Jean Vague (1911-2003) : Un exemple de sérendipité au service de la nutrition et de la diabétologie

Jean Vague (1911-2003) : Un exemple de sérendipité au service de la nutrition et de la diabétologie

Histoire de la médecine Jean Vague (1911-2003) : un exemple de sérendipité au service de la nutrition et de la diabétologie Jean Vague (1911-2003): A...

595KB Sizes 1 Downloads 104 Views

Histoire de la médecine

Jean Vague (1911-2003) : un exemple de sérendipité au service de la nutrition et de la diabétologie Jean Vague (1911-2003): An example of serendipity at the service of nutrition and diabetology

B. Vialettes Service de nutrition et maladies métaboliques, CHU La Timone, AP-HM, Marseille ; Aix-Marseille Université, Marseille.

Résumé Jean Vague (1911-2003) fut une personnalité scientifique et médicale marseillaise qui a profondément influencé l’orientation des recherches sur l’obésité de ces dernières décennies. Il a été l’auteur, en 1947, de la description princeps des deux morphotypes associés à la surcharge graisseuse (« androïde/abdominal » et « gynoïde/glutéal »), et eu l’intuition, rapidement confirmée, que les complications métaboliques et cardiovasculaires de l’obésité étaient reliées au seul phénotype « androïde/abdominal ». Il doit être considéré, à ce titre, comme le père fondateur du concept de syndrome métabolique. Mots-clés : Jean Vague – obésité – syndrome métabolique – histoire de la médecine.

Summary Jean Vague (1911-2003) was an outstanding medical scientist living in Marseilles, France. He has deeply influenced the researches on obesity during the last decades. He firstly described the two morphotypes associated with obesity (« android/abdominal », and « gynoid/gluteal »). He had the judicious intuition that metabolic and cardiovascular complications of obesity were only linked to the android/abdominal phenotype. Therefore, he must be considered as the founding father of the metabolic syndrome. Key-words: Jean Vague – obesity – metabolic syndrome – medical history.

Introduction

Correspondance Bernard Vialettes Service de nutrition et maladies métaboliques Centre hospitalier universitaire La Timone 264, rue Saint-Pierre 13385 Marseille cedex [email protected] © 2015 - Elsevier Masson SAS - Tous droits réservés.

Parmi les personnalités françaises marquantes du passé récent de notre jeune discipline, Jean Vague occupe une place privilégiée. Il a participé, certes, à l’individualisation de l’endocrinologiediabétologie au niveau universitaire et créé une véritable école dont on peut considérer qu’elle continue à s’épanouir au fil des générations de médecins. Mais son mérite principal a été d’avoir eu la préscience d’un concept médical qui a permis des avancées capitales à

Médecine des maladies Métaboliques - Mai 2015 - Vol. 9 - N°3

la connaissance et au traitement des maladies métaboliques et du diabète. Il est l’un des précurseurs du démembrement clinique des obésités ayant conduit à l’élaboration du concept physiopathologique de «  syndrome métabolique ». Cette entité clinico-biologique est aujourd’hui reconnue, et définie par l’ensemble des organismes internationaux (Organisation mondiale de la santé [OMS], American diabetes association [ADA], European association for the study of diabetes [EASD], …) qui y voient une conception utile à la prise

355

356

Histoire de la médecine

en charge des malades et au développement des connaissances [1]. C’est cette belle histoire des idées et des hommes que nous voudrions conter.

