Intoxication environnementale par le plomb liée à la consommation de boisson conservée dans une cruche artisanale en céramique vernissée

Intoxication environnementale par le plomb liée à la consommation de boisson conservée dans une cruche artisanale en céramique vernissée

La Revue de médecine interne 30 (2009) 1038–1043 Communication brève Intoxication environnementale par le plomb liée à la consommation de boisson co...

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La Revue de médecine interne 30 (2009) 1038–1043

Communication brève

Intoxication environnementale par le plomb liée à la consommation de boisson conservée dans une cruche artisanale en céramique vernissée Environmental lead poisoning from lead-glazed earthenware used for storing drinks S. Sabouraud a,∗ , B. Coppéré b , C. Rousseau c , F. Testud a , C. Pulce a , F. Tholly c , M. Blanc d , F. Culoma e , A. Facchin e , J. Ninet b , P. Chambon f , B. Medina g , J. Descotes a a Centre antipoison et de toxicovigilance de Lyon, 162, avenue Lacassagne, 69424 Lyon cedex 03, France Service de médecine interne, Pavillon O, hôpital Edouard-Herriot, place d’Arsonval, 69437 Lyon cedex 03, France c Direction départementale des affaires sanitaires et sociales du Rhône, service santé environnement et action santé publique, 245, rue Garibaldi, 69442 Lyon cedex 03, France d Service de médecine interne hématologie, centre hospitalier de Chambéry, B.P. 1125, 73011 Chambéry cedex, France e Direction départementale des affaires sanitaires et sociales de Savoie, Carré Curial, B.P. 1803, 73018 Chambéry cedex, France f Laboratoire santé environnement hygiène de Lyon (LSEH), 321, avenue Jean-Jaurès, 69007 Lyon, France g Laboratoire de Bordeaux, 3, avenue du Docteur-Albert-Schweitzer, 33608 Pessac cedex, France b

Disponible sur Internet le 27 juin 2008

Résumé Introduction. – Les sources actuelles inhabituelles d’exposition au plomb d’origine environnementale comprennent principalement les médecines traditionnelles, ayurvédiques ou autres, les cosmétiques traditionnels (khôl, surma), et l’utilisation culinaire de vaisselle artisanale, pour le stockage ou la cuisson. Observations. – Nous rapportons deux observations de saturnisme chez l’adulte, découverts soit à l’occasion du bilan étiologique de douleurs abdominales paroxystiques, soit à l’occasion du bilan étiologique d’une anémie. Dans les deux cas, l’enquête environnementale conduira à l’identification d’une source principale d’exposition au plomb : une cruche artisanale vernissée dans laquelle macérait une boisson consommée par le patient, le « kéfir de fruit » dans un cas, le thé « kombucha » dans l’autre cas. Conclusion. – Il faut savoir rechercher une intoxication par le plomb chez un patient présentant une anémie inexpliquée. Les sources environnementales de plomb peuvent être multiples ; elles doivent être hiérarchisées au sein de l’enquête environnementale, et parmi elles, les poteries artisanales doivent être retenues comme une source d’exposition significative lorsque les boissons y sont stockées et peuvent ainsi macérer. © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Abstract Introduction. – Current unusual environmental sources of lead exposure mainly include traditional medicines, either ayurvedic remedies or others, traditional cosmetics (kohl, surma), and the use of traditional earthenware, for storage or cooking. Case reports. – We report two cases of lead poisoning in adults initially identified by paroxysmal abdominal pain or anemia. In both cases, the environmental investigation evidenced one main source of lead exposure, namely a lead-glazed earthenware jug in which a drink was stored, “kefir” in the first case, and “kombucha” tea in the second one. Conclusion. – It is recommended to search for lead intoxication in patients with unexplained anemia. Environmental sources of lead can be multiple. Their relative importance has to be ranked during the environmental investigation and among these, lead-glazed earthenware must be considered as a source of high lead exposure when drinks are stored inside and thus can soak. © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Intoxication par le plomb ; Source environnementale ; Céramique artisanale ; Kéfir ; Thé kombucha ; Acide dimercaptosuccinique Keywords: Lead poisoning; Environmental source; Ceramics; Kefir; Kombucha tea; Dimercaptosuccinic acid ∗

Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (S. Sabouraud).

