Ann Cardiol Angéiol 2001 ; 50 : 133-41 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S0003-3928(01)00010-5/SSU
Memoire original
La dissection aortique chez les Noirs. À propos de six cas congolais C. Bouramoué 1∗ , G. Kimbally-Kaky 1 , J.L. Nkoua 1 , C. Le Feuvre 2 , J. Ekoba 1 , A. Vacheron 2∗ 1 Service de cardiologie et de médecine interne, CHU de Brazzaville, BP 24247, Brazzaville, Congo ; 2 Service de cardiologie, hôpital Necker, 149 rue de Sèvres, 75015 Paris, France
(Reçu le 5 février 2000 ; accepté le 2 février 2001) Résumé Introduction – Les auteurs rapportent six cas de dissection aortique (DA). Le but du travail était de dégager les caractéristiques de cette affection et de définir le profil des patients africains. Patients et méthodes – Le diagnostic a été porté sur la base des critères cliniques et radiologiques (six cas), échocardiographiques (cinq cas), aortographiques et chirurgicaux (deux cas). Il y avait trois hommes et trois femmes, âgés en moyenne de 40,2 ± 10,6 ans (17 à 49 ans). La fréquence de la DA a été estimée à 1,8 p. 10 000 entrées, toutes causes confondues, et à 5,4 p. 10 000 maladies cardiovasculaires. L’effort, noté dans deux cas, était l’unique facteur déclenchant (observations 2 et 3). Tous les patients présentaient une hypertension artérielle (HTA) sévère dont un cas d’HTA rénovasculaire sur artérite de Takayasu. La symptomatologie de la DA a été jugée sensiblement identique à celle décrite dans la littérature. Deux patients ont été opérés avec succès. Les quatre autres n’ont pu l’être en raison de l’impossibilité matérielle d’assurer dans les délais requis leur transfert dans un centre de chirurgie cardiaque. Ils sont tous décédés, deux par tamponnade, deux autres par insuffisance cardiaque. Conclusion – Les auteurs concluent à la similitude des tableaux de DA décrits dans la littérature. Toutefois, ils soulignent le rôle quasi exclusif de l’HTA dans les séries africaines et celui, rare, de la maladie de Takayasu. Ils recommandent la prévention de cette redoutable affection par un traitement soutenu et efficace de l’HTA. 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS chirurgie / dissection / échocardiographie / HTA / maladie de Takayasu / scanner Summary – Aortic dissection among Blacks. Analysis of six Congolese cases. Introduction – The authors report on six cases of aortic dissection (AD). The work intended to bring out AD characteristics and attempt to define a profile of African patients who manifested this disease. The diagnosis of AD was determined on the basis of: clinical and radiological criteria (six cases); echocardiographic data (five cases); aortographic and surgical informations (two cases). Patients and methods – There were three males and three females with an average age of 40.2 years, with a variation of ±10.6 years (from 17 to 49). The frequency of AD was estimated at 1.8/10 000 admissions considering all causes and 5.4/10 000 for cardiovascular disease. Strain was the only triggering factor – noted in two cases (Observations 2 and 3). All patients suffered from severe arterial hypertension (AHT) of which there was one case of renovascular AHT based on the Takayasu arteritis. All symptoms and physical findings were the same described in litterature.
∗ Correspondance et tirés à part.
