J Pddiatr Pugn'culture 1997;10:349-355 © Hsevier, Paris
PSYCHIATRIE ET PSYCHOLOGIE
ue en 10e journ e annruelle de psychiatrie infantile JM Dupeu Service
de psychiatrie infantile, h6pital Saint-Vincent-de-Paul, 74-82, av Denfert-Rochereau,
e dont je veux essayer de parler est 6 la lois assez simple et tres compliqu& Aussi en pr~parant cette communication me suis-je sans cesse trouv~ entrain~ dans une sorte de valse-h~sitation : est-ce que je devais ,, tirer ,, les chases clu c6t~ de la lim pidit~ de certaines interventions un peu magiques, fa~on Dolto ? Ou devais-je profiter de I'occasion pour montrer 6 quel paint les probl~mes m~tapsychologiques et techniques acqui~rent tr~s vite une complexit~ inou'ie, sit6t qu'on pretend , , a ppliquer , , la psychanalyse au domaine de la clinique infantojuv(.=nile ? Disons que je me suis trouvE, comme souvent, ballott~ entre man o ptimisme th~rapeutique de fond qui me pousse ~ penser que, dans un tr@s grand nombre de situations, I'intervention psychanalytique peut ~tre un atout irrempla~able - d~s Iors qu'on ne se tient pas E des positions dogmatiques rigides - et man souci de rigueur au nora duquel on ne peut pas faire et dire n'importe quoi, sous couvert de pragmatisme clinique.
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*Communication lors de la 10 ~ journ& annueUe de psychiatrie infantile de l'h6pital Saint-Vincent-de-Paul (Pr B Golse), consacr& au thbme (~Moyens et strardgies thdrapeutiques en clinique inFantile ,,, Paris, le 18 juin 1993.
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Paris
Pour toutes ces raisons, et apr~s pas mal de r~flexions, j'ai renoncd ~ un exposd de style librement associatif, tressant entre elles quelques vignettes cliniques spectaculaires assorties de quelques commentaires thdoriques de circonstances, et ie me suis rdsolu ~tr~diger un texte, de forme plus didactique, dans lequel je me propose d'examiner, de faqon raisonn&, un certain nombre de d~finitions et de theses concernant la sp&ificit~ de |'abord psychanalytique en clinique infantile, cela dans le but de diminuer un peu les in&itables risques de malentendus dans un domaine dans lequel la dimension passionnelle des positions n'a d'~gal que le peu de rigueur des concepts dont on use pour en parler. Esp~rons que ce que nous perdrons en spontandit~ clinique, nous le gagnerons sur le plan de la clartd des positions th~oriques et des &hanges. Les consultations thdrapeutiques analytiques constituent une application de la psychanalyse dans des situations cliniques pour lesquelles l'instauration d'un cadre fixe apparalt soit inenvisageable, soit inutile. Elles ne se con~oivent que pratiqu&s par un psychanalyste possddant ddj~ une certaine exp&ience, rant dans le domaine de la clinique infantile que dans celui de la psychanalyse des adultes. Selon les situations cliniques, elles pourront &re ponctuelles (trois ou quatre &al&s sur quelques semaines) ou s'&endre sur un temps beaucoup plus long. Ce qui les ddfinit comme consultations thdrapeutiques, par opposition aux thdrapies ou aux cures analytiques, c'est qu'elles n'ob~issent pas fi un rythme r~gulier et que 349
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l'dcart entre les consultations est librement fixd, au coup par coup, par une sorte de ndgociation entre le praticien et les consultants. Elles pourront, soit s'interrompre sans suite lorsque consultant et praticien jugeront qu'elles ont atteint ce qu'on pouvait en attendre, soit &re relay~es par une prise en charge psychoth&apique ou analytique. Ce relais pourra ~tre pris par un autre analyste ~ moins que le consultant initial lui-m~me juge qu'il peut sans inconvenient majeur, en particulier transfdrentiel, assurer ce relais. Dans ce cas, le changement de mode de prise en charge fera n~cessairement l'objet d'une n~gociation et d'un contrat explicite entre le psychanalyste, son petit panent et sa famille. Remarquons que, dans ce dernier cas, les consultations th&apeuriques se r~vdleront r&roactivement avoir eu valeur d'entretiens pr~liminaires. La s&ie de d~finitions qui prdc~de, malgr~ sa simplicitd voulue, implique un certain hombre de prises" de positions thdoriques et mdtapsychologiques qui ne sont pas partag&s par tousles