L'Actualité intempestive de Jacques Lacan

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L’évolution psychiatrique 69 (2004) 311–328 www.elsevier.com/locate/evopsy

L’Actualité intempestive de Jacques Lacan> The untimely relevance of Jacques Lacan’s theories Françoise Gorog * Psychiatre, chef de service à l’hôpital Sainte-Anne, 1, rue Cabanis, 75014 Paris, France Reçu le 16 janvier 2004 ; accepté le 29 février 2004

Résumé L’auteur tente de montrer comment certaines références de Jacques Lacan « intempestives », « inactuelles » à l’époque de son enseignement oral, lui servaient à serrer ce qu’il a appelé « l’acte psychanalytique », avancées « actuelles » s’il en était pour la psychanalyse. Il rappelle le rôle de la rencontre de la psychose dans la théorie lacanienne, dans les champs de la psychose justement et aussi de la jouissance féminine, et au-delà dans « l’invention » de l’objet a, toujours en référence à la théorie freudienne, soit pour y retourner, soit pour tenter d’aborder ces questions au-delà des thèses freudiennes mais pas sans elles. La mise en question comme « mirage » des « relations de compréhension » de Jaspers, utilisées dans le temps de sa thèse, va, selon l’auteur, de pair avec cette « invention » de l’objet a qualifié par Lacan de « tout à fait étranger à la question du sens ». Ce sont ces avancées dont l’auteur se sert pour mettre à l’épreuve l’actualité de Jacques Lacan devant des sujets « sur-modernes », aux prises avec le Surmoi, que constituent les objets du marché, « ces regards errants et ces voix folâtres » et la montée de la ségrégation et du racisme. © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract In this study, the author attempts to show how some of Jacques Lacan’s hypotheses qualified as ‘untimely’, ‘not relevant’ to the period during which he gave his seminars, were in fact used to support what he referred to as the ‘psychoanalytical act’ and the ‘current’ concepts developed in the field of psychoanalysis. The author recalls the role that the encounter with psychosis played in Lacanian theory, in fact in the various domains of psychosis, and in the female perception of sexual pleasure,

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Toute référence à cet article doit porter mention : Gorog F. L’actualité intempestive de Jacques Lacan. Evol psychiatr 2004 ; 69. * Auteur correspondant : Mme le Dr Françoise Gorog. Adresse e-mail : [email protected] (F. Gorog). © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.evopsy.2004.02.003

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and going even further, in the ‘invention’ of object a, but always with reference to Freudian theory either to use it as a basis for an argument, or in an attempt to deal with these questions over and beyond Freudian concepts, but without excluding them. Jaspers’ calling into question as ‘mirage’ of the ‘relations of comprehension’ used during the period when he developed his hypothesis is, according to the author, on a similar level to this ‘invention’ of object a that Lacan qualified as being ‘completely apart from any question of meaning’. These concepts are used by the author to test the current relevance of Jacques Lacan’s theories to ‘ultra-modern’ subjects/objects, at odds with the Alter-ego, which constitute objects of the market, ‘‘these last looks and these giggly voices’’ and the rise of segregation and racism. © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Freudien ; Compréhension ; Psychose ; Femme ; Ségrégation Keywords: Freudian; Comprehension; Psychosis; Woman; Segregation

L’éclair me dure René Char

1. Actuel, Inactuel, Jacques Lacan ? On aurait dit Jacques Lacan plutôt inactuel du temps de son enseignement oral. Inactuel si l’on veut bien l’entendre au sens de l’intempestif du Nietzsche des Considérations inactuelles de 18751. Mais aussitôt remarquons que Freud écrivit, lui, Les considérations actuelles sur la mort et la guerre, en 19152. Inactuel n’est pas freudien. Le titre du psychanalyste est d’ailleurs l’inverse exact de celui du philosophe. Cet actuel du titre freudien semble répondre à l’inactuel de Nietzsche, actuel d’une prise voulue, effective sur le réel de la guerre qui ne recule pas à se pencher sur l’histoire actuelle sans historicisme. Cette opposition n’est pas sans raison, elle est à saisir et vaut pour la position de Jacques Lacan. Aussi tenterai-je de montrer comment il fût et reste intempestif et actuel. De l’actualité, on peut saisir la guise de la mode. Du vivant de Jacques Lacan, n’a t-on pas entendu dire, plutôt comme un reproche, qu’il était à la mode ? C’était façon de dire péjorativement qu’il faisait école et créait des modes intellectuelles, dans leur dimension factice d’engouement qui accompagne souvent les tournants de la pensée. Pourtant on sait aujourd’hui que, loin d’avoir créé un engouement éphémère des psychanalystes, pour la linguistique, avant sa « linguisterie », il a inscrit la lecture de celle-ci dans la psychanalyse si bien que rares sont les analystes qui désormais n’utilisent pas la catégorie du signifiant. À la mode de nos jours, Lacan, au sens d’un préjugé favorable, c’est moins sûr. La mode est ailleurs, au comportementalisme ou à un retour d’affection tardif de la psychiatrie pour l’amour de la sagesse, goût qui existait chez les aliénistes déjà quand Pinel vivait en philosophe à la Salpetrière. Cette sympathie là n’est parfois rien d’autre que le dernier rempart contre la psychanalyse. Pourtant, Lacan lui-même a apporté à la psychanalyse un 1 2

Nietzsche F. Unzeitgemässe Betrachhtungen (1855–1878). Considérations inactuelles [1]. Freud S. Les considérations actuelles sur la mort et la guerre, Zeitgemässes über Krieg und Tod (1915), In [2].

