European Research in Telemedicine/La Recherche Européenne en Télémédecine (2013) 2, 23—28
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REVUE
La télémédecine au service de la prise en charge des patients diabétiques : développements actuels et conditions du succès Telemedicine in the management of diabetic patients: Current developments and conditions for success P.-Y. Benhamou ∗, M. Muller , S. Lablanche , I. Debaty Clinique d’endocrinologie, CHU de Grenoble, BP 217X, 38043 Grenoble, France Rec ¸u le 14 janvier 2013 ; accepté le 15 janvier 2013 Disponible sur Internet le 5 f´ evrier 2013
MOTS CLÉS Diabète ; Dossier médical ; Internet ; Web ; Télémédecine
∗
Résumé Le défaut d’investissement du patient et l’inertie clinique contribuent à une prise en charge insuffisante du diabète. Ces obstacles pourraient être levés par les outils informatiques et Internet. Des dossiers de santé personnels, partagés avec le soignant, favorisent la mise en œuvre des comportements inhérents au diabète (amélioration de l’observance thérapeutique grâce à un soutien motivationnel). Ces programmes Web fournissent plusieurs fonctions : dossier médical, téléchargement des glycémies capillaires, carnet glycémique, messagerie sécurisée, feedback manuel ou automatique sur les glycémies, site Web éducatif, journal en ligne (exercice, alimentation, médicaments). L’étude TeleDiab-3 évalue chez 700 diabétiques de type 1 une telle plateforme Web de suivi télémédical du diabète. Par ailleurs, l’étude TeleDiab-1 conduite chez 180 diabétiques de type 1 a montré l’intérêt d’un logiciel installé sur un smartphone (Diabeo) permettant au patient d’avoir en temps réel une aide à la décision sur la dose d’insuline, un carnet glycémique électronique communiquant par Internet avec le médecin et se prêtant ainsi à des consultations téléphoniques. L’essai TeleSage, visant à obtenir une reconnaissance institutionnelle de Diabeo, va tester une technologie et un mode de délivrance de la télémédecine impliquant à la fois médecins et infirmières d’éducation. D’autres exemples (rétinopathie, diabète gestationnel, diabète type 2, pied diabétique) sont présentés. Les conditions du succès sont analysées. Les obstacles au déploiement de la télémédecine sont l’adhésion du patient et des soignants à la technologie, l’ergonomie et l’intégration des divers dossiers médicaux électroniques, et la rétribution financière des soignants. Les études en cours devraient étayer l’intérêt thérapeutique de la télémédecine en diabétologie et appuyer sa reconnaissance. © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (P.-Y. Benhamou).
2212-764X/$ — see front matter © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.eurtel.2013.01.001
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P.-Y. Benhamou et al.
KEYWORDS Diabetes; Medical file; Internet; Web; Telemedicine
Summary Lack of patient commitment and clinical inertia contribute to the inadequate management of diabetes. These obstacles could be overcome by information technology tools and the Internet. Patient health records, shared with the caregiver, encourage behaviour necessary to effectively manage diabetes (improvement of therapeutic compliance through motivational support). These web-based programs enable access to patient medical records, downloadable capillary glycaemia data, blood glucose diary information, a secure messaging system, manual or automatic feedback on blood glucose data, educational websites and also online diaries (e.g. exercise, diet and medication). TeleDiab-3 assessed such a web-based platform for the telemonitoring of diabetes in a population of 700 type 1 diabetic patients. Additionally, TeleDiab-1 conducted in 180 type 1 diabetic patients demonstrated the relevance of smartphone software (Diabeo) that enables the patient to obtain real-time decision support on insulin dose, provides an electronic blood glucose diary that communicates via the Internet with the doctor, and also enables telephone consultations. TeleSage, which aims to secure institutional recognition of Diabeo, will test a similar technology, and a telemedicine delivery platform involving both doctors and nurse educators. Other examples (retinopathy, gestational diabetes, type 2 diabetes, diabetic foot) are presented in this review. The conditions for success are also analysed. Barriers to the deployment of telemedicine are numerous: patient and caregivers’ willingness to adhere to the technology, ergonomics and integration of electronic medical records, and caregivers’ remuneration. Ongoing studies should support and recognise the therapeutic value of telemedicine in diabetology. © 2013 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