134
C. Bouramoué et al.
Operations were successful on two patients. The four unoperated patients died (tamponade: two cases, undetermined cause: two cases). Conclusion – The authors conclude as to the similarity of the AD charts described in the literature. However they stress the almost exclusive role of AHT in African studies series as well as that, in rare cases, of Takayasu’s disease. They recommend preventing AD through the sustained and effective treatment of AHT. 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS AHT / dissection / echocardiography / scanning / surgery / Takayasu’s disease
La dissection aortique (DA) est définie comme le clivage longitudinal de la média aortique entre ses deux tiers internes et son tiers externe, sur plus d’un centimètre. La lumière de l’aorte communique avec la média disséquée par une porte d’entrée intimale. Cette situation entraîne l’irruption du sang sous pression dans la néocavité, expliquant l’extension fréquente du processus disséquant [1, 2]. Parfois, la porte de sortie de l’hématome peut être mise en évidence. Typiquement, la DA réalise une urgence médicochirurgicale thoracique, de diagnostic du reste aisé, en raison de l’association fréquente d’une douleur thoracique caractéristique et d’une insuffisance aortique récente chez un quinquagénaire, généralement hypertendu [1 – 5]. Les autres formes sont de diagnostic plus difficile et requièrent des investigations plus poussées. Deux aspects évolutifs sont classiquement décrits, la DA aiguë, qui date de moins de deux semaines, d’évolution souvent létale, et la DA chronique, de découverte plus tardive mais de pronostic moins sombre. Le diagnostic est le plus souvent fait en échographie transœsophagienne (ETO) qui est un examen simple, fiable et de faible coût, donc particulièrement indiqué pour les pays en voie de développement. Toutefois l’aortographie, la scanographie, et l’imagerie par résonance magnétique, apanage des pays développés, apportent une contribution non négligeable au diagnostic [1 – 3]. Les techniques chirurgicales actuelles permettent des résultats encourageants [6 – 9], mais les patients restent exposés au risque de récidive dans un autre territoire. À travers l’étude de six cas congolais de DA, dont deux opérés, ce travail vise un double but : – apporter une contribution à la meilleure connaissance de cette affection ; – attirer l’attention des praticiens sur l’existence de cette redoutable affection en Afrique où elle est peu décrite et où elle semble afficher un profil étiologique assez particulier [5, 9 – 11].
PATIENTS ET MÉTHODES Méthodes Les patients ont été sélectionnés sur la base des critères adoptés par la plupart des auteurs [1 – 4, 12 – 19] et qui sont : – cliniques (n = 6), avec apparition d’une douleur thoracique ou thoraco-abdominale caractéristique, associée dans certains cas à une insuffisance aortique (IA) ; – radiologiques (n = 6), à type de dilatation franche de l’aorte ascendante, comparativement à un cliché antérieur ; – électrocardiographiques (n = 6), par l’absence de signes d’infarctus du myocarde (IDM) ; – échocardiographiques et doppler (n = 5), avec présence d’un ou de plusieurs des signes ci-après : voile intimal, double chenal, dilatation de l’aorte, insuffisance aortique (IA), hémopéricarde ; – aortographiques, scanographiques et chirurgicaux (n = 2) avec des images confirmant les anomalies susmentionnées ainsi que l’intégrité du myocarde. Patients Du 1er janvier 1976 au 30 avril 1998, 33 293 patients dont 11 141 cas de maladies cardiovasculaires (MCV), ont été hospitalisés dans le service. On dénombrait parmi ces derniers, six cas de dissection aortique (DA) définis dans le tableau I.
RÉSULTATS Aspects étiologiques La fréquence hospitalière de la DA a été estimée à 1,8 p. 10 000 entrées du service et à 5,4 p. Dix mille malades cardiovasculaires (MCV). Les six patients présentant une DA étaient tous hypertendus. Il y avait trois hommes et trois femmes, d’âge moyen égal à 45 ± 3 ans et 35,3 ± 13 ans, respectivement
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La dissection aortique chez les noirs Tableau I. Définition des types de dissection aortique (DA) observés. Observations caractères
1
2
3
4
5
6
Types de De Bakey
III
I
II
II
II
I
DAC
DAA
DAC
DAA
DAA
DAA
DA aiguë (DAA) DA chronique (DAC)
Tableau II. Profil des 6 patients ayant présenté une dissection aortique. Noms, Prénoms
Age (ans)
Sexe
Ancienneté HTA (ans)
PA des patients (mmHg) PAD PAS
1. MBE. Chantal
17
F
0,6
110
180
2. MOB. Léon
43
H
4
150
250
3. OSS. Gaston
43
H
4
60
160
4. ABE. Marie Jeanne
44
F
10
130
220
5. LON. Henriette
45
F
13
50
180
6. EPE. Nicolas
49
H
12
80
200
Moyenne ± ε
40,2 ± 10, 6
–
96,7 ± 36, 3
198,3 ± 29, 7
7,3 ± 4, 7
F = femme ; H = homme ; PAD, PAS = pression artérielle diastolique, pression artérielle systolique.