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facteur de progrès puissant avec sa philosophie, son « anti-philosophie ». Et il est aussi une façon d’en méditer l’enseignement et de le suivre. Mais être à la mode, c’est déjà être en retard comme aimait à le dire Roland Barthes. Les jeunes psychiatres semblent avoir gardé un intérêt réel pour la psychanalyse et même, récemment, celui-ci est plus marqué. Lacan, lui, ne s’intéressait pas à la mode mais aux modes de jouissance, dans ce champ de la jouissance qu’il avait souhaité voir appeler le « champ lacanien » ([3], p. 93). Freud, déjà, dans Deuil et mélancolie, avait situé la jouissance Genuss dans la tristesse mélancolique. À ce propos, celui de la jouissance dans la tristesse, de la douleur d’exister mélancolique, rappelons de quelle façon intempestive, inactuelle, non conforme au goût de l’époque, en 1974, dans Télévision, Lacan rappelait à la mémoire de ceux qui l’écoutaient que la tristesse est un péché, c’est-à-dire un mode de la jouissance, de cette jouissance relevée par Freud bien sur, que Lacan nommait « lâcheté morale ». Traduction lacanienne de la jouissance par Freud aperçue dans la mélancolie. « La tristesse, par exemple, on la qualifie de dépression à lui donner l’âme pour support, ou la tension psychologique du philosophe Pierre Janet. Mais ce n’est pas un état d’âme, c’est simplement une faute morale, comme s’exprimait Dante, voire Spinoza : un péché, ce qui veut dire une lâcheté morale, qui ne se situe en dernier ressort que de la pensée, soit du devoir de bien dire ou de s’y retrouver dans l’inconscient, dans la structure. ... À l’opposé de la tristesse, il y a le gay sçavoir lequel est, lui, une vertu. Une vertu n’absout personne du péché, — originel comme chacun sait. La vertu que je désigne du gay sçavoir en est l’exemple, de manifester en quoi elle consiste : non pas comprendre, piquer dans le sens, mais le raser d’aussi près qu’il se peut sans qu’il fasse glu pour cette vertu, pour cela jouir du déchiffrage, ce qui implique que le gay sçavoir n’en fasse au terme que la chute, le retour au péché » ([4], p. 40). Notons que c’est la même homologie qu’il avait utilisée pour le péché et la jouissance d’un côté, la Chose et la loi de l’autre dans le séminaire de l’Éthique. Référence intempestive que celle à l’Épître de saint Paul quand le temps célébrait avec ivresse et non sans illusion la mort de Dieu et l’exit supposé des religions. Dans Télévision, Lacan réanimant ainsi une pensée de la tristesse comme péché était au plus proche de Sören Kierkegaard qui en connaissait un bout en matière de mélancolie et pouvait écrire dans son journal : « Et n’est-ce pas une vue profonde de la nature humaine que les vieux moralistes rangent la Tristitia parmi les sept pêchés capitaux ! Ainsi Isidore De Séville » ([5], p. 167,IIA 484). Mais Lacan opposait aussitôt à la tristesse la vertu du « gay sçavoir ». Antidote pour ces années 1970, époque qui se vautrait déjà dans « la déprime », ce symptôme prêt à porter, dont la spécificité promue tient rudement à la réponse pharmacologique, laquelle commençait à abonder sur le marché... Parmi ces « nouveaux déprimés », des hystériques prêtes à revêtir ce nouvel habit symptomatique. Michel Foucault remarquait à juste titre « la sainteté épistémologique » de l’hystérique docile à Charcot. Sa vertu suprême allait, après avoir retranscrit dans ses symptômes les formes de la maladie définies par le médecin, jusqu’à

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accepter d’y voir incluse sa responsabilité étiquetée par le sommet de l’ingratitude médicale : suggestibilité morbide. N’oublions pas que les mêmes délicieuses hystériques rebaptisées passive-dépendantes peuvent aussi pousser leur style « follement gentil » jusqu’à présenter un style conforme aux théories analytiques. La charité de l’hystérique, qui contrairement à une femme est folle du tout, de l’Universel - c’est une façon de faire l’homme - catholique (soit universelle) pas par hasard, a de ces délicatesses... Toute déprimée serait une nouvelle version de l’épidémie hystérique classique. Devant cette mode, et peut-être pour tenter d’y couper court, l’analyste qui coupe là où l’analysant élève parfois son discours à la dignité de la poésie, le Lacan de Télévision a un accent qui rappelle le Saint -John Perse de Vents et son : « Qu’ils n’aillent point dire : tristesse..., s’y plaisant - dire : tristesse..., s’y logeant, comme aux ruelles de l’amour. Interdiction d’en vivre ! » ([6], p. 227). Mais parler de gay sçavoir et l’opposer à la tristesse, c’est aussi reprendre l’opposition de l’agir et du pâtir, une passion joyeuse de connaître à une passion triste avec Spinoza que cite Lacan. Comme le rappelle Denis Kambouchner, pour Spinoza, « la fonction de l’esprit, mens, c’est de connaître. En tant qu’il connaît, il agit, et ne pâtit pas »3. Mais après ces références traditionnelles, intempestives dans les années 1970, il faut poursuivre la lecture et voir comment Lacan définit ce gay sçavoir au-delà de la référence philosophique et loin de toute herméneutique : Il s’agit là d’une indication qu’il faut rapporter à la topologie lacanienne et lire comme une visée du réel qui veut éviter l’engluement imaginaire dans le sens. Cet engluement est celui qui ferait l’analyse pleine d’imaginaire prévalent et non pas noué avec le Réel et le Symbolique. L’analyse qui « piquerait dans le sens » serait comme la folie « vécue toute dans le registre du sens » des « Propos sur la causalité psychique » [7]4, ou « la paranoïa... engluement imaginaire » du séminaire Le sinthome5. Cette indication est tout à fait actuelle pour la psychanalyse, bien qu’approchée par ces références intempestives, inactuelles aux pensées fort éloignées de l’après 1968. Enfin l’accent que Lacan mit sur l’acte analytique rappelle combien l’actuel qui est référence à l’acte convient seul à l’analyste. C’est l’actuel du actualis latin de la scolastique, l’agissant de cette pratique continente. L’enseignement de Lacan est alors à plusieurs sens actuel, très actuel.