Introduction sur la télémédecine La télémédecine est un développement récent de la pratique médicale permis par le progrès technologique et promu par les pouvoirs publics car porteur de plusieurs potentialités : amélioration de l’accessibilité des soins sur le territoire ; optimisation de l’utilisation du temps médical ; amélioration de la collaboration entre professionnels ; optimisation des parcours de soins ; renouvellement et innovation dans la prise en charge thérapeutique. Reconnue depuis 2009 par la loi HPST et précisée dans son cadre règlementaire par le décret du 19 octobre 2010, la télémédecine voit dans la diabétologie un champ d’application privilégié. En effet, le comité de pilotage du plan national de déploiement de la télémédecine a défini en 2011 cinq priorités nationales (permanence des soins en imagerie ; prise en charge de l’AVC ; santé des personnes détenues ; soins en structure médico-sociale ou en hospitalisation à domicile ; prise en charge d’une maladie chronique) où le diabète figure en bonne place. Nous nous proposons ici de survoler les développements actuels de la télémédecine en diabétologie et d’analyser les conditions de son succès. Au préalable, il convient de préciser ce qui définit la télémédecine dans la loi franc ¸aise : forme de pratique médicale à distance utilisant les technologies de l’information et de la communication, elle correspond principalement à quatre catégories d’actes médicaux [1] : • la téléconsultation : consultation à distance entre le patient et le professionnel de santé, par définition synchrone, elle a bénéficié de l’essor des technologies de vidéotransmission ; • la téléexpertise : elle permet à un professionnel de solliciter l’expertise d’un autre professionnel de santé, à distance, et sans la présence du patient ; les réunions de concertation pluridisciplinaire (RCP) entrent dans ce cadre ;
• la télésurveillance : elle permet à un professionnel d’interpréter à distance les données de suivi d’un patient, qu’elles soient cliniques, biologiques ou graphiques, et qu’elles soient transmises automatiquement ou manuellement par le patient ou par un autre professionnel ; la communication entre patient et professionnel est ici asynchrone ; • la téléassistance, qui permet à un professionnel médical d’assister à distance un autre professionnel de santé au cours de la réalisation d’un acte. En diabétologie, nous n’avons pas connaissance d’expériences extensives de téléconsultation, qui pourrait néanmoins trouver sa place dans les cas de déserts médicaux et dans les situations où le transport du patient n’a pas de justification. Gageons que certains impératifs économiques ou démographiques pourraient favoriser de tels développements. La téléexpertise diabétologique, type RCP, n’a pas non plus connu de développement notable dans une discipline encore difficile à procédurer, mais l’apparition de nouvelles molécules antidiabétiques, le développement de la chirurgie bariatrique ou des thérapies cellulaires, l’engorgement des consultations de diabétologues et la demande croissante de médecins généralistes pourraient pousser à de telles perspectives. Quant à la téléassistance, elle est surtout limitée à des expérimentations de gestion de pied diabétique, en cours. C’est donc le domaine de la télésurveillance qui fait l’objet de toutes les attentions en diabétologie.
Les domaines d’application de la télémédecine en diabétologie Afin d’analyser les expériences de télésurveillance rapportées en diabétologie, il convient au préalable de choisir un cadre d’évaluation. L’Agence nationale d’appui à la
La télémédecine au service de la prise en charge des patients diabétiques performance des établissements de santé (ANAP) vient de publier les enseignements tirés de 25 expérimentations phares conduites en France [1]. Elle identifie cinq facteurs clés de succès : un projet médical répondant à un besoin, un portage médical fort soutenu par un coordonnateur, une organisation adaptée et protocolisée, des nouvelles compétences à évaluer et un modèle économique construit. C’est donc sous le prisme du projet médical et du besoin que nous recensons ici les expérimentations les plus emblématiques de la télédiabétologie [2]. En l’espèce, les besoins créés par l’épidémiologie du diabète et l’évolution de la société nous paraissent relever de trois ordres : • la prévention de consultations ou d’hospitalisations évitables ; • le renouvellement de l’offre de soins face à une démographie de soignants en diminution ; • l’amélioration de la qualité et l’efficacité de la prise en charge du patient diabétique. Les deux premiers besoins relèvent davantage d’une logique économique et défensive, tandis que le troisième cible le progrès thérapeutique à travers l’innovation. À ce jour, la télémédecine s’est adressée à six domaines de la diabétologie (Tableau 1) : • le diabète de type 2, dans l’optique de cibler l’observance thérapeutique et de répondre à une demande d’ordre démographique et épidémique ; • le diabète de type 1, en tentant d’apporter un soutien thérapeutique dans un registre qui s’est complexifié (notamment avec l’avènement de l’insulinothérapie fonctionnelle), de renforcer l’éducation thérapeutique, d’améliorer l’observance, de lutter contre l’inertie et d’alléger les contraintes du suivi ; • le diabète de la grossesse, et notamment le diabète gestationnel, afin de faciliter le suivi dans un domaine qui peut être procéduré ; • la rétinopathie diabétique, pour réduire l’incidence des formes graves en permettant la mise en œuvre du dépistage recommandé, de plus en plus problématique en raison de l’évolution de la société et de la démographie médicale ; • le pied diabétique, en espérant réduire le coût économique de cette pathologie, par l’entremise d’une organisation territoriale de soins spécialisés : • les nouvelles technologies (pompes à insuline, délivrance de l’insuline en boucle fermée), le concept encore à l’état de projet étant de renforcer la sécurité du traitement et son observance.
