La radiothérapie a-t-elle encore une place dans le traitement des cancers du pancréas ?

La radiothérapie a-t-elle encore une place dans le traitement des cancers du pancréas ?

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Cance´ rologie/He´ pato-gastro-ente´ rologie

Mise au point

Presse Med. 2010; 39: 645–652 ß 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

La radiothérapie a-t-elle encore une place dans le traitement des cancers du pancréas ? Florence Huguet

Service d’oncologie radiothérapie, Hôpital Tenon, Assistance publique des hôpitaux de Paris, Université Paris VI, F-75020 Paris, France

Correspondance : Florence Huguet, Service d’oncologie radiothérapie, Hôpital Tenon, 4 rue de la Chine, F-75020 Paris. [email protected]

Key points Is there still a place for radiotherapy for the treatment of pancreatic cancers ? About 7 200 new cases of pancreatic adenocarcinoma are diagnosed each year in France. At the time of diagnosis, only 20% of patients have an operable tumor; 30% have local or regional extensions and 50% metastatic dissemination. Median survival of patients after surgical resection ranges from 12 to 20 months, because of the high relapse rate. Currently, the use of radiotherapy is controversial for patients with operable or locally advanced pancreatic cancer. The standard treatment is six months of chemotherapy with FUFOL or gemcitabine. Combining it with radiation therapy as an adjuvant (CRT) may improve the survival of patients with incompletely resected tumors. This must still be demonstrated in a prospective trial. Neoadjuvant CRT is a promising treatment but still under evaluation. There is no standard treatment for patients with locally advanced tumors. A strategy of initial chemotherapy (gemcitabine) followed by CRT for patients with non-progressive tumors is under evaluation in the LAP07randomized trial.

tome 39 > n86 > juin 2010 doi: 10.1016/j.lpm.2009.09.018

Points essentiels On estime qu’environ 7 200 nouveaux cancers du pancréas exocrine ont été diagnostiqués en France en 2005. Au moment du diagnostic, 20 % des patients ont une tumeur jugée opérable, 30 % une tumeur localement avancée inopérable, et 50 % une maladie métastatique. Après exérèse chirurgicale, la médiane de survie des patients opérés n’est que de 12 à 20 mois en raison de la fréquence des récidives. La place de la radiothérapie chez les patients ayant des cancers du pancréas opérables ou localement avancés est actuellement controversée. En situation adjuvante, le traitement standard est une chimiothérapie par acide folinique et 5-fluorouracile (5-FU) ou gemcitabine pendant six mois. En association avec une chimiothérapie concomitante, la radiothérapie postopératoire permettrait d’améliorer la survie des patients ayant eu une résection tumorale incomplète (R1). Ceci reste à démontrer dans un essai prospectif. La chimioradiothérapie (CRT) néoadjuvante est une approche prometteuse mais non validée à ce jour. Pour les tumeurs localement avancées, il n’existe pas de standard thérapeutique. Une chimiothérapie première par gemcitabine suivie chez les patients non progressifs par une CRT représente une stratégie thérapeutique séduisante qui est en cous de validation dans l’essai LAP07.

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Disponible sur internet le : 20 novembre 2009

F Huguet

L’

