Kératite fongique et lentilles cornéennes jetables journalières

Kératite fongique et lentilles cornéennes jetables journalières

CAS CLINIQUE J Fr. Ophtalmol., 2004; 27, 4, 401-403 © Masson, Paris, 2004. Kératite fongique et lentilles cornéennes jetables journalières M.-J. Le ...

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CAS CLINIQUE

J Fr. Ophtalmol., 2004; 27, 4, 401-403 © Masson, Paris, 2004.

Kératite fongique et lentilles cornéennes jetables journalières M.-J. Le Liboux (1), S.A. Ibara (2), D. Quinio (2), E. Moalic (2) (1) Service d’Ophtalmologie, Centre Hospitalier de Morlaix. (2) UF de Parasitologie et Mycologie, CHU Morvan, 5 avenue Foch, 29609 Brest Cedex. Correspondance : E. Moalic, à l’adresse ci-dessus. E-mail : [email protected] Reçu le 8 avril 2003. Accepté le 3 septembre 2003. Fungal keratitis in a daily disposable soft contact lens wearer M.-J. Le Liboux, S.A. Ibara, D. Quinio, E. Moalic J. Fr. Ophtalmol., 2004; 27, 4: 401-403 A case of fungal keratitis was diagnosed in a young female who had been wearing daily disposable soft contact lenses for 2 years. No risk factor was demonstrated and specific treatment was effective. This case emphasizes that patients must be aware of the importance of hygiene as daily disposable contact lenses must be discarded daily.

Key-words: Keratitis, Fusarium verticilloides, daily disposable soft contact lenses. Kératite fongique et lentilles cornéennes jetables journalières Les auteurs présentent un cas de kératite fongique survenue chez une jeune femme porteuse depuis deux ans de lentilles cornéennes jetables journalières. Ce cas, qui a évolué favorablement sous thérapeutique spécifique et pour lequel aucun facteur de risque n’a pu être mis en évidence, souligne l’importance de l’éducation des patients à l’hygiène et au respect des conditions d’emploi de ce type de lentilles.

Mots-clés : Kératites, Fusarium verticilloïdes, lentilles cornéennes journalières jetables.

CAS CLINIQUE La patiente consulte le service d’Ophtalmologie du Centre Hospitalier de Morlaix le 12 février 2003 pour un œil droit rouge, douloureux avec photophobie intense évoluant depuis trois jours. Il s’agit d’une femme de 35 ans qui porte des lentilles cornéennes jetables journalières Soflens® (Bausch et Lombs) depuis deux ans. À l’examen, elle présente deux abcès cornéens sans réaction inflammatoire de la chambre antérieure. L’interrogatoire ne relève pas de facteurs de risques particuliers : aucun traumatisme ne peut être mis en évidence, la patiente affirme changer ses lentilles quotidiennement et ne jamais les garder pendant le sommeil. Il n’existe par ailleurs aucune pathologie particulière chez cette patiente en bonne santé générale, malgré un alcoolisme chronique probable. Un prélèvement est décidé. Il comprend deux frottis sur lame et l’ensemencement de deux milieux de Sabouraud additionnés d’antibiotiques incubés à 29 °C pour la recherche de champignons, et d’une gélose monoxénique à 2 % également incubée à 29 °C pour la recherche d’amibes libres [1]. Les lentilles ayant été jetées leur examen sera impossible. L’examen microscopique des frottis cornéens colorés au May Grünwald Giemsa (MGG) retrouve un infiltrat inflammatoire composé de polynucléaires neutrophiles, de cellules cornéennes et de nombreux filaments mycéliens flexueux et plus ou moins longs (fig. 1). Après 5 jours

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d’incubation, la culture se révèle positive avec l’apparition de deux colonies fongiques, rosées, duveteuses et finement poudreuses. L’examen microscopique de ces colonies met en évidence des filaments septés et ramifiés, des phialides verticillées, de nombreuses microconidies en chaîne, et des macroconidies cloisonnées (fig. 1). L’ensemble des éléments microscopiques et macroscopiques est concordant avec l’espèce Fusarium verticilloïdes. Aussitôt le résultat de l’examen des frottis cornéens connu, la patiente est mise sous traitement local associant : un collyre d’amphotéricine B à 5 mg/ml 10 fois/jour et de ciprofloxacine 10 fois/jour, de la pommade de rifamycine 5 fois/jour et de l’Hexamidine collyre® 5 fois/jour. Le 15 février, la patiente présente un tyndall positif de la chambre antérieure mais refuse l’hospitalisation. À partir du 17 février, son état s’améliore. Le 27 février, il persiste deux taies stromales paracentrales limitant l’acuité visuelle à 6/10. Le 5 mars, la cicatrisation est complète avec disparition de la photophobie, mais persistance des taies stromales. Au total, il s’agit donc d’un cas de kératite fongique à Fusarium verticilloïdes survenue chez une femme jeune portant des lentilles cornéennes jetables journalières et ne présentant aucun facteur de risque particulier avoué, en particulier sans antécédent de traumatisme cornéen.

