Intoxication volontaire par injection intraveineuse de soude caustique

Intoxication volontaire par injection intraveineuse de soude caustique

© Masson, Paris. Ann. Fr. A n e s t h . Reanim., 2 CAS CLINIQUE 97-99, 1983. Intoxication volontaire par injection intraveineuse de soude caustique...

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© Masson, Paris. Ann. Fr. A n e s t h . Reanim., 2

CAS CLINIQUE

97-99, 1983.

Intoxication volontaire par injection intraveineuse de soude caustique Voluntary intoxication by intravenous injection of caustic soda F. BLIN *, J. ROCHEN'E **, G. TAULET ***, M. PELLERIN *, T. MARSEPOIL*, M. STARKMAN * * Service de R6animation Polyvalente, Centre Hospitalier, F 95500 Gonesse. ** Institut de Pathologie et Biologie Cellulaires et Mol~culaires, 24, rue du Faubourg Saint-Jacques, F 75014 Paris. *** Service de Biologie, Centre Hospitalier, F 95500 Gonesse.

R ~ S U M ~ : Cette observation relate les cons6quences d'une intoxication volontaire par injection intraveineuse au pli du coude de 10 ml de soude caustique concentr6e. Les effets essentiels ont 6t6, outre la n6crose locale, une h6molyse, une insuffisance r6nale aigu6 initialement anurique, une coagulation intravasculaire et une cyanose ~ Pa02 normale par m6th6malbumin6mie. Celle-ci a pu 8tre affirm6e par la conjonction des m6thodes spectrales classiques et de m6thodes 61ectrophor6tiques.

ABSTRACT : A voluntary intoxication by injection in the left basilic vein of 10 ml of concentrated caustic soda is reported. The main effects were, besides local necrosis, haemolysis, acute renal failure with initial anuresis, intravascular coagulation and cyanosis with a normal Pa02 due to methaemalbuminaemia. This was confirmed by using the usual spectrophotometric methods as well as electrophoretic methods.

Si l'ingestion, accidentelle ou volontaire, de soude caustique est fr6quente, son injection intraveineuse semble n'avoir jamais 6t6 d6crite chez l'homme.

douloureuse de 2 cm de diam~tre environ autour du point d'injection, et un cordon indur6 le long du trajet de la veine basilique gauche. Elle n'urine pas pendant les huit premieres heures. Le reste de l'examen clinique, la radiographie pulmonaire et l'61ectrocardiogramme sont normaux. Le sang pr61ev6 est marron, ainsi que le plasma, tandis que le culot globulaire est de coloration quasi normale. L'examen spectrophotom6trique du plasma 6voque initialement la pr6sence d'une tr~s forte quantit6 de m6th6moglobine (tableau I). Le spectre du culot globulaire est par contre sensiblement normal. Une 61ectrofocalisation * (m6thode de s6paration des prot6ines selon leur point iso61ectrique) faite dans un gradient de pH 3,5 h 8 permet d'61iminer la pr6sence de compos6s de la globine,, notanunent la m6th6moglobine [12]. L'61ectrophor6se du s6rum concentr6 * (5 ~ 20 fois) h pH 8,4 sur ac6tate de cellulose, 300 V, pendant 15 min, ~ 4 °C, suivie de r6v61ation peroxydasique et de coloration h l'amido-Schwarz, montre une bande migrant en arri~re de l'albumine (la liaison avec l'albumine en ralentit la migration), classiquement assimilable h la m6th6malbumine [15]. Les r6sultats des autres examens sanguins initiaux sont pr6sent6s dans le tableau II. L'61ectrophor6se standard des prot6ines s6riques est normale; notamment, il n'y a pas de bisalbumin6mie [5].

OBSERVATION Mine X., 42 ans, entre dans le service le 16 janvier 1981, 11 h, pour une intoxication volontaire par injection intraveineuse de Destop (NaOH 290 g, produit tensioactif 800 mg, colorant Watergreen 1,2 mg, eau qsp 1 090 ml). Ses ant6c6dents pathologiques sont une miliaire tuberculeuse en 1953 et un real de Pott lombaire en 1960. Elle travaille comme infirmi~re dans un dispensaire et est d6pfim6e en raison d'une m6sentente conjugale_ Deux heures auparavant, elle s'est inject6 10 ml de Destop pur (soude 7,25 N) dans la veine basilique, au pli du coude gauche, au moyen d'une seringue de verre de 20 ml et d'une aiguille enti~rement m6tallique de fort calibre. L'injection a 6t6 douloureuse. Un acc~s de diarrh6e a pr6c6d6 son transport ~ l'h6pital. A l'entr6e darts le service, elle est angoiss6e, mais parfaitement consciente; elle est f6brile et frissonne. Sa pression art6rielle est 110/70 mmHg et son pouls ~t 110 c - min -~. I1 existe une cyanose importante non accompagn6e de dyspn6e, qui pr6domine au niveau des l~vres, des oreilles et des ongles, ainsi qu'un purpura maximum au niveau des 6paules et des cuisses, une escarre

Requ le 9 janvier 1982; accept6 sous forme r6vis6e le 20 avril 1983.

