Consultation « Équilibre et instabilité à la marche » : de la nécessité d’un travail en réseau

Consultation « Équilibre et instabilité à la marche » : de la nécessité d’un travail en réseau

NPG Neurologie - Psychiatrie - Gériatrie (2013) 13, 10—18 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com DOSSIER : PRÉVENTION DES CHUTES Consultati...

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NPG Neurologie - Psychiatrie - Gériatrie (2013) 13, 10—18

Disponible en ligne sur

www.sciencedirect.com

DOSSIER : PRÉVENTION DES CHUTES

Consultation « Équilibre et instabilité à la marche » : de la nécessité d’un travail en réseau夽 Consultation ‘‘Balance and walk instability’’: The need for networking

C. Paumard Médecin généraliste, capacitaire en gériatrie. 6, rue Chevreul, 53170 Meslay-du-Maine, France Disponible sur Internet le 1 septembre 2012

MOTS CLÉS Analyse de la marche ; Prévention des chutes ; Marche et cognition ; Réseau ; Troubles de la marche

KEYWORDS Gait disorders; Gait analysis; Prevention of falls; Gait and cognition; Network



Résumé La mise en place d’une consultation « équilibre et instabilité à la marche » dans le cadre d’un travail en réseau en médecine libérale permet d’analyser les causes d’un trouble de la marche. Cette consultation pluridisciplinaire se déroule en quatre étapes : un autoquestionnaire, un bilan infirmier, un examen médical complet et une analyse instrumentale de la marche. Cette démarche exhaustive permet de détecter précocement des patients exposés à un risque de chutes et de déceler parmi ceux-ci un état prédémentiel, notamment grâce à l’épreuve de marche en double tâche. Elle permet également d’orienter les patients, et notamment d’envisager des mesures préventives et rééducatives adaptées et personnalisées. Une étude est en cours et, à ce jour, une trentaine de patients ont été inclus ; un recrutement plus large s’avère nécessaire pour confirmer l’intérêt et valider ce réseau qui vient de se mettre en place. © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Summary The establishment of a consultation ‘‘balance and walk instability’’ as part of a working framework in liberal medicine to be used to analyze the causes of gait disorders. This multidisciplinary consultation is in four stages: a self-administered questionnaire, a nursing assessment, a comprehensive medical examination and an instrumental analysis of gait. This comprehensive approach allows early detection of patients at risk of falling and reduces the predementia state among them, notably when experiencing double-task walking. It also helps guide patients towards preventive and rehabilitative treatment adapted to their personal needs. A study is under way, and to date 30 patients have been included: a wider recruitment is necessary to confirm and validate the results when this network is set up. © 2012 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Article rédigé dans le cadre du Diplôme d’université de prévention du vieillissement pathologique 2011—2012 (Bicêtre—Paris Sud 11). Adresse e-mail : [email protected]

1627-4830/$ — see front matter © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.npg.2012.07.012

Consultation « Équilibre et instabilité à la marche » Les troubles de la marche et de l’équilibre sont des facteurs de chute, de perte d’autonomie, de morbidité et de mortalité. Par ailleurs, le lien entre leur apparition et la survenue d’un déclin cognitif et d’une démence à cinq ans est bien établi [1]. La vitesse de marche est un paramètre prédictif de mortalité à six mois lorsqu’elle est inférieure à 0,6 m/s chez des patients atteints de coronaropathie [2]. À moins d’un mètre par seconde, les risques de mortalité et d’hospitalisation à cinq ans sont augmentés de 50 à 60 % [3]. Cela explique que la vitesse de marche figure dans beaucoup d’échelles évaluant la fragilité, mais l’étude de la marche ne doit pas se résumer à la mesure de la vitesse. Depuis de nombreuses années, il est reconnu que différents paramètres de la marche sont plus pertinents que la simple mesure de la vitesse. Parmi ceux-ci, la variabilité du cycle de marche semble la plus fiable [3—7]. Impliquée depuis de nombreuses années dans cette problématique de l’analyse ambulatoire de la marche, une équipe libérale mayennaise a décidé de créer une consultation spécifique : « équilibre et instabilité à la marche ». L’objectif est de mettre au service des patients présentant un trouble de l’équilibre et une instabilité à la marche une consultation spécifique et un réseau accessible à la disposition du médecin traitant.