retrouvés appartiennent au groupe des moisissures avec notamment les genres Fusarium, Alternaria et Aspergillus dans les pays de climat tempéré [2-5]. Le traitement fait le plus souvent appel au collyre d’amphotéricine B et à l’itraconazole par voie générale [2, 5], mais plus récemment le voriconazole a été proposé [3] et la rifampicine a depuis longtemps fait la preuve de son efficacité sur les fusariums puisque les premiers résultats in vitro ont été obtenus en 1978 [6]. La kératoplastie pourra cependant rester nécessaire [2, 3]. Malgré certaines similitudes avec ces données de la littérature, le cas présenté apparaît particulier pour plusieurs raisons. Un premier cas identique a été publié en 2001 [8]. Comme pour cette patiente, la malade, une jeune femme de 20 ans, n’avait subi aucun traumatisme oculaire, ne présentait aucun facteur de risque autre que des lentilles cornéennes à usage unique journalier et affirmait ne jamais porter ses lentilles pendant le sommeil. Le tableau clinique était évocateur d’une kératite fongique et un Fusarium sp avait été isolé à partir du prélèvement cornéen. Le traitement avait comporté entre autres l’amphotéricine B et l’évolution avait été favorable. Si l’apparition d’une kératite fongique sur lentilles jetables journalières reste donc très inhabituelle, l’absence de traumatisme oculaire, la nature même de ces lentilles journalières jetables et les affirmations du malade quant à son observance des règles d’hygiène ne permettent cependant pas d’éliminer une cause fongique en cas de kératite. Cela est particulièrement vrai dans tous les cas où malgré les affirmations du patient, le port de ces lentilles n’obéit pas aux règles d’hygiène prescrites, un port prolongé des lentilles bien au-delà du délai prévu par le fabricant pouvant être à l’origine de la contamination. Il est vraisemblable que ce cas découle directement d’une telle erreur, tout comme le cas similaire retrouvé dans la littérature [7]. Il est donc bon de rappeler systématiquement à tous les porteurs les règles d’utilisation des lentilles cornéennes jetables journalières et de vérifier l’étiologie infectieuse de toute kératite survenant dans ce contexte.

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DISCUSSION Les kératites fongiques sont des entités pathologiques bien connues qui reconnaissent des causes variées : traumatisme le plus souvent patent, port de lentilles, intervention chirurgicale, traitement corticoïde… [25], d’autant que fréquemment des champignons peuvent être isolés à partir des culs-de-sac conjonctivaux en dehors de tout contexte pathologique [1]. Parmi les facteurs aggravants, l’importance de la contamination ainsi que la pénétration intracornéenne profonde lors de la contamination ont pu être évoquées de même qu’une réponse inflammatoire insuffisante ou inefficace [7]. Les agents fongiques les plus fréquemment

a b Figure 1 : a) Aspect du frottis cornéen coloré au MGG avec présence de longs filaments fongiques flexueux irrégulièrement colorés ; échelle 10 µm. b) Aspect microscopique de la primoculture fongique sur gélose de Sabouraud avec de longues chaînes de microconidies, des microconidies isolées, des phialides et des filaments septés et ramifiés ; échelle 100 µm.

Vol. 27, n° 4, 2004

RÉFÉRENCES 1. Quinio D, Le Flohic AM, Moalic E, Resnikoff S. Acanthamoeba keratitis: search for a healthy carrier in Mali. Med Trop, 2000;60:61-3. 2. Klotz ST, Penn CC, Negvesky GJ, Butrus SI. Fungal and parasitic infections of the eye. Clin Microbiol Rev, 2000;13:662-85. 3. Reis A, Sundmacher R, Tintelnot K, Agostini H, Jensen HE, Althaus C. Successful treatment of ocular invasive mould infection (fusariosis) with the new antifungal agent voriconazole. Br J Ophthalmol, 2000;84:928. 4. Rondeau N, Bourcier T, Chaumeil C, Borderie V, Touezau O, Scat Y et al. Fungal keratitis at the Centre Hospitalier National d’Ophtal-

Kératite fongique et lentilles cornéennes jetables journalières mologie des Quinze-Vingts: retrospective study of 19 cases. J Br Ophthalmol, 2002;25:890-6. 5. Tanure MA, Cohen EJ, Sudesh S, Rapuano CJ, Laibson PR. Spectrum of fungal keratitis at Wills Eye Hospital, Philadelphia, Pennsylvania. Cornea, 2000;19:307-12. 6. Stern GA. In vitro antibiotic synergism against ocular fungal isolates. Am J Ophthalmol, 1978;86:359-67. 7. Vemuganti GK, Garg P, Gopinathan U, Naduvilath TJ, John RK, Buddi R, Rao GN. Evaluation of agent and host factors in progression of mycotic keratitis: a histologic and microbiologic study of 167 corneal buttons. Ophthalmology, 2002;109:1538-46. 8. Choi DM, Goldstein MH, Salierno A, Driebe WT. Fungal keratitis in a daily disposable soft contact lens wearer. CLAO J, 2001;27:111-2.

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