analystes et qu'il n'est pour cette raison pas utile de prdciser. Poser que les consultations th&apeutiques se d~finissent par l'absence de cadre formel (en particulier la rdgularitd des s~ances, le recours ~ la r~gle fondamentale, le refus du praricien de se mettre ~il'~coute de plusieurs personnes de la m~me famille) et affrmer pourtant qu'elles m&itent le qualificatifde psychanalytiques supposent une ddfinition du psychanalytique ~i la fois extensive et assez pr&ise ; en tout cas non ,~ formelle ,,, c'est-~l-dire non purement., technique ,,. O n peut en effet demander tr~s l~gitimement : qu'est-ce qui garantit le caract~re psychanalytique d'une telle pratique ? (On sait du reste que c'est un d & a t rdcurrent dans tous les lieux o~ sont amends ~ se rencontrer psychanalystes d'enfants et psychanalystes n'ayant aucune pratique dans le champ de la clinique infantile.) Dira-t-on que ce sont les rdf6rences th6oriques du praticien ? Si ceUes-ci sont en effet n6cessaires, il est dvident qu'elles ne sufflsent pas ~tgarantir la dimension psychanalytique d'une pratique. Le fait que ce praticien soit, par ailleurs psychanalyste ? Pas plus 6videmment. Car encore faut-il que celui-ci ait souhaitd et ait cru possible, dans ce cas, de maintenir son exigence et, disons, son identitd de psychanalyste. Cela n'est pas toujours le cas. II existe du reste parmi certains de nos coll~gues analystes qui sont aussi p6dopsychiatres, une position qu'on pourrait nommet, en souriant un peu : la doctrine des deux casquettes. Cela consiste ~tposer que lorsque les conditions sont rdunies pour avoir une pratique psychanalytique, on fait de la psychanalyse ; dans le cas contraire, on fait 350
retour sur des positions et une pratique psyclxiatrique : bilan, diagnostic, prescriptions et conseils, etc. On se trouve apparemment face ~tun pragmatisme de bon aloi, qui se justifie souvent par le refus de toute rigidit~ doctrinale et une adaptabilitd aux registres de la demande. I1 me semble que l'engagement dans la pratique de la consultation th&apeutique analytique est relativemem (je p~se mes mots, ne voulant pas appara~tre comme trop pdremptoire) incompatible avec la ~ doctrine des deux casquettes ~. En effet, j'ai tendance ~t tenir celle-ci derriere son apparent bon sens, comme un leurre contretransf&entiel. Pourquoi ? Je crois qu'il n'est pas possible, surtout en dinique infantile, d'appr&ier la dimension &entuellement analytique d'une demande (une telle formulation ne veut du reste pas dire grand chose), ind~pendamment d'une offre analytique, soutenue de fa~on suffisamment patiente et bienveillante. Certes, s'en tenir par choix concert~, eta priori ~tune offre analytique, ne prdjuge pas de la longueur du cherain que le patient pourra ou voudra bien faire avec nous ; mais, sans cette passion qui est proprement (n'ayons pas peur des grands mots) la vocation analytique de faire dmerger, si peu que ce soit, derriere la plainte manifeste, un peu de la dynamique inconsciente qui la sous-tend, on risque tout simplement de provoquer ce qu'on diagnostique : ~t savoir que le patient n'est pas capable d'une d e m a n d e analytique, ce qui, formuld ainsi, ne signifie pas grand-chose tant qu'on ne lui a pas permis d'exp&imenter dans une relation concrete ce que peut ~tre une ~coute analytique. I1 est devenu banal aujourd'hui d'affrmer qu'en analyse le contre-transfert prdc~de le transfert. Pourquoi l'oublier quand il s'agit des consultations th&apeutiques ? Je voudrais faire remarquer que, contre ce que j'appelle la ~ doctrine des deux casquettes ,, on pourrait citer la position de Winnicott, l'inventeur du concept de consultation th&apeutique : ,, Lorsque je peux faire de la psychanalyse, disait-il, je fais de la psychanalyse. Lorsque je ne peux pas, je suis un psychanalyste qui fait autre chose ~,. Lorsque je peux, lorsque je ne peux pas : on croit d'abord, avec ce beau balancement rh&orique, qu'on va ddboucher sur la ,, doctrine des deux casquettes ,,. Pas du tout. Ce qui est r~affirmd, en ddpit de la variabilitfi des registres dans lesquels s'exprime la plainte du patient, c'est l'identit~ analytique du praticien. Un psychanalyste qui fait autre chose.., mais qui reste un psychanalyste. I1 me semble que nous avons l~i l'application ~t l'engagement clinique de la thdorie de l'objet et de l'espace transirionnel ddfini comme paradoxal, et dont Winnicott dit qu'il ne faut pas chercher ~ dissoudre le paradoxe, mais l'assumer dans sa paradoxalitd m~me. I1 n'y a l~i nul refus ni mdpris d'un autre mode d'inJOURNAL DE PI~DIATRIE ET DE PUERICULTURE n ° 6 - 1997