Matériel et méthodes La consultation se déroule en quatre étapes : • le patient est invité à remplir deux autoquestionnaires comportant : ◦ l’échelle Dizziness Handicap Inventory (DHI) [8] destinée à évaluer la symptomatologie vertigineuse et sa répercussion physique, fonctionnelle et émotionnelle. Cette échelle validée a été traduite en franc ¸ais par Jean-Pierre Demanez. Elle comprend 25 items cotés 0, 2 ou 4 selon la réponse « Jamais », « Parfois », « Souvent » à chaque item (Annexe 1). Les items étant classés en trois catégories selon le type de retentissement (physique, psychologique ou social), il est possible, en plus du score global, de définir des sousscores catégoriels, ◦ le Hospital Anxiety and Depressive Scale (HAD) [9] qui est une échelle à sept items d’anxiété et sept items de dépression cotés chacun de 0 à 3 (Annexe 2) ; • un bilan infirmier est réalisé ensuite. Il comprend : ◦ un interrogatoire, qui porte sur les plaintes fonctionnelles du patient, ses antécédents en mettant l’accent sur : les chutes antérieures, la peur de chuter, la polymédication et notamment la prise de psychotropes, les problèmes de santé générale, les pathologies d’organes, les atteintes sensorielles et l’activité physique habituelle du patient, ◦ des tests cliniques : - la recherche d’une hypotension orthostatique considérée comme significative si elle supérieure à 20 mmHg après une à trois minutes de station debout, - le test d’appui monopodal, celui-ci est réussi si la durée d’appui est supérieure à cinq secondes,

11 - le Timed Up and Go test (TUG), dont on rappelle qu’il est normal si le temps de réalisation est inférieur à 20 secondes, - le test de relevé de chaise, destiné à apprécier la force des membres inférieurs. Le patient doit effectuer cinq relevés de chaise sans l’aide des mains en moins de 15 secondes, - l’indice de masse corporelle, le seuil retenu étant de 19, - la recherche d’une déformation rachidienne, non réductible, avec la mesure de la flèche cervicale, pathologique si elle est supérieure à 10 cm. Cette mesure s’effectue à l’aide d’un fil à plomb que l’on place tangentiellement au sommet du pli interfessier et à l’apex de la cyphose dorsale située au niveau de T6 ou T7 ; on mesure alors la distance entre le fil à plomb et l’apophyse épineuse C7 ; • le bilan médical consiste en un examen général à orientation gériatrique et s’attache à rechercher : une pathologie neurologique, une anomalie clinique de la marche et de l’équilibre (temps d’observation de la marche), une affection ostéoarticulaire ou une pathologie cardiovasculaire ou respiratoire. • l’analyse de la marche. Elle consiste en une analyse instrumentale grâce au système Locométrix. Cette technique est utilisée de fac ¸on usuelle en aéronautique. La locométrie est réalisée en simple et double tâche. Dans la genèse du mouvement, l’accélération produite par la force musculaire précède le déplacement du segment corporel. En conséquence, une anomalie de la locomotion se traduit d’abord par une anomalie d’accélération [7]. Ainsi, le principe de la mesure des accélérations produit une meilleure sensibilité pour détecter les défauts locomoteurs. Le système Locométrix est une méthode de nature cinétique basée sur l’enregistrement des accélérations en région lombaire, médiane, proche du centre de gravité de l’homme en position debout. La méthode instrumentale choisie offre l’intérêt de la simplicité de la mise en œuvre. En effet, le Locométrix est un appareil composé de trois accéléromètres, disposés perpendiculairement. Cet appareil est moulé dans un parallélépipède de petite taille (40 × 18 × 18 mm) et pesant 20 g. Ce capteur est incorporé dans une ceinture semi-élastique, fixé à la taille du sujet, de telle manière qu’il s’applique en région médio-lombaire, en regard de l’espace intervertébral L3-L4. Les accéléromètres s’orientent naturellement selon les axes craniocaudal, médiolatéral et antéropostérieur du sujet. Les données enregistrées sont transférées à un ordinateur de type PC, à l’aide d’un logiciel de transfert. Elles sont ensuite formatées en fichiers analysables. Le résultat s’affiche sous forme d’un diagramme (Fig. 1). Ainsi équipés, les sujets effectuent un test de marche dans un couloir rectiligne, sans repère ni perturbation extérieure, à leur vitesse dite de confort, sur une distance de 30 m aller et retour. Une telle distance autorise une analyse de la marche stabilisée, c’est-à-dire en dehors des phases de départ et d’arrêt, tout en incluant un nombre suffisant de foulées (de 19 à 20 dans chaque sens).