adénocarcinome du pancréas exocrine est la cinquième cause de décès liés au cancer dans les pays développés. En France en 2005, 7 218 nouveaux cas de cancers du pancréas ont été diagnostiqués [1]. Au moment du diagnostic, 20 % des patients ont une tumeur jugée opérable, 30 % une tumeur localement avancée inopérable, et 50 % une maladie métastatique [2]. L’exérèse chirurgicale, lorsqu’elle est possible, est le seul traitement permettant d’espérer une survie prolongée. Cependant, les résultats de la chirurgie à visée curative sont décevants, avec des taux de récidive locorégionale atteignant 50 % à 85 % [3]. Les recherches actuelles portent sur l’adjonction à la chirurgie d’une chimiothérapie associée ou non à une radiothérapie externe, afin d’augmenter le taux de contrôle locorégional et de traiter la maladie micrométastatique, dans l’espoir d’améliorer la survie des patients. Actuellement, le traitement standard en postopératoire est une chimiothérapie par 5-fluorouracile (5-FU) et acide folinique (FUFOL) ou par gemcitabine pendant 6 mois [4,5]. Une chimioradiothérapie (CRT) est ensuite recommandée pour les patients ayant eu une résection tumorale incomplète (résection de type R1) [6]. Toutefois, la place exacte de la CRT en situation adjuvante doit être validée par un essai clinique prospectif. Par ailleurs, 20 % à 30 % des patients ayant eu une exérèse chirurgicale ne peuvent pas recevoir de traitement adjuvant en raison de complications chirurgicales ou d’une altération persistante de l’état général [7]. L’utilisation d’une CRT néoadjuvante permettrait de proposer à un plus grand nombre de patients la séquence thérapeutique complète, tout en réduisant la durée de traitement. Par ailleurs, cette période de traitement peut permettre de détecter une évolution métastatique rapide évitant à certains patients de subir une intervention chirurgicale lourde et carcinologiquement inutile [8]. Dans 30 % des cas, les cancers du pancréas sont diagnostiqués à un stade localement avancé, avec une tumeur non résécable en raison d’un envahissement vasculaire mais non

Glossaire

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CRT chimioradiothérapie DPC duodénopancréatectomie céphalique EORTC European organization for research and treatment of cancer 5-FU 5-fluorouracile FFCD Fédération française de cancérologie digestive FUFOL 5-FU et acide folinique GITSG Gastrointestinal tumor study group RTOG Radiation therapy oncology group SFRO Société française d’oncologie radiothérapique

métastatique. La médiane de survie des patients est alors de 9 à 12 mois. Pour ces patients, il n’existe actuellement pas de traitement standard. Deux options sont possibles : une chimiothérapie à base de gemcitabine ou une CRT [9]. Cet article se propose de faire le point sur la place de la CRT dans la prise en charge thérapeutique des cancers du pancréas opérables ou localement avancés en 2009 à la lumière des données publiées récemment dans la littérature.

En situation adjuvante : quelle place pour la chimioradiothérapie ? Le seul traitement potentiellement curatif d’un cancer du pancréas est l’exérèse chirurgicale, le plus souvent par duodénopancréatectomie céphalique (DPC) pour les tumeurs de la tête du pancréas ou par splénopancréatectomie gauche, pour les tumeurs de la queue. Celle-ci est réalisable chez 20 % des patients au moment du diagnostic. Parmi les patients opérés, 80 % rechutent, localement ou à distance, avec un taux de survie de moins de 20 % à 5 ans [10]. Les années 1980 ont vu l’apparition des premières associations chimioradiothérapies. Administrer de manière concomitante radiothérapie et chimiothérapie a pour but d’augmenter l’efficacité de la radiothérapie grâce à des effets additifs, voire supra-additifs (synergie) de l’irradiation et de la chimiothérapie, mais aussi d’obtenir une coopération spatiale, c’est-à-dire d’allier l’action locale de la radiothérapie et l’action systémique de la chimiothérapie. Le premier essai randomisé mené à la fin des années 1970 aux États-Unis par le Gastrointestinal tumor study group (GITSG) comparait chez 43 patients une exérèse chirurgicale seule ou suivie d’une CRT avec du 5-FU en bolus. La survie globale et le taux de survie à 2 ans étaient significativement supérieurs dans le bras CRT (20 mois vs 11 mois et 43 % vs 18 %, respectivement ; p = 0,005) [11]. L’essai de l’European organization for research and treatment of cancer (EORTC) n’est pas venu confirmer le bénéfice de l’association CRT adjuvante [12]. En effet, cet essai comparait chez 218 patients ayant eu une DPC le même schéma de CRT adjuvante à une surveillance. Le taux de survie globale à 2 ans était identique dans les deux bras (51 % dans le bras CRT contre 41 % ; p = 0,2). Alors que les États-Unis ont admis comme traitement standard une CRT postopératoire, les résultats de l’essai de l’EORTC n’ont pas permis de considérer ce traitement adjuvant comme un standard en Europe. L’essai ESPAC-1 comparait chez 289 patients après chirurgie une surveillance à une CRT ou une chimiothérapie. La CRT était une radiothérapie en split-course associée à du 5-FU en bolus, identique à celle du bras expérimental de l’essai du GITSG [11]. La chimiothérapie adjuvante était composée de 6 cycles de 5-FU en bolus et acide folinique (FUFOL selon le schéma de la Mayo Clinic). L’analyse des résultats concluait à une survie moins bonne chez les patients ayant reçu une CRT en comparaison avec ceux n’en ayant pas reçu (15,9 mois versus 17,9 mois ; p = 0,05). En revanche, les tome 39 > n86 > juin 2010