* Ces deux examens ont 6t6 fairs ult6rieurement h partir du s6rum initial congel6 h - 8 0 °C.

Tires a part: F. Blin.

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F. BLIN ET COLL.

Tableau I. - - Etude spectrophotometrique comparee du sang de Mrne X., et de derives de I'hemoglobine [11]

Composds 6tudids

confluent avec la veine axillaire est peu remanid, mais que celle-ci reste bien permgable ainsi que la veine sous-clavi~re gauche. La malade quitte le service au bout de trois semaines.

Pics d'absorption (en nm) COMMENTAIRE

Sdrum de Mine X. (pH 6,6) Sdrum de Mme X. + CNK Hgmaties de Mine X. (pH 5,8)

623. 575, 540, 500 540 576, 540

Echantillons de sang + NaOH (spectre du sdrum)

623, 575, 540, 500

HbO2 Mdthgmoglobine (pH 6,6) Cyanmgthgmoglobine Sulfhgmoglobine Mgthdmalbumine

577, 540 632, 500 541 613 ~ 620 623, 540, 500

Les valeurs en italiques correspondent aux pics d' absorption Ies plus importants.

D a n s le but de v6rifier le r61e respectif des diffgrents composants du Destop, ces derniers ont dtd ajoutds isoldment in vitro ~t des 6chantillons de sang de 5 ml. L ' a d j o n c t i o n isolde du produit tensio-actif (50 ~1 10 %) ou du colorant (50 Ixl ~ 1 % ) n ' a rien mis en dvidence et n ' a n o t a m m e n t pas entra/nd de modifications visibles du spectre de l ' h 6 m o g l o b i n e . Par contre, l ' a d j o n c t i o n isol6e du m ~ m e v o l u m e de lessive de soude 50 %, ou de Destop, h des 6chantillons identiques a montr6 dans les deux cas une coagulation instantange, une h6molyse et des modifications spectrales (tableau I)_

Tableau II. - - Biologie sanguine a I'arrivee

pH artdriel Paco2 (29 mmHg) Pao2 (89 mmHg) Na K C1 COaH Urge (0,38 g/l) Glucose (1,24 g/l) Calcium (92 rag) Phosphore (61 mg) Crgatinine (16 rag) Bilirubine totale (32 rag) Crgatine-phosphokinase Lacticodeshydroggnase

7,29 3,9 kPa 11,9 kPa 145 mmol • 1-1 4,1 mmol- 1-l 106 retool. 1-1 21 mmol • 1-1 6,4 inmol • 1-1 6,9 mmol • 1-1 2,3 mmol - 1-1 1,97 mmol • l -l 176 ~xmol - 1-1 55 ~tmol. 1-1 694 IU ' m1-1 800 IU - m1-1

Au total, on est essentiellement en prdsence d'une cyanose Pao2 normale par mgth6malbumingmie, d'une coagulation intravasculaire, d'une hdmolyse et d'une anurie. La cyanose disparalt quelques heures apr~s injection i.v. d'un gramme de vitamine C et de 10 mg de bleu de mdthyl~ne. Le purpura et la coagulopathie disparaissent en quelques jours sous plasma frais et hgparine (1 mg • kg -l • j-l)_ L'adrninistrafion de furosdmide i.v. (1 500 mg les premieres vingt-quatre heures, puis doses plus faibles) fait cdder l'anurie, ddmasquant une hgmoglobinurie, macroscopique, puis microscopique, mais n'empgche pas l'apparition d'une insuffisance rdnale qui est maximale le cinqui~me jour (crdatiningmie 850 mmol - 1-1, urde sanguine 24 mmol -1-1, urde urinaire 38 mmol • l -l, pour une diur~se de 2 500 ml). Celle-ci est traitge par quatre sgances d'hdmofiltration, et la fonction rgnale redevient normale le vingti~me jour. La bilirubingmie est normale le septi~me jour, tandis qu'apparatt une andmie moddrde, maximale vers le huiti~me jour (Hb 8,7 g) et durant aussi longtemps que l'insuffisance rgnale. Localement, tandis que Fescarre gugrit, on constate une pargsie de la flexion des doigts, avec atrophie de l'dminence hypothgnar. L'61ectromyogramme confLrme le ddficit cubital. La phldbographie montre que les veines basilique et cdphalique gauche sont thrombosges, que leur

Hdmaties Leucocytes Plaquettes Taux de prothrombine Temps de cgphaline kaolin malade tdmoin Fibrinog~ne Facteur II Facteur V Facteurs VII + X Produits de dggradation du fibrinog~ne Temps de lyse des euglobulines -

