ». Le rappel de la loi permet de qualifier l’e´ve´nement en dec¸a` de tout enjeu social autour du genre. Comme le pre´conisait Lopez en 2010 [15], il s’agit ici, entre autres, de : « prendre clairement parti pour la victime pour ne pas se faire le complice (involontaire) du de´ni caracte´ristique du « syste`me agresseur » qui entretient la confusion ; e´tablir une relation de confiance avec ces sujets qui ont toujours e´te´ trahis par les personnes qui e´taient charge´es de les prote´ger, mais indispensable pour obtenir une bonne compliance the´rapeutique ; se re´fe´rer constamment a` la loi, mais ne pas imposer un de´poˆt de plainte comme pre´alable indispensable au travail the´rapeutique ; de´finir le cadre the´rapeutique de fac¸on de´mocratique avec un sujet qui a toujours ve´cu dans un syste`me de domination impose´e (la loi du plus fort) et recadrer a` chaque tentative de transgression du cadre ; faire preuve d’empathie en tentant d’identifier les e´motions ressenties par le patient, tout en gardant la distance qui maintient le cadre the´rapeutique dans les limites pre´alablement de´finies (il ne s’agit pas de sympathie, laquelle consisterait a` s’identifier totalement a` la personne souffrante) ».
4.3. Le polymorphisme des situations de violence conjugale Du point de vue du type de victimisation, une grande partie des victimes subissent des violences verbales, puis dans un ordre de´croissant, des violences psychologiques/e´conomiques, des violences physiques et des violences sexuelles. Toutes ces violences sont quasi-exclusivement perpe´tre´es au domicile de la victime, en pre´sence des enfants. Une majorite´ des victimes ne se pre´sentent pas chez le me´decin. Certaines victimes, comme le cas de Madame L. pre´ce´demment pre´sente´ dans le dossier, (sur)vivent dans une violence polymorphique ; c’est-a`-dire l’accumulation des diffe´rentes victimisations. Les violences verbales sont des insultes re´pe´titives (voire quotidiennes), et dans une moindre mesure des menaces de mort et du chantage ; et les violences physiques sont essentiellement des coups porte´s a` main nue, une a` plusieurs fois par jour depuis plus d’un mois (parfois depuis plus d’un an). De plus, les violences intrafamiliales touchent l’ensemble des membres du groupe qu’est la famille ; en outre des victimes dites « directes » des violences conjugales, les conjoints, les enfants te´moins de ces violences sont aussi des victimes a` part entie`re. Bien que les enfants soient rarement eux-meˆmes victimes de violences
Pour citer cet article : Dieu E, Hirschelmann A. Intervenir de`s les signalements : analyses victimologiques du protocole interpartenarial de lutte contre les situations de violence conjugale (France). Ann Med Psychol (Paris) (2017), http://dx.doi.org/10.1016/ j.amp.2013.07.015
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physiques, ils en sont tout de meˆme expose´s, et perturbe´s. Ce qu’on appelle « enfant expose´ » [24] aux violences conjugales est donc un membre d’un groupe agressif dans lequel ses pouvoirs d’action et ses capacite´s de´fensives sont largement limite´s. Il assiste passivement aux sce`nes familiales inse´curisantes, et bien qu’elles diffe`rent suivant la maturation de l’enfant, les angoisses sont toujours pre´sentes, et leur devenir pourra se lier a` un traumatisme d’une situation impossible a` assimiler [18]. Au-dela` des violences qui font figure d’apprentissage vicariant, le conflit de loyaute´ peut aussi eˆtre conside´re´ comme une maltraitance psychologique de l’adulte en devenir [5]. « Proie d’un chantage affectif, l’enfant connaıˆt ine´luctablement l’angoisse et la culpabilite´, ge´ne´rant dans bien des cas un traumatisme aux re´percussions ulte´rieures certaines » [5]. Cette exposition peut compromettre l’avenir de ces enfants. Par exemple, certains adolescents pris en charge par la Protection de l’enfance et dans le soin psychiatrique sont e´tiquete´s « violents », « incasables », ou encore « vulne´rables » [9], et l’e´tude de leur passe´ permet d’appre´hender re´trospectivement l’identification a` l’agresseur comme me´canisme de de´fense e´mergeant le plus souvent de cas d’enfants expose´s [18]. Dumaret et al. (2011) [10] en tirent les conclusions suivantes : « La qualite´ de vie lie´e a` la sante´ varie ne´gativement en fonction des violences subies pendant l’enfance et de