Jean Vague et la reconnaissance de notre discipline Jean Vague (figure 1), né en 1911 à Draguignan, est nommé interne en médecine à Marseille en 1932 (major de sa promotion). Il passe sa thèse en 1935. Il est nommé médecin des hôpitaux en 1943, et agrégé de médecine en 1946. L’étude de sa production scientifique montre que, dans la première partie de sa carrière (années 1930-1940), ses préoccupations concernent essentiellement des problèmes de gastro-entérologie ou de médecine interne (hépato-néphrites, foie cardiaque, …). Mais, dés les années 1940, émergent des sujets nouveaux, comme les maigreurs, l’obésité et le diabète, qui deviendront ensuite ses centres d’intérêt définitifs. Enfin, tout au long de sa carrière, il démontre une curiosité toute particulière pour les mécanismes de la différentiation sexuelle et les états intersexués. C’est naturellement qu’il sera nommé, en 1957, professeur d’endocrinologie à la Faculté de médecine de Marseille, devenant ainsi responsable de la première chaire de « Clinique endocrinologique » créée en France. Il fut nommé membre de l’Académie de médecine en 1980. En 2004, un hommage lui fut rendu par l’un de ses collègues dans cette institution, Claude Jaffiol [2].

Jean Vague, chef d’une école diversifiée et durable J’ai eu la chance, comme interne, de connaître cette Clinique endocrinologique qu’il dirigeait au sein de l’Hôpital de la Conception de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Marseille (AP-HM). Il avait réuni autour de lui de fortes personnalités, et accepté que chacune oriente sa carrière dans des voies différentes de l’endocrinologie : Jean-Louis Codaccioni pour la

F i g u re 1 . P o r t r a i t d u P ro f e s s e u r Jean Vague.

thyroïde, Philippe Vague pour le diabète de type  1, André Mattei pour la reproduction, Philippe Jaquet pour les maladies de l’hypophyse, Jean Boyer et Charles Oliver pour les stéroïdes et la réponse corticotrope… Je garde un souvenir ému des staffs, certes combien exigeants vis-à-vis des internes, mais tellement stimulants sur le plan intellectuel  ! Il exerçait une direction passablement autoritaire de son service, comme le faisaient bien des patrons de cette époque, mais, fort intelligemment, il avait laissé libre ses collaborateurs de leur orientation, renonçant à la tentation de leur imposer de travailler sur les thèmes électifs de sa vie : l’obésité et la différentiation sexuelle. Il avait eu aussi la préscience que l’endocrinologie et la diabétologie étaient des disciplines qui devaient trouver leur voie dans une approche clinico-biologique. Il marquait alors le tournant avec les méthodes anatomo-cliniques de ses prédécesseurs. Il avait créé à cet effet un laboratoire hospitalo-universitaire, où ses jeunes collaborateurs allaient se distinguer grâce à la méthodologie phare de l’époque, la radio-immunologie : mise au points de dosages « faits maison » de l’insuline, de l’hormone de croissance (growth hormone, GH), de l’adrénocorticotrophine (ACTH), des hormones

gonadotropes, de la thyréostimuline (thyroid stimulatory hormone, TSH)… Tous ces dosages ouvraient des champs illimités d’investigation pour mieux comprendre les endocrinopathies, ou pour construire des tests diagnostiques. Je me souviens que post-doctorant aux États-Unis, en 1977, je m’étais rendu compte que Marseille disposait du dosage de l’ACTH, alors que la prestigieuse Mayo Clinic en était encore dépourvue. Ce laboratoire, dans le soussol du bâtiment Cornil de l’Hôpital de la Conception, abritait tous ces jeunes médecins occupés à la mise au point de dosages destinés à des investigations cliniques ou à l’étude de modèles animaux. La création de ce laboratoire marquait aussi son opinion que l’on ne pouvait pas être un endocrinologue sans avoir acquis une solide culture biologique. Il anticipait ainsi les exigences de mastère et de thèse, inscrites aujourd’hui dans le cursus des hospitalo-universitaires de nos disciplines. On ne peut qu’être surpris – et regretter – que ses élèves les plus prestigieux n’aient pas mis leurs pas dans les siens, et décidé de travailler avec lui sur l’obésité androïde. Cela tenait sans doute à sa personnalité et sa très forte implication sur ce sujet, qui laissaient peu de place à l’expansion personnelle. Pourtant, certains de ses élèves sont revenus plus tard vers cette thématique. L’un de ses fils, Philippe Vague, et sa fille, Irène Juhan-Vague, devaient écrire tout un chapitre du phénotype biologique du syndrome métabolique en étudiant une molécule impliquée dans le contrôle de la fibrinolyse, l’inhibiteur de l’activateur du plasminogène de type 1 (plasminogen activator inhibitor-1, PAI-1). Il faut également signaler que le sujet du syndrome métabolique a été abordé par les générations médicales suivantes (par deux, voire quatre générations  !)  : la cinétique des lipoprotéines intestinales (Bernard Vialettes, René Valéro), le stress et la réponse corticotrope, ou l’activité de la 11ß-hydroxystéroïde déshydrogénase de type 1 dans l’adipocyte, ou encore les dépôts adipeux ectopiques (Charles Oliver, Anne Dutour, Sandrine BoulluCiocca, Bénédicte Gaborit).

