La coproculture pour diagnostiquer les diarrhées bactériennes

La coproculture pour diagnostiquer les diarrhées bactériennes

pratique |infectiologie La coproculture pour diagnostiquer les diarrhées bactériennes Les diarrhées aiguës sont fréquentes mais toutes ne sont pas in...

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La coproculture pour diagnostiquer les diarrhées bactériennes Les diarrhées aiguës sont fréquentes mais toutes ne sont pas infectieuses. Parmi les diarrhées infectieuses, certaines sont de mécanisme toxinogène, d’autres sont invasives. La coproculture doit être prescrite soit en présence de selles molles, liquides ou sanglantes, soit en présence de selles dures dans un contexte épidémiologique. L’interprétation et la prise en charge thérapeutique sont essentiellement guidées par l’expertise du microbiologiste.

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a définition d’une diarrhée aiguë, selon le référentiel en microbiologie médicale (Remic 2007), est l’émission d’au moins trois selles liquides ou molles par jour pendant moins de 14 jours. En cas de diarrhée chronique, la prescription d’une coproculture est inutile sauf chez l’immunodéprimé. Toutes les diarrhées ne sont pas infectieuses ; parmi les diarrhées infectieuses, virus, levures et parasites jouent un grand rôle. De fait, la fréquence de positivité des coprocultures est faible, de 0,5 à 14 % sur selles pathologiques.

Indications de la coproculture La coproculture est indiquée : – devant des selles molles (prenant la forme du récipient), liquides, ou hémorragiques ; – devant des selles dures, uniquement dans un contexte épidémiologique (surveillance bêtalactamase à spectre étendu ou BLSE, émission de toxines de Clostridium difficile...). Un minimum de renseignements cliniques est indispensable (adulte ou enfant ; signes cliniques : fièvre, vomissements, etc. ; contexte : notion de voyage, toxi-infection alimentaire, diarrhée dans l’entourage, traitement antibiotique, dépistage [bactéries multirésistantes ou BMR, toxines...])

Les conditions Le prélèvement (quantité : 10-20 g) est recueilli dans un récipient stérile, couvercle vissé, ou sur écouvillon pour les nourrissons. Le transport doit être inférieur à 2 h ; le pot peut être conservé à +4 °C pendant une nuit.

Examen direct La coloration de Gram est peu contributive. Mieux vaut préférer l’examen à l’état frais qui permet d’observer les leucocytes, les hématies et le polymorphisme bactérien (équilibre de la flore). Culture L’ensemencement de milieux spécifiques est indispensable.

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Physiopathologie La contamination se fait habituellement par l’eau ou des aliments contaminés par un malade ou un porteur sain. Il existe schématiquement deux mécanismes : – l’action toxinogène : diarrhées aqueuses abondantes, syndrome cholériforme (cas de Vibrio cholerae, Escherichia coli dans les pays en voie de développement, Aeromonas sp., Plesiomonas sp., C. difficile, Staphylococcus aureus, Bacillus cereus). – l’action invasive : syndrome dysentérique à Salmonella sp., Shigella sp., Campylobacter, Yersinia.

Les différents contextes clinicoépidémiologiques Diarrhées toxinogènes Ř E. coli entéro-toxinogène (ETEC) Agent de la turista, E. coli entéro-toxinogène est surtout présent dans les pays en voie de développement. Il entraîne une diarrhée de type cholériforme (diarrhées très liquides, sans sang, abondantes), liée à la présence d’entérotoxines, thermolabile et thermostable. La recherche s’effectue sur demande explicite, au retour de voyage. ŘE. coli entéro-pathogène (EPEC) E. coli entéro-pathogène est responsable de diarrhées aiguës ou chroniques, sanglantes et/ou fébriles parfois, principalement chez les nourrissons (unités de néonatalogie, crèches), mais a presque disparu des pays industrialisés. La recherche s’effectue sur demande explicite, chez l’enfant de moins de 3 ans. ŘE. coli entéro-hémorragique (EHEC), nouvellement nommé E. coli producteur de Shiga-toxines ou vérotoxines (STEC) Le sérotype O157:H7 est le plus fréquent des E. coli producteur de Shiga-toxines (puis O26, O55, O91). Les principales sources de contamination sont la viande de bœuf, le lait cru, les produits d’origine animale. Il est responsable de

