L’évolution psychiatrique 69 (2004) 203–215 www.elsevier.com/locate/evopsy
Lacan, lecteur de Minkowski : l’approche structurale > Lacan, reader of Minkowski: the structural approach Linda Goyet * Psychologue, C. H. Henri Ey, 32, rue de la Grève, 28800 Bonneval, France Reçu le 20 novembre 2002 ; accepté le 15 mars 2003 Disponible sur internet 21 février 2004
Résumé La notion de structure tient une place prédominante dans la théorie de Lacan. Il indique qu’il la saisit à partir des écrits de Minkowski. En effet, de par son approche phénoméno-structurale, Minkowski ne se contente pas de l’observable, mais il tente d’en repérer la structure sous-jacente. Il se réfère à la phénoménologie et à la psychopathologie compréhensive. Cette méthode lui apporte une finesse clinique et une autre façon de poser le diagnostic. Ainsi, Lacan s’oriente de ce terme de structure pour élaborer une théorie du sujet. Cela implique que la structure du sujet, c’est son rapport au langage. A partir de cette conception, il développera les structures cliniques que sont la névrose, la psychose et la perversion. Ces repères structuraux ont également une incidence sur la conduite de la cure analytique. © 2003 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract The notion of structure occupies a predominant place in the theory of Lacan. He indicates that was developed from the work of Minkowski. In fact, through his phenomeno-structural approach, Minkowski does not limit himself to purely observable phenomena, but attempts to determine the underlying structure. He refers to the comprehensive phenomenology and psychopathology, and this method provides him with clinical finesse and another means of determining a diagnosis. Thus Lacan
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Toute référence à cet article doit porter mention : Goyet L. Lacan, lecteur de Minkowski : l’approche structurale. Evol psychiatr 2004 ; 69. * Auteur correspondant : Mme Linda Goyet Adresse e-mail :
[email protected] (L. Goyet). © 2003 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/S0014-3855(03)00084-7
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has used this as a basis for his approach to structure to develop a theory regarding the individual. This implies that the structure of the individual is based on his relation to language. From this concept, he then develops the clinical structures of neurosis, psychosis, and perversion. These structural landmarks also have an effect on the course of treatment. © 2003 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Lacan ; Minkowski ; Phénoménologie ; Structure ; Diagnostic ; Sujet ; Signifiant ; Nom-du-Père ; Nœud borroméen Keywords: Lacan; Minkowski; Phenomenology; Structure; Diagnosis; Subject; Significant; In the Name of the Father; Borromean knot
Pour un ami de Z. F. T. et O’C. 1. Introduction Eugène Minkowski présente une approche très singulière de la pathologie mentale. Il la qualifie de phénoméno-structurale. La teinte particulière de sa clinique provient de ses différentes sources d’inspiration : Bleuler, Husserl et Jaspers, notamment. Il s’intéresse plus spécifiquement à la schizophrénie, il élabore sa théorie à partir des travaux de Bleuler. Néanmoins, sa conception des troubles mentaux se trouve directement liée à sa méthodologie et à son approche du sujet. Il s’appuie ainsi sur la phénoménologie pour l’appliquer à la psychopathologie. Il se réfère alors à deux auteurs : Edmund Husserl et Karl Jaspers. Sa façon d’aborder les patients lui apporte une grande richesse clinique. Il ne se contente pas de l’observable, il y recherche la structure sous-jacente. Ses écrits ont obtenu toute l’attention de Jacques Lacan. Bien qu’il critique certains points des élaborations théoriques de Minkowski, il lui rend hommage quant à son approche du sujet. Lacan appréhende de façon structurale le sujet. Nous pouvons donc nous interroger sur l’influence de Minkowski à l’égard du structuralisme de Lacan et quelle en fut la portée sur la construction théorique lacanienne. 2. Les références phénoménologiques d’Eugène Minkowski Dans son livre L’idée de la phénoménologie, cinq leçons (1907) [1], Husserl expose sa pensée quant à la phénoménologie comme théorie de la connaissance. Il y définit la phénoménologie pour ensuite expliquer en quoi consiste la réduction phénoménologique et enfin éclaircir ce que représente l’attitude de la présence-en-personne. 2.1. La phénoménologie d’Edmund Husserl 2.1.1. Définition de la phénoménologie Edmund Husserl définit la phénoménologie comme théorie de la connaissance. Son interrogation à l’origine fut : comment peut-on connaître les choses en elles-mêmes,
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c’est-à-dire sans faire appel à des préjugés ou à des présupposés ? Pour cela, il préconise une analyse phénoménologique de la connaissance afin d’atteindre le monde des réalités. C’est ainsi une remise en question de la possibilité de la connaissance qui est posée. Donc, « la phénoménologie fait eo ipso comprendre, et comment les choses peuvent être « atteintes » par la connaissance « telles qu’elles sont en elles-mêmes », et comment elles « sont » et en quels sens elles « sont » ([1], p. 6). Il s’intéresse à la connaissance, c’est-à-dire à l’acte de connaître, mais aussi à l’objet que vise la connaissance. L’approche des faits nécessite l’élimination de tout présupposé et un retour aux choses mêmes. Le phénoménologue suspend ses jugements. « La méthode de la critique de la connaissance est la méthode phénoménologique, la phénoménologie est la doctrine générale de l’essence, où la science de l’essence de la connaissance a sa place » ([1], p. 104). Cependant, il faut un point de départ indubitable donnant la possibilité de connaître : c’est l’évidence que l’on porte sur les objets qui nous permet de les appréhender dans leur essence. Effectivement, lorsque nous percevons des objets, il existe des évidences à leur égard, nous saisissons intuitivement certaines données de l’objet perçu. Husserl tente de définir une donnée absolue, dans le sens d’un phénomène pur détaché de tout préjugé, le phénomène en lui-même doit être atteint dans son essence, dans son être. Pourtant, il faut bien comprendre que la phénoménologie n’est pas la psychologie et qu’elle n’est pas une simple description des phénomènes. Il cherche à discerner l’objectivité de l’essence. Il établit ainsi une façon de saisir « en personne » les choses, puisque ce n’est que par l’évidence, l’intuition que nous pouvons appréhender l’être en soi, l’essence des choses. Cette méthode est appelée : « réduction phénoménologique ». C’est un savoir fondé sur des évidences qu’il met en place. 