la persistance de troubles psychiques au-dela` du placement. » Le polymorphisme n’est pas seulement a` conside´rer au niveau de la typicite´ de la violence agie, mais aussi au niveau de son e´tendue. Cela concerne les protagonistes implique´s qui ne se re´sument pas seulement au couple violent mais s’e´tendent a` tous les proches, membres de la famille. Si nous avons dit qu’il faut au moins eˆtre deux pour que la violence puisse s’exercer, il n’existe ne´anmoins pas de nombre limitatif maximal. Le professionnel doit donc eˆtre sensible aux violences passives qui peuvent affecter les enfants et qu’ils passent souvent sous le silence. Le signalement peut aussi eˆtre une opportunite´ d’acce`s aux formes et victimes a priori invisibles de ces violences. 4.4. Les violences sexuelles dans le couple : la violence invisible des violences invisibles La proble´matique des violences sexuelles peut eˆtre traite´e sous diffe´rents angles e´piste´mologiques. Il est par exemple possible d’e´tudier la propension de ces violences dans la population [2], la nature et le type de ces violences sexuelles (e.g. mutilations sexuelles [19]), ou encore les acteurs en jeu et leurs caracte´ristiques [3]. Les travaux actuels du Plan national visant a` limiter l’impact de la violence sur la sante´ sont repre´sentatifs d’un de´sir institutionnel d’e´radiquer certaines violences faites aux femmes [19]. Reconnues comme un enjeu de sante´ publique, ces actions s’appuient tant sur une approche socio-culturelle, sur les re´percussions me´dicales, physiques et mentales, que sur les aspects juridiques. Beaucoup de femmes restent dans le silence et vivent sous la pression sociale du devoir conjugal en matie`re de sexualite´. Ayant plutoˆt tendance a` imploser qu’a` exploser, les violences subies sont difficiles a` de´tecter et les femmes re´agissent davantage par les troubles ou attaques sur leurs propres corps [20]. A` ce titre, il serait inte´ressant de s’inspirer des re´cents re´sultats de recherche obtenus par Tarquinio et al. en 2012 [22] avec la the´rapie EMDR chez les femmes victimes de violences conjugales et de leur donner suite. Nos analyses montrent que la proble´matique des violences sexuelles est difficile a` discriminer, plus particulie`rement encore dans le cadre des violences conjugales. Il s’agit d’une e´tape de longue haleine pour les victimes, qui passent plusieurs fois au sein des services d’aide aux victimes pour divers faits de violence subis, avant d’avouer les victimisations sexuelles. Dans nos analyses, nous avons mis en e´vidence le cas de Madame G., qui se pre´senta deux fois avec des discours plus ou moins dissonants, notamment la re´ve´lation des faits sexuels lors du second signalement. Pour ces
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victimes qui reconnaissent subir des victimisations sexuelles, la moitie´ indique que ces actes sont accompagne´s de brutalite´s/ menaces. Ici encore, les victimes reconnaissent ne pas faire me´dicalement constater leurs victimisations sexuelles. La synthe`se des recensions et des e´crits scientifiques re´cents portant sur la violence sexuelle (dans un contexte conjugal) e´tablie par Boucher et al. en 2009 [2] met en lumie`re l’ampleur du phe´nome`ne du viol conjugal dans diverses socie´te´s. Phe´nome`ne touchant 7 a` 50 % des femmes a` travers le monde, « les conse´quences pour les femmes sont nombreuses et incluent, par exemple, l’e´tat de stress posttraumatique et la de´pression, des le´sions anales et vaginales, des cystites, des fausses couches, des grossesses non de´sire´es, des infections transmissibles sexuellement, des dysfonctions sexuelles ainsi que des douleurs ge´nitales chroniques » [2]. S’inte´ressant aux acteurs des violences conjugales, Boughima et Benyaich [3] de´crivent en 2012 les victimes comme des femmes aˆge´es entre 20 et 48 ans, subissant des violences physiques associe´es a` la victimisation sexuelle ; et les auteurs comme des conjoints ayant des habitudes toxiques et des ante´ce´dents judiciaires. Toutefois, « dans notre contexte socio-culturel, il est difficile de de´terminer l’ampleur du phe´nome`ne de l’abus sexuel intraconjugal. Le sujet e´tant encore tabou et les rapports sexuels impose´s ne sont pas toujours perc¸us comme une violence » [2]. Il n’en reste pas moins que le viol entre conjoint est une re´alite´ du quotidien.