La radiothérapie a-t-elle encore une place dans le traitement des cancers du pancréas ?

tome 39 > n86 > juin 2010

6 mois par rapport à ceux n’ayant pas eu de traitement adjuvant [5]. Un effet bénéfique était rapporté quel que soit le statut des marges de résection, RO ou R1. Un gain significatif en terme de survie globale a été rapporté en 2008 lors de la réactualisation des résultats de cette étude (22,8 mois dans le bras gemcitabine versus 20,2 mois dans le bras contrôle, p = 0,005) [17]. Cette étude montre que l’administration de gemcitabine en situation adjuvante est une option valide, au même titre que celle de 5-FU utilisé dans l’essai ESPAC-1, en attendant les résultats de l’essai ESPAC-3 (5-FU versus gemcitabine). L’ensemble des essais de phase III réalisés en situation adjuvante est résumé dans le tableau I. L’essai de phase III de l’EORTC-FFCD comparant en situation adjuvante une chimiothérapie par gemcitabine à une chimiothérapie par gemcitabine suivie d’une CRT devrait apporter une réponse définitive à la question de la place de la CRT en situation adjuvante. En l’état actuel des connaissances, le Thésaurus national de cancérologie digestive (http://www. snfge.org/01-Bibliotheque/0G-Thesaurus-cancerologie/publication5/sommaire-thesaurus.asp#1072) recommande en situation adjuvante une chimiothérapie par 5-FU et acide folinique (6 cycles selon le schéma FUFOL de la Mayo Clinic) comme traitement standard. Celle-ci peut être remplacée selon un avis d’experts par une chimiothérapie adjuvante par 12 cycles de LV5FU2 simplifié ou par 6 cycles de gemcitabine. En cas de marge positive (résection R1), peut se discuter après la phase de chimiothérapie par 5-FU et acide folinique ou gemcitabine une association chimioradiothérapie (50,4 Gy avec 5-FU en perfusion continue).

En situation néo-adjuvante : une attitude prometteuse toujours pas validée Plusieurs arguments théoriques viennent plaider en faveur de la réalisation d’un traitement néo-adjuvant :  la possibilite ´ de de´livrer la totalite´ du sche´ma the´rapeutique a` une plus grande proportion de patients. En effet, on estime qu’environ 20 % a` 30 % des patients ope´re´s ne peuvent pas avoir un traitement adjuvant, en raison de la survenue de complications postope´ratoires et du de´lai ne´cessaire pour retrouver un e´tat ge´ne´ral compatible avec ce type de traitement [7,12,18] ;  la possibilite ´ d’une re´e´valuation pre´-ope´ratoire permettant d’e´pargner une chirurgie lourde aux patients avec une progression rapide de la maladie. On estime qu’environ 30 % des patients ayant une tumeur conside´re´e comme re´se´quable ont une e´volution me´tastatique rapide, mise en e´vidence lors du bilan pre´-ope´ratoire, et ce en rapport avec une maladie probablement me´tastatique d’emble´e non mise en e´vidence par les examens d’imagerie ;  la fre ´ quence de l’envahissement des marges, sugge´rant que la chirurgie seule n’est pas suffisante pour assurer un controˆle local ;

