La transfusion dans l’histoire, la littérature et les arts

La transfusion dans l’histoire, la littérature et les arts

Transfusion Clinique et Biologique 14 (2007) 1–2 http://france.elsevier.com/direct/TRACLI/ Se´ance ple´nie`re La transfusion dans l’histoire, la lit...

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Transfusion Clinique et Biologique 14 (2007) 1–2 http://france.elsevier.com/direct/TRACLI/

Se´ance ple´nie`re

La transfusion dans l’histoire, la litte´rature et les arts Blood transfusion through history, literature and arts Jacques-Louis Binet Membre de l’Acade´mie nationale de me´decine, secre´taire perpe´tuel Disponible sur Internet le 17 mai 2007

Pas question de de´velopper une histoire exhaustive de la transfusion, traite´e dans d’autres livres [1] et je me bornerai a` rappeler ici quelques grands moments d’une e´volution qui marqueront non seulement la me´decine mais aussi la sante´ publique, l’e´thique, la litte´rature et les arts plastiques. L’histoire commence avec celle de la circulation sanguine domine´e par la personnalite´ de Harvey. Sans pouvoir revenir sur ses e´ventuels pre´de´cesseurs (Ibnal–Nafis, me´decin syrien, qui a travaille´ au Caire au XIIIe sie`cle, ou` il aurait de´couvert la circulation pulmonaire comme Servet, bruˆle´ a` Gene`ve mais pour des raisons the´ologiques), on insistera sur son mode de raisonnement, totalement he´modynamique, ses controverses avec la faculte´ de me´decine de Paris, son incapacite´ de de´crire la circulation capillaire, qui sera l’œuvre de Malpighi par ses observations histologiques, et, in vivo, de Madame La Palatine, seconde femme de Monsieur, fre`re du Roi a` l’aide du microscope de van Leeuwenhoeck [2]. On soulignera l’importance de Jean-Baptiste Denis, nomme´ par Louis XIV, professeur au jardin du Roi pour « enseigner l’anatomie selon des de´couvertes de Harvey » et un des premiers a` oser transfuser. C’est seulement avec Landsteiner, en 1900, et sa de´couverte des antige`nes du goupe A.B.O, mis en e´vidence par agglutination des globules rouges que commence l’aˆge scientifique de la transfusion. C’est seulement par la mise au point d’un liquide de conservation avec du citrate de soude, rendant le sang incoagulable, que les ambulances des arme´es allie´es ont pu largement transfuser a` partir de 1917. Pendant l’entre-deux-guerres les transfusions pratique´es de bras a` bras, directement du donneur au transfuseur, par l’appareil de Tzanck ou de Jouvelet, restent re´serve´es aux urgences he´morragiques. Au cours de la seconde guerre mondiale la pre´paration ACD permettant une conservation du sang pouvant aller jusqu’a` quarante jours et surtout la de´couverte du facteur

Adresse e-mail : [email protected]. 1246-7820/$ – see front matter # 2007 Publie´ par Elsevier Masson SAS. doi:10.1016/j.tracli.2007.04.018

Rhe´sus a` l’origine des accidents secondaires chez les polytransfuse´s rendent plus suˆres et donc plus fre´quentes les transfusions. Durant la campagne d’Italie, les transfuseurs des antennes chirurgicales franc¸aises, qui s’appellent Jean Dausset et Marcel Bessis, forme´s a` Alger par Edmond Benhamou, utilisent du sang compatible dans le syste`me ABO et Rhe´sus. De`s lors, jusqu’en 1981, les connaissances ne cessent de se multiplier et la transfusion connaıˆt un ve´ritable aˆge d’or. On de´couvre de nombreux autres groupes sanguins, marqueurs ge´ne´tiques dessinant un ve´ritable polymorphisme humain que les spe´cialistes des sciences humaines utiliseront pour retrouver l’origine et les migrations des populations. On retrouve aussi des syste`mes antige´niques a` la surface des plaquettes, et a` partir des lymphocytes, Jean Dausset met a` jour les groupes du syste`me d’histocompatibilite´ (HLA) permettant la pratique des greffes de moelle, ouvrant la voie a` l’analyse des maladies auto-immunes et a` une premie`re e´bauche de la me´decine pre´ventive. On sait transfuser des plaquettes, du plasma, de l’albumine. On isole des produits sanguins stables, immunoglobulines, anti-D pour neutraliser les anticorps des femmes enceintes produisant une allo-immunisation contre le facteur Rhe´sus a` leur premie`re grossesse. On fractionne, nume´rote les principaux facteurs de coagulation et on sait fabriquer, par biotechnologie, le facteur VIII et donc l’utiliser dans le traitement de l’he´mophilie A. En plus de ces performances techniques, la transfusion s’est cre´e´e une ve´ritable e´thique, double morale, celle de l’individu et celle du donneur. L’individu, chaque individu, « Monsieur tout le monde », comme l’appelait Charles Salmon, est unique au monde : l’ensemble de ses marqueurs biologiques ge´ne´tiques le distingue de tout eˆtre humain, qui vit, a ve´cu et vivra. Cette re´alite´ biologique vient balayer les notions de race et de pre´tendue supe´riorite´ de telle ou telle population. Le donneur : en France le don du sang est anonyme et gratuit. En revanche, le donneur a droit a` la meilleure consultation de me´decine pre´ventive. Elle comporte le controˆle de son e´tat