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Figure 1.

C. Paumard

Exemple d’analyse de la marche avec l’appareil Locometrix.

Dans notre étude, le sujet effectue une tâche primaire qui est la marche stabilisée à vitesse de confort. La vitesse de déplacement est mesurée au chronomètre. Les variables calculées sont les suivantes : vitesse de marche (m/sec), fréquence des cycles de marche (Hz), longueur moyenne des foulées (m), symétrie des pas et régularité des foulées. Ensuite, une épreuve de sensibilisation par la double tâche est réalisée. Elle consiste à faire pratiquer au patient une tâche secondaire sous forme d’un décompte à haute voix de 1 en 1 à partir de 50, tout en continuant à marcher, la priorité étant donnée à la marche.

Résultats À ce jour, 30 patients ont ainsi été étudiés (16 hommes, 14 femmes ; âge : 79 ± ans ; BMI : 25,7 ± 3,8 kg/m2 ). Chaque étape concourt à l’explication de l’instabilité à la marche. Certes, l’instabilité est souvent plurifactorielle, mais il existe souvent un facteur précipitant dominant, ce que confirme l’étude. L’analyse des résultats en cours permet d’ores et déjà d’identifier pour chaque patient une cause prépondérante à l’instabilité de la marche, qui a été le motif de consultation. Ainsi, ont été identifiés :

Consultation « Équilibre et instabilité à la marche » • huit troubles vestibulaires prépondérants pour qui le DHI était supérieur à 30 ; ces patients ont été orientés vers une consultation ORL spécialisée et pris en charge le plus souvent par une rééducation vestibulaire ; • cinq patients ayant eu une aggravation importante de l’instabilité à la marche en double tâche justifiant un bilan neuropsychologique à la recherche d’une démence ; • trois patients présentant un canal lombaire étroit nécessitant une prise en charge chirurgicale ; • un patient ayant une maladie de Charcot-Marie-Tooth II ; • un patient étant en surdosage en morphine ; • un patient atteint de rétropulsion ; • sept patients chez qui aucune étiologie prépondérante n’a été retrouvée étant pris en charge en rééducation ; • quatre patients pour lesquels aucune orientation diagnostique n’a été retenue relevant d’un suivi évolutif.

13 Tableau 1 Signes d’alerte à formaliser au stade du bilan infirmier. La notion de chutes récurrentes (plus de 2 dans l’année écoulée) La durée de séjour au sol (supérieure à 1 heure) La peur de la chute La polymédication (plus de 5 médicaments) L’hypotension orthostatique Le TUG > 20 secondes L’IMC < 19 Le relevé de chaise > 15 secondes La vitesse de marche < 0,8 m/seconde La perte de poids > 4 kg en 1 an TUG: Timed Up and Go test.

Discussion Notre discussion va surtout porter sur les tests sélectionnés et les bilans pratiqués dans notre consultation « équilibre et instabilité à la marche » afin de déterminer les améliorations à apporter. En ce qui concerne le DHI, un des médecins du réseau qui est ORL et spécialisé dans les vertiges a retenu le seuil de 30, car il estime qu’à partir de ce chiffre, il n’y a pas de faux négatifs. En conséquence, tout patient dont le score est supérieur à 30 doit être orienté systématiquement vers la consultation spécialisée et éventuellement pris en charge en rééducation vestibulaire par un rééducateur spécialement formé à cet effet. Ce seuil de 30 est considéré comme seuil de tri diagnostique. La marge est relativement large, car toute personne ne souffrant pas de trouble vestibulaire obtient à ce questionnaire un score d’environ 4. Le HAD évalue l’état thymique du patient, susceptible d’intervenir dans la qualité de la marche, en réduisant l’attention consacrée au contrôle de la marche [10]. Cette échelle est validée. Le score est le suivant : 0 à 7 = normal, 8 à 10 = modéré, 11 à 14 = moyen, 15 à 21 = sévère, pour chaque catégorie d’items (anxiété et dépression). On pourrait utiliser une échelle plus adaptée à la population gériatrique, comme la geriatric depression scale (GDS) ou le QD2A de Pichot. Il nous reste à définir, avec l’expérience et le recul, le seuil d’alerte pour ces échelles. Au stade du bilan infirmier, il nous semblerait utile d’ajouter une évaluation cognitive, par le Mini Mental State (MMSE), par exemple et éventuellement d’effectuer une évaluation gériatrique plus approfondie, de type évaluation gériatrique standardisée (EGS). De même, on peut envisager d’adjoindre un questionnaire d’activités physiques tel que celui de Ricci et de Gagnon afin d’apprécier les performances motrices du patient (Annexe 3) [11]. Quant à la mesure de la flèche cervicale, la distance habituelle est de 40 mm, chez un sujet normal. Notre médecin référent estime qu’une valeur supérieure à 10 cm est un facteur de modifications des afférences proprioceptives pouvant être en cause dans les chutes. Il est également possible de mesurer la distance entre la nuque et le mur. Pour l’ensemble du bilan infirmier, on peut discuter du nombre de signes d’alerte et de leur pertinence respective ;