647

patients ayant reçu une chimiothérapie avaient une survie significativement plus longue que ceux n’en ayant pas reçu (20,1 mois versus 15,5 mois ; p = 0,009) [4]. Il est possible que l’absence de critère de qualité de la radiothérapie dans cet essai ait entraîné des irradiations de grand volume potentiellement toxiques, d’autant plus que la dose initialement prévue de 40 Gy pouvait être augmentée à 60 Gy à la discrétion des investigateurs. Plus récemment, une méta-analyse sur données publiées a montré qu’il existait un bénéfice de la CRT adjuvante pour le sous-groupe des patients ayant eu une résection incomplète (R1) [6]. Avant la publication des résultats de l’essai ESPAC-1, le Radiation therapy oncology group (RTOG) avait initié un essai comparant une CRT avec du 5-FU concomitant encadrée par une chimiothérapie, soit par 5-FU en perfusion continue, soit par gemcitabine [13]. Les 451 patients inclus recevaient en post-opératoire 3 semaines de chimiothérapie puis une CRT à la dose de 50,4 Gy avec du 5-FU continu puis 3 mois de chimiothérapie. Il n’y avait pas de différence entre les deux bras en termes de survie globale ou de survie sans récidive. Dans le sous-groupe des 388 patients ayant une tumeur de la tête du pancréas, il existait un bénéfice en faveur de la gemcitabine avec une survie médiane de 20,5 mois versus 16,9 mois dans le bras 5-FU (p = 0,05). Lors de cet essai, un contrôle de qualité de la radiothérapie était prévu. Les patients ayant reçu une irradiation conforme au protocole avaient une survie significativement allongée par rapport à ceux pour lesquels il n’avait pas été respecté [14]. Récemment ont été publiées deux études rétrospectives menées par de grands centres américains. La première a porté sur 472 patients traités à la Mayo Clinic entre 1975 et 2005 pour un adénocarcinome pancréatique en résection complète (marges R0) [15]. Soixante-pour-cent des patients avait reçu en postopératoire une radiothérapie associée à du 5-FU. Avec un suivi médian de 32,4 mois, la survie médiane était de 25,2 mois dans le groupe des patients ayant eu une CRT versus 19,2 mois pour ceux n’ayant pas eu de traitement adjuvant (p = 0,001). Les taux de survie à 5 ans étaient respectivement de 28 % versus 17 %. La deuxième étude retrouve des résultats similaires. Entre 1993 et 2005, 616 patients ont été traités au Johns Hopkins Hospital pour un adénocarcinome pancréatique par DPC [16]. En postopératoire, 271 patients ont reçu une CRT alors que 345 patients étaient simplement surveillés. Avec un suivi médian de 17,9 mois, la survie médiane était de 21,2 mois dans le groupe des patients ayant eu une CRT versus 14,4 mois pour ceux n’ayant pas eu de traitement adjuvant (p < 0,001). Les taux de survie à 5 ans étaient respectivement de 20 % versus 15,4 %. Ces résultats sont encourageants, cependant ils ne permettent pas de conclure quant à la place de la CRT postopératoire. Récemment, l’étude allemande de phase III CONKO-1 a montré un allongement de la survie sans récidive (13,4 mois vs 6,9 mois, p < 0,001) chez les malades traités par gemcitabine pendant

Mise au point

Cance´ rologie/He´ pato-gastro-ente´ rologie

F Huguet

Tableau I Traitement adjuvant des adénocarcinomes pancréatiques réséqués : résultats des essais de phase III. Auteur/année de publication

Nombre de patients

Traitement

Survie globale (mois)

Survie (%)

47

FAM  6

23

43 à 2 ans

Surveillance

11 (p = 0,02)

32 à 2 ans

Chimiothérapie Bakkevold 1993 Takada 2002

81

5-FU + mito C  2, puis 5-FU

77

Surveillance

368

Gemcitabine  6

22,8

21 à 5 ans

Surveillance

20,2 (p = 0,005)

9 à 5 ans

21

CRT 40 Gy + 5-FU, puis 5-FU

20

43

22

Surveillance

11 (p = 0,005)

18

GITSG 1987

30

CRT 40 Gy + 5-FU, puis 5-FU

18

46

Klinkenbijl (EORTC) 1999

60

CRT 40 Gy/5-FU continu

17,1

37 à 2 ans

54

Surveillance

12,6

23 à 2 ans (p = 0,099)

289

CRT 40 Gy + 5-FU

13,9

7 à 5 ans

FUFOL  6

21,6

29 à 5 ans

CRT 40 Gy + 5-FU puis FUFOL

19,9

13 à 5 ans

Surveillance

16,9

11 à 5 ans

5-FU – CRT 50 Gy – 5-FU  4

16,9

22 à 3 ans

Gem – CRT 50 Gy – Gem  4

20,5 (p = 0,09)

31 à 3 ans

Neuhaus (CONKO-1) 2008

11,5 à 5 ans 18 à 5 ans n.s.