0248-8663/$ – see front matter © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.revmed.2008.05.010

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1. Introduction La prévalence du saturnisme professionnel en France et la prévalence du saturnisme d’origine environnementale chez l’adulte ne sont pas connues. C’est chez l’enfant mineur que le saturnisme est soumis à déclaration obligatoire. Chez l’adulte, moins de 15 cas par an sont déclarés en maladie professionnelle (tableau de maladie professionnelle no 1) [1]. Cette incidence apparente ne correspond qu’aux cas effectivement déclarés par le médecin du travail. Il n’y a pas à l’heure actuelle de réseau de surveillance des plombémies chez les travailleurs exposés au plomb, comme il existe un système national de surveillance des plombémies de l’enfant mineur ou SNSPE (piloté par l’institut de veille sanitaire [InVS]) [2,3]. Par ailleurs, l’intoxication par le plomb peut être purement « biologique » avec une augmentation de la plombémie (qui, à l’état d’équilibre, est un bon indicateur de la dose interne en plomb) chez un patient qui peut rester longtemps complètement asymptomatique, même avec des plombémies élevées. La plombémie chez l’adulte non exposé professionnellement au plomb est inférieure à 100 ␮g/l [4]. Elle n’est pas nulle, en raison de l’exposition environnementale et des apports alimentaires, mais a progressivement diminué depuis les années 1980, la teneur en plomb des carburants dans l’Union européenne ayant diminué jusqu’à l’interdiction des antidétonants dérivés du plomb en 2000 [4]. En milieu de travail, en France la plombémie chez les travailleurs exposés doit être inférieure à 400 ␮g/l chez l’homme, 300 ␮g/l chez la femme, valeur considérée comme sans risque sanitaire (indice biologique d’exposition [IBE]) [1]. À côté des syndromes biologiques, le patient intoxiqué par le plomb peut aussi présenter quelques symptômes non spécifiques : troubles digestifs (douleurs abdominales, constipation), asthénie, parfois amaigrissement, et troubles de l’humeur (irritabilité. . .) [1,4]. Le plomb inhibe plusieurs enzymes interférant avec la synthèse de l’hème ; l’acide delta-aminolévulinique déhydrase (ALAD) est inhibée dès que la plombémie approche 100 ␮g/l, mais une anémie n’apparaît que lorsque les plombémies dépassent 400 ␮g/l [1,4]. L’anémie apparaît rapidement lorsque le saturnisme est aigu ou subaigu, comme par exemple après ingestion d’une grande quantité de plomb ou de composés plombifères, d’origine psychiatrique chez un adulte [5]. Dans le saturnisme chronique, on peut voir survenir des complications neurologiques, qui sont devenues rares (neuropathies périphériques, encéphalopathie chronique ou psychosyndrome organique), le plus souvent il s’agit d’une diminution des vitesses de conduction infraclinique révélée par l’électromyogramme [1]. Les effets neurotoxiques sont des effets sans seuil. Plusieurs auteurs ont établi des relations dose/effet concernant les effets toxiques de l’exposition prolongée au plomb [1,4]. Tardive, l’atteinte rénale ne se voit plus, elle résulte d’intoxications très prolongées, s’accompagnant de plombémies très élevées (régulièrement supérieures à 600–700 ␮g/l) [1]. Enfin, la décompensation sur un mode aigu à type d’encéphalopathie saturnine aiguë est exceptionnelle chez l’adulte, alors qu’elle s’observe parfois chez l’enfant. À côté de l’exposition domestique aux poussières plombifères dans un logement vétuste et/ou dégradé, entre autres lors de travaux de rénovation, des sources environnementales