(extrêmes : 17 et 49 ans pour la série). La jeune fille de 17 ans avait une HTA rénovasculaire sur artérite de Takayasu. L’effort, observé dans deux cas (observations 2 et 3), était l’unique facteur déclenchant retrouvé (tableau I).
le soulèvement d’une barre de fer lourde (observation 2) ou la marche (observation 3). Au total, quatre patients ont présenté une DA aiguë (observations 2, 4, 5, 6), les deux autres, une DA chronique, comme ce fut le cas dans les observations 1 et 3 (tableau III).
Aspects cliniques
Signes d’examen Les données de l’examen clinique sont indiquées dans le tableau II. Aspects paracliniques Radiographie thoracique
Les principaux aspects cliniques ont été rapportés dans le tableau II. Quelques précisions peuvent cependant être apportées. Motifs d’hospitalisation et symptômes fonctionnels Deux patients (observations 1 et 3) ont été admis pour insuffisance cardiaque (IC) globale, deux autres pour une perte de connaissance, isolée (observation 4) ou secondaire à une douleur thoracique (observation 5). Enfin, la douleur thoracique seule a motivé l’hospitalisation dans les deux cas restants. En fait, les douleurs thoraciques antérieures existaient chez cinq des six patients. Elles étaient intenses, déchirantes, fixes dans deux cas (observations 3 et 4), à progression dorsolombaire (observation 6), dorsocervicale (observation 5) ou cervicobrachiale (observation 2). Dans un cas, la douleur était uniquement abdominale (observation 1). Les douleurs étaient spontanées dans quatre cas (observations 1, 4, 5 et 6), liées à l’effort dans deux cas. L’effort était
Elle montrait un élargissement important de l’aorte ascendante dans cinq cas (figure 1). Le rapport cardiothoracique moyen (RTC) était de 0,66 ± 0,04 (0,58 à 0,70). Une stase hilaire était notée chez les quatre patients en insuffisance cardiaque globale. Électrocardiographie L’électrocardiogramme (ECG) était en rythme sinusal, avec une hypertrophie ventriculaire gauche (HVG) de type systolique dans tous les cas, sans signes d’infarctus du myocarde (IDM). Biologie Il y avait une anémie microcytaire hypochrome sévère, avec hémoglobine à moins de 10 g par 100 mL
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C. Bouramoué et al.
Tableau III. Caractéristiques cliniques de la dissection aortique. Observations n◦
Symptômes 1
2
Aigu
–
Chronique
+
Effort déclenchant Fièvre
Total
3
4
5
6
6
+
–
+
+
+
4
–
+
–
–
–
2
–
+
+
–
–
–
2
+
+
–
–
+
–
3
Douleur thoracique ou abdominale
+
+
+
+
+
+
6
IA
–
+
+
+
+
+
5
IC
+
+
+
+
–
–
4
HTA
+
+
+
+
Mode de début
Signes cardiovasculaires
CCV/tamponnade
+
+
6
+
+
2
+
–
–
–
–
–
1
Perte de connaissance
–
–
–
+
+
–
2
Hémiparésie
–
–
–
+
–
–
1
Insuffisance rénale/hématuries
–
+
–
–
–
–
1
Évolution létale
–
+
–
+
+
+
4
Souffles artériels Signes neurologiques
+ = présent ; – = absent ; CCV = collapsus cardiovasculaire, IA = insuffisance aortique, IC = insuffisance cardiaque.
Figure 1. Radiographie thoracique de face montrant un élargissement de l’aorte ascendante dans un cas de dissection (observation 4).
dans deux cas (observations 2 et 4), une hématurie microscopique associée à une créatininémie à 34,5 mg/L dans le cas n◦ 2.
Figure 2. Échocardiographie montrant une dissection de l’aorte initiale, avec dilatation du vaisseau et présence d’un voile intimal (observation 3).
Échocardiographie-Doppler Les résultats des investigations figurent dans le tableau IV. La figure 2 en illustre un des aspects.
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La dissection aortique chez les noirs Tableau IV. Signes échocardiographiques et écho doppler (n = 5). Observations n◦
Principales anomalies
Nb/5
1
2
3
4
5
5 2
–
+
+
–
–
Diamètre aorte ascendante (mm)*
–
49
57
42
46
–
Double chenal
–
+
+
–
–
2
Insuffisance aortique
–
+
+
+
+
5
Épanchement péricardique
–
–
–
+
+
2
Voile intimal intra-aortique
* Diamètre moyen de l’aorte ascendante : 48,5 ± 5,5.
