Éditorial
La ventilation à domicile en France
J.-F. Muir Dans le no 2-2004 de la Revue des Maladies Respiratoires était lancée une série d’article sur la ventilation à domicile, qui comportait trois éditoriaux décrivant la pratique de cette approche thérapeutique en France (O. Roque d’Orbcastel et JM Polu), au Royaume-Uni (A.K. Simonds), et aux États-Unis (N.S. Hill), trois exemples de cultures et d’applications très différentes dans ce domaine, pour des raisons souvent plus économiques et sociales que médicales. Le Pr Jean-François Muir revient sur l’historique et la pratique de la ventilation à domicile en France et la met en perspective de l’enquête européenne commanditée par la CEE sur le sujet.
Service de Pneumologie, Unité de Soins Intensifs Respiratoires, CHU Rouen, Rouen, France. Tirés à part : J.-F. Muir, Service de Pneumologie, Unité de Soins Intensifs Respiratoires, CHU de Rouen, 1, rue Germont, 76031 Rouen Cedex.
[email protected] Réception version princeps à la Revue : 10.03.2004. Acceptation définitive : 20.03.2004.
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Notre pays présente la caractéristique d’une longue tradition dans le domaine de la ventilation à domicile (VAD) puisque les premières structures associatives créées au cours des années 1950 visaient à prendre en charge les malades porteurs de séquelles de poliomyélite. Ces premiers patients devaient progressivement céder la place à d’autres cohortes d’insuffisants respiratoires chroniques porteurs de séquelles tuberculeuses, de maladies neuro-musculaires et de bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) pour ne citer que les étiologies les plus représentées. La ventilation endotrachéale par trachéotomie a connu son apogée dès la fin des années 1960, prenant le pas sur la ventilation péri thoracique ; les premiers essais de ventilation non invasive par masque étaient réalisés dès cette époque par l’équipe de Paul Sadoul [1] mais ne devaient pas être poursuivis du fait de l’absence de masque adapté pour le long terme ; de même, l’autre mode de ventilation non invasive que constitue la ventilation par embout buccal ou pipette devait aussi dans les années 1970 rester confidentiel, et a surtout été testé chez les BPCO de façon transitoire, pour être finalement réservé à des indications spécifiques concernant certaines formes d’insuffisance respiratoire chronique (IRC) neurotraumatologique. En fait l’assistance ventilatoire au sens large allait prendre son essor au début des années 1980 avec l’oxygénothérapie au long cours dont les 2 essais multicentriques anglo-saxons du NOTT [2] et du BMRC [3] démontraient l’intérêt au long cours chez les IRC des BPCO parvenues au stade du cœur pulmonaire chronique, alors que simultanément se créait le réseau fédératif de l’ANTADIR (Association Nationale de Traitement à Domicile de l’Insuffisance Respiratoire) [4]. Avec le développement de l’oxymétrie nocturne et de la technologie des enregistrements polysomnographiques, la © 2004 SPLF, tous droits réservés
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connaissance de la pathologie respiratoire du sommeil allait progresser très rapidement, d’autant que la ventilation en pression positive continue (PPC) s’imposait à la suite de la publication retentissante de Sullivan comme le traitement de référence du syndrome des apnées du sommeil (SAS) [5]. Avec les progrès technologiques spectaculaires induits par la forte demande de prise en charge du SAS qui allait immédiatement en résulter, les années 1980 devaient aussi connaître non seulement un développement exponentiel de la PPC mais aussi l’essor de la ventilation non invasive en pression positive intermittente par masque nasal (VNI). Les progrès réalisés en matière de conception et de fabrication des masques utilisés par la PPC allaient être transposés à la VNI qui commençait à s’imposer en aigu dans le cadre de la prise en charge de la BPCO en recompensation [6], mais aussi en chronique, tout d’abord chez les neuromusculaires avec les travaux de Rideau [7]. La VNI devait continuer à progresser de façon régulière dans les années 1990, avec une efficacité remarquable chez les restrictifs pariétaux et les neuro-musculaires qui a fait reculer de façon impressionnante le recours à la mutilante ventilation au long cours par trachéotomie. Actuellement la ventilation non invasive concerne aussi l’obésité qui devient une cause importante d’insuffisance respiratoire chronique et également les BPCO bien que ses résultats au long cours pour cette dernière pathologie soient encore controversés [8, 9]. Si l’on considère les chiffres de l’observatoire national régulièrement alimenté depuis plus de 20 ans par l’ANTADIR qui prend en charge actuellement près de 46 000 patients (chiffres de 2003), on constate que, si l’on considère l’assistance ventilatoire à domicile au sens large, 21 % des patients sont actuellement traités par oxygénothérapie, 55 % par pression positive continue (syndrome des apnées du sommeil), 2 % par ventilation sur trachéotomie et 10 % par ventilation non invasive par masque nasal, 1 % des patients étant traités par ventilation à l’embout buccal. La progression la plus spectaculaire