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plus inhabituelles d’exposition au plomb ont été identifiées. Ainsi, la consommation intempestive de remèdes traditionnels, en expansion dans les pays industrialisés, provenant notamment d’Asie (médecine ayurvédique indienne, remèdes chinois. . .) ou d’Amérique du Sud ou centrale (greta et azarcon, remèdes mexicains), peut être à l’origine d’une intoxication saturnine [6–9]. L’utilisation de céramiques artisanales est une source domestique d’exposition au plomb connue [10–13]. Une revue de littérature publiée en 2006 a repris une douzaine de publications de 1985 à 2002, rapportant des cas d’intoxications par le plomb liés à l’utilisation de poteries artisanales en terre cuite vernissée [10]. Dans la plupart de ces cas, les céramiques étaient utilisées comme pichet pour stocker des boissons (thé, jus de fruit, vin ou cidre), et rarement comme récipient pour aliments solides (olives). Les niveaux de plombémie maximale chez les utilisateurs étaient élevés : de 640 à 2540 ␮g/l. Cette revue rapporte également un cas d’intoxication massive et six cas satellites. La personne massivement intoxiquée (plombémie à 3300 ␮g/l) en consommant quotidiennement pendant trois mois du jus de fruit conservé dans une jarre vernissée bleue d’origine grecque présentait asthénie, troubles du sommeil, douleurs abdominales et nausées, ainsi qu’un léger amaigrissement, l’examen clinique retrouvait un liseré gingival de Burton, les signes biologiques comportaient une anémie normocytaire sidéroblastique, la présence de granulations basophiles et d’une dysplasie érythroïde au myélogramme. Les membres de sa famille avaient des plombémies respectivement à 390, 330 et 230 ␮g/l et étaient complètement asymptomatiques, de même que les membres d’une autre famille avec des circonstances d’exposition similaires, dont les plombémies étaient à 720 et 620 ␮g/l, le bébé ayant une plombémie à 160 ␮g/l, suggérant une exposition in utero [10]. Nous rapportons deux nouvelles observations d’intoxication saturnine secondaire à une consommation de boissons conservées dans un pichet artisanal. 2. Observations 2.1. Observation no 1 Monsieur B., 36 ans, Marocain, était hospitalisé pour douleurs abdominales intenses paroxystiques périombilicales évoluant depuis dix jours. Aux urgences, il existait une suspicion de syndrome occlusif, avec doute sur des niveaux hydroaériques à la radiographie d’abdomen sans préparation (ASP). L’échographie abdominale et le scanner abdominopelvien ne retrouvaient aucune anomalie hormis une stase stercorale importante. L’examen clinique montrait un abdomen parfaitement souple chez un patient hyperalgique présentant constipation, amaigrissement, anorexie, asthénie, et quelques sueurs nocturnes. Le bilan biologique montrait une anémie (hémoglobine à 9,6 g/dl) microcytaire (VGM à 77 ␮3 ) arégénérative. Le myélogramme évoquait une anémie sidéroblastique. Le patient était secondairement à nouveau hospitalisé, en service de médecine interne, en raison du résultat de la plombémie, à 774 ␮g/l, évoquant une intoxication saturnine, et de la persistance des crises douloureuses abdominales accompagnées de constipation. L’intensité des douleurs nécessitait une admi-