Tableau 1
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Diabète de type 2 Le système WellDoc apparaît comme un dispositif très abouti et validé [3]. Il se définit comme un outil de coaching comportant un logiciel hébergé sur un smartphone et un portail web. Le smartphone permet au patient de saisir ses données d’autosurveillance glycémique, prises de glucides, traitements pharmacologiques et évènements de vie. En retour, le patient rec ¸oit, en temps réel, des messages automatiques d’ordre éducatif, comportemental et motivationnel. Plus de 1000 types de messages sont préenregistrés. Le portail web comporte en outre un dossier médical et des ressources éducatives. Un rapport sous forme d’un plan de soin est généré à intervalle régulier, destiné au patient et à son médecin généraliste. Le fonctionnement est supervisé par des soignants spécialisés en éducation thérapeutique et capables d’intervenir sur le contenu des messages. WellDoc a été évalué dans une étude contrôlée prospective chez 163 diabétiques de type 2 âgés de 52 ans en moyenne, de 8,2 ans d’ancienneté de maladie, suivis en médecine générale pendant 12 mois. L’HbA1c, qui était initialement de l’ordre de 9 %, a diminué spectaculairement de 1,9 % dans le groupe expérimental, et seulement de 0,7 % dans le groupe témoin [2]. Une étude voisine mais non totalement superposable a été conduite en France (TeleDiab-2) chez 180 diabétiques de type 2 testant un système combinant une aide à la titration de l’insuline basale et un coaching par SMS automatisé et personnalisé. Les résultats en seront disponibles fin 2013.
Diabète de type 1 Le système Diabeo, dans sa version princeps, reposait sur un dispositif médical communicant, en l’espèce un logiciel hébergé sur un smartphone permettant au patient d’avoir en temps réel un système d’aide à la décision le conseillant sur la dose d’insuline prandiale et basale, ainsi qu’un carnet glycémique électronique communiquant par Internet avec le médecin et se prêtant ainsi à des consultations téléphoniques. Évalué chez 180 diabétiques de type 1 mal contrôlés (HbA1c initiale 9,1 %) dans le cadre de l’étude TeleDiab-1 conduite dans 17 centres de diabétologie franc ¸ais, le système Diabeo a permis, après six mois, une réduction de l’HbA1c par rapport aux témoins de 0,7 % chez les seuls utilisateurs du logiciel, et une réduction de 0,9 % chez les patients bénéficiant à la fois du logiciel et de consultations téléphoniques rapprochées [4]. Cette amélioration métabolique très significative a été obtenue sans augmentation du risque hypoglycémique ni augmentation du temps
Domaines d’application de la télémédecine en diabétologie.
Areas of application of telemedicine in diabetology.