2.1.2. La réduction phénoménologique La réduction phénoménologique permet la connaissance en se libérant des préjugés. Husserl ne met pas en doute les diverses réalités qu’il pourrait juger, mais il les considère comme des objets vers lesquels se porte la conscience. C’est ce qu’il appelle l’intentionnalité. En fait, il explique que les phénomènes psychiques, à la différence des phénomènes physiques, ont la spécificité d’être toujours dirigés vers quelque chose, autrement dit, d’être conscience de quelque chose. L’intentionnalité se compose donc de l’acte de la conscience (par exemple : la perception) et de l’objet tel qu’il apparaît dans cet acte (objet perçu). La méthode phénoménologique intervient alors pour saisir le phénomène pur, donc d’opérer une réduction afin de l’atteindre. Mais, comment effectuer cette réduction phénoménologique ? Husserl préconise de mettre entre parenthèses notre vécu, le monde, notre propre personne, ainsi nous pourrions prendre connaissance de l’être des choses. L’analyse phénoménologique portera, par exemple, sur l’acte de percevoir une chose et sur la perception de la chose en éliminant toute présupposition, c’est-à-dire tout ce qui n’est pas une donnée évidente (comme des lois physiques). G. Lantéri-laura explique que « la » réduction phénoménologique » est donc cette décision de ne plus s’intéresser aux réalités naturelles prises en elles-mêmes, pour se consacrer exclusivement à la description des divers actes par lesquels ces objets sont perçus, imaginés, jugés, etc. » ([2], pp. 69-70). À ce moment là, seule la connaissance des actes du sujet est possible et l’analyse phénoménologique consiste à décrire les activités du sujet.
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Cependant, il ne s’agit pas de psychologie introspective qui, elle, se rapporte au monde, alors que la réduction phénoménologique met entre parenthèses le monde. Elle fait abstraction de tout ce qui n’est pas l’acte et l’objet de l’acte. Puis dans un deuxième temps, Husserl parle de la réduction phénoménologique pour saisir l’existence d’autrui et les relations que nous entretenons avec lui. De plus, Husserl précise qu’avec l’analyse phénoménologique, non seulement c’est la connaissance des objets particuliers qui est atteinte, mais également la généralité des objets analysés. Effectivement, nous accédons à l’essence des choses, d’où aux objets dans leur généralité. À travers l’objet singulier, nous touchons au général grâce à cette méthode d’analyse. Cette méthode implique donc une attitude particulière pour atteindre le phénomène pur. Husserl parle alors de « présence-en-personne ». 2.1.3. La présence-en-personne L’attitude phénoménologique pour la connaissance de l’essence des choses est la présence-en-personne. Il faut alors modifier totalement notre attitude naturelle à l’égard du monde, étant donné que nous portons constamment des jugements sur les choses. Il faut alors adopter celle de la présence-en-personne. « Ce terme désigne ce qui est donné en personne et le caractère d’être donné en personne » ([1], p. 55). L’objet de la connaissance et le sujet qui vise à établir la connaissance sont là, abstraction faite des connaissances non évidentes, de plus, le sujet voulant connaître se rend présent pour cet objet uniquement. Cette attitude permet la validité de la phénoménologie comme théorie de la connaissance. Saisir l’essence des choses, c’est être amené à adopter comme attitude une directe présence-en-personne. Husserl définit cette attitude ainsi : « cette façon d’être donné, qui exclut tout doute qui est un sens, qui est une vue et saisie tout à fait immédiate de l’objet visé lui-même et tel qu’il est, constitue le concept précis d’évidence, entendue comme évidence immédiate » ([1], p. 60). L’objet est alors donné en personne au sujet lui permettant, après avoir appliqué la réduction phénoménologique, d’obtenir des évidences et donc des connaissances sur l’essence de l’objet. En effet, l’objet est vu et saisi directement, sans intermédiaire ni préjugé, il devient une donnée absolue, un phénomène pur qu’il est possible de connaître. L’étude de l’essence ne peut se faire que dans une pure vue, c’est-à-dire épurée de tout a priori et réalisée directement, immédiatement (sans médiat), cette pure vue correspond à la présence-enpersonne. Le phénomène pur devient une absolue donnée-en-personne, puisqu’il se situe dans une pure vue et il est le résultat de l’opération de la réduction phénoménologique. La phénoménologie s’intéresse donc au rapport du sujet à ses objets : la conscience n’est pas connaissable en elle-même, mais seulement par rapport à ses objets, la phénoménologie étudie ainsi ses intentions. Minkowski s’intéresse à l’œuvre de Karl Jaspers pour le lien qu’il établit entre la phénoménologie et la psychopathologie. Dans son livre Psychopathologie générale [3], il dégage deux formes de psychopathologie quant à son approche : psychopathologie compréhensive et explicative. Il donne des indications sur la façon de mener un entretien avec un sujet.