il faudra instaurer une cotation et hiérarchiser les données recueillies lors de l’interrogatoire. C’est sans doute là la question à travailler pour améliorer l’exploitation de ce bilan. On peut ainsi dresser un tableau provisoire des signes d’alerte à formaliser au stade du bilan infirmier en dehors des autoquestionnaires (Tableau 1). La vitesse de marche a fait l’objet de nombreuses études et elle est considérée comme normale pour des valeurs comprises entre 1,3 et 1,6 m/s chez l’homme et 1,3 et 1,5 m/s chez la femme [7]. Il est usuel d’observer une diminution de vitesse de marche dès l’âge de 50 ans, dans les deux sexes cette réduction est diversement chiffrée, elle va, selon les auteurs, de 7 % à 12 %, voire 16 % par décennie [7]. La réduction de la vitesse de marche avec l’âge est essentiellement liée à la diminution de la longueur des pas car la cadence reste la même [1]. La fréquence des foulées est, en effet, relativement constante et bien qu’elle reste plus élevée chez la femme en général que chez l’homme, celle-ci reste identique quel que soit l’âge [1]. Cette constance rend cette variable facilement utilisable pour quantifier la dégradation de la marche. L’asymétrie de la marche est le plus souvent en relation avec une pathologie rhumatologique, c’est ainsi que la coxarthrose et la gonarthrose entraînent une baisse de la symétrie en corrélation avec les indices algofonctionnels de Lequesne [7]. La régularité des foulées, dont l’altération est dénommée variabilité par la plupart des auteurs, est sans doute un paramètre plus intéressant dans le déterminisme des chutes de la personne âgée. Il a en effet été observé une augmentation de la variabilité chez les sujets âgés chuteurs en comparaison avec les groupes témoins. Cette variable est souvent considérée comme prédictive du risque de chutes, d’autant plus qu’elle n’est pas liée au sexe ni à l’âge, chez les sujets sains et actifs [7]. Ces considérations rendent compte de la nécessité de ne pas se contenter de la vitesse de marche comme critère principal pour apprécier la dégradation de la marche du sujet âgé et obligent à prendre en compte d’autres paramètres, notamment la variabilité des foulées, dont on vient de dire qu’elle était l’élément le plus pertinent. Verghèse et al. [12] ont démontré que la mesure quantitative

