M~decine et Maladies In fectieuses
-- 1985 -- 12 - 719 ~ 720
EDITORIAL La peur des cadavres. par H.H. M O L L A R E T
survivants, plus ou moins h~tivement regroup@s dans des abris de fortune, soient expos@s aux risques infectieux n@s de la promiscuit@, de I'absence d'eau et d'hygi~ne @l@mentaire, n'est pas niable : cela impose, certes, des mesures d'urgence, mais ne justifie pas cette ((menace d'@pid@mies)) constamment brandie par une presse toujours d@sireuse de surench@rir dans I'horreur.
((Les ~pid@mies menacent les survivants)) . . . ((Le risque d'@pid@mies inqui~te les autorit@s)) . . . ((Dans les d@combres, I'@pid@mie menace)) . . . etc, etc. Voil~ ce que Yon peut lire invariablement dans la grande presse - voire dans la presse m@dicale - apr~s chaque tremblement de terre, apr~s chaque catastrophe naturelte. Les catastrophes r@centes de Mexico et d'Armero ne pouvaient manquer d'entrainer les m@mes affirmations : ((Tr~s vite on se met ~ craindre le risque d'@pid@mie)) . . . ((Un des grands soucis des responsables est d'@viter qu'~ I'horreur du tremblement de terre ne s'ajoute le risque d'une ~pid@mie)) . . . ((A Armero, il faut commencer au plus tbt les campagnes de fumigation pour enrayer les @pid@mies)) . . . et, dans un journal destin@ aux m@decins : (cA Mexico, o6 le risque d'@pid@mie est relativement faible, ia vaccination est avant t o u t destin@e ~ soulager I'angoisse de la population)).
II est certain que dans les zones d'end@micit@ de choI@ra, de salmonellose ou d'h@patite virale, les typhons entrainant inondations, ruptures d'@go~ts, d~bordement des latrines, etc, Cr@@ent un risque. Cependant, paradoxalement, aucune @pid@mie n'est encore survenue dans ces circonstances. Une @tude de I'OMS (4) sur le retentissement sur la sant~ publique des tVphons suivis d'inondation en r@gions tropicales a montr@ que ceux-ci ne modifiaient gu@re la situation en mati~re de chol@ra, de fi@vre typho'ide, de gastro-ent@rites, d'infection pulmonaire, de bronchite ou de grippe, malgr~ la destruction des canatisations et des installations sanitaires.
St@r@otyp@es, invariablement r@p@t@es apr~s chaque catastrophe, ces affirmations traduisent I'ignorance complete en mati@re de risque et d'@pid@miologie des hauts responsables, des services de sant@, de la s@curit@ civile, des @quipes de sauveteurs, etc.
Le cyclone survenu en novembre 1970 dans I'est du Bengale, zone traditionnelle d'end~mie chol@rique, n'a pas entrain@ d'explosion extraordinaire (((extraordinary outbreak))) de chol@ra, de variole, d'infections respiratoires ou diarrh@iques aigues, durant les 5 mois qui suivirent (3). End@mique @gaiement ~ Manille, ie cholera n'y fut pas aggrav@ par les trois typhons de 1970.
Dans le cas de Mexico, ces affirmations gratuites seraient plus graves encore si se v@rifiaient les rumeurs seion lesquelles I'arr@t de toute recherche de survivants fut d@cid@e devant cette ((menace d'@pid@mie)).
Rares sont les cas o(J I'incidence d'une maladie pourrait avoir @t@modifi~e par des facteurs bio-m@t~orologiques : on a Signal@ I'augmentation des infections respiratoires Iors du tremblement de terre de la c6te mont@n~grine en avril 1979
Depuis le d@but du si@cle, le monde a connu plus de 170 tremblements de terre, parmi lesquels une .quinzaine caus@rent chacun de 20.000 ~ 200,000 morts*. Aucun ne fut suivi d'@pid@mie ; il n'y a pas d'exemple connu d'une @pid@mie d@clench~e par un trembiement de terre.