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2.2. Karl Jaspers et la psychopathologie compréhensive 2.2.1. Phénoménologie et psychopathologie Nous allons commencer par définir, d’après Jaspers, la psychopathologie et la phénoménologie. L’objet de la psychopathologie concerne les phénomènes psychiques, leurs conditions, leurs causes et leurs conséquences ([3], p. 11). La phénoménologie étudie des états d’âme tels que les malades les éprouvent, elle tente de les représenter sous une forme concrète et considère leurs rapports de parenté. Elle essaye de les délimiter avec le plus de précision possible, de les distinguer, de les nommer par des termes fixes ([3], p. 47). Dans son ouvrage, il aborde d’abord la phénoménologie puis la psychopathologie. Jaspers expose qu’il s’agit de saisir la vie psychique anormale dans sa réalité en déterminant de quelle façon elle se manifeste, quels sont ses rapports avec le monde et quelles sont ses causes. Cependant, il faut appréhender le patient sans présupposé, sans théorie, sans a priori. On retrouve ici l’attitude phénoménologique préconisée par Edmund Husserl. Il propose donc de se représenter ce qui se passe chez le patient, ce qu’il ressent, ce qu’il éprouve, mais en faisant abstraction de préjugés théoriques. « On ne doit représenter que ce qui est réellement dans la conscience, tout le reste n’existe pas » ([3], p. 48). Cependant, Jaspers indique que l’on ne peut étudier que ce que l’on comprend et saisit. Il faut témoigner alors d’une aptitude à constater les phénomènes en eux-mêmes, il s’agit de comprendre d’une façon intuitive et profonde ce qui se passe chez le patient, autrement dit, saisir chaque phénomène psychique du sujet. Il faut également tenir compte de ce que racontent les patients et de leur autobiographie. Il s’agit d’isoler les phénomènes psychiques en les resituant toujours par rapport au patient pris dans sa totalité. De cette manière, il décrit très précisément, très finement de nombreux phénomènes psychiques anormaux, mais il ne s’en tient qu’à une description. Il sépare ainsi la psychopathologie subjective (phénoménologie) de la psychopathologie objective consistant à la description des fonctions physiologiques de certains troubles (troubles de la mémoire, de la perception, etc.), ces troubles nous apparaissant comme incompréhensibles et insaisissables. Donc, certains troubles peuvent être décrits de manière subjective et d’autres de manière objective. Cela concerne la description, ensuite, il aborde les questions où il se préoccupe de savoir d’où vient le phénomène observé et quelles sont les relations entre les phénomènes. Il effectue alors une nouvelle division : la psychopathologie compréhensive et la psychopathologie explicative. 2.2.2. Psychopathologie compréhensive et explicative La psychopathologie compréhensive correspond au fait qu’en pénétrant la conscience du sujet, nous comprenons le passage d’un état mental à un autre. C’est la compréhension des états psychiques par d’autres états psychiques, c’est-à-dire une explication psychologique. Donc un état psychique est la conséquence d’un autre état psychique, la causalité est alors intérieure ([3], p. 275).Quant à la psychopathologie explicative, elle rend compte de la causalité des phénomènes par des lois établies sur des expériences répétées, c’est-à-dire une causalité externe comme pour les sciences naturelles, une logique scientifique. Il s’agit d’essayer d’établir des règles, voire des lois rendant compte des faits psychiques observés. En fait, pour la psychopathologie compréhensive, Jaspers explique que « les états psychiques « engendrent » d’autres états psychiques d’une manière qui nous est compré-
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hensible. [...] Cette genèse du psychique par le psychique, nous la comprenons génétiquement » ([3], p. 276). La compréhension génétique utilise l’interpénétration affective, c’est-à-dire comprendre psychologiquement les rapports entre plusieurs phénomènes psychiques. Cela nous permet d’aller au centre des relations psychiques d’un sujet. C’est une compréhension subjective des rapports psychiques vus de l’intérieur. Cette attitude est proche de celle du phénoménologue, bien qu’il s’agisse de descriptions, ce qui est contraire à l’attitude phénoménologique introduite par Jaspers. Tandis que la compréhension explicative est une constatation objective des rapports et des conséquences de phénomènes psychiques, mais qui nous demeurent incompréhensibles. Elle explique par la causalité (par exemple, une tumeur cérébrale entraîne des conséquences psychiques). C’est à ce niveau que l’on peut parler des théories. Effectivement, lorsque nous constatons un rapport de causalité, nous sommes amenés à postuler l’existence de mécanismes cachés expliquant ce rapport. La nature de ces mécanismes ne peut être atteinte directement, nous les inférons, alors que les phénomènes subjectifs et les données objectives sont perçus directement. 