Aortographie ◦
Dans l’observation n 1, l’aortographie montrait un anévrisme de l’aorte sous-rénale se terminant peu avant la bifurcation de l’aorte abdominale. Il y avait en outre, une sténose proximale serrée des deux artères rénales droites et une thrombose de la gauche (figure 3A). Dans l’observation n◦ 3, les aspects notés étaient identiques à ceux relevés ci-dessous à la TDM. Tomodensitométrie (TDM) Pratiquée chez deux patients (observations 1 et 3), la TDM donnait les résultats ci-après. Dans l’observation n◦ 1, la dissection intéressait l’aorte abdominale sous-rénale, comme le montrait déjà l’aortographie. Dans le cas n◦ 3, la DA était de type 2 de de Bakey. L’orifice d’entrée se situait juste en amont du tronc artériel brachiocéphalique droit. Un faux chenal y était mis en évidence (figure 4). Aspects thérapeutiques Traitement médical La lutte active contre les algies thoraciques a été efficace avec la pentazocine (Fortal® ) en injections intramusculaires (IM), ou le tiémonium associé au métamidazole et à la codéine (Viscéralgine Forte® ) en injections intraveineuses (IV). L’insuffisance cardiaque a été combattue avec du furosémide en IV ou de la trinitrine (Lénitral® ) en perfusion. Le traitement de l’hypertension artérielle (HTA) a comporté les schémas suivants : nifédipine, 10 mg par voie sublinguale, renouvelée une fois chez deux des trois patients, avec relais par la même molécule, per os ; nifédipine + ganfacine ou alphaméthyldopa ou prazosine chez les trois autres malades. La tamponnade,
rapidement mortelle, n’a pu permettre un drainage péricardique (observation 5 et 6). Traitement chirurgical Un patient a été opéré à l’hôpital Saint-Antoine (Paris) par le Dr Lagneau qui a confirmé la dissection de l’aorte sous-rénale (observation 1). Cette portion de l’aorte fut réséquée et « remplacée par une prothèse aorto-aortique tissée n◦ 13,5 Bard, associée à une revascularisation rénale droite par un greffon veineux saphène aortorénal droit et, à la récupération de la thrombose de l’artère rénale gauche, par endartériectomie de l’ostium de la bifurcation des artères mésorénales et greffe prothétorénale gauche » (tableau III). Le second patient (observation 3) a été opéré par le Pr Pavie, à l’hôpital Pitié-Salpêtrière, à Paris. La DA, de type 2 de de Bakey, fut confirmée. Le diamètre aortique mesurait 70 mm, la paroi apparaissait épaissie. La porte d’entrée de l’hématome disséquant était située à 4 cm au-dessus des ostia coronaires. « La technique de Bentall a été appliquée. Le tube de dacron de 30 mm utilisé, contenait une valve de Björk Monostrut n◦ 25. Les deux cylindres ont été réaccolés par de la colle GRF. » Aspects évolutifs Sous les protocoles thérapeutiques médicaux susmentionnés, on a assisté à une évolution cliniquement favorable dans un premier temps. L’évolution ultérieure s’est faite différemment selon que les patients avaient été opérés ou non. Les deux cas de DA chronique opérés (observations 1 et 3) ont évolué favorablement. Leur état est actuellement jugé satisfaisant, avec un recul de 11 ans et 11 ans et 8 mois, respectivement. Les quatre patients qui présentaient une DA aiguë (tableau I) ont par contre, connu une évolution
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C. Bouramoué et al.
(A)
(B)
Figure 3. Aortographie de l’aorte abdominale (observation 1). Anévrisme disséquant de l’aorte sous-rénale sur artérite de Takayasu, avant (3A) et après chirurgie (3B). Noter la correction d’une sténose serrée de l’artère rénale droite et la levée complète de la thrombose de la gauche.
trois des quatre sujets. Il a été noté ensuite la survenue d’une insuffisance aortique dans les quatre cas, d’une insuffisance cardiaque dans deux cas (observations 2 et 4), de troubles neurologiques à type de perte de connaissance dans deux cas également (observations 4 et 5) ou d’hémiparésie (observation 4), enfin, d’une tamponnade cardiaque dans deux cas (observations 5 et 6). Ils sont, finalement, tous décédés, en moins d’une heure pour le cas n◦ 6, dans les 24 heures pour le n◦ 5, tous deux victimes d’une tamponnade, enfin, en moins de deux mois pour le troisième qui avait une insuffisance aortique décompensée sous le mode d’insuffisance cardiaque grave (observation 2) et d’un an pour le quatrième qui était dans un état identique, mais moins sévère (observation 4).