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tervention, medical ou rEEducatif. Je crois qu'il s'agit au contraire d'une attitude d'humilitE, de refus de route puissance : on ne peut pas &re partout ~ila fois. En effet, le souci medical en soit parfaitement 1Egitime (c'est une r~gle qu'on nous a enseignde d~s la facultd), de ne proposer aucune th&apeutique prdalablement fi l'dtablissement d'un diagnostic rigoureux et exhaustif, compromet par avance la possibilitE d'occuper une place fi partir de laqueUe on pourra offrir tree dcoute analytique. Le souci d'une anamn~se exhaustive mende selon un plan prd&abli, assortie dventuellement du rEflexe mEdical de la prescription d'explorations complEmentaires, (tests, observations dans des situations codifides, rdponse fi des formulaires), n'est pas conciliable avec la n&essaire libertE associative et interpr&ative de l'analyste, qui dolt au contraire avoir le souci de faire dmerger chez le consultant, par son mode d'&oute et d'intervenuon, I ebauche d u n e actw~te assoc~atwe, c est-a-dlre, privilEgiant le fonctionnement du processus primaire. Cela n'exclut pas, bien stir, ~i tel ou tel moment de,la consultation, de solliciter une precision biographique. Mais tout d~pendra du contexte dans lequel interviendra cette sollickation : selon qu'il s'agit de procEder au relevd systdmatique d'une anamn~se, ou selon que cette sollicitation intervient en Echo ~i que!que chose que le patient vient d'aborder lui-m~me spontandment : dans ce dernier cas, l'interrogation biographique, toujours tr~s ponctuelle, (pour ne pas briser le fil associatif du patient), a dEj~i=valeur d'interpr&ation latente. Encore l'analyste n'y aura-t-il recours que s'il s'est convaincu que par cette question, il ne va pas exacerber une rEsistance. C'est le moment-pivot du ~ premier silence ,, du patient qui va ddcider de l'orientation que va prendre la consultation. ConfrontE au premier silence, le mEdecin pose des questions pour faire dire au patient ce qu'il n'a pas encore dit, et qui l'int&esse, lui, mddecin. I1 obdit ~i une sorte de programme, plus ou moins rigoureux, visant ~i le fake passer, lui, de l'ignorance o~l il se trouve concernant ce cas au savoir diagnostique qui lui permettra, ensuite, de poser son indication th&apeutique. Le psychanalyste, lorsque s'ouvre le premier silence, fait une remarque interpretative, une ~, ouverture ,, visant ~l faire entendre au patient quelque chose qu'il n'a pas entendu, tout en le disant. Le patient reprend alors la parole pour infirmer, ou au contraire apporter dn mat&iel confirmatif. O n estainsi passe dujeu des questions -rdponses visant ~tl'dtab[issement d'un savoir ~tla dialectique : associations-interprEtation-associations, visant la levee progressive des mdconnaissance du sujet. Ce n'est pas dire comme on l'entend parfois soutenir de fa~on par trop polEmique et simplificatrice, que le mddecin fonctionne au savoir et l'analyste au ,, nonJOURNAL DE PI~DIATRIE ET DE PUERICULTURE n° 6 - 1997
savoir ,,. Mais dans un cas, il s'agit de construire un savoir fi peu pros objectif, gEn&alisable, dans l'autre, il s~agit par t~tonnements de tendre au ddvoilement progressifd'un savoir qui est d'abord celui du patient mais en rant que mdconnu de lui-mEme. Ce en quol, la qu&e que ce dernier m~ne activement avec le soutien bienveillant du psychanalyste est, indissociablement, diagnostique et thErapeutique. Le psychanalyste poss~de un certain savoir et il en use. I1 est ddmagogique et inconsequent de le nier, mais c'est, avant toute chose, un savoir portant sur ce quz s'oppose, ¢hez tout sujet, ~ certe appropriation de son propre savoir, et sur les~¢ons, les cheminements pour y parvenir. Savoir indissociablement technique et m&apsychologique mis au service de la qu&e du patient. Plus t6t le patient pourra experimenter cela, plus la demande tendra fi se dEployer dans un registre analytique.