2.2.3. Technique de l’examen Jaspers précise la façon d’appréhender les patients afin de saisir ce qu’ils vivent. Ayant établi une relation entre le patient et lui, par la conversation ou un autre moyen, il essaye de vivre en même temps que le sujet ce qu’il vit et en lui. Sinon, il laisse les patients raconter après-coup ce qu’ils ont vécu, il utilise ces auto-observations qui sont très riches lorsqu’il ne peut pas établir de relation, du fait que les patients soient en état de crise par exemple. « Dans la mesure où cela nous est possible seulement, nous pouvons obtenir, par la pénétration immédiate de leur vie, une connaissance de leurs phénomènes internes » ([3], p. 131). Cet examen nécessite de pouvoir se donner complètement, mais jusqu’à un certain point avec le patient. Il faut également renoncer à son propre point de vue. L’objectif de l’examen est de faire parler le patient, le clinicien devant parler aussi peu que possible. Il s’agit alors d’examiner successivement les phénomènes subjectifs de l’âme réellement vécus, par exemple l’expérience délirante, puis les manifestations extérieures de la vie mentale (ce qu’il appelle la psychopathologie objective), phénomènes objectifs matériellement observables (troubles de la mémoire...), puis l’expression de l’âme, c’est-à-dire la psychologie de l’expression, expression comprise à travers l’interpénétration affective, soit directement saisie par l’observateur dans le corps, le mouvement, l’attitude, soit indirectement appréhendée à travers le langage, les pensées, l’action ou les œuvres. L’objectif est de se représenter à travers ce matériel le monde d’un sujet, sa représentation du monde et sa conception du monde. Donc, il part d’une intuition d’ensemble qui est analysée et examinée. Il clarifie ensuite les contenus, les phénomènes et les mécanismes de l’ensemble qu’il a observé. Il reconstruit ainsi ce que vit le patient par une meilleure compréhension. Cette démarche ne peut être effectuée que si le clinicien a pris connaissance, dans la mesure du possible, du contenu des phénomènes et des symptômes les plus significatifs de la vie psychique du sujet. Cette démarche constitue une attitude phénoménologique en psychopathologie. Cependant, il s’agit d’une phénoménologie descriptive.
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3. La méthode phénoméno-structurale d’Eugène Minkowski L’approche phénoménologique de Husserl a séduit de nombreux psychiatres, dont Eugène Minkowski. En effet, l’attitude phénoménologique est d’abord une connaissance sans a priori des faits, visant à dévoiler les significations. Le sujet existe dans le monde et il s’agit donc de décrire ses rapports au monde. Pour les psychiatres, c’est une nouvelle façon d’aborder les patients pour mieux appréhender ce qu’ils vivent. Minkowski élabore la méthode phénoméno-structurale en se référant aux travaux de Husserl et de Jaspers. Cette méthode inclut une approche phénoménologique, mais aussi une certaine manière de poser le diagnostic. 3.1. Approche phénoménologique Minkowski s’est inspiré de la phénoménologie d’Husserl afin d’utiliser « une méthode d’investigation toute proche de la réalité vivante » ([4], p. 177). Il s’accorde avec Husserl et Jaspers sur la nécessité de modifier l’approche du sujet en psychiatrie. Donc, il essaie de saisir l’essence des phénomènes fondamentaux caractérisant le sujet et permettant d’expliciter son vécu. Il préconise alors de « pénétrer en profondeur, jusqu’au fond même de ces phénomènes, et de mettre ainsi en évidence leurs caractères essentiels, de même que les corrélations fondamentales qui, dans cette optique, les relient les uns aux autres, avant même qu’ils ne se réalisent dans les vies individuelles » ([4], pp. 177-178). En partant de l’individuel, mais avec un examen en profondeur, il peut atteindre des données plus générales sur le sujet. Il repère ainsi certains phénomènes