depuis le milieu des années 1980 est représentée par l’utilisation croissante de la PPC d’une part et la VNI d’autre part. On peut donc estimer à travers ces chiffres et en ce qui concerne la ventilation mécanique à domicile, que dans le cadre du réseau associatif ANTADIR, lequel prend en charge les IRC les plus lourdement atteints, 800 patients sont traités par ventilation par trachéotomie, 4 300 reçoivent une ventilation par masque nasal à domicile et 633 patients sont traités par ventilation à l’embout buccal. Si on extrapole aux autres réseaux de soins participant à la ventilation à domicile, notamment aux associations ne participant pas à la Fédération ANTADIR et rassemblées dans le cadre du Groupement des Associations Régionales d’Assistance Respiratoire à Domicile (GARAD) d’une part et d’autre part aux prestataires libéraux, on peut estimer actuellement en France le nombre de patients ventilés au long cours à environ 20 000 patients [4] dont 1 000 enfants. 462
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Il est intéressant de comparer ce chiffre qui correspond dans l’enquête récente de la CEE sur la VAD [10] à une prévalence de 17/100 000 à la prévalence moyenne européenne de la VAD estimée à 6,6/100 000 en Europe avec de larges valeurs extrêmes liées à l’historique respectif en matière de VAD et à l’organisation sanitaire des 16 pays ayant participé à cette enquête initiée en 2001 ; ainsi la prévalence n’est que de 4,1 en Grande Bretagne alors qu’elle est retrouvée à 10 en Suède et à 9,6 au Danemark, pays ayant il est vrai aussi une longue tradition en terme de VAD liée à la gravité de 1’épidémie de poliomyélite à laquelle les pays scandinaves ont été confrontés après guerre. Aux États-Unis où les insuffisances du système de soins ont été récemment soulignées par NS Hill [11] on constate que la ventilation par trachéotomie, quasiment seule présente avant 1992, partage depuis cette époque à 50 % la prise en charge des insuffisants respiratoires au long cours avec la VNI. Il est étonnant de constater également les grandes disparités entre les États-Unis, pays de 280 millions d’habitants et la France pays de 60 millions d’habitants où respectivement en 1997, une étude menée par extrapolation estimait le nombre de malades ventilés à 17 824 alors qu’en France à la même époque, il était d’environ 12 000... En fait aux États-Unis aucun système centralisé n’existe dans le domaine, l’assistance ventilatoire à domicile étant éparpillée à travers de multiples prestataires privés. MEDICARE, équivalent aux États-Unis de notre sécurité sociale, prend en charge les malades de plus de 65 ans et les handicapés mais ne fournit aucune aide pour les soins infirmiers ou pour la prise en charge globale des malades chroniques à domicile. De ce fait beaucoup de patients relevant d’une ventilation à domicile au long cours sont hospitalisés dans des services de soins chroniques sans oublier que 20 % des américains n’ont pas de couverture maladie. Pour ceux qui peuvent financer une assistance privée (64 % des foyers), la couverture vis-à-vis du risque n’est que partielle et les cotisants doivent souvent payer sur leurs propres deniers leur prise en charge à domicile où interviennent de façon importante la cellule familiale quand elle existe et nombre de structures caritatives ou religieuses [12]. Il n’est pas étonnant que dans ces conditions un frein significatif ait été rencontré dans le développement de la ventilation à domicile malgré le fait qu’à travers l’apparition de la VNI, celle-ci concerne comme dans les autres pays un nombre croissant de patients. Ceci concerne la BPCO, mais aussi nombre de pathologies antérieurement non prises en charge qui sont actuellement prises en considération pour la VAD comme les maladies neuromusculaires et plus récemment les patients atteints de sclérose latérale amyotrophique. En comparaison et bien qu’il ne dispose pas de données centralisées, le système britannique a essayé de rationaliser du mieux possible malgré des ressources limitées, la prise en charge au long cours à domicile des IRC [13]. À l’heure actuelle, si la prévalence est de 4,1/100 000, elle concerne pour moins de 10 % des enfants,
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pour 60 % la tranche d’âge comprise entre 26 et 65 ans et pour 27 % les patients âgés de plus de 66 ans. Ainsi la VAD concerne à part égale les malades neuromusculaires, l’insuffisance respiratoire d’origine pariétale et l’insuffisance respiratoire liée à la BPCO. Si la Grande-Bretagne n’a pas de réseau comparable à celui de l’ANTADIR, elle présente la particularité de ne prescrire la ventilation qu’à travers des centres spécialisés dans un pays où les prestataires privés sont très peu représentés. Ainsi, les malades susceptibles d’être soumis à une VAD doivent passer par ces centres de référence qui sont en contact régulier et se réunissent plusieurs fois par an. À l’heure actuelle moins de 10 % de patients sont ventilés à domicile par trachéotomie, technique pour laquelle les britanniques ont toujours eu une réticence particulière ; la ventilation non invasive, quant à elle, est très largement utilisée et l’essor de la ventilation barométrique