la m(~taps.ychologie des consultations th(~rapeutnques Nous avons vu que les consultations th&apeutiques trouvent leur premiere particularitE dans le rythme des rencontres qui s'adaptent au coup par coup aux besoins, aux resistances et aux moments d'ouverture fi l'oeuvre dans chaque situation clinique. J'y reviendrai. Mais elles se dEfinissent aussi par leur topique. En effet, alors que la psychanalyse et les psychothErapies individuelles misent sur l'organisation d'un espace psychique relativement clos, rEpondant ~i la fiction d'un appareil psychique lui-mEme assimild ~tun syst~me clos, les consultations th&apeutiques en clinique infantile prennent acte d'un degrE d'~ ouverture ,, de l'appareil psychique de l'enfant sur la dynamique famitiale incompatible avec le coup de force que constituerait une telle fermeture du cadre. C'est-fi-dire que contrairement ~i ce qui se passe chez l'adulte nEvrotique, ici l'interdEpendance de la dynamique intrapsychique et de la dynamique familiale est telle qu'il est illusoire de pr&endre les traiter indEpendamment l'une de l'autre. Ce th~me d'un appareil psychique ,, clos ,, est, nous l'avons dit, une fiction, pour autant que celui-ci reste pendant route l'existence du sujet soumis aux influences Emanant du monde extdrieur. C'est pourtant cette fiction qui permet ~ l'analyste de mettre entre parentheses, par m&hode, le poids de la rEalitd actuelle pour interpr&er le mat&iel amend en sdance du seul point de vue de la dynamique intrapsychique du sujet. Cependant, sice parti pris m&hodologique peut 8tre tenu, c'est pour autant que la thdorie m&apsychologique suppose que l'essentiel de la dynamique fanliliale a 351
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&~ chez l'adulte d'organisation n&rotique, introject&, devenant le socle constitutif de son appareil psychique. C'est ainsi que les conflits inhdrents h toute dynamique familiale sont devenus par introjecrion chez l'adulte, conflits identificatoires, conflits entre instances (pensons au th~me du surmoi ~ h~ritier du complexe d'CEdipe ~), formation de compromis ou organisarion caract~rielle. D& Iors, soit les progr~s de la th&apie de l'enfant se heurtent ~ la rigidit~ de la dynamique familiale et la th&apie apr~s un d~marrage encourageant tend ~ stagner, soir l'0¢olution de l'enfant au cours de sa th&apie, trop rapide et radicale met en danger la dynamique familiale ou l'un des parents, entratnant la rupture pr& matur& de la th~rapie, c'est-~t-dire avanr que l'enfant ait pu en introjecter durablement tousles bdn~fices. Pour autant, les consultations thdrapeutiques analyriques ne doivent pas &re confondues avec les th&apies familiales, lesquelles visent principalement un assouplissement ou une meiUeure structuration de la dynamique familiale et se donnent pour cela les moyens~de leurs vis&s, soit des rencontres rdguli~res du groupe familial, en dvitant le plus souvenr les enrreriens individuels. Dans le cas des consultations th&apeutiques, le travail vise en principe, l'enfant lui-m~me. Les enrreriens avec les parents soit ensemble, s0it s~par~ment ; en prdsence de l'enfant ou sans lui, ne visent pas, du moins direcrement, une modification de la dynamique familiale, mais s'efforcent d'appr&ier, ce qui dans celle-ci, ou dans l'organisation psychique de l'un des parents, s'oppose aux ddpassemenrs chez l'enfant, de certaines positions libidinales. Marie-C&ile et Edmond Ortigues ont montr& dans un livre [2] important consacrd aux entretiens prdliminaires, que l'une des vis&s principales de ceux-ci (mais c'est rout aussi vrai des consultations th&apeutiques), consisre ~ aider les parents ~iprendre conscience de ce que les auteurs nomment l'envers de la demande, soit (je les cite) ,~le versant inconscient de leurs voeux [...], complice des troubles de t'enfant lequel en constitue la racine, mais ils ne le savent pas ~. Cette, complicitd ~)inconsciente des parents vis-a-vis des troubles de l'enfant pour lesquels pourtant ils consultent, existe ~ldes degr& variables : - simple cicatrice dans certains cas, d'une probldmatique infantile incompt&ement ddpass& chez le parent, elle c~dera alors facilement fi une simple allusion interpr&ative ; - dans d'autres cas au contraire, cette comphck~ avec la pathologie de l'enfant est en rapport avec ce qui constitue le fondement mSme de leur organisation psychique. Dans ces cas, il faudra s'attendre ~ un travail beaucoup plus patient et laborieux, les progr~s de l'enfant ne pouvant 352