fondamentaux qui peuvent être encore masqués à un certain moment de la pathologie. Il se sert de son intuition afin de relever le trouble fondamental de la pathologie observée. Cependant, il ne suit pas Jaspers lorsque celui-ci sépare la phénoménologie et la psychopathologie objective, c’est-à-dire subjectivité et objectivité. Dans l’œuvre de Minkowski, il ne semble pas qu’il y ait une opposition radicale entre le compréhensible et l’incompréhensible comme le fait Jaspers. Minkowski s’efforce de prendre le sujet dans sa totalité malgré sa pathologie. Il estime que le travail de Jaspers est intéressant quant à sa méthode, mais il faut aller plus loin et ne pas rester dans le domaine descriptif. C’est ici qu’entre en jeu l’intuition dans l’appréhension des sujets. S’il choisit cette méthodologie, c’est pour discerner la spécificité des pathologies. Il prend l’exemple de l’angoisse et se pose la question de savoir si celle-ci est de même nature dans l’angoisse existentielle, la névrose d’angoisse et l’angoisse des schizophrènes. Est-ce réellement de l’angoisse comme les sujets peuvent le raconter ? C’est à cette occasion qu’intervient l’effort de pénétration dont le but est de comprendre ce que vivent les sujets et à ce moment là, il pourra déterminer s’il s’agit de l’angoisse ou non. Cela permet d’affiner les observations, les descriptions et de mieux appréhender la pathologie mentale ([4], pp. 181-182). 3.2. Le diagnostic par pénétration Cette approche phénoménologique de la psychiatrie et du sujet malade permet d’établir le diagnostic par pénétration ou par sentiment. Il ne s’agit plus de se contenter de la position
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d’observateur et de recueillir les faits observés. Avec cette démarche, le psychiatre investit tout son être dans la relation au patient. Il peut alors rendre compte du contact du sujet avec la réalité ambiante. Il tente de repérer « l’affectivité-contact » du sujet avec le monde extérieur, donc qui touche aux relations inter-humaines. Il utilise ainsi la vision des données immédiates, la présence-en-personne, terme qu’il reprend d’Husserl. Cette position adoptée permet de saisir les choses en soi, le vécu du sujet sans passer par des intermédiaires, de façon immédiate. Il fait donc entrer en jeu toute sa personne, dans un effort de pénétration, pour saisir sur le vif celle qui se trouve devant lui. Ce diagnostic consiste surtout dans la compréhension de l’être du sujet. Par exemple, il essaie de déterminer ce que signifie l’être schizophrène, après cela, il pourra face à un sujet savoir s’il est schizophrène ou non à partir du vécu du sujet. Il a spécifié l’être schizophrène selon certaines caractéristiques (autisme...) et grâce au diagnostic par pénétration, avec lequel il atteint l’être du sujet, il pose son diagnostic. Ce diagnostic ne repose pas sur une simple description de symptômes, mais sur le sens vécu par le sujet, c’est-à-dire sa place dans le monde. Il faut pénétrer dans le monde dans lequel il vit. Cette démarche amène alors à déterminer « la façon d’être et les réactions de la personne toute entière à l’égard de l’ambiance » ([5], pp. 75-76). Cependant ce diagnostic comporte également un autre aspect : il ne s’agit pas d’établir une relation de causalité, mais celle de l’expression et de la signification. Il rattache à cette relation les deux termes l’exprimant et l’exprimé, le signifiant et le signifié. Il semble indiquer que l’exprimant ou le signifiant correspond à l’attitude du sujet, alors que l’exprimé ou le signifié correspond au contenu, à la signification de cette attitude. Donc, par un effort de pénétration, il remonte de l’exprimant à l’exprimé, du signifiant au signifié ([4], p. 214). Pour cela, il fait intervenir son propre ressenti face au sujet. 