Figure 4. Aspect de double chenal à la tomodensitométrie, avec présence d’un voile intimal, dans un cas de dissection de l’aorte ascendante (observation 3).
sévère. Les chiffres tensionnels ont certes été normalisés dans tous les cas. Mais, par impossibilité matérielle, ces malades n’ont pu être transférés dans un centre de chirurgie cardiaque. Ainsi, la reprise des douleurs thoraciques a-t-elle été observée chez
Aspects anatomiques Le tableau I indique les principaux types anatomiques rencontrés dans notre série. Le détail des lésions anatomiques apparaît chez deux patients opérés. Dans l’observation n◦ 1, l’histopathologie note « un processus inflammatoire au niveau de l’adventice et de la paroi externe de la média, actif par endroits et d’allure de sclérose cicatricielle ailleurs » et une « artérite fibroblastique assez floride avec thrombus mural surajouté, suggestive de la maladie
La dissection aortique chez les noirs
de Takayasu ». Dans le cas n◦ 3, il y a des « valves aortiques dystrophiques », avec aspect de « médianécrose kystique idiopathique ».
DISCUSSION Facteurs étiologiques et circonstances de découverte La dissection aortique (DA) est une affection rare, particulièrement en Afrique où elle est peu décrite [5, 10, 11]. Sa fréquence hospitalière est estimée à 1,8 pour 10 000 entrées et à 5,4 pour 10 000 cas de maladies cardiovasculaires (MCV) dans le présent travail. Bibi [10] l’évaluait à 7 pour 10 000 MCV. En Europe, la fréquence de la DA est de cinq à dix cas par million d’habitants et par an [2]. Toutefois, dans une série autopsique de 363 cas, Hirst l’évalue à 28 pour 10 000 cas [4]. La prédominance masculine des séries européennes n’est pas retrouvée dans notre travail [1, 2, 4, 12]. Classiquement, hormis le cas de dystrophie ou de malformation, la DA survient chez des sujets de plus de 50 ans. En revanche, dans notre série, les patients sont sensiblement plus jeunes (tableau I). L’hypertension artérielle est le facteur favorisant le plus fréquent de la DA. Elle est retrouvée dans 60 à 80 % des cas de la littérature [2, 3, 12] et dans 100 % des nôtres. La responsabilité de l’artérite de Takayasu dans la DA n’est pas un fait classique. Cependant, les lésions de la média aortique et l’HTA fréquentes dans cette affection peuvent constituer une explication à certains cas de DA [20]. Les autres facteurs favorisants classiques [1 – 4, 9] ne sont pas retrouvés dans notre travail. Parmi les facteurs déclenchants, notamment le traumatisme et l’effort [1, 2, 4, 21], seul ce dernier est retrouvé dans notre série chez deux patients. Symptomatologie clinique La douleur thoracique déchirante, extensive, souvent inaugurale, caractérise la DA aiguë typique [1 – 5, 9 – 11]. Son association au souffle diastolique d’insuffisance aortique (IA) est suggestive de cette affection [1 – 3, 5, 9, 10]. C’est précisément l’IA qui est souvent à l’origine de l’insuffisance ventriculaire gauche (IVG) aiguë avec œdème des poumons (OAP), tableau assez fréquemment inaugural de la DA aiguë [1, 2, 9]. Dans un tel contexte dramatique, l’apparition des signes d’hémorragie interne doit faire redouter, avant tout, l’hémopéricarde,
139
responsable de la tamponnade cardiaque, constamment fatale dans notre série, par choc cardiogénique. Les symptômes neurologiques, à type de perte de connaissance ou de déficit moteur, notés dans 15 à 46 % des DA aiguës [1, 2, 4, 9], sont parfois révélateurs de la DA et, de ce fait, à l’origine d’erreurs cliniques de diagnostic. La DA chronique, quant à elle, revêt une allure moins dramatique, à type d’anévrisme de l’aorte, du fait de l’existence de symptômes médiastinaux ou de signes radiologiques dans sa forme thoracique, ou de poussées de douleurs abdominales lancinantes, avec, à la palpation, une masse abdominale douloureuse et battante, correspondant à un anévrisme disséquant chronique de la portion correspondante de l’aorte. Données paracliniques L’élargissement du médiastin est le signe radiologique le plus suggestif de la DA [1 – 4]. Il est