pas devancer de trop loin la r~organisarion de la psych~ parentale, au risque de provoquer sa d&ompensation. Darts ces situations, il est iUusoire de proposer une th& rapie h l'enfant pr&lablement ~tun long travail par consultations th&apeutiques, au cours desquelles au moins Fun des deux parents pourra peut.&re envisager, parall$1ement ala theraple de I enfant, un ce tal travail sur lui-m~me, supposant parfois u n e modification profonde dela dynamique familiale, voire des sdparations. Ceci me paralt le cas, de fa$on exemplaire, dans les families psychosomatiques, Cette topique des consultations th~rapeutiques,, ouvertes ~ sur ta dynamique familiale, permet de poser de fa$6n originale et beaucoup plus souple la difficile question de la gestion des secrets. En effet, dans le cadre des psychanalyses et des thdrapies in~viduelles, l a r~gle la plus ordinairement appliqu& suppose que le th~rapeute n'ait pas ou plus d'entretien avec un membre de la famille, hors la presence de l'enfant. Celle-ci a des justificauons theonques indiscutables : la premiere, nous re. nons de le volt, est le maintien d'une topique ~,close ~ du cadre th~rapeutique en rapport avec la d~cision de travalller sur la ficnon d ~ appared psyc~que re auvement clos. Du m~me coup, elle met le ~&apeute dans une situation relativement con_fortable par rapport au problSme des secrets qm pourrait luii&re confids au sujet de l'enfant, ou d u conjoint, sans que celui-ci le sache. D ans le cadre des therapies familiales, une rSgle dquis'efforcent dans valente e~ste pulsque . . . .l e.s therapeutes . . . . toute la masure du possible d'6viter d'avoir des entretiens individuels avec un membre du groupe familial, le syst~me dos privilfgifi &ant dans ce cas celui de la dynamique familiale. Certains ~&apeutes &endent aux consultations th& rapeutiques c~te r~gle du refus d'entendre les parents hors la pr&ence de l'enfant, d~s lots qu'ils ont regu celui,ci une premiere fois individuel~ement. Ce n'est pas la position que nous soutenons :fen effet, sieUe a le m6rite de la clart~, elle s'av&e dans un.certain nombre de cas incompatible: avec les particularit~s de certaines configurations famili~es, La bonne conscience d'avoir respecte une regle formelle ne compense pas les xmpasses oules ruptures que cette exigence inco~ditionnelle peut occasionner. Dans ce cas, ce n'est pas le cadre formel qui prime sur l'exigence m&apsychologique, mais la r6flexion metapsyc ologlque qm pousse a ~enoncer h une r~gle formelle chaque lois qu'elle se r&~le inadapt& la dynamique du travail thdrapeutique. Tout se passe comme si darts ces cas le ~6rapeute acceptait de ~ipr&er ~ son appareil psychique, pour y contenir provisoirement en d6p6t des informations plus '" t ou moins cruciales qui ne peuvent pas, "uans l "~mmeam, sous peine de d&ompensation grave de la dynamique •
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familiale, &re mises en commun. Pourtant, le fait d'adresser cette confidence au th&apeute qui dcoute dgalement le c o n j o i n t e t l'enfant, constitue comme l'&auche d'une levee du divage, ce qui suppose qu'on lui fair confiance pour en faire le meilleur usage : non pas la communiquer directement ~ u n autre membre de la famille, mais commencer ~l introjecter l'information non partageable par tous, dans son propre appareil psychique, qui tend par l~l, fi fonctionner provisoirement comme l'espace transitionnel dEfaillant dans ces families. Dans de telles situations, nous sommes amen& ~t consid&er que confiance et respect dus fi chacun ne peuvent se resumer ~t un simple ,, code de bonne conduite ~, mettant en jeu des r~gles formelles.