Médecine des maladies Métaboliques - Mai 2015 - Vol. 9 - N°3

Jean Vague (1911-2003) : un exemple de sérendipité au service de la nutrition et de la diabétologie

Le concept du degré de différenciation masculine des obésités, prémices fondatrice du futur syndrome métabolique Le démembrement séméiologique de l’obésité est l’œuvre principale de Jean Vague. Sa première publication sur le sujet remonte à 1947 [3]. On y trouve cette phrase, qui résume les recherches de sa vie : « Nous croyons que l’exploration des obésités sous l’angle de la différentiation sexuelle est susceptible d’apporter quelque lueur à leur mécanisme et, par suite, de favoriser leur traitement ». Il devait, en 1956, préciser et documenter sa conception dans un article nettement plus abouti, publié dans une grande revue anglophone [4]. Il eut ainsi la préscience de ce qui allait devenir plus tard le syndrome métabolique. La sérendipité dont il a fait preuve à cette occasion, est caractérisée par un réel don d’observation et d’analyse de situations hors les paradigmes du moment, qualités auxquelles il faut ajouter une inventivité pour définir des marqueurs quantifiables et une aptitude à la conceptualisation. Intéressé, pour ne pas dire passionné, par la différentiation sexuelle des individus et ses anomalies, il constate que la répartition de la graisse est différente entre l’homme et la femme. Cette dernière présente une épaisseur du pannicule adipeux relativement constante, alors que son homologue masculin est caractérisé par des plis cutanés plus épais dans la partie haute du tronc. Il s’agit, selon lui, d’un véritable caractère sexuel secondaire, mais il note toutefois qu’il existe un certain chevauchement entre les deux sexes, suggérant une signification plus complexe. Il lui faut ensuite, afin de tester et pousser cette hypothèse, créer un marqueur quantitatif. Il remarque que certaines zones du corps sont particulièrement sensibles à cette différentiation sexuelle du tissu adipeux sous-cutané : la nuque et la région sacrée d’une part, et la racine des membres supérieurs et inférieurs d’autre part. Il décide de mesurer la largeur du pli cutané avec un compas