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colites hémorragiques sévères, syndrome hémolytique et urémique (SHU), purpura thrombotique thrombocytopénique. Le SHU est caractérisé, après la survenue de prodromes de type gastroentérite souvent fébrile, par une diarrhée sanglante, puis une anémie hémolytique et une insuffisance rénale aiguë. Il atteint surtout les enfants de moins de 15 ans (incidence : 0,7/100 000 < 15 ans et 2,1 /100 000 < 2 ans). Il doit être recherché sur selles sanglantes chez un enfant. Ř&KRO«UD Dû à Vibrio cholerae (sérotypes fréquents O1 et O139), le choléra sévit actuellement surtout en Afrique et dans les pays en voie de développement. La transmission a lieu par l’eau et les aliments contaminés ; la toxine cholérique sécrétée dans l’intestin entraîne une violente diarrhée et des vomissements (perte d’eau et d’électrolytes pouvant atteindre 15 L/j) sans fièvre, après une incubation de quelques heures à quelques jours. Le décès survient dans 25 à 50 % des cas en 1 à 3 jours sans traitement. Le traitement consiste à compenser les pertes. Un vaccin existe, uniquement contre le sérotype O1. Il entraîne une protection de 85 % pendant les 6 premiers mois, puis de 50 % environ au bout de 3 ans. Un test diagnostique rapide par bandelette est disponible depuis 2006. ŘAeromonas sp. La répartition d’Aeromonas sp. est mondiale. La contamination se fait par l’eau de boisson (saison chaude) et les produits de la mer. Il donne des diarrhées aiguës aqueuses, fébriles, et des vomissements. Au plan biologique, il est isolé sur gélose au sang à l’ampicilline (il est résistant à cet antibiotique) ou Chromagar®. Il est oxydase +. ŘPlesiomonas sp. Plesiomonas sp. est présent dans les eaux peu salées et peu froides. Au plan clinique, il entraîne des diarrhées durant de quelques jours à 6 mois, aqueuses, cholériformes, parfois séro-sanglantes,

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et des colites pseudo-membraneuses. La contamination a lieu par consommation d’eau, de coquillages crus ou de poissons crus, par baignades en eaux contaminées, ou manipulation d’amphibiens ou de reptiles. Les milieux permettant son isolement sont les milieux Mc Conkey et SS.

Diarrhées invasives Ř Salmonella sp. Salmonella sp. est la cause la plus fréquente de diarrhées aiguës bactériennes d’origine alimentaire : 80 % des foyers de toxi-infection alimentaire (Tiac) sont dus à Salmonella sp. L’incubation est de 12 à 36 h et la dose infectante de 105 bactéries. Il existe un portage animal (volaille, porc) ; la transmission se fait par les aliments (œufs, volaille, viande hachée, laitages, fromages) ou par porteur sain travaillant dans la restauration collective. Au plan clinique, Salmonella sp. entraîne une gastroentérite avec diarrhées, fièvre, vomissements, douleurs abdominales, spontanément résolutive en 2 à 3 jours, mais entraînant dans 25 % des cas, une hospitalisation. Les complications, rares, surviennent aux âges extrêmes de la vie, chez les immunodéprimés (formes septicémiques) et les sujets drépanocytaires. Actuellement, 2 500 sérotypes sont identifiés, mais 15 sérotypes sont à l’origine de 80 % des infections. La nomenclature a récemment été modifiée, désignant une espèce pathogène chez l’homme, Salmonella enterica. Le sérotypage est établi par agglutination sur lame avec différents anti-sérums, désignant des sérovars à partir des Ag O de paroi, H flagellaire et Vi capsulaire (sérovars typhi, typhimurium, enteritidis, etc.). ŘShigella sp. Shigella est responsable de la dysenterie bacillaire, endémique en région tropicale. C’est la maladie de l’insuffisance d’hygiène. Le seul réservoir est humain ; la transmission est directe, du malade à son entourage, ou indirecte par les eaux et aliments souillés par des déjections de mouches. La dose infectante est minime : de 10 à 100 bactéries. Les quatre groupes sérologiques principaux (Ag O) sont : – groupe de Shigella dysenteriae (Amérique latine, Afrique, Asie) : 10 sérotypes (épidémies) ; – groupe de S. flexneri (États-Unis, France, mais aussi endémique) : 8 sérotypes ; – groupe de S. boydi (exceptionnel aux États-Unis et en France) : 15 sérotypes ;