3.3. L’analyse structurale Minkowski nomme sa démarche : méthode phénoméno-structurale. Elle consiste, comme nous venons de le voir, en une approche phénoménologique du sujet et il effectue en même temps une analyse structurale. Ce « structuralisme » est différent de celui de Jacques Lacan. Par structure, il entend ce qui est sous-jacent aux phénomènes observés, autrement dit, il s’agit d’un phénomène fondamental, un processus qui détermine le vécu du sujet. Cette structure est celle se trouvant au fondement de notre existence. Il donne l’exemple des délires pour lesquels il recherche leur structure, il en conclut que le temps et l’espace vécus par le sujet sont modifiés, c’est ce qui caractérise le délire : cela signe la structure du délire et ce qui détermine le monde dans lequel vivent ces sujets ([4], pp. 195-197) . Il étudie ainsi les troubles générateurs qui sont à l’origine des pathologies. De par cette analyse, il est amené à décrire le domaine normal : la typologie constitutionnelle, montrant qu’il n’y a pas de frontière fixe entre le normal et le pathologique. La typologie spécifie un ensemble de sujets ayant les mêmes comportements qui caractérisent leur façon d’appréhender le monde. Il s’appuie sur les travaux de Kretschmer, Bleuler et Minkowska. Il se base plus particulièrement sur la typologie constitutive établie par sa femme. Cette typologie comprend trois constitutions : épileptoïde, schizoïde et syntone. Celles-ci « déterminent la structure formelle de sa vie, « formelle » voulant dire : façon de vivre et de voir le monde » ([5], p. 618). De manière simplifiée, le schizoïde se détache de
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la réalité, l’épileptoïde colle à la réalité et le syntone est en contact avec la réalité juste comme il le faut. Ces types vont de la normalité à la pathologie : si le sujet est trop détaché de la réalité, c’est un schizophrène. Cette typologie indique également la structure du sujet, puisque nous retrouvons ces comportements dans le normal et le pathologique, la différence se situe dans le degré d’intensité des attitudes. En fait, l’analyse structurale a pour objet d’étudier la structure de la personnalité, donc de déterminer les phénomènes essentiels dont elle se compose, de voir comment ces phénomènes se comportent et se regroupent quand l’un d’eux fait défaillance, comment ils font face à l’atteinte portée, dans ce cas, à la synthèse de la personnalité et quelles sont les attitudes morbides qui en résultent. Cette analyse s’effectue dans le présent et a pour objet le comportement actuel de l’individu ([6], p. 235). 4. L’approche structurale de Lacan Lacan rédigea quelques articles sur l’œuvre de Minkowski dans lesquels il aborde la question de la structure. Ainsi, nous pouvons nous demander quelle fut l’incidence de l’approche de Minkowski sur le structuralisme de Lacan. Le structuralisme, c’est « se donner la possibilité de faire advenir des relations, apparemment dissimulées, qui existent entre eux [les objets] ou entre leurs éléments » ([7], p. 28). Cependant, quel sens prend la structure chez Lacan et ce qui en résulte quant à la conception du sujet. 4.1. La notion de structure, entre Minkowski et Lacan Lacan souligne, à plusieurs reprises, la singularité de la démarche clinique de Minkowski. En effet, elle se démarque de la psychiatrie contemporaine en se dégageant de ses préjugés. Lacan intervient à la suite d’un exposé d’Eugène Minkowski lors d’une conférence au Groupe de l’Évolution Psychiatrique en juillet 1936 : « or c’est de la prise de possession de la réalité clinique au travers de ces prismes déformants qu’est issue la séméiologie dite classique. Il est bien certain que celle-ci ne peut nous satisfaire dans la mesure même où nous avons dépassé le troisième trimestre de notre classe de philosophie. On peut dire que la psychiatrie conçue de la sorte est sans existence tant qu’elle reste inféodée aux catégories que persécute M. Minkowski » ([8], p. 66). Ainsi, de par son approche du sujet, ce psychiatre présente une richesse clinique importante dans ses œuvres. Son abord de l’être humain, et plus particulièrement de la pathologie mentale amènent Minkowski à mettre en lumière un fonctionnement spécifique des troubles mentaux. Nous pouvons noter qu’ à ce moment-là la notion de structure apparaît. Nonobstant, dès 1932, nous retrouvons l’utilisation du terme de structure dans la thèse de Lacan ([9], p. 126). Il spécifie qu’elle émane des recherches de Minkowski. Il met alors en évidence l’étude de la structure psychique afin de saisir la pathologie mentale et le sens que peuvent prendre les symptômes dans ce fonctionnement. Il énonce que « certains ont cherché à définir la structure des propriétés de la conscience morbide. Tel est le sens par exemple des recherches de Minkowski sur les intuitions temporelles et spatiales dans diverses formes de maladies mentales » ([9], p. 138). Cette influence de Minkowski sur Lacan a été relevée par plusieurs auteurs tels que D.F. Allen et J. Postel ([10], p. 973), J.C. Maleval et F. Sauvagnat ([11], p. 8).
