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Synthèse de communication en séance plénière : microangiopathies thrombotiques et médecine interne
La crise rénale sclérodermie : un modèle de microangiopathie thrombotique mécanique Scleroderma renal crisis: A model of mechanical thrombotic microangiopathy P. Legendre a , L. Mouthon a,b,∗ a Service de médecine interne, centre de référence national pour les maladies systémiques autoimmunes rares, DHU Authors, hôpital Cochin, Assistance publique–Hôpitaux de Paris, 27, rue du Faubourg-Saint-Jacques, 75679 Paris cedex 14, France b Institut Cochin, Inserm U1016, CNRS UMR 8104, université Paris Descartes, 22, rue Méchain, 75014 Paris, France
i n f o
a r t i c l e
Historique de l’article : Disponible sur Internet le xxx Mots clés : Sclérodermie systémique Crise rénale sclérodermique Hypertension artérielle Insuffisance rénale Anticorps anti-RNA polymérase III
r é s u m é La crise rénale sclérodermique (CRS) se caractérise par une hypertension artérielle (HTA) maligne et une insuffisance rénale aiguë oligo-anurique. Elle survient chez 2 à 5 % des patients sclérodermiques, particulièrement dans les premières années d’évolution dans les formes diffuses de la maladie. La survenue d’une CRS est favorisée par une corticothérapie supérieure à 15 mg/j de prednisone. L’insuffisance ventriculaire gauche et l’encéphalopathie hypertensive dominent le tableau clinique. L’insuffisance rénale peut s’accompagner d’une protéinurie modérée, sans hématurie, et, dans 43 % des cas, il existe une microangiopathie associée. Les anticorps anti-ARN polymérase III sont présents chez un tiers des patients. La CRS est la conséquence d’un remodelage vasculaire, d’obstructions artériolaires conduisant à des lésions ischémiques glomérulaires et tubulo-interstitielles. Des lésions histologiques comparables à celles observées au cours des microangiopathies thrombotiques (MAT) peuvent être observées. En l’absence d’anticorps anti-ADAM-TS-13, la CRS constitue un modèle de MAT mécanique. Les facteurs prédictifs de la survenue d’une CRS sont une progression rapide de l’atteinte cutanée dans les formes diffuses, une durée d’évolution < 4 ans, un événement cardiaque récent (péricardite, insuffisance ventriculaire gauche), une anémie de survenue récente, la présence d’anticorps anti-ARN polymérase III ou un traitement par prednisone > 15 mg/j dans les trois mois précédents. Les patients à risque de CRS doivent donc régulièrement effectuer une auto-surveillance de leur pression artérielle. Le pronostic de la CRS s’est nettement amélioré depuis l’utilisation des inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC). Elle demeure cependant une importante cause de mortalité au cours de la première année (de 18 à 36 %). La prise en charge thérapeutique repose sur un contrôle précoce de la pression artérielle sous IEC, éventuellement en association à d’autres classes thérapeutiques. En cas d’insuffisance rénale et/ou d’HTA sévères, l’épuration extra-rénale permet de contrôler rapidement la surcharge vasculaire et la pression artérielle. Le sevrage de la dialyse est possible dans environ la moitié des cas. Chez les patients dialysés au-delà de deux ans, une transplantation rénale peut être envisagée.
1. Introduction La sclérodermie systémique (ScS) est une connectivite rare, associant des anomalies microcirculatoires responsables de phénomènes de vasoconstriction et de remodelage, une accumulation de collagène aboutissant à une fibrose de divers organes (peau, poumon, tube digestif. . .) et une composante auto-immune avec l’identification d’autoanticorps.
∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (L. Mouthon).