5. Conclusion : des analyses victimologiques pour une optimisation de la premie`re prise en charge Du fait meˆme du protocole d’action que nous reprenons, plusieurs biais relativisent la pertinence des re´sultats issus de l’analyse quantitative des questionnaires (e.g. partie manquante dans certains questionnaires, espaces non remplis par les victimes, interrogations ne´gatives6, nombre restreint de 34 questionnaires de´pouille´s). Quatre e´cueils peuvent eˆtre souleve´s, deux concernant le questionnaire luimeˆme et deux concernant son mode de passation : l’alternance des questions positives/ne´gatives (e.g. positive : « j’ai peur de mon (ma) conjoint(e). . . : oui/non » ; puis ne´gative : « je ne peux pas sortir : oui/non ») ; les questions sous-tendant une situation lie´e aux violences alors qu’aucun lien direct ne peut eˆtre e´tabli (e.g. « je n’ai pas d’activite´s exte´rieures : oui/non ») ; les e´le´ments fournis proviennent de la victime et sont limite´s a` ses connaissances (e.g. salaire du conjoint), a` ses souvenirs (e.g. victimisations ante´rieures), a` ses interpre´tations (e.g. types de violences psychologiques), a` ses motivations et ses craintes (e.g. porter plainte), a` ses difficulte´s d’aveu (e.g. violences sexuelles), a` sa compre´hension des questions (e.g. barrie`re e´motionnelle, cognitive, de la langue), au temps dont elle dispose pour re´pondre ; le gendarme peut re´pondre au questionnaire afin d’aider la victime, mais entre ce qu’elle lui transmet et ce qu’il en de´duit puis ce qu’il en note, il existe un risque non ne´gligeable de projection de son univers mental et social. Les analyses statistiques propose´es sont une premie`re exploration du travail de terrain, en tant que minima victimologique a` conside´rer. Elles mettent en exergue l’importance d’une premie`re prise en charge e´claire´e des situations de violence conjugale. En effet, bien que « traditionnellement pre´sente´e comme la garantie 6 Interrogations ne´gatives : groupe de questions auxquelles il faut re´pondre positivement a` une question ne´gative pour que la solution finale soit ne´gative (e.g. « oui, je ne peux pas = personne ne pouvant pas »). Pour exemple, dans le questionnaire, section « violences psychologiques et e´conomiques » : « Les personnes e´trange`res a` ma famille ne peuvent venir a` mon domicile : oui/non », « je n’ai pas acce`s aux comptes bancaires. . . : oui/non ».
Pour citer cet article : Dieu E, Hirschelmann A. Intervenir de`s les signalements : analyses victimologiques du protocole interpartenarial de lutte contre les situations de violence conjugale (France). Ann Med Psychol (Paris) (2017), http://dx.doi.org/10.1016/ j.amp.2013.07.015
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du bien-eˆtre de ses membres, la famille devrait relever par principe du domaine du non-droit. Le cadre familial n’est pourtant pas exclusif de la commission de nombreuses infractions. Le droit ne devrait donc pas occulter cette re´alite´ paradoxale » [13]. L’objectif du protocole et de son analyse, pre´sente´s dans cet article, est de rendre visibles les violences conjugales et de permettre une prise en charge ade´quate au de´sir des victimes se signalant. En termes de statistique, nous avons constate´ en 2011 une e´volution de 39 % des saisines adresse´es a` l’ADAVIP37 par rapport a` l’anne´e 2010. Nous notons alors une augmentation significative des saisines pour des faits d’atteintes aux personnes et notamment de violences en matie`re conjugale (augmentation en partie du fait de l’action du Protocole). Malgre´ les biais recense´s, il est donc a` noter l’efficacite´ du protocole par la prise en charge effective et croissante des victimes de cette proble´matique intrafamiliale particulie`rement complexe et dissimule´e. Les analyses du protocole en elles-meˆmes permettent d’e´tablir une cartographie des victimisations dans le cadre conjugal aupre`s de victimes qui ne de´sirent pas de´poser plainte, mais uniquement se montrer, premier pas judiciaire d’une longue route a` mener. Ce temps psychique de la victime ne coı¨ncide pas encore avec la manifestation de la plainte, ce qui provoque parfois une incompre´hension ou une habituation des intervenants judiciaires prenant en charge ces situations. En lien avec les signataires du protocole de lutte contre les violences intrafamiliales, il nous semblait ne´cessaire de questionner le portrait victimal lors de sa premie`re manifestation judiciaire, afin de permettre une meilleure compre´hension des victimisations conjugales et de faciliter la prise en charge des victimes au plus toˆt dans la rencontre temps psychique (victime)–temps judiciaire (signalement sans de´poˆt de plainte). Ce travail ouvre sur une recherche syste´matise´e et confirmatoire en 2013–2014 en lien avec les diffe´rents professionnels d’intervention et la recherche universitaire. Contributeurs Recherche re´alise´e avec le concours de : ADAVIP37 (Association d’aide aux victimes d’infractions pe´nales en Indre-et-Loire), compose´e de : Marie-Paule Carrey, chef de service ; Lisbeth Mathe´, psychologue ; Marion Trotignon & Nathalie Viguie´, juristes pe´nalistes. Centre de vie du Sanitas, 10, place Neuve, 37000 Tours, France. De´claration de liens d’inte´reˆts Les auteurs de´clarent ne pas avoir de liens d’inte´reˆts. Remerciements Nous tenons a` remercier tout particulie`rement l’ADAVIP377, pour la collaboration, les informations et le temps pre´cieux qu’elle nous a attribue´s.
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[email protected].
Pour citer cet article : Dieu E, Hirschelmann A. Intervenir de`s les signalements : analyses victimologiques du protocole interpartenarial de lutte contre les situations de violence conjugale (France). Ann Med Psychol (Paris) (2017), http://dx.doi.org/10.1016/ j.amp.2013.07.015