d’épaisseur dans ces sites, avec une méthode reproductible (localisation précise, pression exercée constante, profondeur par rapport à l’aponévrose musculaire). Ces données ainsi obtenues vont lui permettre de caractériser des rapports relativement indépendants de la masse grasse globale et représentatifs de la répartition sexuelle de la graisse : le ratio des plis « nuque/ région sacrée » d’une part, et le « rapport adipo-musculaire brachio-fémoral (RAMBF) » d’autre part (calculé à partir de la circonférence et des plis cutanés aux 4 points cardinaux, mesurés à la racine des membres supérieurs et inférieurs). Ces rapports anthropométriques sont ensuite réunis grâce à une formule pour donner une valeur unique : l’indice de différentiation masculine. Celui-ci est enfin comparé à des abaques établis dans une population témoin âgée de 5 à 60 ans et plus, afin de tenir compte des variations liées à l’âge. Il est ainsi en mesure d’obtenir une valeur continue mesurant le concept et permettant de caractériser cinq phénotypes : – (hyper)androïde ; – intermédiaire ; – (hyper)gynoïde. Je reprends pas à pas son article majeur, publié en langue anglaise en 1956 [4], afin de montrer la qualité de ses observations. Selon lui, les obésités (hyper) androïdes sont associées à plusieurs caractéristiques : – la répartition de la graisse dans la partie supérieure du corps ; – un développement accru de la musculature et de la circulation artérielle ; – une tendance à l’hypertension artérielle (HTA) ; – un appétit accru profitable métaboliquement (il parle de « luxus consumption », phénomène attribué plus tard à la plus grande sensibilité du tissu adipeux viscéral aux variations métaboliques) ; – une moindre rétention d’eau ; – un système veineux normal. Il note que ce phénotype s’observe aussi chez la femme, et qu’il s’accompagne alors d’une macrosomie au moment des grossesses. Il signale que ces obésités sont plus rarement massives que leurs homologues (hyper)gynoïdes. Ces

Médecine des maladies Métaboliques - Mai 2015 - Vol. 9 - N°3

dernières, en revanche, sont caractérisées par un dépôt callipyge des graisses, une musculature plus grêle, un appétit plus faible, une tendance à la rétention d’eau, une insuffisance veineuse, une résistance relative au régime. Il insiste sur l’handicap moteur lié à l’embonpoint extrême fréquemment observé, et qui retentit souvent sur l’activité et peut, à son tour, renforcer la prise de poids. Mais son aptitude à la sérendipité est telle qu’il va constater que ces deux grandes formes d’obésité qu’il vient de décrire, ont des conséquences très dissemblables en termes de morbimortalité. Il va s’opposer ainsi au consensus de l’époque, qui tendait à relier les complications de l’obésité à la seule importance de la masse grasse. Il déroule son article en démontrant que le diabète de l’adulte est une complication des seuls phénotypes (hyper) androïde de l’obésité (il innocente en passant cette forme d’obésité pour le diabète juvénile) et ce, dans les deux sexes. Il réitère cette constatation pour l’intolérance au glucose. Il montre que la goutte est aussi associée à l’obésité androïde, alors que les autres types de lithiase rénale ne le sont pas. Pour la lithiase biliaire, il ne retrouve une association que chez la femme. Enfin, avec son collègue cardiologue et proche, André Jouve, il démontre que ce phénotype est un puissant facteur de risque des pathologies cardiovasculaires. On le voit, il associe dans un même phénotype de nombreux éléments que l’on retrouvera dans le futur syndrome métabolique : – la prédominance tronculaire de la graisse sous-cutanée ; – l’HTA ; – le diabète, ou l’intolérance au glucose ; – l’hyperuricémie ; – et la prédisposition aux pathologies cardiovasculaires. Il devait, plus tard, compléter le tableau en décrivant l’hyperinsulinisme ou les anomalies lipidiques, mais il jouera moins en l’occurrence le rôle du visionnaire esseulé. Sa discussion des mécanismes pathogéniques en cause est plus spéculative, faute de moyens d’investigation appropriés. Il le reconnait bien volontiers. Il incrimine surtout les hormones

357

358

Histoire de la médecine

hypophysaires, principalement par les parentés qu’il note avec le syndrome de Cushing. Mais, chemin faisant, on le voit citer l’hyperinsulinisme, la surcharge adipeuse du foie… tous mécanismes qui intéressent les chercheurs d’aujourd’hui. On ne saurait trop inciter nos collègues, jeunes et moins jeunes, à lire ou relire cet article [4] qui est un modèle d’intelligence médicale.