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nistration d’antalgiques de pallier 2, par néfopam (Acupan® ) au pousse seringue électrique. L’abdomen était souple, sans syndrome occlusif, sans poussée hypertensive associée. Un liseré gingival de Burton était observé. Le bilan biologique retrouvait l’anémie (hémoglobine à 8,5 g/dl) microcytaire arégénérative, avec présence d’hématies à granulations basophiles à l’examen du frottis. La ferritinémie (447,8 ␮g/l, N : 22–322 ␮g/l) et le coefficient de saturation de la transferrine (33 %, N : 20–40 %) était normaux, de même que la protéine C réactive (CRP : 3 mg/l) et l’électrophorèse de l’hémoglobine. Une discrète hyperbilirubinémie libre (35 ␮mol/l, N < 18 ␮mol/l) et une haptoglobine diminuée (0,5 g/l, N > 0,7 g/l) étaient en faveur d’une note hémolytique, mais les réticulocytes étaient bas (80 à 100 G/l, N : 35–80 G/l), la lacticodéshydrogénase normale (LDH : 307 UI/l, N : 210–450 UI/l), les marqueurs d’hémolyse auto-immune négatifs (test de Coombs direct, recherche d’agglutinines froides), et le dosage de G6PD normal. Il n’y avait pas de retentissement neurologique clinique ou infraclinique (électromyogramme normal), ni d’atteinte rénale (créatininémie normale à 60 ␮mol/l, pas de microalbuminurie). Le patient, manutentionnaire, n’était pas exposé professionnellement ; il vivait en Beaujolais avec sa sœur dans une maison ancienne en pisé, acquise il y a un an (auparavant ils avaient habité un appartement ancien). Il consommait régulièrement l’eau de son puits, dont les canalisations étaient en cuivre et polychlorure de vinyle (PVC). Sa sœur et lui avaient entrepris des travaux de rénovation dans la maison depuis six mois (ponc¸age des volets en plein air). Un plat à « tajine » artisanal avait été utilisé quotidiennement pendant l’été. Il n’y avait pas de consommation de médecine traditionnelle. La plombémie de la sœur du patient était à 280 ␮g/l. L’enquête réalisée par la DDASS au domicile du patient à la demande du Centre antipoison (CAP) et du médecin hospitalier précisait que les travaux de rénovation avaient été entrepris en tenant compte de l’état de risque d’accessibilité au plomb (ERAP), conformément aux lois sur la vente de l’habitat ancien. Des mesures de plomb dans les poussières (analyse par appareil à fluorescence X) montraient une forte teneur au niveau des deux portes en bois de la pièce principale décapées par bain dans une entreprise spécialisée (35 fois la valeur de référence, qui est de 1000 ␮g/m2 ), en revanche au niveau du sol la concentration surfacique était faible (218 ␮g/m2 ). Au niveau des volets poncés par les deux adultes, à l’extérieur sans protection, les valeurs mesurées étaient positives (2800 et 3200 ␮g/m2 ). Par ailleurs, l’enquête découvrait une cruche artisanale en terre vernissée (Fig. 1) contenant du kéfir de fruit, boisson pétillante à base de citron qui macérait depuis plusieurs semaines dans la cruche. L’interrogatoire apprenait que le patient consommait 1,5 l de kéfir par jour depuis plusieurs mois, sa sœur en buvait moins. Une concentration de plomb particulièrement élevée était retrouvée dans le kéfir : 40 mg/l soit 1600 fois la limite supérieure réglementaire actuelle franc¸aise de la teneur en plomb dans l’eau de distribution (25 ␮g/l et 10 ␮g/l à partir de 2013). Les essais de migration spécifique du plomb à l’acide acétique à 4 % effectués sur la cruche dans un laboratoire spécialisé (réalisés avec un temps de contact de 24 heures) montraient une migration du plomb très importante : 315 mg/l (210 fois supérieur à la valeur

Fig. 1. Cruche artisanale en céramique vernissée contenant le kéfir de fruit.