Chimioradiothérapie Kalser (GITSG) 1985

Neoptolemos (ESPAC-1) 2004

Regine (RTOG 9704) 2008

388

W AF : acide folinique; CRT : chimioradiothérapie ; FAM : chimiothérapie associant 5-FU, adriamycine et mitomycine C (Amétycine ) ; EORTC : European organisation for research and W treatment of cancer ; ESPAC : European study group for pancreatic cancer ; 5-FU : 5-fluorouracile ; FUFOL : 5-FU et acide folinique ; mito C : mitomycine C (Amétycine ) ; n.s. : non significatif ; Gem : gemcitabine; GISTG : Gastrointestinal study group.

la diminution du risque the´orique de disse´mination perope´ratoire, le traitement ne´o-adjuvant ayant pour but de de´truire les cellules tumorales pre´sentes dans le tissu adipeux pe´ripancre´atique, notamment en situation re´trope´ritone´ale ;  une meilleure radiosensibilite ´ tumorale, l’irradiation survenant sur des tissus non disse´que´s et donc mieux oxyge´ne´s ;  l’absence d’irradiation du montage chirurgical, une grande partie des tissus irradie´s e´tant emporte´s lors de la re´section chirurgicale. Les inconvénients ou limites de cette approche thérapeutique sont les suivants :  la ne ´ cessite´ d’obtenir pre´alablement a` tout traitement une preuve anatomopathologique ;  l’absence d’exploration chirurgicale premie ` re ne permettant pas d’exclure la pre´sence de me´tastases inde´tectables par l’imagerie ;  une augmentation du risque d’he ´ morragie postope´ratoire se´ve`re chez les malades ayant eu ce type de strate´gie (23 % chez les malades ayant eu une irradiation versus 6 % en l’absence d’irradiation) [19]. Ces trois dernières années, les résultats de plusieurs essais de phase II de chimioradiothérapie néo-adjuvante ont été publiés. En France, l’essai FFCD-SFRO 97-04 portant sur 41 patients ayant reçu un traitement néo-adjuvant (irradiation à la dose de 50 Gy

648



avec 5-FU et cisplatine concomitant) a montré la faisabilité de ce protocole : 90 % des patients avaient reçu une dose d’irradiation d’au moins 46 Gy et 73 % des patients avaient reçu au moins 75 % de la dose totale de chimiothérapie. Vingtsix patients (63 %) ont eu une exérèse chirurgicale à visée curative avec un taux de réponse histologique majeure de 50 % et une réponse complète [20]. La gemcitabine ayant d’une part montré sa supériorité par rapport au 5-FU pour les tumeurs avancées et d’autre part fait la preuve d’un fort pouvoir radiosensibilisant, il était logique de l’associer à la radiothérapie pré-opératoire [21,22]. Talamonti et al. ont étudié dans un essai de phase II l’association d’une chimiothérapie par gemcitabine à la dose de 1 000 mg/m2 à une radiothérapie pré-opératoire à la dose de 36 Gy en 15 fractions de 2,4 Gy [23]. Parmi les 20 patients inclus, 95 % avaient reçu tout le traitement prévu, 85 % avaient eu une résection chirurgicale. Parmi les patients opérés, 6 % avaient des marges envahies (R1) et 35 % un envahissement ganglionnaire. Le taux de complications postopératoires sévères était de 24 %. La survie médiane des 17 patients opérés était de 26 mois. Dix patients ont rechuté après un délai médian de 8 mois après chirurgie. Elle était métastatique dans 80 % des cas. Une équipe du M. D. Anderson Cancer Center a inclus 86 patients dans un essai de phase II associant une chimiothérapie par tome 39 > n86 > juin 2010

