La nécessaire évolution de la chirurgie d’urgence

La nécessaire évolution de la chirurgie d’urgence

Journal de Chirurgie Viscérale (2013) 150, 85—86 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com ÉDITORIAL La nécessaire évolution de la chirurgie d...

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Journal de Chirurgie Viscérale (2013) 150, 85—86

Disponible en ligne sur

www.sciencedirect.com

ÉDITORIAL

La nécessaire évolution de la chirurgie d’urgence夽 The necessary changes in emergency surgery L’une des particularités de l’organisation de la chirurgie d’urgence en France tient dans. . . l’absence d’organisation spécifique ! S’il existe quelques départements de chirurgie d’urgences, la grande majorité des services participants à cette activité n’a pas d’organisation dédiée ni de praticiens détachés. La chirurgie d’urgence représente pourtant une part majeure de l’activité dans notre discipline [1]. Les données 2011 du Programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI) national révèlent que 19 % de l’ensemble des interventions en pathologie viscérale, correspondant à 117 323 séjours, suivaient un passage aux urgences. La place importante de cette activité se vérifie aussi bien dans les CHU (25 % des interventions suivent un passage aux urgences) que dans les autres centres publics non CHU (31 % de leur activité) et un peu moins dans les établissements du secteur privé (8 % de leur activité). En dépit de ce grand volume d’interventions, l’image actuelle, le dynamisme universitaire et l’attractivité de la chirurgie d’urgence, notamment auprès des jeunes chirurgiens, ne correspondent plus à son riche passé. Il est temps de constater les difficultés et de mener une réflexion sur l’organisation et la qualité des soins en France, éclairée par les expériences des autres nations, afin de redonner à la chirurgie d’urgence la place qu’elle mérite. Les difficultés apparaissent à divers niveaux. Les chirurgiens sont de plus en plus sur-spécialistes d’une région anatomique, voire d’un organe. Ils manifestent ainsi moins d’intérêt et de disponibilité pour l’activité d’urgence, reléguée au second rang. La pénibilité de cette activité qui nécessite permanence et continuité des soins avec gardes de nuits et de week-end, est également un facteur de désertion pour cette chirurgie. En effet cette réalité se heurte à la volonté actuelle des praticiens d’équilibrer activité professionnelle et vie privée. Les difficultés se rencontrent aussi sur la formation des chirurgiens à l’urgence, notamment en traumatologie. La dilution de l’activité par la multiplication des centres, le développement des traitements non opératoires et de la radiologie interventionnelle restreignent le nombre de recours à la chirurgie par centre. L’apprentissage classique par compagnonnage en salle d’opération devient moins efficient, surtout dans les centres à faible volume. Il demeure pourtant indispensable de maîtriser les gestes qui sauvent (type laparotomie écourtée) car ce sont les patients les plus gravement atteints qui sont opérés. L’évaluation des pratiques professionnelles reste encore trop peu entreprise. Le fatalisme ne sert-il pas encore trop souvent d’explication facile à de mauvais résultats ? Enfin, à l’heure de l’evidence-based medecine, le manque de dynamisme universitaire en chirurgie d’urgence est un frein à son développement. Les difficultés de mise en place des protocoles de recherche clinique en situation d’urgence (inclusion, randomisation) sont certes connues mais non insurmontables. Pour trouver des pistes d’amélioration, il paraît intéressant de regarder comment s’organise la chirurgie d’urgence dans d’autres pays. En Europe, aucun pays n’a mis en place une organisation efficace spécifique de la chirurgie traumatologique et d’urgence

DOI de l’article original : http://dx.doi.org/10.1016/j.jviscsurg.2013.03.003. Ne pas utiliser, pour citation, la référence franc ¸aise de cet article, mais celle de l’article original paru dans Journal of Visceral Surgery, en utilisant le DOI ci-dessus. 夽

1878-786X/$ — see front matter © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.jchirv.2013.01.009