14 de la marche pouvait se résumer à trois items ; la vitesse de marche, la fréquence du pas et la variabilité des foulées. Si la vitesse de marche est facile à mesurer avec un simple chronomètre, en revanche la variabilité du pas ne peut être mesurée cliniquement et son appréciation nécessite la mise en œuvre d’une technique instrumentale comme le Locométrix [6]. Les méthodes instrumentales de l’analyse de la marche sont classées en deux catégories, cinématiques et cinétiques : • les méthodes cinématiques renseignent sur les mouvements à l’aide d’enregistrements vidéos ; • les méthodes cinétiques informent sur les caractéristiques dynamiques des mouvements [7]. Dans ce réseau, on a opté pour l’utilisation du Locométrix qui fait partie des méthodes cinétiques. D’autres méthodes consistent en l’utilisation de semelles baropodométriques ou de tapis de pression, qui permettent de quantifier de manière plus précise des troubles de la marche du sujet dément en calculant par exemple le temps de double appui et la largeur du pas. Mais cet équipement est onéreux. L’adjonction de cellules photo-électriques pourrait permettre une mesure plus précise de la vitesse de marche que le chronomètre. Dans d’autres centres (13 centres en France dont Angers, Rennes et Nantes dans l’Ouest), une autre technique, de type cinématique, est employée. Elle consiste en une piste d’analyse métrologique de 8 m de long, quadrillée de capteurs de pression activés au passage du patient. Ce réseau est relié à un ordinateur qui traduit les données en paramètres spatio-temporels. Les paramètres étudiés sont la longueur du pas, l’écartement et l’angulation des pieds, la vitesse, la cadence, la variabilité des temps de cycles et des différentiels entre les pas droits et gauches ; deux caméras vidéos enregistrent la démarche dans les plans frontal et sagittal. Cette technique a l’inconvénient d’être plus onéreuse et moins maniable et nécessite de disposer de locaux et d’installations plus importantes. L’épreuve se déroule à allure normale ou à allure rapide, en simple et en double tâche (décompte et fluence verbale). La double tâche est une épreuve de sensibilisation. La marche est un acte moteur en rapport avec un automatisme acquis relevant de la mémoire procédurale, implicite [3]. Cette automaticité est surtout nette chez l’enfant de plus de huit ans et l’adulte jeune, car chez le jeune enfant comme chez la personne âgée, la marche sollicite plus de ressources attentionnelles [3]. Ce recrutement attentionnel témoigne d’un niveau de contrôle cortical qui, certes en assure la fonctionnalité, mais la fragilise. Cette fragilisation est mise en évidence par les épreuves en double tâche qui en désorganisent le contrôle moteur. L’épreuve du stop talking while walking, couramment utilisée en clinique en est la parfaite illustration [1,13—15]. Le paradigme de la double tâche repose sur l’hypothèse que deux tâches réalisées simultanément interfèrent si elles utilisent des sous-systèmes fonctionnels et/ou cérébraux identiques [3]. Ces épreuves de sensibilisation ont deux intérêts : • détecter ou prédire un risque de chute ; • diagnostiquer précocement une démence infraclinique. En effet, récemment certaines études suggèrent que les

C. Paumard troubles de la marche seraient les premiers à apparaître chez les malades et précéderaient les détériorations cognitives du patient. On peut imaginer que l’analyse de la marche permettrait d’identifier plus précocement les patients à risque d’évolution démentielle et pourrait devenir un diagnostic préclinique de la maladie [14]. Différents auteurs ont montré que les épreuves en double tâche modifiaient la qualité de la marche chez les patients qui présentaient des troubles cognitifs. Ils ont bien montré que la diminution de la vitesse était moins significative que l’augmentation de la variabilité de la marche [3]. L’amplitude de cette augmentation est corrélée à la complexité de la tâche imposée [4]. Cette modification est significativement plus importante dans les troubles cognitifs que lors du vieillissement physiologique. En effet, à un stade évolué de la démence, les troubles de la marche sont expliqués par une atteinte extrapyramidale (sous-corticale). En revanche, à un stade précoce, c’est l’atteinte corticale touchant des aires associatives non impliquées directement dans la motricité qui expliquent les troubles [14]. Il semble notamment que l’atteinte des fonctions exécutives entraîne une variabilité du pas et du temps du cycle de marche [3]. L’épreuve de double tâche la plus efficiente est le décompte plutôt que les épreuves de fluence verbale [3]. L’explication semble être liée au fait que le décompte est assimilé à une tâche de mémoire de travail alors que la fluence verbale est une tâche de mémoire sémantique en lien avec les fonctions exécutives plus tardivement touchées. Certains auteurs vont même plus loin en définissant un modèle spécifique de troubles de la marche pour chaque profil cognitif ; mais des recherches recrutant de plus grandes cohortes sont nécessaires pour valider ces hypothèses [16]. Ainsi, dans les démences vasculaires, les anomalies de la marche sont souvent cliniquement apparentes à un stade précoce alors que les patients Alzheimer conservent une marche stable jusqu’à un stade évolué [15]. Cette notion est cependant encore en discussion. D’autres auteurs ont montré que les atteintes de la marche étaient plus répandues chez les sujets atteints d’un MCI-a (amnestic) (31,5 %) que chez les MCI-na (19,4 %) contre 16 % chez les sujets témoins [17]. Il faudrait également développer le suivi de la rééducation des patients. En effet, l’étude instrumentale de la marche peut être utilisée comme instrument de suivi de la rééducation par la méthode du feed-back [3], ce qui permet de motiver le patient. Il serait intéressant d’améliorer ce suivi pour étudier le devenir des patients ayant fait l’objet d’une rééducation. Le recrutement d’un plus grand nombre de patients est indispensable pour pouvoir tirer des conclusions plus précises. Il est donc nécessaire d’élargir ce recrutement en faisant connaître ce réseau à l’ensemble des généralistes du secteur. Il est nécessaire de les inciter à adresser leurs patients atteints de troubles de la marche au médecin correspondant du réseau (consultation « équilibre et marche »). Il paraît important d’informer ces professionnels de santé en insistant sur le fait que les troubles de la marche ne sont pas une fatalité dans l’avancée en âge, qu’ils sont un facteur de risque de chute et, éventuellement, un signe précoce de déclin cognitif et qu’ils peuvent être améliorés par des