Domaine
Application
Objectif
Référence
Diabète type 2 Diabète type 1 Diabète grossesse Rétinopathie dabétique Pied diabétique Nouvelles technologies
WellDoc Diabeo-2 Diabeo MEOS DiabGest OphDiab AirPeDia CareLink DiabeLoop
Observance — démographie Aide à la décision — alléger suivi — observance Faciliter/procédurer suivi Dépistage de masse démographie Organisation territoriale de soins spécialisés Sécuriser le traitement observance
2 3 x y En cours Concept
26 global de consultation, mais avec une réduction du temps gaspillé (transport, absentéisme professionnel). Diabeo évolue désormais vers un dispositif plus complet, combinant l’application smartphone, un tableau de bord web permettant au médecin une simplification du suivi par des analyses automatiques des glycémies et du comportement, et enfin une plateforme Internet de télésuivi protocolisé destiné à une infirmière d’éducation chargée de la télésurveillance. Cette nouvelle version fait l’objet d’une large évaluation médico-économique multicentrique nationale (essai TeleSage, en cours). Le rationnel sous-tendant l’utilisation de ces dispositifs technologiques de type smartphone est qu’ils peuvent contribuer à lutter contre le défaut d’investissement du patient et l’inertie clinique du soignant. C’est également la logique guidant le développement de dossiers de santé personnels pour les patients. Ces dossiers informatiques, lorsqu’ils sont partagés avec le soignant, ont une valeur ajoutée en favorisant l’autoprise en charge des comportements inhérents au diabète (par l’entremise du soutien motivationnel offert par l’outil technologique et la communication avec le soignant, incitation à l’autosurveillance des glycémies, à l’observance de l’insulinothérapie et des autres prises médicamenteuses, du respect des mesures hygiénodiététiques). Ces programmes accessibles sur le web fournissent plusieurs fonctions : dossier médical standard (histoire médicale, traitements, données biologiques, etc.), téléchargement des glycémies capillaires, tenue d’un carnet glycémique électronique, monitoring intelligent des glycémies avec feedback automatisé en fonction de seuils glycémiques paramétrables, hébergement intelligent des données biologiques sensibles (HbA1c, lipides, créatinine, albuminurie) avec alertes selon les seuils des recommandations d’experts, gestion intelligente des prescriptions pharmacologiques (alertes sur les contre-indications, lutte contre l’inertie thérapeutique), gestion des rendez-vous et des reconvocations avec plan de soin personnalisé et rappels automatiques par SMS ou mail, messagerie sécurisée en lien avec le soignant, accès à des sites web éducatifs, tenue d’un journal de bord en ligne (exercice, alimentation, médicaments). Du point de vue du diabétologue, les principales actions permises par ces portails web sont des ajustements thérapeutiques, des recommandations sur l’autosurveillance et des messages motivationnels [5]. Du point de vue du patient, les fonctions plébiscitées dans une enquête étaient la possibilité de prise de rendez-vous en ligne avec rappels automatiques, le maintien d’un contact avec l’équipe soignante par messagerie, la tenue d’un carnet de santé électronique et l’affichage d’indicateurs de contrôle glycémique avec la possibilité d’estimation de l’HbA1c par calcul d’après les glycémies [6]. Deux exemples de tels portails web ont été développés aux États-Unis (MyCare Team et Health-eConnect) et ont fait l’objet d’évaluations chez le diabétique de type 2 avec démonstration d’une amélioration significative de l’HbA1c [7,8]. En France, une plateforme ciblant le diabétique de type 1 a été construite (MEOS), permettant au patient le téléchargement de ses données glycémiques et HbA1c avec analyse automatique des seuils, l’accès à une messagerie sécurisée et à une fonction de demande de renouvellement de prescription. Cette plateforme fait actuellement l’objet d’une évaluation
P.-Y. Benhamou et al. multicentrique dans le cadre d’un PHRC national (étude TeleDiab-3).
Autres applications diabétologiques spécifiques La transmission électronique des glycémies capillaires, avec analyse automatique et mise en exergue des valeurs pathologiques grâce à un code couleur, facilite grandement le suivi des patientes atteintes de diabète gestationnel, dont la prise en charge est une des activités les plus standardisées de la discipline. L’évaluation du système DiabGest a validé cette approche par les résultats métaboliques, obstétricaux et les données de satisfaction [9]. Le dépistage de la rétinopathie diabétique grâce à l’utilisation de caméras rétiniennes non mydriatiques (rétinographie), ambulatoire ou non, avec transmission électronique des clichés, et analyse asynchrone par l’ophtalmologiste, est une approche qui a été validée par plusieurs travaux. Ce dépistage a été notamment mis en œuvre en Île-de-France dans le cadre du réseau OphDiat [10]. La télésurveillance des patients atteints de plaie de pied diabétique peut bénéficier des progrès technologiques facilitant la transmission de documents photographiques ou vidéo, et pourrait conduire à une organisation territoriale des soins dédiés à cette pathologie invalidante et coûteuse. À l’heure actuelle, au moins quatre expériences sont conduites, en Basse Normandie, Franche Comté, Midi Pyrénées et Isère. Enfin l’inclusion d’un volet de télésurveillance dans la prise en charge des patients traités par pompe à insuline externe fait partie des projets en gestation. L’outil pompe est déjà un formidable « mouchard » électronique renseignant sur les doses d’insuline, les glycémies (lorsque la pompe est couplée à un lecteur ou un capteur), mais aussi sur le comportement du patient et son observance thérapeutique. À plus long terme, les premiers dispositifs de délivrance d’insuline « en boucle fermée », pilotés par des capteurs glycémiques à l’aide d’algorithmes sophistiqués, devraient être assortis d’une fonction de télésurveillance renforc ¸ant leur sécurité.