de référence, qui est de 1,5 mg/l), tandis que le résultat des tests de migration au niveau du plat à tajine n’était que de 3,5 mg/l. En revanche, la concentration en plomb dans l’eau du robinet, après stagnation et après 30 minutes d’écoulement ( < 10 ␮g/l), était inférieure à la valeur de référence. Le CAP conseillait un traitement chélateur, dans un premier temps par calcium édétate de sodium ou EDTA calcique disodique (calcium édétate de sodium Serb® : 1000 mg/m2 par jour) en perfusions intraveineuses lentes d’au moins une heure, réparties sur le nycthémère (une ampoule à 500 mg toutes les huit heures) avec une hyperhydratation, en cure de cinq jours. Les douleurs abdominales disparaissaient complètement, permettant l’arrêt complet des antalgiques. La plombémie de contrôle dix jours après était à 495 ␮g/l. Une deuxième cure de chélation était conseillée, cette fois per os et en ambulatoire, par succimer ou acide 2,3-dimercaptosuccinique (Succicaptal® ) à la posologie de 30 mg/kg par jour (soit trois gélules à 200 mg toutes les huit heures) pendant cinq jours. La plombémie trois semaines après la fin du traitement était à 505 ␮g/l, probablement en raison du relargage osseux du plomb dans la circulation sanguine, ou par effet rebond après la cure de succimer, à moins que la compliance du patient au traitement n’ait pas été correcte. L’hémoglobinémie était à 10,9 g/dl 20 jours après la fin de l’hospitalisation, l’anémie était corrigée un mois plus tard. 2.2. Observation no 2 Madame T., 60 ans, sans profession, sans loisir à risque, présentait pâleur, constipation et douleurs abdominales modérées. Une plombémie élevée était découverte (900 ␮g/l), prescrite par le service d’hématologie à l’occasion du bilan étiologique d’une

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anémie normochrome normocytaire. L’hémoglobinémie était à 8,5 g/dl, avec présence d’hématies à granulations basophiles au myélogramme. Le bilan réalisé comprenant ASP, coloscopie et fibroscopie gastrique était négatif. Son compagnon (chauffeur routier) était asymptomatique, sa plombémie était à 459 ␮g/l. Ils habitaient une vieille ferme qu’ils restauraient depuis six ans (sans travaux de ponc¸age). Mme T. récupérait l’eau de pluie des chenaux en plomb de la maison voisine, qu’elle pompait dans un tonneau pour arroser les légumes de son jardin, consommés depuis quatre ans en grande quantité. Elle prenait beaucoup de thé depuis quatre ans, mais ne semblait pas utiliser de céramiques à visée culinaire. Elle était traitée par homéopathie (gouttes d’echinacea purpurea et oligoéléments en poudre à base de métaux dont mercure, or, plomb 4 CH. . .) et phytothérapie (gélules à base de valériane) depuis cinq ans. La compagnie des eaux confirmait que toutes les canalisations d’eau potable étaient en cuivre (ainsi que dans leur maison précédente). Une recherche réalisée au domicile grâce à un appareil à fluorescence X ne retrouvait aucune trace de plomb. L’enquête environnementale réalisée par la DDASS à la demande du médecin hospitalier excluait la responsabilité des travaux. La concentration en plomb mesurée dans l’eau du tonneau était de 380 ␮g/l (N < 25 ␮g/l). Le CAP conseillait un traitement chélateur par EDTA calcique disodique dans un premier temps, puis par acide 2,3dimercaptosuccinique dans un deuxième temps, en fonction de la plombémie à contrôler deux semaines après la fin de la première cure. Le CAP précisait que la consommation de légumes ne pouvait pas expliquer les plombémies élevées des deux personnes et que la recherche d’une autre source d’exposition, dans un but d’éviction, était primordiale. L’enquête DDASS découvrait finalement que Mme T. avait préparé du thé « kombucha » pendant un mois dans une potiche en terre émaillée. Les essais de migration spécifique du plomb à l’acide acétique effectués sur la potiche au laboratoire avec une durée de contact courte, montraient qu’elle laissait encore migrer des quantités excessives de plomb (5,1 mg/l, soit plus de trois fois supérieure à la valeur de référence). Le laboratoire précisait qu’une migration du plomb bien plus importante pourrait être observée avec une durée de contact plus longue. Des mesures de plomb ont été effectuées dans la terre et dans les fruits et légumes du jardin, à la demande de la DDASS. Les résultats étaient négatifs : les teneurs en plomb étaient de 16 mg/kg matière sèche (MS) et 23,8 mg/kg MS dans la terre (valeur limite dans les sols : 100 mg/kg MS), inférieure à 0,05 mg/kg poids frais (PF) dans la salade, 0,088 mg/kg PF dans les poireaux et inférieure à 0,05 mg/kg PF dans la poire congelée (valeurs limites dans les fruits et légumes : 0,3 mg/kg PF et 0,5 mg/kg PF pour la salade, le céleri et les épinards). 3. Discussion Ces observations retrouvent deux circonstances habituelles de découverte du saturnisme chez l’adulte : la plombémie est réalisée au cours du bilan étiologique de douleurs abdominales inexpliquées et/ou d’une anémie inexpliquée. Dans la première observation, l’intensité des douleurs abdominales