2. À l’origine, la rencontre de la psychose L’origine de l’enseignement de Lacan, et ce n’est pas indifférent, comporte sa rencontre de la psychiatrie et surtout de la psychose. Il le dit lorsqu’il fît en 1972 ses « entretiens de Sainte Anne », le séminaire Le savoir du psychanalyste : 3

In Corrélat, no 4 à paraître. repris dans Écrits In ([8], p. 166). 5 leçon du 08/04/1975 in [9]. 4

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« Avant de parler à Sainte Anne, enfin, j’y ai fait bien d’autres choses, ne serait-ce que d’y venir et d’y remplir ma fonction et bien entendu, pour moi, pour mon discours, tout part de là.... bien avant ça, j’ai entendu, j’ai entendu des choses tout à fait décisives, enfin, qui l’on été pour moi. Mais ça, c’est bien mon affaire personnelle. Je veux dire que les gens qui sont ici au titre d’être entre les murs, sont tout à fait capables de se faire entendre, à condition qu’on ait les esgourdes appropriées ! ». Ce terme argotique d’esgourdes est une trace de ce que Lacan appelera plus tard lalangue en un seul mot, utilisée au cours d’ un séminaire. Acualité de la lalangue, efficace de son emploi. J’y reviendrai. De Dante, Lacan remarquait « le plus vif sens du caractère premier et primitif du langage, du langage maternel, en l’opposant à tout ce qui, à son époque, était attachement, recours obstiné à un langage savant »6. Lacan dit lui-même avoir été amené à la psychanalyse et pour reprendre son mot, avoir été avec Aimée la patiente de sa thèse, « aspiré par la psychanalyse »7 lors de son cursus psychiatrique. Freud avait laissé la trace de son pessimisme quant à l’utilisation de la pratique qu’il a créée devant « ces patients là, paranoïaques, mélancoliques, malades atteints de dementia praecox » qu’il dit « inentamés, et cuirassés contre la thérapie psychanalytique »8. Cependant dans le même ouvrage, l’Introduction à la psychanalyse il affirmait : « Nos garants sont dans ce cas les déments et les paranoïaques qui sont, bien sûr, au-dessus de tout soupçon quant à une influence suggestive possible. Ce que racontent ces malades se recoupe avec les résultats de nos investigations sur l’inconscient de ceux qui sont affectés d’une névrose de transfert, et corrobore ainsi la justesse de nos interprétations si souvent mises en doute »9. Il faut rappeler aussi que dans son Abrégé de psychanalyse, il ajoutait : « Nous constatons qu’il faut renoncer à essayer sur les psychoses notre méthode thérapeutique. Peut-être ce renoncement sera-t-il définitif, peut-être aussi n’est-il que provisoire et ne durera t-il que jusqu’au moment où nous aurons découvert pour ce genre de malades une méthode plus satisfaisante » [11]. Ces garants là, Lacan l’a soutenu aussi, c’est l’inconscient à ciel ouvert, témoins et martyrs, point de vue freudien, et si bien d’autres ont contribué à découvrir une méthode plus satisfaisante tels Rosenfeld, Segal, Bion, Sechehaye, Searles, Racamier, il faut dire que Lacan qui commença, dans la droite ligne de la question freudienne, à poser la « Question préliminaire à tout traitement possible de la psychose » a fait de celle-ci un motif récurrent et central de la pratique analytique avec tout sujet. 6

Lacan J., Problèmes cruciaux de la psychanalyse, séminaire non publié, le 09/12/1964. Lacan J., Le savoir du psychanalyste, séminaire non publié, séance du 06/01/1972. 8 Freud S. Le transfert in ([10], p. 557). 9 Freud S. La thérapie analytique, In ([10], p. 575), cité par S. Rabinovitch .Le transfert dans la psychose, Corrélats no 2–3 ; Paris, Cora ; 2004. 7