Conditions du succès de la télémédecine Un projet médical répondant à un besoin Les projets présentés ci-dessus semblent répondre à des besoins non couverts par la médecine conventionnelle, à plusieurs titres : • motivation : améliorer l’observance, réduire l’inertie, faciliter la communication, coaching ; • efficacité : aider le patient à prendre la bonne décision en temps réel, en situation de mobilité ; • organisation : augmenter la disponibilité des médecins, cibler un grand nombre de patients ; • sécurité : permettre une trac ¸abilité des soins et une approche procédurée ; • économie : réduire les coûts du diabète.
La télémédecine au service de la prise en charge des patients diabétiques Parmi les facteurs conditionnant le succès de certaines des approches télémédicales mentionnées ici, on peut suggérer que l’intégration, dans un même dispositif, de plusieurs outils (outil d’aide à la décision en temps réel, outil de coaching, outil de télémonitoring) joue un rôle clé. Dans ce sens, la télémédecine en diabétologie bénéficie de fac ¸on privilégiée de l’avènement des smartphones. Au total, la télémédecine en diabétologie constitue une réelle innovation, dans le sens où elle améliore certaines pratiques médicales (notamment par la mise en place de parcours de soins et de délégation de tâches), elle participe à la formation des professionnels des santé, elle joue un rôle dans l’éducation des patients et enfin elle place le patient dans un rôle plus actif dans sa maladie, ne le responsabilisant dans son processus de prise en charge. Néanmoins, du point de vue des payeurs, les études de phase 3 rapportées jusqu’à présent n’ont pas encore eu la puissance suffisante pour convaincre du bénéfice médicoéconomique de l’approche télémédicale et, à l’exception du dépistage de masse de la rétinopathie diabétique qui a fait la preuve de son efficacité, ces études restent à conduire.
Un portage médical fort soutenu par un coordonnateur La télémédecine sous-entend une nouvelle organisation des soins, donc un certain bouleversement d’habitudes de travail. Dans cette perspective, le porteur du projet joue un rôle important de sensibilisation, de communication et d’accompagnement au changement. Son action doit se définir au niveau d’une échelle territoriale : regroupement d’hôpitaux, agglomération, département, région, pays. S’il est probablement plus confortable de mettre en place un projet à petite échelle, la pérennité d’une solution télémédicale où les contraintes économiques sont fortes bénéficiera probablement plus d’une assise régionale ou nationale, permettant de diluer les investissements dans une grande base de patients traités. Enfin, il reviendra au porteur de projet de gérer la complexité liée à la multiplicité des acteurs : • versant gouvernance : savoir impliquer les professionnels de santé (médicaux et paramédicaux) ; • versant juridique : la loi suppose l’implication de l’organisme de tutelle, donc l’ARS, dans toute mise en place d’un projet télémédical ; • versant technologique : l’interaction avec le prestataire technique informatique est nécessairement essentielle à la vitalité du projet ; • versant financier : savoir convaincre les payeurs du bienfondé du projet. Le projet TeleSage, testant à l’échelle nationale la solution Diabeo, est une bonne illustration de cette complexité : étude dimensionnée pour 700 patients, 12 centres coordonnateurs, 100 diabétologues investigateurs hospitaliers ou libéraux, 12 ARS de tutelle, recrutement d’infirmières de télésuivi à l’échelon régional, élaboration de conventions de délégations de tâches, mise en place d’une centrale de suivi technique au niveau national, validation de la solution technique (smartphone et portail web), etc., autant de missions nécessitant un soutien logistique et financier fort, assuré ici en l’occurrence par un groupe industriel puissant.
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En d’autres termes, il ne suffit pas de concevoir une solution technologique élégante, mais il faut aussi savoir la promouvoir en s’entourant des bons interlocuteurs.
Une organisation adaptée et protocolisée La télémédecine implique le développement de nouvelles pratiques professionnelles. Cette nouvelle organisation des soins devra être testée dans des études pilotes, faire l’objet de protocoles de soins (gérés par conventions, fiches de postes, organigrammes etc), avant d’être soumise à une évaluation du service médical rendu par des études témoins comparatives avec un suivi conventionnel. Le dépistage de la rétinopathie diabétique par rétinographie a fait l’objet d’une telle organisation, en Île-de-France, au sein du réseau OphDiat [10].