* Voici, avec leur nombre de morts, les plus importants tremblements de terre du XX ° si@cle : Kangra (1905 : 20.000 morts) ; Messine (1908 : 123.000 morts) ; Avezzano (1915 : 29.978 morts) ; Kansou (1920 : 180.000 morts) ; Tokyo-Yokohama (1923 : 143.000 morts) ; Kuetta (1935 : 30.000 morts) ; Chili (1939 : 25.000 morts); Anatolie (1939 : 25.000 morts) ; Yunnan (1970 : 55.000 morts) ; Ancash (1970:66.797 morts) ; Guatemala (1976:22.868 morts) ; Tang Shan (1976 : plus de 240 000 morts). Aucun n'entraina d'@pid~mie.
Que les survivants d'un tremblement de terre et, d'une fa~on plus g@n@rale, de t o u t cataclysme soient expos@s aux infections est malheureusement ~vident : i n f e c t i o n des plaies, des brQlures, des fractures ouvertes, grangr@ne gazeuse, t~tanos (rarement signal~), conjonctivite. Que ces
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et la recrudescence des cas de leptospirose ~ La Rdunion apr6s chaque augmentation de la pluviosit@, en particulier apr@s le passage du typhon Hyacinthe en 1980 (1}.
non fond@e d'un risque majeur de transmission de la fi~vre typhoide & cause du grand nombre de cadavres en ddcomposition. II n'y eut, finalement, ni vaccination, ni fi~vre typhoide,
On.con~oit donc combien doivent @tre pes@es les indications de vaccinations de routine, antityphoi~liques ou anticholdriques. Certains pr6nent I'abstention, en raison du d@lai entre Vaccination et apparition de I'immunitd et, surtout, par crainte d'une fausse sdcuritd : ((Typhoid immunization may give a false source of security to recipients and led to carelessness in a flood situation. The Department of Health, in Iowa, for example, does not recommend mass typhoid immunization because of flooding)) (2). A I'inverse, apr@s le tremblement de terre d'EI Asnam (AIg@rie, 10.10.1980), 125 000 personnes furent vaccin@es contre la dipht@rie, le t@tanos, les salmonelloses, la rougeole, la mdningite, la poliomy@lite et la grippe.
certes, des cadavres putr@fi@s empuantissent I'atmosph~re ; mais ils ne peuvent, quel que soit leur hombre, cr@er une dpiddmie. Un cadavre n'est pas contagieux. Dix mille cadavres ne sont pas contagieux. Les cadavres des rnalheurex @cras@s, ensevelis, noy@s ou disloqu@s ne sont pas contagieux. Auraient-ils dt@ porteurs, avant leur mort, de germes pathog~nes que ces derniers auraient rapidement disparu devant les germes de la putrdfaction, <
> comme les appelait Duclaux. D'o~J vient ce mythe journalistique des @piddmies ddclench@es par un tremblement de terre ? Faut-il rattacher ce risque imaginaire & la persistance inconsciente des vieilles terreurs, Iorsqu'au Moyen-Age dans la hantise et Fincompr@hension de la survenue des dpid@mies de peste ou de de typhus, on incriminait les astres ou les puissances souterraines, le m a l aria s'@levant des marais, les dmanations mdphitiques des cadavres abandonn@s sur un champ de bataille, ou les miasmes gdn@rateurs d'~piddmies, n@s des entrailles de la terre ?
Les d@cisions de vacciner ou de ne pas vacciner sont trop souvent prises, malheureusement, pour des raisons politiques, financi6res ou, nous I'avons vu plus haut, <
II serait bon que le Sous-Secr@tariat d'Etat charg@ de ia Prdvention des Risques naturels, les responsables de plans Orsec, les directeurs des enseignements de <(M@decine des catastrophes)), fassent appel ~ cette Cendrillon des Sciences qu'est, en France, I'@piddmiologie.
BIBLIOGRAPHIE
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