86 [2]. Seuls quelques centres scandinaves font preuve d’un réel dynamisme universitaire. Outre-Atlantique, « l’Acute Care Surgery » est le modèle se mettant progressivement en place [3—5]. Il s’appuie sur l’organisation en réseau des « Trauma Center ». Les chirurgiens spécialisés dans la chirurgie traumatologique ont développé une spécialisation en chirurgie d’urgence. Sous l’égide de l’American Association for Surgery for Trauma (AAST), un cursus de formation et des niveaux de compétences ont été définis. L’organisation des soins est repensée pour accélérer et améliorer la prise en charge spécifique des patients de l’urgence chirurgicale. Envisager les solutions au niveau franc ¸ais revient aussi à appliquer à la discipline chirurgie d’urgence les recettes qui ont permis aux autres sous-spécialités d’organes d’être dynamiques, en favorisant la spécialisation, la concentration des compétences et les échanges entre les équipes. Le débat vers une spécialisation en chirurgie d’urgence ne fait que s’ouvrir en France. La création d’une telle compétence qui redéfinirait les contours de la chirurgie générale, serait un moyen d’augmenter la motivation et la reconnaissance des praticiens. L’activité d’urgence constitue par nature une activité de proximité, réalisée dans 60 % des cas au sein du secteur public hors CHU (le reste de l’activité étant réalisé pour 20 % dans les CHU et 20 % dans le secteur privé selon les données du PMSI 2011). Le regroupement des centres d’urgences est une réalité dictée par des impératifs économiques. Il convient probablement d’accompagner et d’encourager ces réorganisations, quand cela n’entraîne pas difficultés d’accès aux soins. Cette évolution doit conduire à créer quelques centres d’excellence à haut volume avec des praticiens spécialisés et un plateau technique performant. Ces centres doivent devenir les lieux privilégiés de la formation et les promoteurs de la recherche clinique. Dans les centres où le volume d’activité ne permet pas de disposer d’un service spécifique, il faut encourager l’individualisation de praticiens référents, motivés, engagés dans un processus de formation continue. Quelle que soit l’organisation, il paraît souhaitable que l’activité d’urgence puisse bénéficier de l’expertise d’un chirurgien senior expérimenté, à l’image de toute autre activité réglée. À côté d’une réflexion sur l’organisation physique des services, il faut réfléchir à une réelle organisation en réseau des services. Il est probable que des discussions pluridisciplinaires et intercentres permettraient d’améliorer encore la prise en charge des cas difficiles, à l’image des réunions de concertations pluridisciplinaires (RCP) en oncologie, et faciliteraient les transferts des patients. Les améliorations de la formation des praticiens passent par l’intégration d’un apprentissage pratique des gestes essentiels sur sujet anatomique ou animal à la formation conventionnelle, à l’image de ce qui est fait dans le diplôme inter-universitaire (DIU) de traumatologie viscérale. La recherche clinique représente un autre point sur lequel un effort doit être fourni pour arriver au même dynamisme que dans les autres domaines de la chirurgie.

Éditorial De nombreuses voies de recherche restent à explorer sur les questions stratégiques et techniques. Les centres intéressés par la recherche pourraient s’associer sous l’égide de nos sociétés savantes (Association franc ¸aise de chirurgie [AFC], Société franc ¸aise de chirurgie digestive [SFCD], Société franc ¸aise de chirurgie d’urgence [SFCU]) dans le cadre d’études multicentriques, trop rares en France en matière de chirurgie d’urgence. Le modèle franc ¸ais d’organisation de la chirurgie d’urgence reste bien-sûr à définir. La prise en compte sérieuse de l’ensemble de cette problématique apportera un progrès à nos patients. Une modélisation aboutie constituerait, de plus, une référence identifiée et reproductible par d’autres systèmes de santé. Malgré les difficultés, des volontés existent dans notre pays. Le prochain congrès de l’European Society for Trauma and Emergency Surgery (ESTES) aura d’ailleurs lieu pour la première fois en France, à Lyon du 4 au 7 mai 2013 (www.ectes2013.org).

Déclaration d’intérêts L’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

Remerciements L’auteur tient à remercier les Dr Laurence Durif et Véronica Orléans (coordination PMSI AP—HM) pour le travail d’extraction et d’analyse des données du PMSI.

Références [1] Burdy G, Dalban-Sillas B, Leclerc C, et al. Financial analysis of a department of general surgery in a French hospital. The new ‘‘fee-for-service’’ reimbursement system results in a high deficit for emergency care. J Chir 2009;146(5):469—76. [2] Uranues S, Lamont E. Acute care surgery: the European model. World J Surg 2008;32(8):1605—12. [3] Hoyt DB, Kim HD, Barrios C. Acute care surgery: a new training and practice model in the United States. World J Surg 2008;32(8):1630—5. [4] Kelly E, Rogers Jr SO. Graduate medical education in trauma/critical care and acute care surgery. Defining goals for a new workforce. Surg Clin N Am 2012;92(4):1055—64. [5] Barnes SL, Cooper CJ, Coughenour JP, MacIntyre AD, Kessel JW. Impact of acute care surgery to departmental productivity. J Trauma 2011;71(4):1027—32.

T. Bège Laboratoire de biomécanique appliquée UMRT24, service de chirurgie générale et digestive, Aix-Marseille université, hôpital Nord, Assistance publique—Hôpitaux de Marseille, chemin des Bourrely, 13915 Marseille, France Adresse e-mail : [email protected] Disponible sur Internet le 12 avril 2013