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gemcitabine à la dose de 400 mg/m2 à une radiothérapie préopératoire à la dose de 30 Gy en 10 fractions de 3 Gy [24]. Une diminution de la dose de gemcitabine a été faite chez 53 % des patients. Cinquante-trois pourcent des patients a été hospitalisé en cours de CRT pour toxicité. Parmi les 86 patients inclus, 74 ont été jugés opérables lors du bilan d’évaluation 4 à 6 semaines après la fin de la CRT. Soixante-quatre patients (74 %) ont finalement pu avoir une duodénopancréatectomie. Parmi les patients opérés, 11 % avaient des marges envahies (R1) et 38 % un envahissement ganglionnaire. Le taux de complications postopératoires sévères était de 9 % avec un décès lié à un lâchage de sutures. La survie médiane des 64 patients réséqués était de 34 mois avec un taux de survie à 5 ans de 36 %. Le taux de rechute locale était de 11 %. Étant donné le taux élevé de rechute à distance dans cet essai, la même équipe du M. D. Anderson Cancer Center a ajouté au schéma précédemment décrit une chimiothérapie par gemcitabine et cisplatine avant la CRT afin d’essayer d’agir plus efficacement sur une potentielle maladie micrométastatique. Cet essai de phase II a inclus 90 patients [25]. Une diminution de la dose de gemcitabine a été faite chez 57 % des patients. Cinquante-un pourcent des patients a été hospitalisé en cours de CRT pour toxicité. Soixante-dix-neuf patients ont reçu le traitement complet. Parmi ces 79 patients, 62 ont été jugés opérables. Cinquante-deux patients (66 %) ont finalement pu avoir une duodénopancréatectomie. Parmi les patients opérés, 4 % avaient des marges envahies (R1) et 58 % un envahissement ganglionnaire. Le taux de complications postopératoires

sévères était de 9,6 %. La survie médiane des 52 patients réséqués était de 31 mois alors qu’elle était de 10,5 mois pour les patients non opérés. Le taux de rechute locale était de 25 %. L’ajout d’une chimiothérapie première à la CRT néo-adjuvante ne semble pas améliorer la survie des patients. L’ensemble de ces résultats est présenté dans le tableau II. Ces différents résultats sont prometteurs, la CRT néo-adjuvante permettant d’obtenir une survie prolongée chez les patients opérés. L’étape suivante consiste peut-être en l’identification précoce des patients ayant une maladie micrométastatique d’emblée pour lesquels chirurgie et CRT sont inutiles. Tant que la CRT néo-adjuvante n’a pas été comparée à la chimiothérapie adjuvante dans un essai randomisé, celle-ci doit se faire uniquement dans le cadre d’essai thérapeutique.

Mise au point

Cance´ rologie/He´ pato-gastro-ente´ rologie

Pour les cancers du pancréas localement avancés : l’union fait la force Pour les cancers du pancréas localement avancés, c’est-à-dire non résécables et non métastatiques (stade III), il n’y a pas de standard thérapeutique [9]. Deux options sont utilisées, la chimiothérapie par gemcitabine et la CRT. Deux méta-analyses récentes sur données publiées ont conclu à l’absence de supériorité de la CRT par rapport à la CT [26,27]. Plus récemment, chimiothérapie et CRT ont été comparées dans un essai de phase III mené par la Fédération française de cancérologie digestive (FFCD) et la Société française d’oncologie radiothérapique (SFRO) [28]. Cet essai a comparé la survie de 119 patients traités soit par chimiothérapie seule (gemcitabine telle que

Tableau II Traitement néo-adjuvant des adénocarcinomes du pancréas résécables Auteur Année

N

Radiothérapie

Chimiothérapie

Taux de résection (%)

Résection R0 (%)