Les groupes de l’American College of Rheumatology (ACR) et de l’European League Against Rheumatism (EULAR) (ACR/EULAR) ont développé de nouveaux critères de classification de la ScS (Tableau 1). Selon cette nouvelle classification, un patient remplit les critères diagnostiques de ScS s’il a des lésions de sclérose cutanée des doigts des 2 mains remontant au-dessus des articulations métacarpo-phalangiennes. En l’absence de ce critère, si le patient accumule sur un ensemble de 7 critères au moins 9 points : lésions digitales (doigts boudinés, sclérodactylie), cicatrices pulpaires ou pertes de substance, télangiectasies, anomalies à la capillaroscopie unguéale, HTAP et/ou pneumopathie interstitielle diffuse, phénomène de Raynaud, et/ou autoanticorps spécifiques de la ScS, il est
http://dx.doi.org/10.1016/j.revmed.2016.10.007 0248-8663/
REVMED-5251; No. of Pages 5
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Tableau 1 Critères de classification de la sclérodermie systémique (ScS) de l’American College of Rheumatology (ACR)/European League Against Rheumatism (EULAR) [48]. Item Lésions cutanées Sclérose cutanée des doigts s’étendant au-delà des articulations métacarpo-phalangiennes (critère suffisant) Épaississement des doigts (seul compte le score le plus élevé) Lésions digitales distales (seul compte le score le plus élevé) Vasculopathie périphérique Télangiectasies Anomalies à la capillaroscopie Phénomène de Raynaud Atteinte pulmonaire Atteinte interstitielle pulmonaire ou hypertension artérielle pulmonaire (score maximal = 2) Anomalies biologiques Autoanticorps en rapport avec la ScS (score maximal = 3)
Sous-item
Score 9
Doigts boudinés Sclérodactylie Ulcération digitale Cicatrices pulpaires
2 4 2 2 2 2 3
Atteinte interstitielle pulmonaire
2
Hypertension artérielle pulmonaire
2
Anti-centromère Anti-topoisomérase I Anti-ARN polymérase III
3
Ces critères sont applicables à tout patient incluable dans une étude sur la ScS. Ces critères ne sont pas applicables à des patients qui ont des épaississements cutanés épargnant les doigts ou à des patients ayant une pseudo-sclérodermie pouvant mieux expliquer leurs manifestations (par exemple fibrose néphrogénique, morphée généralisée, fasciite à éosinophiles (Shulman), sclérose diabétique, scléromyxœdème, érythromyalgie, porphyrie, lichen scléreux, réaction du greffon contre l’hôte, cheiro-arthropathie diabétique). Le score total est déterminé par l’addition des scores maximaux dans chaque catégorie. Les patients totalisant un score ≥ 9 sont classés comme ayant une ScS. ARN : acide ribonucléique ; ScS : sclérodermie systémique.
classé comme ayant une ScS. En fonction du degré d’extension de l’atteinte cutanée, on distingue : les ScS diffuses caractérisées par des lésions de sclérose remontant au-dessus des coudes et/ou des genoux et pouvant intéresser le tronc ; les ScS cutanées limitées, au cours desquelles les lésions de sclérose intéressent les extrémités mais ne remontent pas au-dessus des coudes ou des genoux ; et les formes limitées au cours desquelles la peau est épargnée. La crise rénale sclérodermique (CRS) est la principale manifestation néphrologique observée au cours de la ScS, survenant approximativement chez 5 % des patients. Les autres atteintes rénales secondaires à la ScS sont plus rares. La CRS demeure une importante cause de mortalité au cours de la première année (de 18 à 36 %), bien que son pronostic ait été amélioré par l’utilisation précoce d’inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC). La présentation clinico-biologique de la CRS associant, dans un contexte d’HTA, une élévation de la créatinine, une thrombopénie et une anémie hémolytique mécanique peut mimer celle d’une microangiopathie thrombotique (MAT) notamment d’un purpura thrombotique thrombocytopénique (PTT). 2. Définition La crise rénale sclérodermique (CRS) est la principale manifestation néphrologique observée au cours de la ScS, survenant chez moins de 5 % des patients. Elle est définie par une hypertension artérielle (HTA) maligne et une insuffisance rénale rapidement progressive, oligo-anurique, sans autre étiologie que la ScS [1]. Un syndrome de MAT se définit par l’association d’une anémie hémolytique mécanique (présence de schizocytes sur le frottis sanguin avec test de Coombs négatif) et d’une thrombopénie périphérique [2]. 3. Épidémiologie 3.1. Prévalence La prévalence de la ScS varie de 30 à 240 par million d’habitants, avec des maximums atteints en Amérique du Nord, en Australie et Japon [3]. La prévalence est en France de 138 à de 158 cas/million d’habitants ce qui fait estimer le nombre de patients adultes atteints de ScS en France entre 6000 et 9000 personnes [4,5].
La CRS était plus fréquente par le passé, atteignant 19,5 % dans une série reprenant des patients de 1972 à 1993 [6], lorsque les IEC n’étaient pas encore disponibles. Dans de séries plus récentes, la survenue d’une CRS est constatée chez 2 à 6 % des patients ayant une ScS [7–9]. 3.2. Facteurs prédictifs Les facteurs prédictifs de la survenue d’une CRS sont une progression rapide de l’atteinte cutanée dans les formes diffuses, une durée d’évolution < 4 ans, un événement cardiaque récent (péricardite, insuffisance ventriculaire gauche), une anémie de survenue récente, la présence d’anticorps anti-ARN polymérase III ou un traitement par prednisone > 15 mg/j dans les trois mois précédents. Les patients à risque de CRS doivent donc régulièrement effectuer une auto-surveillance de leur pression artérielle [10].