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Lors d’un compte-rendu de 1935 du livre Le temps vécu de Minkowski [12], Lacan évoque l’importance de la notion de structure en psychiatrie. « La nouveauté méthodique des aperçus du Dr Minkowski est leur référence au point de vue de la structure, point de vue assez étranger, semble-t-il, aux conceptions des psychiâtres français » ([13], p. 426). Lacan précise que « les faits de structure se révèlent à l’observateur dans cette cohérence formelle que montre la conscience morbide dans ses différents types et qui unit dans chacun d’eux de façon originale les formes qui s’y saisissent de l’identification du moi, de la personne, de l’objet, - de l’intentionalisation des chocs de la réalité, - des assertions logiques, causales, spatiales et temporelles. Il ne s’agit point là d’enregistrer les déclarations du sujet que nous savons dès longtemps (c’est là peut-être un des points désormais admis de la psychologie psychiatrique) ne pouvoir, de par la nature même du langage, qu’être inadéquates à l’expérience vécue que le sujet tente d’exprimer. C’est bien plutôt malgré ce langage qu’il s’agit de « pénétrer » la réalité de cette expérience, en saisissant dans le comportement du malade le moment où s’impose l’intuition décisive de la certitude ou bien l’ambivalence suspensive de l’action, et en retrouvant par notre assentiment la forme sous laquelle s’affirme ce moment » ([13], p. 426). Nous tenions à reprendre cette longue citation afin de montrer que, Lacan, lisant Minkowski, avait une approche de la question de la structure en psychiatrie. En outre, Lacan insiste sur le fait que pour saisir la pathologie mentale, au-delà des symptômes, autrement dit de l’observable, il s’agit de se référer à « l’organisation structurale » ([13], p. 427) du sujet. Il rend hommage à Minkowski pour « avoir cherché dans une analyse phénoménologique du temps vécu les catégories de son investigation structurale » ([13], p. 428). Nous constatons déjà en germe la théorie de Lacan sur le sujet. Néanmoins, il resitue l’approche structurale de Minkowski en regard des travaux de G G. de Clérambault sur l’automatisme mental ([13], p. 428). 4.2. La structure du sujet Lacan participe du mouvement structuraliste des années cinquante. D’une part, le structuralisme prend son essor de la linguistique et de la phonologie, et d’autre part de l’anthropologie structurale de Lévi-Strauss ([14]). François Dosse revient sur l’origine du terme structuralisme. « D’où vient le concept de structuralisme qui a suscité tant d’engouement et d’opprobre ? Dérivé de structure (structura en latin, du verbe struere), il a au départ un sens architectural. La structure désigne « la manière dont un édifice est bâti » (Dictionnaire de Trévoux, éd. de 1771). Aux XVIIe – XVIIIe siècles, le sens du terme structure se modifie et s’élargit par analogie aux êtres vivants [...]. Le terme prend alors le sens de la description sur la manière dont les parties d’un être concret s’organisent dans une totalité » ([14], pp. 11-12). En 1953, Lacan formalise son approche structuraliste dans « Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse » ([15], pp. 237-322), qui se formulera par son aphorisme « L’inconscient est structuré comme un langage » ([15], p. 868). Puis en 1957, « c’est toute la structure du langage que l’expérience psychanalytique découvre dans l’inconscient » ([15], p. 495) pour Lacan. Il s’agit d’une reprise de Saussure, néanmoins avec la prévalence du signifiant et l’invention du point de capiton en tant qu’arrêt du défilement des signifiants. Lors du Séminaire L’identification, il précise que « le signifiant
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détermine le sujet. Le sujet en prend une structure [...] j’essaie de vous faire suivre plus intimement ce lien du signifiant à la structure subjective » 1. Le sujet est assujetti au signifiant. Effectivement, Lacan conçoit de façon structuraliste le processus inconscient par la métaphore et la métonymie. Ainsi, la prise à la lettre de ce que dit le sujet en analyse révèle la trame de l’inconscient ([14], p. 135). De plus, la notion de structure chez Lacan ne peut s’appréhender qu’en référence au réel, symbolique et imaginaire. En effet, la structuration du sujet s’effectue sur ces trois registres. « Ce à quoi je vous amène sous ces formules topologiques dont vous avez déjà senti qu’elles ne sont pas purement et simplement cette référence intuitive à laquelle vous a habitué la pratique de la géométrie, c’est à considérer que ces surfaces sont des structures » 2. Lacan utilise alors la topologie pour mieux saisir ce qu’il en est de la structure du sujet et de l’effet du signifiant sur le sujet. Donc, la structure du sujet, c’est son rapport au langage. « L’inconscient a la structure radicale du langage » ([15], p. 594). Lacan explicite « qu’il y a un désir parce qu’il y a de l’inconscient, c’est-à-dire du langage qui échappe au sujet dans sa structure et ses effets, et qu’il y a toujours au niveau du langage quelque chose qui est au-delà de la conscience et c’est là que peut se situer la fonction du désir »([16], p. 45). Lacan introduira par la suite une représentation de la structure subjective par le graphe du désir ([15], pp. 793-827). Le sujet se structure par rapport au Complexe d’Œdipe et donc de la castration. À partir de cette conception de l’inconscient structuré comme un langage, Lacan va définir trois structures : névrose, psychose et perversion dénotant des fonctionnements différents du sujet. 