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Il semble bien qu’à cet égard s’ouvre un abîme entre le désir des deux hommes Lacan et Freud. Si la lecture de la correspondance de l’inventeur de la psychanalyse laisse parfois penser qu’il a analysé des psychotiques, plus qu’on ne croit peut-être, discrètement, rien ne laisse penser que ceux-ci eurent une place aussi éminente dans sa pratique que dans celle de Lacan. Car qu’est-ce qui tint Jacques Lacan à Henri Rousselle jusqu’à son dernier souffle et qui fît que la psychiatrie française n’est encore maintenant à nulle autre pareille ? Le journal pour lequel nous écrivons ses lignes en fait preuve. Sans doute ce qui lui fit écrire, à propos de sa pratique d’analyste, « mais il est quelque chose dont je voudrais témoigner. À cette place, je souhaite qu’achève de se consumer ma vie10. » Soyons nets sur la question de l’origine : Lacan a précisé en 1972 encore « qu’il n’y a de discours sur l’origine qu’à traiter de l’origine d’un discours, qu’il n’y a pas d’autre origine attrapable que l’origine d’un discours »11. La question de l’origine est donc un sujet qu’il n’aurait pas réprouvé à condition qu’il soit précisé qu’il s’agit de l’origine de son discours. « L’origine de mon enseignement, c’est bien simple, elle est là depuis toujours, puisque le temps est né avec lui, avec ce dont il s’agit parce que mon enseignement c’est tout simplement le langage, absolument rien d’autre12. » Le mot origine, qu’il utilisa dans la conférence citée à l’instant l’aurait sans doute fait rire, avec la gaîté qui fût la sienne et l’ironie qu’il savait manier, lui qui, l’origine, l’écrivit un jour origyne ([12], p. 13) où s’entend derrière la mère, la femme et sa voracité, et sa bouche, os, oris. Il rappela qu’il fallait qu’y fût mis en travers, de cette bouche vorace, pour qu’elle ne se referme pas sur le petit d’homme, le père sous la forme du Nom du père.

3. Une pensée de l’objet La seule invention dont il se targuait fût son objet a. Pas sans dire dans une conférence à Louvain en 1972 : « Si j’ai un jour inventé ce que c’était l’objet a, c’est que c’est écrit dans Trauer und Melancholie » [13]13. Ni sans convoquer aussi les voix de la psychose : « La voix, par exemple, de ceux qui y sont internés, puisque après tout, ça peut conduire quelque part... jusqu’à se faire une idée juste de ce qu’il en est de l’objet a ». 10

Lacan J., Conférence à l’Université saint Louis à Bruxelles, 09/03/1960, inédit. Lacan J., séminaire non publié, « ...Ou pire », 21/06/1972. 12 Lacan J., Place, origine et fin de mon enseignement, 1967, conférence inédite au Vinatier. 13 Cité par Erik Porge in : Jacques Lacan, un psychanalyste ([14], p. 174). 11

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Sa formation psychiatrique, puis cette pratique analytique qu’il ne réserva pas aux Œdipes bien normés lui firent donc rencontrer la psychose et la psychanalyse en fût changée. Pas sans se servir de l’antécédent freudien. Même son fameux « La psychose, c’est ce devant quoi un analyste ne doit reculer en aucun cas [15] » de l’Ouverture de la section clinique est assuré d’une référence à Freud : « La paranoïa, je veux dire la psychose, est pour Freud absolument fondamentale ». Lacan avait très tôt pointé ce qu’il appellera dans l’Étourdit le « Pousse-à-la femme » ([12], p. 21), pris entre psychose et femme là où Freud pointait l’homosexualité dans le cas du président Schreber. Accent mis sur l’objet féminin qu’était le président Schreber pour Dieu dans sa métaphore délirante. Il faut remarquer que la question de la féminité donna lieu également à une élaboration... originale. Il eut même l’audace de déclarer lui-même à propos de la question féminine : « Ce que j’aborde cette année est ce que Freud a expressément laissé de côté » ([16], p. 75). La psychose et la question féminine, voilà bien deux champs qu’il osa explorer au-delà des pas du père de la psychanalyse. Mais jamais sans revenir lui-même aux avancées freudiennes auxquelles il avait appelé les analystes à revenir. Côté femme, dès l’année 1951 dans son Intervention sur le transfert prononcée au congrès dit des psychanalystes de langue romane, n’interroge t-il pas l’impossibilité pour Dora de s’accepter elle-même « comme objet du désir », pour en situer le problème de « sa condition »14, soit celle qui détermine une femme à s’accepter ou pas comme objet du désir de l’homme. « La condition féminine », est un terme qu’il utilisait non sans équivoque : la condition féminine, terme consacré pour signifier le sort fait aux femmes par la société mais aussi condition nécessaire pour être femme, à prendre ou à laisser par le sujet d’anatomie féminine. Ces deux acceptions : discours de l’Autre-société et condition libidinale - dont il me fît un jour entendre l’équivoque - désignent bien d’une part, le discours de l’Autre, qui détermine le sujet et, décomplétant le discours de l’Autre, le désir de l’Autre, et l’objet a qui « lui, est toujours entre chacun des signifiants ». Pour dire autrement la place de a dont le dire objet est déjà trop dire, selon le Lacan du séminaire de l’angoisse, il faut relire cette formule précise de 1972 qui le situe dans le fantasme. « .. le fantasme, c’est-à-dire ce rapport entre l’objet petit a, qui est ce qui se concentre de l’effet du discours pour causer le désir, et ce quelque chose qui autour, et comme une fente, se condense, et qui s’appelle le sujet. C’est une fente parce que l’objet petit a, lui, il est toujours entre chacun des signifiants et celui qui suit et c’est pour ça que le sujet, lui, était toujours non pas entre, mais au contraire béant »15. Être l’objet, cause du désir pour une femme, être l’objet, déchet mélancolique, ou l’objet minuscule, si je puis dire, sans lequel l’érotomane dit sa certitude, dit qu’il n’a pas de 14 15

Lacan J. Intervention sur le transfert, In ([8], p. 215). souligné par moi, in Lacan J., séminaire non publié, Ou...pire, séance du 17 mai 1972.