retrouvé chez cinq de nos patients. Un électrocardiogramme sans signes d’infarctus du myocarde (IDM), dans un contexte d’algies thoraciques intenses, est fortement suggestif d’une DA. Cependant un IDM peut être associé à une dissection aortique étendue aux artères coronaires [1 – 4]. Le diagnostic de la DA est incontestablement établi par l’échocardiographie-Doppler couleur, notamment par voie transœsophagienne. La sensibilité et la spécificité de cet examen sont élevées, supérieures à 90 %, et l’apparentent au scanner et à l’aortographie [2, 13 – 17, 22]. Les principales anomalies échocardiographiques sont la dilatation de l’aorte, la présence d’un ‘flap’ intimal, l’existence d’un double chenal, l’identification d’une porte d’entrée et parfois une insuffisance aortique. Les mécanismes de l’insuffisance aortique sont mis en évidence. Il s’agit souvent de la dissection et/ou de la dilatation de l’anneau, parfois de la désinsertion ou de la déchirure d’une valve sigmoïde. Parfois, des anomalies de la cinétique segmentaire d’une paroi du ventricule gauche, traduction de la dissection d’une artère coronaire, avec ou sans infarctus du myocarde (IDM), sont observées. Enfin, un hémopéricarde, expression de la fissuration de l’aorte dans le péricarde avec tamponnade, est parfois mis en évidence. Le tableau III donne quelques-unes des anomalies échocardiographiques observées dans notre série. L’aortographie est largement supplantée par l’ETO, dans le diagnostic de la DA. Néanmoins, beaucoup d’équipes chirurgicales y recourent encore
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C. Bouramoué et al.
[3, 6 – 8]. Ainsi, nos deux cas opérés ont-ils été documentés par cette technique. L’imagerie par résonance magnétique (IRM), est d’une grande utilité pour le diagnostic et pour la surveillance des patients. Mais elle est souvent moins aisée à manier chez les patients en mauvais état. La tomodensitométrie (TDM) possède une spécificité et une sensibilité élevées. Elle permet le recueil de toutes les informations anatomiques, y compris dans les formes abdominales, comme c’est le cas de notre observation n◦ 1. Le bilan des lésions, rendu possible par la TDM, mais également par la chirurgie et/ou l’autopsie, révèle une aorte fortement dilatée, avec une média disséquée par un hématome réalisant le double chenal aortique si caractéristique. La porte d’entrée de la DA est retrouvée dans 90 % des cas, avec, cependant, une certaine supériorité de l’ETO sur ce point, hormis les cas où elle se situe dans la zone aveugle, c’est-à-dire au niveau de l’origine du tronc artériel brachiocéphalique (TABC). L’étendue ou le siège des lésions réalisent les types anatomiques définis par de Bakey et par Dubost [6, 7]. Les aspects histopathologiques retrouvés sont connus et dominés par des lésions de médianécrose kystique [18, 19]. Dans certains cas, on peut observer des anomalies du tissu élastique, caractéristiques de la maladie de Marfan [1, 2, 8, 22], ou plus rarement la présence d’une artérite de Takayasu [20, 23, 24]. Diagnostic Le diagnostic positif de la DA aiguë est facile à poser devant la douleur thoracique déchirante et extensive, surtout si elle est associée à l’apparition d’une insuffisance aortique. L’infarctus du myocarde, qui peut être associé à la DA dans 10 % des cas [4], représente le principal diagnostic différentiel à discuter cliniquement. Cependant, il faut mentionner les difficultés liées au diagnostic de l’hématome intramural isolé [25] ou à celui d’une artérite aiguë de Takayasu particulièrement douloureuse, mais sans processus disséquant associé [24]. Dans tous les cas, l’imagerie médicale permet d’affirmer le diagnostic de DA et de faire l’inventaire des lésions [2, 3, 6 – 8, 13 – 17, 22]. Les formes sous-diaphragmatiques de la DA aiguë se présentent comme un drame abdominal. Plus que la palpation d’une masse abdominale douloureuse et pulsatile, l’échographie et la tomodensitométrie donnent le diagnostic. Quant à la DA chronique, elle est moins aisée à diagnostiquer d’emblée. La quasi-inexistence d’une symptomatologie