-

-

-

4 620 000/mm3 29 600/mm3 88 000/ram3 t 1% 71 s 32 s 0,76 g - 1-1 45 % 25 % 22 % 40 I~g • m1-1 >2 h

A u c u n e observation d ' i n j e c t i o n intraveineuse de soude h u n ~tre h u m a i n ne semble avoir dt6 publide ~ ce jour. L ' i n j e c t i o n intraveineuse expgrimentale de soude dilude des doses faibles (4 h 20 mg • kg -1 ~ 0 , 4 ou 0,6 N contre 58 m g • kg -~ h 7,25 N pour M m e X.) a 6t6 faite chez des chiens [7] pour 6tudier la toldrance des solutions pharmacologiques alcalines. Elle a entrain6 une diarrh6e rapide aprbs l ' i n j e c t i o n (mais qui aurait pu aussi b i e n ~tre provoqu6e par l ' i n j e c t i o n d ' a u t r e s solutions concentrges de s o d i u m : CO3HNa, C1Na, etc.), une tachypnde et la transformation de la v e i n e e n u n cordon scldreux. U n cas d ' i n t o x i c a t i o n aigu~ volontaire par l ' e a u de javel en intraveineuse (20 ml ~ 20 °C) chez u n ancien infirmier militaire de 23 ans [13] avait entratnd douleur locale, confusion, sommeil, pic fgbrile transitoire et des troubles mineurs de la coagulation gudrissant sans s6quelles en 24 h. Par la suite, l ' i n j e c t i o n intraveineuse expdrimentale de doses comparables d ' e a u de javel

INTOXICATION PAR SOUDE CAUSTIQUE INTRAVEINEUSE

quatre chiens avait montr6 essentiellement une dyspn6e et une h6molyse non suivies d'insuffisance r6nale_ Lors de l'ingestion de soude, les signes locaux sont au premier plan, et les nombreuses publications ?ice sujet ne font 6tat que de 16sions digestives. Lors de l'ingestion de divers caustiques, on a pu observer un certain nombre de manifestations semblables h celles de M m e X. : fi6vre, hyperleucocytose immediate, acidose m6tabolique (sans rapport avec le pH de la solution), h6molyse avec h6moglobinurie, insuffisance r6nale aigu~, coagulation intravasculaire diss6min6e et m6th6moglobin6mie (eau de javel). Le premier cas de m6th6malbumin6mie a 6t6 publi6 en 1934 par FAIRLEY et BROMFIELD ~. propos d ' u n e fi~vre bilieuse h6moglobinurique. La m6th6malbumine portait alors le n o m d e ~ pseudom6th6moglobine ~. Puis d'autres cas ont 6t6 publi6s lors d'h6molyses intravasculaires s6v~res [6], d'h6matomes sous-duraux de la p6riode n6onatale [9, 14], de pancr6atites (l'existence d'une m6th6malbumin6mie en attesterait le caract6re h6morragique) [1, 2] et d'6panchements sanguins intraabdominaux divers (grossesses extra-ut6rines rompues, infarctus m6sent6riques , etc.) [4, 8]. Dans deux cas, il est fait mention d'une cyanose importante [4, 14]. L'existence d ' u n e m6th6malbumin6mie lors d ' u n e h6molyse intravasculaire ou d ' u n e collection sanguine importante s'explique par la saturation de l'haptoglobine et de l'h6mopexine. L'albumine en prend alors le relais et fixe l'h6me en exc6s sous forme oxyd6e, donnant ainsi naissance h la m6th6malbumine [1]. Celle-ci n'est pr6sente que dans le s6rum, contrairement ~ la m6th6moglobine [6]. La similitude de son groupement chromog~ne (h~me) explique la cyanose et le voisinage de ses propri6t6s spectrophotom6triques (tableau I). M~me si certaines m6thodes spectrales permettent de les diff6rencier (test de Schumm, m6thodes de CrIONG et de KEMPISTY) [3, 6, 10], il nous a paru pr6f6rable, 6tant donn6 la pr6sence possible de produits multiples de d6gradation de l'h6moglobine, de recourir ~ des m6thodes 61ectrophor6tiques, plus sensibles.

CONCLUSION

Si, lors des ingestions de soude caustique, les 16sions digestives sont au premier plan, les 16sions vasculaires ont entrain6 ici moins de cons6quences que l'h6molyse, qu'on peut rendre responsable de la coagulation intra-

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vasculaire (au moins en pattie), de l'insuffisance r6nale aiguE et de la m6th6malbumin6mie. Initialement appel6e ~ pseudo-m6th6moglobin6mie ~, celle-ci repr6sente une alternative diagnostique h la m6th6moglobin6mie et ~ la sulfh6moglobin6mie lorsqu'une cyanose h Pao2 normale s'accompagne de collection sanguine ou d'h6molyse intravasculaire importante. Remerciements : Nous remercions le Professeur J.C. KAPLANde

son aimable collaboration.

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