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bonheur, soit sans elle, celui que la psychiatrie de Clérambault appelle l’Objet majuscule de l’érotomane, voilà la question que posent au premier plan la « condition féminine » et la psychose. Pas de la même façon bien sûr. Encore que Lacan ait pu en 1960 écrire dans ses « Propos directifs pour un congrès sur la sexualité féminine » : « Si la position du sexe diffère quant à l’objet, c’est de toute la distance qui sépare la forme fétichiste de la forme érotomaniaque de l’amour » ([8], p. 732). Voici situés, côté homme une perversion, côté femme une folie. Dire forme fétichiste pour un homme, note perverse dans la position sexuelle masculine, voilà qui éclaire la prévalence de pratiques qui avaient été versées au dossier médical de la perversion et qui se trouvent là singulièrement sorties de la nosologie. Il faut remarquer la formule du Barthes des Fragments d’un discours amoureux que « Comme Dieu, c’est son étymologie, le fétiche ne répond pas » ([17], p. 97). Côté femme, la forme érotomaniaque. L’analyste qui supportait fort bien le transfert négatif et l’impertinence analysante m’aurait permis bien volontiers de ne pas être tout à fait d’accord avec ce temps de son enseignement. Forme érotomaniaque de l’amour côté femme, oui sûrement, mais à une différence près, et pas des moindres, l’angoisse d’abandon freudienne chez les femmes, soit certes le vœu d’être la seule mais doublé d’une cruelle incertitude, à l’inverse de la certitude érotomaniaque. L’érotomane est sûre d’être complémentaire à l’objet, d’être complément d’objet et à ce titre sa façon de penser complémenter l’autre - l’Objet - est bien loin de la position de supplément que Lacan évoque déjà notons le, ce n’est pas assez souligné, bien avant de parler de la jouissance féminine, autre comme supplémentaire - au temps des « Propos directifs pour un congrès sur la sexualité féminine » : « Souvenons-nous de l’avis que Freud répète souvent de ne pas réduire le supplément du féminin au masculin au complément du passif à l’actif ». Fous et femmes, les uns dans la certitude d’être l’objet unique, les autres le rêvant sur le mode de la plus cruelle incertitude ou le refusant, les deux sont toujours présents dans le propos de Jacques Lacan. Il précisera plus tard que ces érotomanes, les femmes, si elles sont folles, ne sont pas folles du tout. « Ainsi l’universel de ce qu’elles désirent est de la folie : toutes les femmes sont folles, qu’on dit. C’est même pourquoi elles ne sont pas toutes, c’est-à-dire pas folles-du-tout, arrangeantes plutôt... » ([4], p. 63). Objets a, femmes dans la vie amoureuse ou objets a, psychotiques dans la métaphore délirante ou la mélancolie, ces deux catégories, Lacan les associe souvent. Il les distingue aussi, dans le double sens qu’il les distingue car ils sont objets de son intérêt, et qu’il les distingue car il ne confond pas le tout de leurs positions. Mais voici bien deux préoccupa-

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tions qui ont contribué à ce que Paul Laurent Assoun a pu appeler, à juste titre, une pensée de l’objet16. Lacan ne se tint-il pas souvent dans Le débat de folie et d’amour pour reprendre le titre de l’œuvre majeure de la poétesse de la renaissance lyonnaise Louise Labé ? [18]. Il dit à Yale University être venu à la médecine parce qu’il avait « le soupçon que les relations entre hommes et femmes jouaient un rôle déterminant dans les symptômes des êtres humains » [19], histoire bien classique chez tous les petits qui ont joué au docteur, et ajoute que c’est cela qui l’a progressivement poussé vers la psychose. De la passion de la vérité, il en vint à l’obstination à serrer ce qu’il appellera le Réel, Réel de l’hallucination, de la stupeur mélancolique, de la jouissance autre, supplémentaire, et de l’angoisse, « l’affect même de tout événement de réel »17. Une formidable rhétoricienne que j’écoute et qui en connaît un bout et sur la mélancolie et sur la jouissance féminine me faisait remarquer une presque homophonie du mot stupeur - un trait de la mélancolie dans sa forme dite autrefois stuporeuse - avec le stupre, et remarquait la proximité de la douleur mélancolique extrême, stuporeuse avec une certaine paralysie que produit la jouissance sexuelle. Elle avait raison. Pour Virgile, la Stupor, l’engourdissement des sens qualifie aussi la stupor gaudio, l’être éperdu de joie. Mais struprum, l’action honteuse, l’inceste, la débauche, le libertinage qualifie aussi l’extase. Elle sentait bien ce que lalangue sienne lui avait laissé parmi l’intégrale des équivoques que son histoire y a laissé persister ([12], p. 47). La lalangue a d’ailleurs permis à Colette Soler de remarquer que le mélancolique s’auto « diffâme », s’auto dit femme ? Elle note aussi que « le pousse – à – l’amour » [20] féminin est corrélé à l’extase féminine qui ne donne pas une identité. 4. Pas la compréhension Qu’enseigna la psychose à Jacques Lacan ? D’abord elle lui servit à la critique de la compréhension et de la transparence. La relation de compréhension, aspiration du psychiatre, part d’un bon sentiment s’il en est... Michel Foucault qui lisait, citait, écoutait Lacan dans ces années là, souligne en effet dans son analyse radicale de la « microphysique » du pouvoir asilaire, une des formes du pouvoir disciplinaire - que nous voyons s’étendre chaque jour - qu’à partir de l’expérience du haschich par Moreau de Tours se constitue une nouvelle prise sur la folie « prise intérieure », qui a la forme de la compréhension ([21], p. 283). Lacan, beaucoup plus tard, écrivit encore dans sa post face au séminaire XI, publiée en 1973 : « Vous ne comprenez pas stécriture. Tant mieux, ce vous sera raison de l’expliquer »18