le tempo des consultations th(~ra peutiques : entre urgence et patience Si le n ~ m e des sdances d'analyse est staccato (c'est-~tdire ~t la fois rapide et rEgulier), on dira du tempo des consultations th&apeutiques qu'il est a d libitum, c'est~-dire laissE ~t l'appr&iation de l'interpr&e. Les mElomanes savent que ce sont dans les passages ad libitum que s'appr&ient le mieux l'art, la personnalitE et l'adEquation de l'interpr&e avec l'muvre. ~i l'inverse, c'est aussi l~t que se rEv~lent le plus crfiment les fautes de gofit, voire les contresens. Alors que dans un cas le rythme impose decide du sens de la sequence, dans l'autre, c'est le sens qui guide les subtiles variations du tempo. Ce pourquoi celui-ci n'est pas codable par le compo~:iteur de faqon formelle. Pour autant, remarquons que cette ~,libertE ~ offerte ~t l'interpr&e est tout sauf une carte blanche hiss& ~t son narcissisme. Elle suppose, bien/tu contraire, une capacitd d'identification au compositeur, le passage ad libitum ne devant pas venir en rupture avec l'ensemble de la structure et de la dynamique de l'oeuvre. Le psychanalyste en consultation th&apeutique est cet interpr&e confrontE ~l une partition ad libitum. Sa libertE interpretative, les particularit& les plus intimes de son style et de son &oute sont, elles aussi, au service d'une partition &rite par d'autres. Ce pourquoi, ~tHssue de la premiere consultation, la fixation de la date de la suivante est un moment tout fi fait crucial qui ne peut pas, ne devrait pas, &re laissE ~t la routine. M o m e n t de vEritE o~l se lauge en secret l'investissement de l'analyste, l'implication ou les resistances du petit patient et de ses parents. Marie-CEcile et Edmond Ortigues proposent de s'en remettre purement et simplement ~tl'avis du consultant par respect pour son tempo personnel. Mais les choses se compliquent de ce qu'il y ale plus souvent deux, voire JOURNAL DE P~DIATRIE El" DE PUI~RiCULTURE n°6 - 1997
III
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trois int&essds. Alors, quel tempo privilEgier ? Et pourquoi, dans la decision, nEgliger l'expression de l'investissement de l'analyste ? Curieusement, en cas de ddsaccord entre le p~re et la m&e, ils semblent choisir de privildgier le choix du plus ~ resistant ~ des deux. Je m'arr&e un instant sur l'un des exemples qu'ils proposent, parce qu'il vanous permettre de saisir tout l'enjeu et la complexitE du ddbat. II s'agit d'une consultation demand& par un jeune couple pour leur petit garcon de 3 ans ,, qui Epttise sa m~re par son instabilitE et ses gestes ravageurs ,,, alors que le p~re s'inqui&e peu et trouve que la m&e exag~re. La m~re s'implique beaucoup dans l'entretien et semble y trouver un grand int&&. A la fin de la consultation, la thErapeute qui a senti cet investissement et pense qu'elle bEnEficierait d'un nouvel entretien dans un dElai raisonnable (2 ou 3 semaines) se tourne vers elle pour lui demander quand eUe souhaiterait revenir, le p~re qui s'est jusqu'alors tr~s peu impliquE, intervient pour dire : , Dans 6 tools, dans 6 mois ce sera bien ,,. La m~re acquiesce. La thErapeute prend acte du dElai ainsi fix& Les auteurs argumentent alors pour dire que c'&ait la seule attitude raisonnable, sous l'argument qu'fi ce stade la thErapeute manquait de tout ElEment fiable pour savoir ce qui se passerait dans le cas off elle n'aurait pas respectd cette demande du p~re : ,, en insistant, concluent-ils, on agirait aveuglEment ~. Or, lorsqu'on relit attentivement l'argumentation des auteurs, on s'aperqoit qu'ils ne se contentent pas, comme ils le pr&endent, d'acquiescer fi la proposition de celui qui a parle le premier et le plus fort, mais que leur choix de prendre acte du dElai long propose par le p~re rEsulte en fait d'une hypoth~se interpretative qu'ils retiennent dans l'&at actuel du travail comme la plus probable, hypoth~se parfaitement defendable et que faute d'avoir participd ~t l'entretien nous n'avons par d'argument pour contester, l~coutons-les : - ,, En effet, il se pourrait que ce p~re ne prenne pas, dans la vie familiale, la place qui lui reviendrait, celle de mettre des limites ~ l'enfant, de s'interposer entre lui et sa m~re. ,, - ~,I1 se pourrait que la m~re fasse obstacle ~ ce que ce p~re occupe la place qui apaiserait l'enfant et la soulagerait.