4.3. Les structures cliniques Ces trois structures possibles du sujet s’effectuent à partir de l’articulation des trois registres réel, imaginaire et symbolique. Lacan introduit une distinction entre la structure du sujet, façon dont il se construit, et les structures cliniques : « la névrose [...] est une structure analytique » ([17], p. 474). Il ajoute « le progrès de notre conception de la névrose nous a montré qu’elle n’est pas faite de symptômes décomposables dans leurs éléments signifiants et dans les effets de signifié de ces signifiants [...] mais que toute la personnalité du sujet porte la marque de ces rapports structuraux » ([17], p. 474). La structure du sujet détermine son rapport à l’Autre, toujours sur le même mode. Donc nous passons de la structure du sujet à la structure clinique. Erik Porge précise que « les structures cliniques sont des variétés de types cliniques structurées par les rapports du sujet au désir de l’Autre » ([18], p. 45). Ainsi, dans la clinique, il s’agit de prendre en compte la singularité du sujet tout en se repérant par rapport à l’universel de la structure. La structure du sujet se détermine en référence au langage, mais aussi au rapport du sujet à la jouissance. « D’autre part, puisque ces structures sont celles du rapport au désir de l’Autre, elles ne sont repérables que dans le champ du langage et en fonction de la parole du sujet. [...] Ces structures se rapportent donc à des modalités de transfert » ([18], p. 47). De même, les manifestations phénoménales sont à repérer dans la structure ([19], p. 86). Lacan donne des indications quant à une approche structurale de la clinique du sujet : 1 2
Lacan J., Le Séminaire IX, « L’identification » (inédit), 1961-1962, leçon du 30 mai 1962 ibidem
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« c’est précisément d’un renoncement de toute prise de parti sur le plan du discours commun, avec ses déchirements profonds, quant à l’essence des mœurs et au statut de l’individu dans notre société, c’est précisément de l’évitement de ce plan que l’analyse est partie. Elle s’en tient à un discours différent, inscrit dans la souffrance même de l’être que nous avons en face de nous, déjà articulé dans quelque chose qui lui échappe, ses symptômes et sa structure [...] ce n’est pas simplement des symptômes, c’est aussi une structure » ([19], p. 152). Cette conception de la structure a une incidence sur l’approche du sujet. Cela nous amène donc à réfléchir sur la façon de poser un diagnostic à partir de repères structuraux.
5. Conclusion : la question du diagnostic Le diagnostic s’avère nécessaire, il ne s’agit pas « d’étiqueter » le sujet, mais cela amène à une conduite de la cure différente, selon la structure du sujet. En effet, il faut éviter de mettre un sujet psychotique sur le divan. Cependant, certains sujets peuvent se présenter avec une symptomatologie pseudo-névrotique, qui peut tenir longtemps. Néanmoins, avec l’analyse, s’ils sont considérés comme ayant une structure névrotique, une psychose clinique se déclenche. Le clinicien se trouve donc face à une situation difficile à gérer. Ainsi nous trouvons plusieurs écrits traitant de la question du diagnostic avec des points de repère pour déterminer la structure du sujet. La démarche consiste à prendre en considération une structure psychique latente. Celle-ci fut introduite par Freud et les phénoménologues. Lacan reprend le terme de structure des travaux de Minkowski ([9], p. 126). L’influence de la phénoménologie et de la psychanalyse amène Lacan à utiliser le concept de structure. Il introduit alors une approche structurale en psychanalyse, puisque « la structure, c’est le réel qui se fait jour dans le langage » ([20], p. 33). Il s’agit d’une clinique des modalités du rapport à l’Autre, c’est-à-dire ce dont témoigne le fantasme. Avec cette approche, nous pouvons de surcroît déterminer qu’une symptomatologie s’avère pseudo-névrotique et relève d’une structure psychotique. Ce que ne permet pas une approche syndromique du discours psychiatrique ([11], pp. 3-18). Le discernement de la structure pose problème quand les sujets n’ont pas de passé psychiatrique, qu’ils ne sont ni délirants, ni hallucinés, ni mélancoliques et pourtant se pose la question d’un fonctionnement psychotique. En outre, « rien ne ressemble autant à une symptomatologie névrotique qu’une symptomatologie prépsychotique » notait Lacan ([19], p. 216). Effectivement, les obsessions, les phobies, voire les conversions peuvent se retrouver dans une structure psychotique. Il y a une possibilité de stabilisation durable de la psychose. Il faut alors étudier ce qui permet au sujet de ne pas déclencher une psychose clinique. « Une suppléance au Nom-du-Père lui a permis de maintenir le principe borroméen de la structure du sujet » ([21], p. 77). Néanmoins, il semble que l’on puisse relever des signes très discrets de la psychose chez des sujets stabilisés. D. Cremniter et J-C. Maleval remarquent que « l’on observe chez le névrosé des phénomènes de répétition, particulièrement décelables dans les symptômes et le mode relationnel, qui témoignent de l’insistance d’une jouissance qui revient toujours à la même place. Par contre, pour le psychotique, les troubles ont quelque chose d’imprévisible, de changeant, ils apparaissent plus régis par l’accidentel que par une nécessité. Extases inopinées, actes immotivés,
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symptômes névrotiques erratiques sont les indices d’un défaut du nouage borroméen, corrélatif d’une carence du fantasme fondamental, révélateur d’une tendance du réel à s’émanciper de ses liens symboliques ou imaginaires » ([21], p. 83). Donc, les auteurs préconisent de réaliser un diagnostic en s’appuyant sur des signes qui révèlent un défaut dans le nouage borroméen. De plus, il faut mettre en évidence le ou les processus de compensation employés, puisqu’il n’est pas un sujet psychosé. Il s’agirait alors d’étudier les différentes modalités de suppléance de la structure psychotique.
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