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Assoun P.L. Lacan, Une pensée de l’objet. Corrélats 4, Paris, Cora, à paraître. Lacan J., La troisième, conférence à Rome, 1974, non publié. 18 Lacan J., « Postface », publiée à la suite de la transcription par J.A. Miller du Séminaire de 1964 qu’il intitule : « Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse », ([22], p. 251–254). 17

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Se défaire des miroitements de la compréhension19, n’est-ce pas une leçon indispensable pour saisir les aléas actuels du malaise dans la civilisation ? Se défaire aussi du rêve d’un savoir complet, absolu, hégélien ou évaluateur. Jacques Lacan, lui, l’inventeur de la forclusion, me chuchota un jour à l’issue d’une de ses présentations, « Qui nous dira pourquoi ce garçon est psychotique ? », bel exemple de son ironie qui ne dédaignait pas d’être humour, soit de s’exercer à ses propres dépends. Propos sérieux cependant, d’être sériel, à mettre en série avec ce. « Seulement figurez-vous que moi, si j’écris tout ça au tableau, et que je vais continuer, c’est parce que moi, je sais pas du tout ce que c’est que la castration !20. » Éviter à tout prix que la compréhension regagne en utilisant son enseignement, du séminaire à la présentation. Si l’on entend par sens : ce qui se comprend, on saisit mieux comment sont liés la critique de la compréhension et l’invention de l’objet a. « C’est bien pour ça que je me suis aperçu de l’existence de l’objet a dont chacun de vous a le germe en puissance. Ce qui fait sa force et du même coup la force de chacun de vous en particulier, c’est que l’objet a est tout à fait étranger à la question du sens. Le sens est une petite peinturlure rajoutée sur cet objet a avec lequel vous avez chacun votre attache particulière »21. Avec la compréhension, c’est l’idéal de transparence du sujet à l’analyste ou au psychiatre à plus forte raison qui est battu en brèche. « La psychanalyse ça consiste à découvrir que nous ne sommes pas transparents à nous-mêmes ! Alors, pourquoi est-ce que les autres nous le deviendraient ?22. »

5. Un p’tit fil : de l’inconscient structuré comme un langage à lalangue À la compréhension, Lacan conseillait aux psychiatres de substituer un p’tit fil. « À la vérité, un p’tit fil, hein ! que vous trouveriez tout seuls, dans ce rapport de concernement avec cette chose vraiment unique, problématique, qui vous est donnée, je ne dirais pas sous le titre de fou, parce que ce n’est pas un titre... un fou, c’est quand

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Notons que Lacan lui-même avait considéré d’abord que les « relation de compréhension » de Jaspers permettaient une nouvelle conception du trouble mental dans sa thèse sur Aimée de 1932 c’est une des raisons pour lesquelles il la publia « non sans réticence », réticence dont je fus avertie quand il me chargea, non sans mimique péjorative, de remettre le texte de la quatrième de couverture au Seuil en 1975 ! Dans son séminaire sur les psychoses, il y verra un pur mirage ([23], p. 14). 20 Lacan J., Le savoir du psychanalyste, séminaire non publié, du 06/01/1972. 21 Lacan J., Le savoir du psychanalyste, séminaire non publié, du 06/01/1972. 22 Lacan J., Petit discours aux psychiatres, 1967, non publié.