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paroxystiques, en imposant pour une urgence chirurgicale aiguë et nécessitant des antalgiques de pallier 2, évoque des « coliques de plomb », bien que celles-ci s’observent habituellement pour des plombémies supérieures à 1000 ␮g/l et s’accompagnent généralement d’une augmentation de la pression artérielle [1,4]. Un argument supplémentaire en faveur de coliques saturnines est leur sédation lors des perfusions d’EDTA calcique disodique [1]. Les classiques coliques saturnines sont devenues rares aujourd’hui ; on observe beaucoup plus souvent des douleurs abdominales d’intensité moyenne, diffuses, associées à une constipation, comme dans la seconde observation [1,4]. Ces douleurs étant non spécifiques, le diagnostic est plus facile à poser lorsqu’il existe des éléments métalliques radio-opaques à l’ASP, visibles à la suite d’une ingestion récente de nombreux composés plombifères solides [5]. Le saturnisme fait partie des étiologies possibles à évoquer devant une anémie inexpliquée. L’anémie est typiquement normochrome normocytaire et sidéroblastique chez l’adulte, comme dans la seconde observation. Elle est sidéroblastique et microcytaire dans la première observation, mais sans carence martiale (ferritinémie normale). Une participation hémolytique est classique ; c’est le cas dans nos deux observations, mais les marqueurs globulaires d’hémolyse auto-immune sont négatifs (tests de Coombs direct, recherche d’agglutinines froides. . .). On peut observer des hématies à granulations basophiles sur sang périphérique ou au myélogramme, comme dans nos observations. Il s’agit d’un résidu d’acide ribonucléique ribosomal, la pyrimidine, résultant de l’inhibition d’une enzyme catalysant sa dégradation [4]. Leur présence, quoique non spécifique et peu sensible, est évocatrice d’un saturnisme. En ce qui concerne la prise en charge, la suppression de la source d’intoxication est primordiale. Lorsque les plombémies sont élevées, un traitement chélateur est conseillé, car il augmente l’élimination urinaire du plomb. Il est utile même en l’absence de retentissement clinique et/ou biologique, car il permet de diminuer la quantité de plomb circulant afin d’éviter le stockage du plomb dans l’os, où sa demi-vie est supérieure à dix ans, à l’origine alors d’un saturnisme chronique [4]. Des complications neurologiques sont alors possibles, elles sont absentes dans nos deux observations, n’ayant pas eu le temps de survenir en quelques mois. Dans nos deux observations, l’enquête environnementale a identifié comme source d’intoxication principale une boisson conservée dans un pichet artisanal en céramique vernissée à glac¸ure plombifère. Dans les deux cas, les travaux récents constituent probablement une seconde source d’exposition, mais moindre. Un saturnisme hydrique n’a pas été envisagé en raison du niveau trop élevé de la plombémie. Il est, en effet, exceptionnel et nécessite la consommation très prolongée (une à plusieurs décennies), quotidienne et en grande quantité d’une eau de distribution excessivement chargée en plomb distribuée par le biais d’anciennes canalisations en plomb [1,14]. On a contrôlé toutefois que le réseau était bien en cuivre et/ou PVC, et la concentration de plomb dans l’eau de distribution a été vérifiée. Dans nos deux cas, la durée d’exposition à la boisson contaminée était relativement courte (un à plusieurs mois), mais la boisson incriminée avait une concentration en plomb extrême-