Survie globale (mois) Opérés

Non opérés

Spitz 1997

91

50,4 Gy en 28 fractions ou 30 Gy en 10 fractions

5-FU continu

57

88

19,2

7,2

Evans (EORTC) 1992

28

50,4 Gy en 28 fractions  RTperopératoire

5-FU continu

60

82

-

-

Ishikawa 1994

23

50 Gy

-

66

-

15

9

Pisters 1998

35

30 Gy en 10 fractions  RT perpératoire

5-FU continu

57

68

19

12

Hoffman (ECOG) 1998

53

50,4 Gy en 28 fractions

5-FU continu + mito C

45

45,8

15,7

9,7

White 2001

53

45  5,4 Gy

5-FU + mito C + cisplatine

53

71

-

> 16

Evans 2008

86

30 Gy en 10 fractions

gemcitabine

74

89

34

7

Varadhachary 2008

90

30 Gy en 10 fractions

gemcitabine + cisplatine  4 puis gemcitabine concomitante

66

96

31

10,5

Le Scodan 2009

41

50 Gy

5-FU continu + cisplatine

63

81

11,7

5,7

tome 39 > n86 > juin 2010

649

ECOG : Eastern cooperative oncology group study ; EORTC : European organisation for research and treatment of cancer ; 5-FU : 5-fluorouracile ; N : nombre de patient ; RT : W radiothérapie ; Mito C : mitomycine C (Amétycine ).

F Huguet

Tableau III Traitement des adénocarcinomes pancréatiques localement avancés : résultats des essais de phase III Auteur/année de publication

N

Traitement

Survie sans progression (mois)

Survie globale (mois)

Moertel 1981

194

RT 60 Gy

2,9

5,3

CRT 40 Gy + 5-FU, puis 5-FU

7 (p < 0,01)

9,7 (p < 0,01)

CRT 60 Gy + 5-FU, puis 5-FU

7,6 (p = 0,14)

9,3 (p = 0,19)

Hazel 1981 GITSG 1985 Klaassen 1985 GITSG 1988

30 143 91 43

Earle 1994

87

Shinchi 2002

31

Li 2003

34

Chung 2004

46

Cohen 2005 Chauffert 2008 Loehrer 2008

108 119 74

Survie (%)

5-FU + methyl-CCNU

7,8

CRT 46 Gy + 5-FU, puis 5-FU + methyl-CCNU

7,3 n.s.

CRT 60 Gy + 5-FU, puis 5-FU

8,5

CRT 40 Gy + adriamycine, puis 5-FU

7,6 n.s.

5-FU

8,2

CRT 40 Gy + 5-FU, puis 5-FU

n.s. 8,3

SMF (5-FU + streptomycine)

7,4

19 à 1 an

CRT 54 Gy + 5-FU, puis SMF

9,7 n.s.

41 à 1 an (p < 0,02)

CRT 55 Gy + 5-FU

7,8

CRT 50 Gy + hycanthone

7,8 n.s.

Best supportive care

6,4

0 à 1 an

CRT 50,8 Gy + 5-FU, puis 5-FU

13,2 (p < 0,001)

53 à 1 an (p < 0,001)

CRT + 5-FU, puis gem

2,7

6,7

CRT + gem, puis gem

7,1 (p = 0,019)

14,5 (p = 0,027)

CRT 45 Gy + gem + doxifluridine puis gem + doxi

12

12

CRT 45 Gy + docetaxel + doxi, puis gem + doxi

12,5 n.s.

14 n.s.

RT 59,4 Gy

5

7,1

CRT 59,4 Gy + 5-FU + mito C

5,1 n.s.

8,4 n.s.

Gem

13

53 à 1 an

CRT 60 Gy + 5-FU + cisplatine puis gem

8,6 (p = 0,03)

32 à 1 an

Gem  7

6,1

9,2

CRT 50,4 Gy + gem, puis gem  5

6,3 n.s.

11 (p = 0,04)

CRT : chimioradiothérapie ; Doxi : doxifluridine ; 5-FU :5-fluorouracile ; Gem : gemcitabine ; GISTG : Gastrointestinal study group ; N : nombre de patients ; Mito C: mitomycine C W (Amétycine ) ; n.s. : non significatif ; RT : radiothérapie.