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même quelque chose... ça résiste, voyez-vous, et qui n’est pas encore près de s’évanouir simplement en raison de la diffusion du traitement pharmacodynamique23. » Un fil rouge disait Freud. Malgré trente années de progrès pharmacologique depuis ce petit discours, qui nierait que ça résiste, la folie ? Encore. Ne parle-t-on pas d’ailleurs plus que de « dépressions résistantes », résistantes aux antidépresseurs bien sur, de « schizophrénies résistantes » aux neuroleptiques anciens ou aux nouveaux « antipsychotiques » terme dont l’humour noir ne semble guère perçu. Pourquoi pas des anti-déprimés et des anti-psychotisants, s’il est permis d’ironiser sur ces appellations de produits souvent si bienvenus ? Qu’on déplore cette résistance aux traitements pharmacodynamique ou qu’on s’en satisfasse est une autre affaire. Ce n’est pas l’utilité de cette pharmacopée qui est à mettre en cause pour moi. C’est la réduction des « failles de la mentalité » à un symptôme qui cède ou résiste à ces traitements qui mériterait plus d’interrogation. Un p’tit fil donc. Lacan affectionnait ces formes parlées, pleines de la jouissance de la lalangue vernaculaire, loin de la pédanterie, autre façon de dire, pas la vérité qui ne peut que se mi-dire, mais le serrage difficile du réel qui veut beaucoup de modestie, non ? Son p’tit fil à lui, qui ne le sait aujourd’hui, ça a été ceci : « l’inconscient est structuré comme un langage », partant de cette évidence que l’analyse est une pratique de langage dans laquelle rien ne se passe que par la parole, ce que dit plus radicalement : la découverte de la psychanalyse, c’est l’homme comme animal parlant. Il faut préciser que, parti de cet inconscient structuré comme un langage24, Lacan en viendra au rôle essentiel de la langue qu’il écrira en un seul mot lalangue. Ayant, à partir de cette pertinence limpide de l’efficace de la parole, défini « l’inconscient comme étant structuré comme un langage », Lacan a spécifié en 1972 que cet inconscient, s’il l’a dit « structuré comme un langage », il précise « de ce langage qui est celui que lui a parlé sa mère. C’est-à-dire une langue particulière... Nous ne connaissons que ça, enfin je voulais bien marquer la différence, l’accent, enfin l’accent précis que cela comporte, qu’après tout on ne peut qu’en habiter une ou plusieurs, mais on ne peut qu’habiter certaines de ces langues »25. Plus net encore après avoir rappelé dans l’Étourdit lalangue qu’il habite, il avance dans « Le moment de conclure » : « Si j’ai dit qu’il n’y a pas de métalangage, c’est pour dire que le langage, ça n’existe pas. I1 n’y a que des supports multiples du langage qui s’appellent « lalangue », et ce qu’il faudrait bien, c’est que l’analyse arrive par une supposition, arrive à défaire par la parole ce qui s’est fait par la parole »26. 23

ibidem. Souligné par Diana Rabinovich, ,in Corrélats 2–3, [24]. 25 Entretien à la télévision belge avec Françoise Wolff portant sur « Les grandes questions de la psychanalyse ». Cassette MK2 vidéo sous le titre : Jacques Lacan. Conférence de Louvain suivie d’un entretien avec Françoise Wolff, 14/10/1972tu. 26 Lacan J., Le moment de conclure, séminaire non publié, 15/11/1977. 24

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La psychose est dans le champ du langage et c’est à propos de la psychose qu’il mettra en relief le rôle du signifiant, comme dans cette séance du 11 avril 1956 qu’il reprend dans Ou...pire. Remarquons qu’il se sert comme épigraphe peu actuelle au sens trivial de cette phrase qu’il attribue à Cicéron27 qu’il traduit ainsi « Combien de merveilles recèle la fonction du langage si vous vouliez y prendre garde diligemment ». Référence intempestive, intemporelle en tout cas une fois de plus pour un abord neuf de la psychose. On sait que c’est à partir de la lecture de Schreber et des Cinq psychanalyses freudiennes qu’il avancera l’hypothèse de la forclusion du Nom du père, cette fonction de « sublimation » dès Les complexes familiaux. 6. Une solution élégante On remarque moins que sa thèse, forclusion, position d’exception et pousse à la femme est là dans l’expression de solution élégante qu’il applique au délire du Président. Ce Lacan là n’est déjà pas « pense sans rire », ni sans l’équivoque. En effet, le mot élégante qui qualifie la solution condense l’exception et la féminité. Elégant signifie l’exception, ce qui se sort du lien, e-legare, ce qui s’excepte –é du lien, du lien qui se dit dans le religieux du religere, celui du Nom du père, si bien que elegare signifie rien moins que « léguer à un étranger hors de sa famille » soit s’excepter des lois de la hoirie. Mais élégant signifie aussi la féminité car le mot s’applique souvent à une femme, pas seulement bien sur, et désigne une personne d’une mise distinguée, du latin elegans, qui signifie entre autre paré, délicat. Le mot distingué rassemble d’ailleurs lui aussi les deux versants de l’exception et de la parure. C’est donc à partir de la logique du signifiant que Jacques Lacan en arrive au retour dans le réel du forclos du signifiant, au signifiant hors chaîne et c’est la psychose qui l’amène aux failles de la logique du symbolique. C’est ainsi qu’il pourra prendre le parti suivant dans le débat des années 1970 autour de l’anti-psychiatrie28 : « On parle de maladie, on sait pas, en même temps on dit qu’il n’y en a pas, qu’il n’y a pas de maladie mentale par exemple, à juste titre au sens où c’est une entité nosologique comme on disait autrefois, c’est pas du tout entitaire, la maladie mentale. C’est plutôt la mentalité qui a des failles, exprimons-nous comme ça rapidement »29. La mentalité a des failles, cette notation de 1972 n’est pas en rupture avec le questionnement sur le sens qui apparaît déjà dans ce moment de la rencontre de Lacan avec les psychiatres en 1967, discours que la forme orale rend parfois plus facile à saisir. 27