4. Physiopathologie Au cours de la ScS, il existe plusieurs mécanismes, encore mal élucidés conduisant à la survenue d’une CRS [11]. 4.1. Réduction du débit sanguin Si le primum movens demeure inconnu, l’initiation de la CRS semble se faire au niveau de l’intima du réseau vasculaire rénal entraînant un rétrécissement de la lumière vasculaire et une réduction du débit sanguin [12]. Des phénomènes de vasoconstriction locaux, semblables à ceux observés au cours du phénomène de Raynaud, ont été décrits, étayés par une occurrence plus importante des CRS en hiver [13,14]. La réduction du débit sanguin cortical est observée au cours de la ScS en cas de CRS ou d’insuffisance rénale progressive, alors qu’elle est absente chez les patients atteints de ScS sans dysfonction rénale [15]. Cependant, ces anomalies ne peuvent être prédites en échographie Doppler ou avec la scintigraphie rénale, seule les lésions histologiques en bulbes d’oignons autour des vaisseaux sont le reflet de la souffrance intimale [16].
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4.2. Rôle du système rénine-angiotensine-aldostérone
6. Examens biologiques
Au cours de la CRS, les taux de rénine plasmatique sont élevés, témoin d’une activation du système rénine-angiotensinealdostérone [17,18]. Par ailleurs, les séries autopsiques ont révélées l’existence d’une hyperplasie juxtaglomérulaire [18]. Ces mécanismes sont impliqués dans le développement de l’hypertension artérielle réno-vasculaire.
L’élévation de la créatinine plasmatique indique le début de la CRS et peut perdurer malgré le contrôle de la pression artérielle. Une protéinurie modérée, voire une hémoglobinurie peuvent également être observées. Dans ce dernier cas, la bandelette urinaire est en faveur d’une hématurie, mais l’ECBU ne trouve pas de globules rouges. Une MAT définie par une anémie hémolytique mécanique (présence de schizocytes sur le frottis sanguin avec test direct à l’antiglobuline [test de Coombs] négatif) associée à une thrombopénie périphérique est rapportée dans 43 % des patients ayant une CRS [26]. La thrombopénie reste cependant modérée et se corrige après correction de la pression artérielle. C’est dans ce cas de figure que la distinction entre une CRS avec microangiopathie et un PTT doit se faire. En règle, le diagnostic de ScS est connu au moment du diagnostic de CRS et le diagnostic différentiel avec une MAT auto-immune se pose très rarement. En cas de doute, de syndrome de chevauchement ou de connectivite mixte, le clinicien s’aidera de la recherche d’anticorps anti-ADAM-TS-13. Si le taux plasmatique d’ADAM-TS-13 est peu informatif car réduit chez les patients ayant une ScS avec ou sans CRS [35], l’activité de la protéase clivant le facteur Von Willebrand peut être, quant à elle, un moyen de différencier un PTT d’une CRS [36]. Au cours de la CRS, la plupart des malades ont des Ac antinucléaires. Les anticorps anti-Scl-70 sont retrouvés dans 36 % des cas [37] et sont plus fréquents en cas de ScS cutanée diffuse (58,6 %) sans être prédictifs de la survenue d’une CRS. En revanche, un tiers des patients ayant des anticorps anti-ARN-polymerase III développent une CRS [38]. De fac¸on récente, une association de ScS diffuses débutantes avec Ac anti-ARN pol III et de néoplasies de découverte concomitante a été décrite [39]. Enfin, les anticorps anti-centromères semblent très rarement associés à la CRS [32].