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– groupe de S. sonnei, principal responsable dans les pays industrialisés (1 sérotype). L’infection touche surtout les enfants de moins de 5 ans. Après une incubation brève, surviennent des douleurs abdominales, épreintes, ténesmes, vomissements et diarrhées (jusqu’à 100 selles/j) glairo-sanglantes, purulentes, hémorragiques. La fièvre est élevée, l’état général, altéré, et le risque de déshydratation est important. Des complications de type septicémie, choc septique, perforations intestinales peuvent survenir. Une antibiothérapie est obligatoire (attention aux souches multirésistantes de S. flexneri et S. dysenteriae sérotype 1). La guérison est obtenue en quelques jours mais les patients peuvent rechuter. Il est à noter l’existence de porteurs sains.

sion se fait par ingestion de viande de porc, lait, légumes crus et est interhumaine par voie fécoorale. La bactérie est excrétée de façon prolongée dans les selles après guérison. Au plan clinique, l’infection se manifeste par une gastroentérite fébrile (T° modérée), des diarrhées aqueuses parfois sanguinolentes, des douleurs abdominales, des vomissements, voire une adénite mésentérique (tableau pseudoappendiculaire). La bactérie est à rechercher sur milieu spécifique CIN (Cefsulodine, Irgasan, Novobiocine ou gélose de Schiemann) incubé à 30 °C, et à l’aide de tests biochimiques. La résistance à la céfalotine, l’ampicilline, la ticarcilline et la pipéracilline est quasi systématique.

ŘCampylobacter sp. Première cause de gastroentérite bactérienne, l’infection à Campylobacter est cosmopolite. Le réservoir de C. jejuni est le tube digestif des oiseaux et de la volaille ; celui de C. coli, surtout le porc. La transmission est essentiellement alimentaire (contamination croisée par volaille crue, mais aussi lait cru ou eau non/mal chlorée). L’isolement de Campylobacter au laboratoire nécessite l’ensemencement d’une gélose spécifique (Campylosel®) sous microaérophilie. La recherche se fait sur demande, ou systématiquement si les selles sont liquides. Au plan clinique, l’infection se manifeste, après une incubation de 2 à 3 j, par des diarrhées liquides ± sanglantes et des douleurs abdominales, accompagnées de signes généraux (fièvre, asthénie, anorexie). L’évolution est spontanément favorable. Les complications de type bactériémie sont rares (< 1 %), un peu moins rares s’il s’agit de C. fetus. Un syndrome de Guillain-Barré peut survenir environ 3 semaines après l’entérite ; il est dû à une communauté antigénique entre le lipopolysaccharide de C. jejuni et la myéline (mimétisme moléculaire).

Interprétations de la coproculture

ŘYersinia enterocolitica La répartition géographique de Yersinia enterocolitica est cosmopolite ; l’incidence des infections est plus élevée durant les mois froids. Le réservoir des souches pathogènes pour l’homme est le porc. Y. enterocolitica est présent dans les eaux de surface et chez divers animaux. Les sérovars O:3 et O:9 sont les plus fréquemment responsables d’entérites. Y. enterocolitica se multiplie à basse température, dans les aliments conservés à +4 °C. La transmis-

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L’interprétation se réfère au Rémic 2007. Ř/DSU«VHQFHGHSalmonella spp., Shigella spp., Campylobacter spp. et Yersinia enterocolitica dans une coproculture standard est toujours pathologique. Ř/DSU«VHQFHGőEscherichia coli même en grande quantité ne doit pas être considérée comme pathologique. Seules les souches d’E. coli entérohémorragiques sécrétrices de Shiga-toxines doivent être considérées comme pathogènes. Les E. coli entéropathogènes (EPEC) sont responsables de diarrhées aiguës uniquement chez l’enfant. ŘS. aureus ne peut être impliqué dans une diarrhée aiguë de plus de 24 heures. Ř7RXWHEDFW«ULHU«SXW«HSDWKRJªQHLVRO«HGőXQH coproculture doit être considérée comme responsable de la symptomatologie. Ř7RXWH7LDFVXS«ULHXUH¢FDVGRLWIDLUHOőREMHW d’une déclaration à la direction départementale des affaires sanitaires et sociales.

Conclusion En microbiologie, la prise en charge thérapeutique est essentiellement guidée par l’expertise du microbiologiste. Toute analyse bactériologique doit comporter une interprétation, sous forme de compte rendu. Un commentaire résumant les principaux pathogènes, en fonction du contexte clinique, peut s’y substituer en l’absence de renseignements cliniques suffisants. | CAROLE ÉMILE Biologiste, CH de Montfermeil (93) [email protected] L’auteur n’a pas déclaré de conflit d’intérêt. Source Communication de V. Jacomo, Biomnis, Ivry-sur-Seine (94), 2009.

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