a facilité comme ailleurs le développement de la ventilation à domicile en Grande-Bretagne qui était encore confidentielle voici une quinzaine d’années. Si le NHS prend en charge les soins des patients chroniques à l’instar de notre sécurité sociale, en revanche l’enveloppe couvrant ce financement doit être partagée avec d’autres types de soins avec lesquels la VAD se trouve en concurrence qu’il s’agisse de la chirurgie cardiaque, des prothèses totales de hanche ou de la dialyse par exemple. L’équipement est financé par le NHS alors que ce sont les services sociaux qui financent le personnel intervenant à domicile. Il en résulte un retard important au retour à domicile lié à la désignation des équipes devant intervenir à domicile d’une part et à leur formation bien entendu indispensable. Il n’est donc pas étonnant que le système français soit cité en exemple comme le souligne dans un récent éditorial Allan Goldberg [14], fin connaisseur aux États-Unis du système sanitaire français dont il suit l’évolution depuis une trentaine d’années. Qu’elles soient liées à une couverture maladie insuffisante comme pour la population américaine ou à une enveloppe financière limitée comme en Grande-Bretagne les restrictions qui sont observées hors de nos frontières expliquent les disparités observées par rapport à la France où la prévalence des patients soumis à une ventilation à domicile est parmi les plus élevées notamment en Europe et donc bien sûr par rapport aux États-Unis. L’insuffisance respiratoire est prise en charge en France, à 100 % au titre de l’IRC grave et dispose d’un réseau de soins à domicile particulièrement performant, qui permet à tout citoyen de bénéficier en la matière d’une prestation de qualité sur l’ensemble de notre territoire. Ainsi est-il exact de mentionner qu’il fait figure d’exception au plan international, dans la mesure où la collectivité rembourse 2 systèmes, l’un commercial et l’autre associatif auquel le patient a librement accès [4]. À l’heure actuelle le réseau fédéré par l’ANTADIR prend en charge les malades les plus sévères comme le rappellent
Stuart et Weinrich [12] dans un récent rapport publié dans Chest ; le secteur associatif en dehors de l’ANTADIR prend également en charge les malades les plus lourdement atteints, alors que globalement le secteur libéral s’est davantage orienté vers la prise en charge de malades moins sévères traités par VNI, oxygénothérapie ou par PPC. Comme dans les autres pays européens nous allons assister dans les années à venir à une montée en charge de la VAD chez les patients porteurs de BPCO [15] ; l’étude européenne [10] montre d’ailleurs la forte incidence de ces patients alors qu’au long cours le bénéfice de la ventilation à domicile demeure controversé même si les plus sévères d’entre eux semblent tirer globalement bénéfice d’un traitement pourtant astreignant. Par ailleurs, le pourcentage de malades obèses est en croissance rapide notamment les plus sévères d’entre eux porteurs d’un syndrome obésité/hypoventilation [8]. Enfin, la prise en charge des maladies neuromusculaires est également en progression puisque ces patients viennent beaucoup plus facilement qu’autrefois consulter le pneumologue par rapport à leur prise en charge spécifique. Il en va également des patients atteints de sclérose latérale amyotrophique qui font également l’objet d’une prise en charge maintenant précoce sur le plan respiratoire, même si à l’heure actuelle leur espérance de vie est limitée. On devrait en revanche observer une diminution du nombre des patients porteurs de séquelles tuberculeuses compte tenu de la prise en charge actuelle de la maladie tuberculeuse et des IRC d’origine pariétale. Au total la prise en charge de la ventilation à domicile en France est citée en exemple de par le monde ; il est incontestable que la création de l’ANTADIR il y a plus de 20 ans maintenant, a été un élément fondamental dans l’amélioration de la prise en charge de patients nombreux à l’échelon d’un pays de 60 millions d’habitants [16] puisque l’on peut estimer à 200 000 les patients relevant d’une assistance ventilatoire au sens large (VAD + oxygénothérapie + PPC). À une époque légitimement préoccupée par la progression des dépenses de santé, il importe de préserver en ce qui concerne l’assistance respiratoire en général et la VAD en particulier notre organisation actuelle. Celle-ci a su, quel que soit le secteur concerné, s’adapter et effectuer les mutations nécessaires afin de préserver des soins de qualité auprès de nos concitoyens durement touchés par les maladies respiratoires chroniques particulièrement invalidantes et va devoir s’accentuer dans la décennie à venir l’IRC des BPCO et de la grande obésité, autre fléau des temps modernes. Il apparaît aussi capital de préserver en l’adaptant l’observatoire national des IRC de l’ANTADIR, cité en exemple au niveau mondial, qui constitue à l’heure actuelle le seul outil permettant d’avoir en temps réel une cartographie prévisionnelle de la prise en charge et des projections pour l’avenir à considérer en ce qui concerne l’IRC grave dans notre pays [4]. © 2004 SPLF, tous droits réservés
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