4.3. Endothéline-1 L’endothéline-1 (ET-1) est un acteur majeur du développement d’autres manifestations vasculaires au cours de la ScS (HTAP, phénomène de Raynaud), elle est donc impliquée également dans l’histoire naturelle de la CRS. Les patients atteints de CRS ou d’HTAP ont des concentrations plasmatiques d’ET-1 plus élevées [19,20]. Plusieurs auteurs ont mis évidence l’expression d’ET-1 [21] et de ces récepteurs A et B sur des coupes histologiques de biopsies rénales de patient atteint de CRS [20]. Cependant, la modification de la paroi vasculaire et l’élévation de la rénine plasmatique ne sont pas des conditions suffisantes au développement d’une CRS. Des évènements précipitants comme un sepsis, une déshydratation, une arythmie cardiaque peuvent déclencher une CRS [22]. 4.4. Toxiques et médicaments Certains toxiques (comme la cocaïne [23]) et certains médicaments (ciclosporine [24] et corticoïdes systémiques [25]) peuvent également précipiter la survenue d’une CRS. Ainsi, la prescription d’une dose de prednisone supérieure à 15 mg/j est associée à un risque accru de CRS, avec un risque relatif allant de 4 à 24 en fonction des études, sans qu’il soit possible de démontrer la responsabilité directe de la corticothérapie [22,26–28]. 5. Manifestations cliniques Les principales manifestations cliniques de la CRS sont liées, dans 90 % des cas, à l’hypertension artérielle et aux complications de l’hypertension artérielle maligne : céphalées, encéphalopathie hypertensive, œdème pulmonaire ou arythmie cardiaque [26]. Des péricardites et des hémorragies intra-alvéolaires ont également été rapportées [27]. La CRS peut survenir de fac¸on exceptionnelle chez des patients n’ayant pas de sclérose cutanée, c’est-à-dire ayant une ScS sine scleroderma [28,29]. D’autres manifestations sont identifiées chez ces patients : phénomène de Raynaud, doigts boudinés, frictions tendineuses, télangiectasies. La CRS peut survenir dans 11 à 14 % des cas chez des patients n’ayant pas d’hypertension artérielle [30,31]. On parle de ces patients qui développent une CRS normotensive ont le plus souvent été exposés aux corticoïdes et deux tiers d’entre eux présentent une MAT [31]. Le pronostic des CRS normotensives est réservé [25,32]. Les manifestations cliniques de la CRS peuvent mimer celle du PTT : l’encéphalopathie hypertensive pouvant se révéler par un flou visuel, des céphalées ou une fièvre centrale. Cependant, en cas de CRS, la thrombopénie étant bien moins profonde qu’au cours du PTT [33]. Le risque plus élevé de survenue d’une CRS au cours de la grossesse reste débattu [34]. L’enjeu au cours de la grossesse est de différencier la CRS d’une manifestation de pré-éclampsie ou d’un HELLP syndrome (hémolyse, élévation des enzymes hépatiques, thrombopénie).
7. Lésions histologiques Une biopsie rénale n’est pas indispensable pour poser le diagnostic et traiter une CRS. Cependant, elle peut permettre de lever un doute en cas de forme atypique ou d’une évolution défavorable afin d’exclure un diagnostic différentiel. Dans tous les cas, le contrôle de la pression artérielle et indispensable avant la réalisation du geste. Lorsqu’elle est pratiquée, elle révèle principalement des lésions de remodelage en bulbe d’oignon et des signes ischémiques (Fig. 1).
Fig. 1. Crie rénale sclérodermique. Biopsie rénale. Microscopie optique. Trichrome de Masson. Grossissement × 400. Artériole avec obstruction mucoïde et aspect en « bulbe d’oignon » [26].
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Fig. 2. Crie rénale sclérodermique. Biopsie rénale. Microscopie optique. Trichrome de Masson. Grossissement × 400. Thrombose d’une artériole signant la microangiopathie thrombotique [26].
En microscopie optique, la caspule est le siège de zones hémorragiques, d’infarctus, et parfois de lésions de nécrose corticale comme observées en cas d’hypertension artérielle maligne [40]. L’atteinte vasculaire prédomine, intéressant principalement les artères interlobulaires et les artères arquées [41]. Elle est caractérisée par un épaississement mucoïde de l’intima, parfois associé à une prolifération cellulaire myointimale donnant un aspect en « bulbe d’oignon » et pouvant conduire à la thrombose [42]. Des dépôts fibrineux ou de nécrose fibrinoïdes sont visibles dans les parois vasculaires et notamment dans l’intima, entraînant un rétrécissement et une occlusion vasculaire [42]. Cette fibrose adventicielle et péri-adventicielle permet de distinguer une CRS d’une autre cause d’HTA maligne. La nécrose fibrinoïde artériolaire et les thromboses signent la microangiopathie thrombotique chez certains patients (Fig. 2). Les anomalies qui touchent le glomérule sont liées aux phénomènes ischémiques : rétraction du floculus et hyperplasie juxtaglomérulaire [18]. Il n’y a en général pas d’infiltration cellulaire. Des dépôts d’IgM et de C3 sont retrouvés en immunofluorescence, mais n’ont pas de caractère spécifique [42].