Pourquoi le syndrome métabolique ne porte-t-il pas le nom de Jean Vague ? On peut penser que le retard de la reconnaissance du concept médical qu’il développait tient à plusieurs raisons. • À l’époque, les chercheurs français publiaient peu dans les journaux en langue anglaise. La pression de l’impact factor n’existait pas encore. J’ai examiné la répartition de certaines de ses publications dans les données bibliographiques : – pour le sujet de la différentiation masculine des obésités, 54 publications en français ou autres langues, pour seulement dix en langue anglaise ; – pour la différentiation sexuelle, 44 en français, pour une seule en anglais. L’audience dans le monde anglo-saxon a été ainsi limitée. De fait, selon Google Scholar, son article, publié en 1956 dans l’American Journal of Clinical Nutrition [4], a été cité 1 426 fois, alors que son article fondateur du concept, publié dans La Presse Médicale [3], en 1947, ne l’a été que 112 fois. • La deuxième raison est que le marqueur quantitatif anthropométrique choisi par Jean Vague de la différentiation masculine des obésités était bien trop complexe. Il nécessitait de multiples mesures, réalisées en « pleine sueur » pour paraphraser Laennec, fortement consommatrices de temps-médecin, et exigeant une certaine souplesse des patients. Les résultats étaient, en outre, assez opérateur-dépendants, à tel point qu’il ne déléguait jamais les mesures dans son service. C’était devenu l’une de ses activités principales pendant les visites, au grand dam de l’interne qui se voyait

ainsi privé d’une partie de ses avis ou de son précieux enseignement par cette activité quasi-obsessionnelle. Le traitement mathématique des données était aussi passablement obscur. Sa conception ne devait être enfin reconnue que 35 ans plus tard, le jour où un Canadien, Ahmed Kissebah [5], a proposé des mesures anthropométriques beaucoup plus simples et réalisables par le commun des mortels : la mesure des circonférences corporelles au niveau de la taille et au niveau des hanches, et la réalisation d’un simple rapport de ces deux valeurs. Cette simplification clinique et la confirmation scientifique qu’elle apportait, ont permis – enfin – d’obtenir l’adhésion de la communauté médicale et scientifique à ce concept riche de sens. Elle avait, entre-temps, perdu sa dénomination initiale, puisque

Encadré Jean Vague fut une personnalité médicale française particulièrement marquante pour notre discipline. • Il a participé à la reconnaissance universitaire de notre spécialité, dés les années 1950, et a œuvré pour l’individualisation de son orientation diabète-nutrition-obésité. • Il a créé une École marseillaise qui garde son empreinte, et ce, même après plusieurs générations de médecins. • Il a surtout été le Père fondateur du syndrome métabolique en décrivant, dés 1947, les deux morphotypes associés à l’obésité (androïde et gynoïde) et caractérisés respectivement par la prépondérance des dépôts graisseux au niveau abdominal ou glutéal. Il eut, surtout, l’intuition géniale que les complications métaboliques et cardiovasculaires de l’obésité étaient directement associées au phénotype androïde. On peut donc en déduire qu’il a été à l’origine du syndrome métabolique, concept riche de développements futurs vers la compréhension des mécanismes et le traitement curateur de l’obésité.