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cardiovasculaire et sanguin, la recherche d’une insuffisance re´nale, d’une maladie infectieuse, d’un paludisme, d’une allergie, d’une syphilis et bien suˆr aujourd’hui d’une he´patite et du sida. Dans ce monde de la transfusions en pleine expansion, ou` la France joue un grand roˆle, survient, en 1981, le sida. Avec le sida, c’est l’apparition d’un drame qui, non seulement bouscule l’enchaıˆnement logique de nos connaissances, mais aussi la pratique de la transfusion, et le fondement de notre e´thique. Nous en reprendrons, ici, deux te´moignages, celui de Jaques Ruffie´ [1] et de Jean Bernard [3]. Les nouveaux re`glements transfusionnels, le controˆle rigoureux des produits a` injecter, le suivi des transfusions apportent aujourd’hui la se´curite´ recherche´e mais le drame reste la` et il s’est aussi exprime´ dans la litte´rature, la peinture et la sculpture. Herve´ Guibert a su, dans une trilogie autobiographique, contenir toute sa violence par la force et la maıˆtrise de son e´criture [4]. Pour le centre de transfusion de Besanc¸on, Jean Messagier avait, dans les anne´es 1970, mis au service du sang ses gestes ge´ne´reux et baroques. Dans une grande toile il nous communiquait, comme dans ses paysages, force vitale, espoir de gue´rison, joie de vivre, et de survivre. De cette peinture, il faut rapprocher le travail termine´ en 2002 de Pignon-Ernest en Afrique du sud, pour comprendre ce qu’est encore aujourd’hui l’e´pide´mie du sang contamine´ dans les pays pauvres [5]. Dans une meˆme image, qui deviendra une affiche colle´e sur les murs des bidonvilles du Cap, de Durban, et de Warwick, il a re´uni un cliche´ de la re´volte de Soweto, en 1976, ou` un pe`re porte dans ses bras le corps de son enfant mort dans la re´volte et un dessin de grande dimension qui reprend le meˆme geste : une femme, nouvelle pie´ta noire, « droite, digne », tient dans ses bras son fils fauche´ par le sida. En 2001, a` l’occasion du vingtie`me anniversaire de ´ l’epide´mie de sida, Fabrice Hyber [6] sollicite´ par l’association Sidaction, imaginera et re´alisera, pendant deux ans, pour le parc de La Villette, « l’arte`re, le jardin des dessins », qu’il conc¸oit comme un antimonument, c’est-a`-dire un sol. Puzzle de 1001 m2, constitue´ de 10 000 carreaux de ce´ramique, pre´pare´s au Mexique, l’artiste y peint directement, puis fait vernisser des

dessins originaux, sur lesquels serpente un ruban rouge avec « un nœud de tensions et de passions autour du sida (. . .). L’ide´e, au de´part de ce dessin, e´tait de pouvoir marcher dessus jusqu’a` ce que cela s’efface et que cela s’efface aussi vite que disparaıˆtrait le virus. Fabrice Hyber ajoute : « Pour les gens qui sont malades, il y a le de´sir de positiver la maladie. Pour ceux qui ne le sont pas et qui de´testent les gens malades, e´videmment il ne faut pas positiver. (. . .) J’ai donc tout inte´reˆt a` faire en sorte que cette maladie ne soit pas un drame. Je veux faire quelque chose qui diffuse de l’e´nergie, qui procure du reˆve et des possibilite´s ». Plutoˆt que de s’accrocher a` son passe´, la transfusion, aujourd’hui, doit se tourner vers l’avenir, triple avenir, scientifique, me´dical et humain. Scientifique, car il est peu de domaines, qui soit conduit, dans un temps assez proche, a` pouvoir autant profiter des progre`s de la biologie cellulaire et de la technologie mole´culaire. Me´dical : la recherche permanente, l’obsession de la se´curite´ transfusionnelle implique non seulement le personnel des centres de transfusion, mais tout le corps me´dical pour mieux prescrire, pre´ciser les indications de l’e´rythropoı¨e´tine et des globules rouges, transfuser les plaquettes a` bon escient, mieux choisir les produits labiles a` injecter. Humain et entre le donneur anonyme, non re´tribue´ et le patient, c’est toute une chaıˆne de solidarite´, que vous avez constitue´e et qu’il faut en permanence re´animer, re´organiser, en accord avec d’autres re´seaux me´dicaux humanitaires comme celui des greffes d’organes. Plus que nous me´decins, ce sont les donneurs et les receveurs qui restent les grands acteurs de la transfusion. Re´fe´rences [1] Ruffie J, Sounia J.-C. La transfusion sanguine. Fayard; 1996. [2] Lengele B. Chroniques imaginaires de la sante´ du Roi Louis XIV et des malades de son sie`cle. Bull Acad Natl Med 2006;499–509. [3] Bernard J. Me´decin dans le sie`cle. Robert Laffont; 1994. ` l’ami qui ne m’a pas sauve´ la vie. Gallimard; 1990. [4] Guibert H. A [5] Pignon-Ernest E. Sowet, Warwick, 2002. Galerie Lelong, collection Repe`res, 124; 2002. [6] Hyber F. L’arte`re. Documents de la Galerie Sollertis; 2001.