De nouvelles compétences L’avènement de la télémédecine est synonyme d’une nouvelle forme de pratique médicale. En matière de télésurveillance d’un patient diabétique, cela signifie, pour le professionnel de santé, savoir mettre en place une communication asynchrone avec le patient (souvent par messagerie), une gestion différente du temps médical, une forme d’exercice plus synthétique. Une formation des médecins et des futurs médecins à la télémédecine sera nécessaire. Le bouleversement introduit par la télémédecine porte notamment sur les transferts de compétences et les délégations de tâches entre médecins et paramédicaux. La loi HPST (article 51) permet la mise en place de protocoles de coopération professionnelle. La Fig. 1 illustre la délégation de tâches mise en œuvre par le Centre de recherche
Figure 1. Activité dérogatoire attribuée à l’infirmier de télémédecine dans le cadre de l’utilisation du système Diabeo au CERITD (protocole de coopération déposé par le CERITD en décembre 2011 et en attente d’autorisation de la part de l’ARS Île-de-France). Special activity attributed to the telemedicine nurse as part of the CERITD Diabeo system (cooperative agreement tabled by CERITD in December 2011 and pending authorisation by Île-de-France Regional Health Agency).
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sur l’insulinothérapie et le traitement du diabète (CERITD, CHR Corbeil Essonnes) pour l’utilisation de Diabeo par un infirmier de télésurveillance dont l’activité dérogatoire est précisée par convention [11].
études en cours présentées ici devraient contribuer à étayer l’intérêt thérapeutique de la télémédecine en diabétologie et appuyer sa reconnaissance institutionnelle.
Un modèle économique construit
Déclaration d’intérêts
Le modèle économique doit être pensé dès la conception du projet télémédical. Les dépenses d’investissement et de fonctionnement sont souvent lourdes, car les prestations informatiques sont onéreuses. L’évolution trop rapide des matériels et des technologies joue un rôle aggravant. Pour une pathologie chronique comme le diabète, il est difficile de concevoir le maintien d’une tarification à l’acte, et la mise en place d’un forfait annuel de prise en charge par télémédecine semble, sur le papier, le modèle le mieux adapté à la diabétologie. Une telle réflexion se conduira entre les organismes payeurs et les représentants des professionnels de santé. Elle s’appuiera sur les données d’évaluation médico-économique, qui font encore défaut ; l’étude TeleSage est la première étude d’envergure conc ¸ue dans ce but. Par ailleurs, un cadre d’évaluation médico-économique de la télémédecine est en cours d’élaboration par la HAS. Il mettra en balance les dépenses engendrées par la télémédecine (coût des sociétés informatiques et de la télésurveillance) et les économies générées par la télémédecine (réduction des transports, de l’absentéisme professionnel, des consultations, hospitalisations et des complications chroniques du diabète).
P.-Y. Benhamou déclare une collaboration avec Sanofi et Lifescan en tant que conseiller scientifique sur des projets de télémédecine. M. Muller participe en tant qu’investigatrice à une étude de télémédecine financée par Sanofi. Les autres auteurs ne déclarent aucun conflit d’intérêt en rapport avec le contenu de cet article.
Un système intégré Le professionnel de santé est désormais confronté à l’inflation des dossiers médicaux informatisés : dossier médical métier, dossier médical personnel (DMP), dossier santé diabète (MEOS), dossier métabolique (logiciel de lecture glycémique), dossier télémédecine (Diabeo), etc. Intégration, harmonisation, convergence, interopérabilité sont les mots clés revendiqués par des professionnels en route vers la schizophrénisation.
Conclusion Le développement de la télémédecine et de l’Internet mobile contribue à impliquer davantage le patient dans ses soins et la gestion de son diabète. La télémédecine pousse à repenser le modèle de délivrance des soins diabétologique. La mise en œuvre d’un projet télémédical pérenne est un processus complexe, coûteux, et impliquant des partenaires multiples. Même si le projet répond à un besoin et aux différents facteurs clés de succès listés ici, les obstacles freinant le déploiement de la télémédecine en diabétologie sont l’adhésion du patient et des soignants à la technologie, l’ergonomie et l’intégration des divers dossiers médicaux électroniques, et la rétribution financière des soignants. Les
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