l’obésité «  androïde  » était devenue simplement «  abdominale  », et son homologue « gynoïde » : « glutéale », lorsqu’on ne les affublait pas de descriptions fruitières, respectivement, « apple type », et « pear type ». Puis le syndrome métabolique a été enrichi de son association avec le couple hyperinsulinisme-insulinorésistance, dont Gerald M. Reaven [6] s’est fait le chantre. Enfin, après plusieurs hésitations, le syndrome métabolique (nommé ainsi par l’OMS, en 1999) devait recevoir une définition consensuelle de l’OMS et des sociétés savantes internationales, basée sur des critères anthropométriques, cliniques et biologiques, en 2009 [1]. Il avait fallu 62 années pour arriver à cette consécration. Jean Vague devait se voir attribué, en 1990, l’International Willendorf award, le prix de l’International association for the study of obesity couronnant une œuvre scientifique exemplaire consacrée à la recherche clinique sur l’obésité. Il devait côtoyer, dans cette liste des récipiendaires de ce prix, des noms aussi prestigieux que G.-A. Bray, P. Björntorp, C. Bouchard, A. Stunkard… • Même si l’utilisation en pratique clinique du syndrome métabolique peine à se généraliser1, cette belle histoire médicale et scientifique initiée par Jean Vague n’est pas terminée. Le champ des pathologies auxquelles il prédipose, s’est étendu au syndrome d’apnée du sommeil, aux troubles cognitifs et la maladie d’Alzheimer, aux cancers… Les recherches mécanistiques s’orientent dans de multiples directions, dont nous ne ferons que citer les têtes de chapitre principales : prédisposition génétique, «  thrifty genotype  » et épigénétique, alimentation hyperlipidique, microbiote intestinal et micro-inflammation, polluants organiques… Ce foisonnement des approches scientifiques autour du

1

Un sondage réalisé par TNT-SOFRES en France, en 2004, montrait que seulement 1 % des médecins généralistes interrogés étaient capables de citer correctement les cinq critères utilisés pour le diagnostic du syndrome métabolique, alors même que 53 % d’entre eux étaient convaincus qu’il s’agissait d’un puissant facteur de risque coronarien.

Médecine des maladies Métaboliques - Mai 2015 - Vol. 9 - N°3

Jean Vague (1911-2003) : un exemple de sérendipité au service de la nutrition et de la diabétologie

Figure 2. Courbe du nombre annuel des publications associées à l’entrée « Metabolic syndrome », dans Pubmed, en fonction des années. Les flèches indiquent les dates de parution des publications citées dans le texte (A : 2 ; B : 3 ; C : 4 ; D : 5 ; E : 1).

syndrome métabolique est impressionnant, puisque l’on dénombre près de 5 000 articles référencés dans Pubmed/ Medline chaque année (figure 2) !

Conclusion Je suis l’un de ceux qui pensent que la formation des plus jeunes au sein de notre discipline ne peut pas faire l’impasse de l’expérience médicale et scientifique issue des grands anciens. Manifestement, Jean Vague, par sa préscience du syndrome métabolique et l’énergie mise à sa reconnaissance, en fait partie.

Déclaration d’intérêt Hors le fait d’avoir été un élève du Pr Jean Vague, l’auteur déclare n’avoir aucun conflit d’intérêt en lien avec le contenu de cet article.

Références [1] Alberti KG, Eckel RH, Grundy SM, et al; International Diabetes Federation Task Force on Epidemiology and Prevention; National Heart, Lung, and Blood Institute; American Heart Association; World Heart Federation; International Atherosclerosis Society; International Association for the Study of Obesity. Harmonizing the metabolic syndrome: a joint interim statement of the International Diabetes Federation Task Force on Epidemiology and Prevention; National Heart, Lung, and Blood Institute; American Heart Association; World Heart Federation;

Médecine des maladies Métaboliques - Mai 2015 - Vol. 9 - N°3

International Atherosclerosis Society; and International Association for the Study of Obesity. Circulation 2009;120:1640-5. [2] Jaffiol C. Eloge de Jean Vague (1911-2003) ; séance du 15 juin 2004. Bull Acad Natle Méd 2004;188:895-901. [3] Vague J. La différentiation sexuelle, facteur déterminant des formes de l’obésité. Presse Méd 1947;55:339. [4] Vague J. The degree of masculine differentiation of obesities: a factor determining predisposition to diabetes, atherosclerosis, gout, and uric calculous disease. Am J Clin Nutr 1956;4:20-34. [5] Kissebah AH, Vydelingum N, Murray R, et al. Relation of body fat distribution to metabolic complications of obesity. J Clin Endocrinol Metab 1982;54:254-60. [6] Reaven GM. Banting lecture 1988. Role of insulin resistance in human disease. Diabetes 1988;37:1595-607.

359