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- , II se pourrait que cet homme se retire du jeu conflictud parce que dans son passE, toujours les femmes ont Etd maitresses de ce genre de jeux. ,, - ~ I1 se pourrait que, pour une fois peut-&re, pour la premi&re lois (qui salt ?), non seulement il donne son avis mais decide pour son ills. ,, - ,, I1 se pourrait que la consultation ait permis l'Emergence de ce moment dE ,,. Et les auteurs continuent encore plusieurs lignes dans 353
PSYCH[ATR~E ET PSYCHOLOG[E
le m~me registre, consistant ~privildgier Hnterpre'tation selon laquelle l'intervention du p~re h la fin de l'entretien, tdmoigne de sa soudaine d&erminarion ~i occuper enfin sa place paterneUe. Le contredire alors dquivaudrait ~i'r&ister ~ice mouvement jugd par les auteurs, qui sont lacaniens, de bon augure pour l'enfant. Apr~s tout, cette interpr&ation est parfaitement plausible et darts ce cas leur attitude sage, puisqu'elle a valeur de caution d'un mouvement psychique qu'its jugenr favorable. Mais du coup l'argument selon tequel on ne pouvait pas fake autre chose, sinon d'acquiescer fi la demande, faute d'en savoir suffisamment fi ce stade du travail, se renverse : l'argument du respect du tempo du patient, en sol respectable, n'est que le cache mis~re d'une option interpr&ative qu'ils adop~ent sans l'avouer vraiment. I1 faut d'ailleurs remarquer qu'ils choisissent un tempo contre l'autre, celui du p&e contre cetui de la m~re, sous l'argument que t'un est latent, non formul~ clairement, alors que l'autre est proclam& Ils ndgligenr ce faisant l'hypoth~se selon laquelle ~ il se pourrak ~ (pour s'exprimer comme eux) que la m~re soit pr&e, en ce moment, ?i se faire aider et que leur attitude puisse &re v&ue par elle, qui s'est tant i m p l i q u & pendant l'entretien, comme un ~ l~chage ~ ; que le d~sir du marl de surseoir la consultation puisse tdmoigner, non pas d'un souhait d'occuper sa place parernelle, mais au contraire d'un d&investissemenr maintenu vis-~t-vis de son enfant. J'ai serrd d'un peu pr& la discussion de cet exemple, parce qu'il montre que m~me chez des auteurs attentifs ~t la complexitd des enjeux respectueux de la demande et du tempo de leurs patients, pr&s h affiner leur analyse, on aboutit pour finir ~t une simplifcation outranci~re des enjeux ~ &onomiques ~ lorsqu'on se cache derriere des r~gles formelles qu'on voudrait gdndralisables. Chacun aura compris que ne sonr ici contestds ni les hypoth&es interpr&atives, (c'est le neff du travail de l'analyste), ni les mouvements contre-transf&entiels (qui n'en a pas ?), nile privilege accordd ~icertaines options thdoriques (que celui qui n'a passes ~,dadas ~ jette la premiere pierre). Ce qui est discutd, c'est que tout cela fonctionne de fa~on parfaitement souterraine, infraconsciente, en se rationalisant derri&e l'alibi du respect du tempo du patient repdrd, unilatdralement par la seule demande explicite. Encore faut-il noter qu'ici comme presque toujours, du moins depuis quelques anndes, le souci du tempo est exclusivement lid ~t la peur d'aller trop vite, et presque jamais ~icelle, en ratant le moment favorable de l'&oute et de l'interpr&ation, de se faire complice des r&istances et de faire perdre un temps pr&ieux an patient. Au nora du souci de ne pas brusquer la demande, pour ne pas exacerber certaines rdsistances (souci dminemment respectable), il me semble qu'on en est venu aujourd'hui 354
~tndgliger le risque inverse qui est de rater certains moments d'ouverture favorable, avant que les r&istances, les bdndfices secondaires et autres cuirasses caract&ielles se consolident. Freud note une tendance spontan& du sympt6me, d'abord labile parce que g~nant pour le moi du sujet ~i &re rapidement intdgrd dans le moi, ce qui diminue le ddplaisir qu'il occasionne, mais tend ~ entraver notablement les capacit& et la mobilitd psychique; prdludant des organisation caract&ielles rigides bient6t fix&s par les nombreux bdndfices secondaires qu'elles permettent d'acqu&ir. Darts uri travail pr&~dent intituld Urgence en clinique infantile, j'avais essayd de montrer que, chez l'enfant, temporiser n'est pas toujours la vole de la sagesse et que dans bien des cas, la rapiditd de l'ouverture iinterpr&ative alors que les bdndfices secondaires et les 0rganisations caractdrielles n'&aient pas fix&s, &ait fondamentale. L'inconscient est intemporel certes, rnais 1a vie est courte. Si la patience est une vertu psychanalytique, il me semble que l'hygi~ne mentale de l'analyste devrait le rendre attentif ~i ce que celle-ci ne se mette pas trop au service de l'inhibition. I1 semble que la tendance actuelle dans la formation des psychanalystes est d'encourager la prudence et de privildgier en toute occasion la contenance sur l'dlucidation interpr&ative des contenus repr&entatifs. Dans ce dernier domaine, celui de l'interpr&ation, l'heure me parait k la pusillanimit& O n a tellement peur d'interpr&er trop t6t qu'on en vient h ne plus interpr&er du tout. Mais l'id& qu'on puisse hisser passer le bon moment semble aujourd'hui pour beancoup une absurditd, sans doute du fait d'un malentendu ~ propos de l'intemporalitd de Finconscient. Que l'inconscient soit intemporel ne signifie pas que l'histoire du sujet le soit, laquelle fait alterner des moments d'ouverture et de rdsistance ~t la dynamique inconsciente. La premiere rencontre avec un psychanalyste peut constituer u n de ces moments d'ouverture qu'il serait paradoxal de ndgliger ! C'est un point qui avait retenu l'attention de Freud. Darts le Ddbut du traitement (1913), il &rit: ~ Mdfionsnous de tousles malades qui retardent le ddbut du traitement. L'expdrience montre qu'apr& expiration du ddlai qu'ils ont fixd, ils ne se pr&entent pas m~me si ledit ddlai (ou plut6t la rationalisation de son motif) apparait tout h fait justifid aux yeux de l'analyste inexp&iment& ~ [1]. En quoi consiste l'interpr&ation du psychanalyste au cours d'une consultation th&apeutique ?Je la compare, disait Winnicott* ~ ces situations o/l durant son jeu, un enfant s'est pris dans un buisson d'dpineux : Plus il crie et se ddbat, plus il s'enfonce dans le buisson et se ligote. JOURNAL DE PEDIATRIE ET DE PUERICULTURE n° 6 - 1997
PSYC H JATRII E ET PSYC H O LO G t ~!