650

dans le schéma de Burris), soit par CRT de 60 Gy avec 5-FU et cisplatine. Dans les 2 bras, la chimiothérapie de maintien était de la gemcitabine jusqu’à progression ou toxicité inacceptable. La survie médiane était plus courte dans le bras CRT (8,6 mois versus 13 mois, p = 0,03). Le taux de toxicité de grade 3-4 était plus élevé dans le bras CRT, que ce soit pendant la phase initiale de traitement (36 % versus 22 %) ou pendant la chimiothérapie d’entretien (32 % versus 18 %). Ce taux de toxicité élevée est probablement dû au schéma de CRT utilisé avec une dose élevée (60 Gy alors que la dose recommandée est de 50 à 54 Gy) et une chimiothérapie concomitante par 5-FU et cisplatine, moins bien tolérée que le 5-FU en monothérapie. Dans le même temps, l’Eastern cooperative oncology group (ECOG) menait un essai de phase III presque similaire [29]. Une chimiothérapie par 7 cycles de gemcitabine seule (1 000 mg/ m2 J1, J8, J15) était comparée à une CRT de 50,4 Gy avec gemcitabine concomitante (600 mg/m2/sem) suivie de 5 cycles de gemcitabine seule. Plus de 300 patients devaient

être inclus mais l’essai a été clos après 74 inclusions en raison de la lenteur des inclusions. Le taux de réponse objective était de 2,7 % dans le bras « chimio » versus 8,8 % dans le bras « CRT ». La survie médiane était plus longue dans le bras CRT (11 mois versus 9,2 mois, p = 0,022). Le taux de toxicité de garde 4 était beaucoup plus élevé dans le bras CRT (41,2 % versus 5,7 %, p < 0,001). Même si le nombre de patients inclus dans cet essai est peu important, ses résultats viennent contredire ceux de l’essai de Chauffert et al. [28]. L’ensemble des résultats des essais de phase III concernant les patients ayant un cancer du pancréas localement avancé est présenté dans le tableau III. Plutôt que de continuer à opposer chimiothérapie et CRT, plusieurs équipes ont développé une stratégie thérapeutique consistant à associer chimiothérapie et CRT avec une médiane de survie de 12 à 17 mois [30–32]. En effet, quel que soit le mode de traitement utilisé, environ 30 % des patients ont une progression tumorale durant les trois premiers mois de traitetome 39 > n86 > juin 2010

La radiothérapie a-t-elle encore une place dans le traitement des cancers du pancréas ?

ment. Une chimiothérapie première pourrait donc permettre de sélectionner les patients pouvant potentiellement bénéficier ensuite d’une CRT. L’essai de phase III LAP07 mené par le GERCOR vient de débuter pour confirmer cette hypothèse. Dans cet essai international sont inclus des patients avec un cancer du pancréas localement avancé. Pendant les quatre premiers mois de traitement, ils reçoivent une chimiothérapie d’induction par gemcitabine associée ou non avec de l’erlotinib (TarcevaW). Les patients ayant une tumeur contrôlée après cette première phase de traitement sont ensuite randomisés entre poursuite de la chimiothérapie pour deux cycles ou CRT [radiothérapie conformationnelle à la dose de 54 Gy avec chimiothérapie concomitante par capécitabine (XelodaW)]. Les patients ayant été randomisés initialement dans le bras gemcitabine-erlotinib reçoivent ensuite un traitement d’entretien par erlotinib jusqu’à progression.

Conclusion La place de la radiothérapie dans le traitement des cancers du pancréas est débattue depuis plus de 30 ans. Pendant

longtemps, il y avait d’un côté les Américains considérant la CRT comme standard thérapeutique que ce soit en adjuvant ou pour les cancers localement avancés, et de l’autre les Européens plus partisans de la chimiothérapie. En situation adjuvante, les résultats de l’essai ESPAC-1, bien que contestés, suivis par ceux de l’essai CONKO-1, ont amené à considérer la chimiothérapie postopératoire comme un standard thérapeutique. La CRT est recommandée pour les patients ayant eu une résection incomplète (R1). Est-elle utile pour les patients ayant eu une résection R0 ? L’essai EORTC-FFCD devrait répondre à cette question. En ce qui concerne les traitements néoadjuvants, on attend toujours l’essai de phase III qui comparera CRT néo-adjuvante et chimiothérapie adjuvante. Pour les tumeurs localement avancées, le débat continue même si la stratégie consistant à associer une chimiothérapie première suivie d’une CRT pour les patients non progressifs paraît séduisante. L’essai LAP07 en cours actuellement a été conçu pour valider cette attitude.

Mise au point

Cance´ rologie/He´ pato-gastro-ente´ rologie

Conflits d’intérêts : aucun.

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