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ment élevée : 40 mg/l pour le kéfir après trois jours de stockage (soit 1600 fois la limite supérieure réglementaire actuelle franc¸aise de la teneur en plomb dans l’eau de distribution : 25 ␮g/l et 10 ␮g/l en 2013) [2]. Une consommation quotidienne et importante de kéfir ou de thé kombucha explique parfaitement l’apparition du saturnisme (1,5 l/j depuis quelques mois pour le kéfir). Le kéfir de fruits est une boisson nord-africaine, pétillante, à base d’agrumes, nécessitant une macération des fruits qui, associée à l’acidité de la boisson, permet un relargage du plomb présent dans le revêtement de certains récipients artisanaux en céramique émaillée. Ces ustensiles en céramique provenant de différents pays de « Méditerranée orientale », bien souvent nord-africains (Maroc surtout), peuvent échapper aux contrôles européens sur les matériaux à usage culinaire. Dans nos observations, les essais de migration spécifique du plomb à l’acide acétique effectués sur les deux cruches montrent une concentration en plomb (respectivement à 315 mg/l et 5,1 mg/l) très supérieure aux valeurs de référence admises en France : elle ne doit pas excéder 1,5 mg/l pour les récipients de capacité de stockage supérieure à trois litres (catégorie 3), et 4,0 mg/l pour tous les autres objets remplissables (catégorie 2) [2]. Ces résultats ne sont donc pas conformes à l’arrêté du 07/11/1985 relatif à la limitation des quantités de plomb et de cadmium extractibles des objets en céramique ; les cruches de nos deux observations étaient impropres au contact alimentaire [2]. L’utilisation répétée, de fac¸on prolongée, des plats à « tajine » peut conduire à une imprégnation de l’organisme par le plomb et une enquête environnementale de dépistage, publiée récemment, a retrouvé des plombémies maternelles modérées (72 à 247 ␮g/l) chez les mères des dix-huit nouveaux-nés dépistés (dont la plombémie prélevée au cordon ombilical était supérieure ou égale à 100 ␮g/l, ce qui définit le cas de saturnisme infantile) parmi 1136 naissances colligées [15]. L’enquête avait montré que, parmi ces dix-huit mères, quinze cuisinaient régulièrement dans des plats à « tajine » relarguant des quantités significatives de plomb, tous fabriqués au Maroc [15]. Une étude réalisée par la Direction de la Santé publique du Québec a mis en évidence, pour deux des cinq plats à tajine marocains étudiés, des concentrations de plomb lessivable de 3,85 et 4320 mg/l, soit deux fois et 2160 fois plus élevées que la norme fédérale autorisée [16]. Bien que la patiente de la seconde observation ait été persuadée du contraire, la consommation de légumes du jardin arrosés à l’eau contaminée par le plomb a été exclue d’emblée, alors que la concentration en plomb dans l’eau d’arrosage était de 380 ␮g/l (soit quinze fois la teneur franc¸aise actuelle à ne pas dépasser dans l’eau de distribution : 25 ␮g/l). Les mesures dans les légumes et dans la terre ont confirmé leur absence de responsabilité, montrant des taux très en dessous des valeurs limites admissibles [17]. En effet, le plomb est fortement adsorbé sur les sédiments et les particules de sol. À partir du plomb présent dans les racines, il n’existe qu’une très faible diffusion vers d’autres parties de la plante (pousses et feuilles) [17,18]. Les parties aériennes des légumes peuvent accumuler un peu de plomb lors d’une aspersion répétée, mais en proportion très limitée [17,18]. Il existe une dose journalière tolérable (DJT) et/ou une dose hebdomadaire tolérable provisoire (DHTP) fixée en 1999 par l’Organisation mondiale de la santé à 25 ␮g/kg/semaine pour