bruyante explique ce fait. C’est souvent, devant une insuffisance cardiaque secondaire à une insuffisance aortique massive chez un quinquagénaire, généralement hypertendu, qu’on est amené à suspecter la DA. La radiographie thoracique ou abdominale montre un anévrisme dont le caractère disséquant sera affirmé par l’échocardiographie, l’aortographie, la TDM ou l’IRM [3, 6 – 8, 13 – 17, 22]. Traitement La chirurgie d’urgence est l’unique traitement recommandé pour les DA de type I et II de de Bakey avec ses techniques chirurgicales bien codifiées [6 – 9]. En revanche, la DA de type III n’est une indication chirurgicale qu’en cas de menace d’extension, d’ischémie viscérale ou d’évolution vers un anévrisme chronique. Le traitement médical ne peut être que palliatif. Il vise à calmer la douleur, à lutter contre l’insuffisance ventriculaire gauche aiguë ou le choc cardiogénique et, enfin, à contrôler rapidement les chiffres tensionnels en recourant aux drogues injectables à l’aide d’une seringue électrique [1 – 4]. L’insuffisance ventriculaire gauche aiguë non contrôlée par les drogues nécessite une assistance circulatoire. La tamponnade avec collapsus, cause fréquente de décès, doit faire l’objet d’un drainage péricardique en urgence. Deux de nos patients ont bénéficié de ces techniques chirurgicales avancées, avec un succès durable, comme il est rapporté plus haut. Évolution L’évolution spontanée de la DA est grevée d’une lourde mortalité allant de 90 à 100 % des cas [1, 2, 4, 5], selon le type anatomique et le délai d’intervention. Ce pronostic est particulièrement alourdi dans les pays en voie de développement, disposant rarement de centres de chirurgie cardiaque correctement équipés. Le décès est alors souvent en rapport avec la rupture de l’anévrisme disséquant dans le péricarde, entraînant une tamponnade [1, 2, 19]. La rupture peut également intervenir au niveau de l’aorte abdominale. L’insuffisance cardiaque grave, en rapport avec une insuffisance aortique massive, est la seconde cause de décès. Les quatre patients de notre série répondant aux critères de DA aiguë requéraient une intervention chirurgicale urgente. Mais cette procédure était matériellement impossible. Quant à leur transfert dans un centre chirurgical étranger, il
La dissection aortique chez les noirs
posait le double problème du transport aérien de tels patients et celui, plus épineux de leur prise en charge. Par conséquent, ces patients ont tous connu une issue fatale. Deux d’entre eux sont décédés par tamponnade dans les 24 heures (observations 5 et 6), les deux autres par insuffisance cardiaque gauche sévère, au-delà de la 5e semaine. Après la chirurgie, l’évolution est généralement favorable [2, 3, 7 – 9]. Néanmoins, la mortalité per et postopératoire demeure élevée, de l’ordre de 28 à 40 %, selon les séries [2, 7, 8]. Les récidives de DA sur d’autres segments et les ruptures d’anévrismes constitués secondairement en sont les principales causes [1, 2].
CONCLUSION La dissection aortique est la résultante de deux facteurs favorisants : – la fragilisation de la média par différents processus, notamment la maladie de Marfan, mais aussi plus rarement la panartérite de Takayasu ; – l’HTA retrouvée dans toutes les séries africaines. Certains facteurs déclenchants comme l’effort ou le traumatisme sont retrouvés. L’avènement des explorations non invasives et particulièrement de l’échocardiographie transœsophagienne ont grandement facilité le diagnostic de cette affection. Surtout, les progrès de la réanimation et de la chirurgie ont permis d’améliorer le pronostic de la dissection aortique dans les pays développés. En revanche, dans les pays sous-développés, le diagnostic de dissection aortique constitue généralement un arrêt de mort. C’est pourquoi, il faut absolument tenter de prévenir cette effroyable affection, particulièrement en traitant l’HTA souvent sévère chez les Noirs africains.
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