Consultation « Équilibre et instabilité à la marche » interventions ciblées [18]. Cette consultation, facile d’accès et de réalisation, permet de repérer les patients qui risquent de perdre leur autonomie et ainsi de déboucher sur une démarche de prise en charge préventive et rééducative. Le réseau comprend actuellement les médecins généralistes du département, la consultation dédiée avec une infirmière, un médecin, une secrétaire et l’analyse instrumentale. Sont correspondants de ce réseau un ORL spécialisé dans les vertiges et un rééducateur spécialement formé à la rééducation vestibulaire. Il serait souhaitable d’enrichir ce réseau avec la collaboration d’un neurologue, d’un gériatre, d’un neuropsychologue, d’un kinésithérapeute s’intéressant à la rééducation de la marche. Il faudrait en outre une possibilité d’accès à des consultations spécialisées à la demande (cardiologue, psychiatre. . .). Par ailleurs, on peut envisager, une fois les seuils d’alerte du bilan infirmier bien définis, que ne seraient adressés au médecin que les patients dépassant un certain score qui reste à valider. Cette disposition permettrait d’améliorer le fonctionnement du réseau en allégeant le temps médical et en évitant le recours systématique à la méthode instrumentale. Dans le fonctionnement actuel, les quatre étapes de la consultation requièrent environ deux heures. Il faut rappeler que cet acte est remboursé par la Sécurité sociale selon les modalités du 24 janvier 2007. La cotation est PEQ P002, selon la CCAM, et le prix de 64 D.

Conclusion La prévalence des troubles de la marche dans la population générale justifie leur dépistage et leur étude approfondie à une plus grande échelle. La mise en place d’une consultation dédiée, multidisciplinaire, telle qu’elle est pratiquée à la polyclinique de Laval, nous semble à cet égard intéressante. L’analyse instrumentale est complémentaire de la démarche clinique et le système Locometrix offre l’avantage de la

15 maniabilité, du faible encombrement et d’un investissement financier modeste (l’appareil coûte 9000 D) ; il semble, à cet égard, approprié à une consultation de médecine libérale. Il nous paraît important de diffuser la connaissance de ce réseau aux médecins généralistes d’un territoire afin de l’élargir en incluant d’autres intervenants. Un plus large recrutement permettrait en effet d’approfondir la connaissance de ces troubles dans lesquels sont impliqués plusieurs facteurs. L’intérêt d’un tel réseau est d’aboutir à une démarche : • diagnostique, en permettant de détecter une pathologie prédémentielle et de la prendre en charge précocement ; • préventive, en évaluant le risque de chutes afin de prendre des mesures de prévention ciblées, notamment la mise en œuvre d’une rééducation adaptée et personnalisée puis d’en évaluer l’efficacité. L’analyse des premiers résultats est en cours et des conclusions plus précises sont attendues dans les prochains mois. La définition des seuils d’alerte, notamment lors du bilan infirmier, est en cours d’étude Elle permettra de valider et d’optimiser le fonctionnement du réseau en réduisant le temps médical et en améliorant ainsi l’accessibilité aux patients.

Déclaration d’intérêts L’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

Remerciements L’auteur remercie vivement le Docteur Bernard Auvinet (Polyclinique du Maine, 53000 Laval ; e-mail : [email protected]) pour son aimable collaboration et pour la passion qui l’anime dans la mise en place du Réseau Marche Instable.

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C. Paumard

Annexe 1. Questionnaire d’évaluation de la symptomatologie vertigineuse (dizziness handicap inventory) [8].

Consultation « Équilibre et instabilité à la marche »

Annexe 2. Échelle de dépression Hospital Anxiety and Depression Scale (HAD) [9].

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C. Paumard

Annexe 3. Questionnaire pour évaluer le niveau habituel d’activité physique (Questionnaire de Ricci et Gagnon).

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