L'intervention du psychanalyste est alors semblable ~t celle de cet adulte calme mais rEsolu qui le rejoint, d& dramatise les choses puis dEcroche une fi une, de ses v&ements et de sa peau, les dpines qui le retiennent prisonnier. I1 ne lui reste plus qu'fi l'encourager ~ireprendre son jeu. Gageons que la prochaine fois il s'enfoncera moins profondEment dans le pi~ge ! Si j'aime tant la simplicitE biblique de cette parabole, c'est qu'elle montre que la patience et la dElicatesse n'excluent pas n&essairement la determination ~tintervenir, &entuellement dans une certaine urgence. Et qu'~t son tour, cette determination permet souvent de faire l'Economie d'une emprise thErapeutique trop lourde et trop prolong&.
le ~, m ~ t i e r ,, du p s y c h a n a l y s t e Si la pratique des consultations thErapeutiques analytiques ne peut obEir on vient de le voir, ~i des r~gles formelles applicables par tous et enseignables dans un pr& cis de technique analytique, on aimerait dire qu'elle suppose qu'au fil des ann&s et des experiences le psychanalyste se soit efforcE d'acqudrir ce que les artistes nomment d'un terme k la fois humble et tier : ~ du m& tier ~. Qu'est-ce que le metier, en effet, sinon cette somme d'exp&iences et de rEflexions accumul&s depuis l'Ecole, tant par la pratique que par la frEquentation des livres et de ses pairs, mais qui a dtE peu ~tpeu introject& pour faire corps avec ce que le praticien (ou l'artiste) porte en lui de plus personnel, de moins communicable. REflexion cent fois entendue dans les galeries de peintures, les soirs de vernissage : ~t l'admirateur qui demande des pr&isions sur les procddEs techniques rendant un tel sentiment de mahrise, le vieux peintre
*Communication orale de Winnicott lors de ['un de ses derniers sdjoursfiParis, qui m'a obligemment &drapportde par Raoul Matu'y.
JOURNAL DE PE~DIATRIE ET DE PUERICULTURE n ° ~ - 1997
desserrant fi peine les dents, laisse tomber Enigmatique : ,~ Bof! c'est le metier ! , , . Sans doute la difficultE de dEplier, pour l'artiste luim~me, la somme des experiences et des connaissances introjectEes dont est fait, le metier ~ rend-elle compte des effets pervers qu'a pu produire la divulgation de certains travaux ctiniques de ces deux grands artistes qu'&aient Winnicott et Fran~oise Dolto. RacontE ainsi, avec des mots de tousles jours, ~a parah tellement simple de ,~ faire du Dolto ,,. C'est que le r&it linEaire d'une consultation, surtout lorsqu'il s'adresse ~ un public de non sp&ialistes, ne permet pas de repErer ~i chaque tournant de la consultation, la somme de decisions qui sont prises secr&ement, (intervenir ou pas, avec quels mots, dans quelle vis&, avec quelles arri~re~pens&s m&apsychologiques, etc) decisions qui, comme pour notre vieux peintre, deviennent progressivement non pas proprement parler inconscientes mais infraconscientes, donnant toutes les apparences de la spontanEit& Si nous sommes surcharges de colloques et de symposiums de toutes natures, dans lesquels se transmettent les savoirs instituEs, je r&e parfois, pour les psychanalystes, de quelque Equivalent de ces ateliers un peu boh~mes dans lesquels les peintres du si&le dernier se recevaient mutuellement, et o~l, dans la bonne odeur de peinture fraiche, loin des rivalitEs et des parades narcissiques des galeries fi la mode, on discutait ~, metier ~.
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J Freud S. Le d6but du traitement (1913). In : La tech- I nique psyehanalytique. Paris : PUF trad fr 1953:83 I Ortigues MC, O~igues E. Comment se d6cide une psychoth6rapie d enfant ? Paris : Deno~l, 1986:25
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