La dose est augmentée progressivement jusqu’à normalisation de la pression artérielle et amélioration de la fonction rénale. La posologie maximale doit être atteinte en 48–72 heures et ne doit pas être modifiée en cas de dégradation de la fonction rénale, y compris si la dialyse devient nécessaire. Les IEC doivent être prescrits chez tous les patients ayant une CRS même chez ceux ayant déjà une altération de la fonction rénale en privilégiant les IEC à courte durée d’action. Les antagonistes des récepteurs de l’angiotensine II semblent être associés à un contrôle tensionnel insuffisant et ne peuvent donc pas être recommandés dans le traitement de la crise rénale sclérodermique [42,43]. En l’absence de contrôle de pression artérielle malgré le traitement IEC, l’ajout (ou l’augmentation de la dose) d’inhibiteurs calciques est nécessaire. Il n’y a pas d’efficacité démontrée de la prostacycline dans le traitement de la CRS. De plus, l’utilisation d’échanges plasmatiques n’a pas montré d’efficacité même en cas de MAT associée. Récemment un inhibiteur des récepteurs de l’ET-1 a été associé aux IEC dans une petite série de six patients, avec semble-t-il des résultats intéressants [47]. Cependant, on ne peut recommander ce traitement en l’absence d’étude complémentaire. 9.2. Hémodialyse et transplantation L’hémodialyse chronique est associée à un risque accru de décès. Cependant, un sevrage spontané de la dialyse est possible dans les deux années suivant la CRS [32]. Ainsi, c’est seulement lorsque le patient restera dialysé après 2 ans que la transplantation rénale devra être envisagée, en l’absence d’atteinte viscérale sévère. Dans une série de 260 patients atteints de ScS qui ont bénéficiés d’une transplantation, la survie à 5 ans était de 56,7 % [10]. 9.3. Prévention L’utilisation d’IEC en prophylaxie n’est pas recommandée aujourd’hui, ces derniers ne semblant pas empêcher la survenue de CRS et ayant été associés à la survenue de formes normotensives de CRS [8,32]. La mesure préventive la plus efficace semble donc de limiter la prescription de corticoïdes systémiques sans jamais dépasser la dose de 15 mg/jour et en assurant un monitoring de la pression artérielle (automesure) et de la créatininémie.
8. Évolution et pronostic
10. Conclusion
Avant les années 1980 et l’utilisation des IEC, la CRS était presque toujours responsable d’une défaillance rénale importante entraînant le décès en quelques mois. L’utilisation des IEC a considérablement amélioré le pronostic de la CRS [1] même si celui-ci reste réservé : une étude prospective récente rapporte une mortalité de 36 % de la CRS à 1 an [43], pondérant les résultats rassurant d’anciennes études rétrospectives [44]. Un certain nombre de facteurs de risque associés à un pronostic défavorable : les sexe masculin, l’âge avancé, l’œdème aigu pulmonaire, créatininémie supérieure à 3 mg/dL au début du traitement et un retard au contrôle tensionnel de plus de 3 jours [45,46]. La survie est plus importante chez les patients non dialysés, mais l’amélioration de la créatinine après une prise en charge initiale en dialyse était associée à une meilleure survie que chez les patients non dialysés.
La crise rénale est la manifestation néphrologique la plus fréquemment observée au cours de la ScS. Malgré l’utilisation des IEC, la CRS demeure une importante cause de mortalité au cours de la première année (de 18 à 36 %). Son pronostic dépend du contrôle précoce de l’hypertension artérielle par les inhibiteurs de l’enzyme de conversion, éventuellement en association à d’autres antihypertenseurs. Le diagnostic de la CRS doit être rapide et une auto-surveillance de la pression artérielle doit être effectuée chez les patients à risque de survenue d’une CRS. Une transplantation rénale peut être envisagée après deux ans d’épuration extrarénale sans possibilité de sevrage.
9. Prise en charge
Déclaration de liens d’intérêts Luc Mouthon est consultant pour le laboratoire Actelion. Il est intervenu comme orateur à des réunions organisées par les laboratoires Actelion, Roche, et Pfizer. Paul Legendre déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.
9.1. Traitement médicamenteux Seuls les inhibiteurs de l’enzyme de conversion ont démontré une efficacité dans la prise en charge de la CRS et permettent une amélioration du pronostic [45].
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