le plomb dans l’alimentation, soit 200 ␮g/j pour cette patiente [1,2]. Enfin, à côté de l’utilisation culinaire de céramiques artisanales, de la consommation de remèdes traditionnels (médecine ayurvédique notamment), et de l’usage excessif de khôl ou surma (source d’exposition par port main/bouche), d’autres sources inhabituelles d’exposition au plomb conduisant à des plombémies modérées ont été identifiées : quelques cas d’imprégnation saturnine ont été rapportés après consommation d’épices étrangères (« swanuri marili », « zafron » ou « kharchos suneli », « kozhambu ») ou même de colorant alimentaire (« Sindoor » provenant d’Inde) [19,20]. 4. Conclusion Ces deux observations permettent de rappeler que le saturnisme est une étiologie possible d’anémie inexpliquée, que l’interniste doit envisager. Elles soulignent l’intérêt et parfois la difficulté de l’enquête environnementale devant une intoxication saturnine de découverte récente chez l’adulte et l’apport de la collaboration entre les différents partenaires : centre antipoison (médecin toxicologue), hôpital (médecin hospitalier), DDASS (médecin inspecteur de santé publique, ingénieur sanitaire) et laboratoire d’analyse. Rappelons l’intérêt des tests de migration spécifique du plomb à l’acide acétique, réalisés par quelques laboratoires spécialisés, concernant les matériaux à contact alimentaire. Ils permettent de déterminer si un récipient en céramique vernissée à usage culinaire est propre ou non à la consommation, en fonction des normes européennes en vigueur, et d’identifier et/ou valider cette source environnementale d’exposition au plomb, qui peut conduire à une intoxication saturnine significative, voire massive. Références [1] Testud F. Pathologie toxique professionnelle et environnementale. Paris: Eska; 2005. [2] Bretin P. Guide d’investigation environnementale des cas de saturnisme de l’enfant. Institut de Veille Sanitaire. Département santé environnement. 2006. http://www.invs.sante.fr/publications/2006/guide saturnisme enfant/guide investigation saturnisme.pdf. [3] Sabouraud S, Pulce C, Bretin P. Dépistage du saturnisme de l’enfant en Rhône-Alpes et Auvergne. Bilan 2006. http://www.centresantipoison.net/CCTV/index.html. [4] Garnier R. Toxicité du plomb et de ses dérivés. EMC-Toxicologie Pathologie professionnelle 2005;16-007-A-10:1–22. [5] Sabouraud S, Testud F, Descotes J, Benevent M, Soglu G. Lead poisoning following ingestion of pieces of lead roofing plates: Pica-like behavior in an adult. Clin Toxicol 2008;46:267–9. [6] Garnier R, Poupon J. Intoxication par le plomb résultant de l’utilisation d’un remède traditionnel indien. Presse Med 2006;35:1177–80. [7] CDC. Lead poisoning associated with Ayurvedic medications – Five states, 2000–2003. MMWR 2004;53:582–4. [8] Fung HT, Fung CW, Kam CW. Lead poisoning after ingestion of homemade Chinese medicines. Emerg Med 2003;15:518–20. [9] Kales SN, Christophi CA, Saper RB. Hematopoietic toxicity from lead-containing Ayurvedic medications. Med Sci Monit 2007;13: CR295–328. [10] Hellström-Lindberg E, Björklund A, Karlson-Stiber C, Harper P, Selden AI. Lead poisoning from souvenir earthenware. Int Arch Occup Environ Health 2006;79:165–8.

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