« Ad usum autem orationis, incredibile est, nisi diligenter attenteris quanta opera machinata natura est ». selon le mot de D.Cooper. 29 Lacan J., séminaire non publié, Ou... pire , 21 juin 1972. 28

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7. Failles de la logique En effet dès 1967 Lacan insistait sur les fondements radicaux de non sens sur quoi se fonde l’existence des faits subjectifs. Pas de compréhension, pas d’herméneutique non plus. C’est beaucoup plus tard dans l’Étourdit, prononcé à Henri Rousselle en 1972, que sa réflexion mettra l’accent sur l’ab-sens, celle du rapport sexuel. Voici donc sa façon de mettre l’accent sur le non-sens d’abord. « S’il y a quelque chose que la psychanalyse est faite pour faire ressortir, pour mettre en valeur, ça n’est certainement pas le sens, au sens en effet où les choses font sens, où on croit se communiquer un sens, mais justement de marquer en quels fondements radicaux de non-sens et en quels endroits les non-sens décisifs existent sur quoi se fonde l’existence d’un certain nombre de choses qui s’appellent les faits subjectifs »30. On y voit déjà pointer des failles de la logique. C’est en 1972 que Lacan désignera le réel de s’affirmer dans les impasses de la logique, d’être ce qui s’oppose à l’entière prise du discours, à l’exhaustion logique, ce qui y introduit une béance irréductible. Dans les mêmes années, la castration est explicitement rapportée au langage et non plus au seul imaginaire du corps. Car si la découverte de la psychanalyse, c’est l’homme comme animal parlant, il faut préciser le corrélat de cette affirmation à savoir que c’est de là qu’il faut situer la castration. Thèse explicite dans cette formule du séminaire Ou...pire : « c’est bien de ce que l’être soit parlant qu’il y a complexe de castration »31. C’est devant les psychiatres en 1967 qu’il soulignera que « même certaines données de l’expérience et celle parmi les plus évidentes, celle par exemple que sa mère n’a pas de pénis, n’est pas une chose qui fonctionne pour une partie du sujet, pour cette partie divisée, pour la raison très simple que pour cette partie il faut non pas qu’elle ne l’ait pas, mais qu’elle en ait été privé ». Le vase féminin ne manque de rien32. « Le vase féminin est-il vide, est-il plein? Qu’importe, puisque même si c’est, comme s’exprime ma patiente, pour se consommer bêtement, il se suffit à lui-même. Il n’y manque rien. La présence de l’objet y est, si l’on peut dire, de surcroît ». Remarquons combien le fait de repérer cette dimension est précieux pour éclairer les faits (têtus) d’une civilisation dans laquelle la différence sexuelle n’est plus l’objet des mêmes préjugés, des mêmes idéaux.

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Lacan J., Petit discours aux psychiatres, 1967, non publié. Lacan J., Ou... pire, séminaire non publié, 08/12/1971. 32 Lacan J., L’angoisse, séminaire non publié, 20 mars 1963. 31

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« Cependant, pour le sujet névrosé, femme ou homme, le vase ne manqua t-il de rien, ce qui fait le lien du désir en tant qu’il est fonction du sujet, du sujet lui-même désigné comme effet du signifiant, c’est ceci, c’est que le a est toujours demandé à l’Autre »33. Et là commence la difficulté pour le psychiatre particulièrement, le plus souvent névrosé, c’est que chez le psychotique, il n’y a pas de demande du petit a. Or le névrosé, la psychanalyse nous l’apprend, ce qu’il veut c’est qu’on lui demande. Voilà le foncier embarras du psychiatre qui cherche à traiter par la parole - pas un jeune interne qui n’en témoigne - la rencontre improbable entre un sujet qui veut qu’on lui demande et un autre qui justement ne demande pas... Lacan leur éclaire cet embarras : « les hommes libres, les vrais, ce sont précisément les fous. Il n’y a pas de demande du petit a, son petit a il le tient, c’est ce qu’il appelle ses voix, par exemple. Et ce pourquoi vous êtes en sa présence à juste titre angoissés c’est parce que le fou c’est l’homme libre »34. À méditer, sûrement dans une époque où l’industrie produit beaucoup plus d’objets à mettre dans sa poche, de ces « objets a qui cavalent partout, isolés, tous seuls et toujours prêts à vous saisir au premier tournant » « les mass-média, à savoir ces regards errants et ces voix folâtres dont vous êtes tout naturellement destinés à être de plus en plus entourés »35. Cette offre est corrélée en 1967 au fait que « s’effacent les frontières, les hiérarchies, les degrés, les fonctions royales et autres, même si ça reste sous des formes atténuées ». Autre rencontre avec le Foucault de 1972, que de savoir que « le pouvoir de souveraineté » renversé, reste le style panoptique du « surveiller-punir » de notre société disciplinaire, même sous la forme affable des caméras du « Souriez, vous êtes filmés » [25] et les traces écrites informatisées désormais. N’est-il pas saisissant de relire dans la retranscription d’une conférence de 1960, à l’heure du secret partagé du dossier informatisé du réseau de santé mentale , dans la bouche d’un psychanalyste cette déclaration où s’oppose la trivialité d’un secret et de son « sans pareil » ? « Je ne trahirai donc pas leurs secrets triviaux et sans pareils36. » Ces objets a, produits par la science et la technique, le marché, à quel Autre sont-ils demandés, sont-ils vraiment demandés à l’Autre ? ou ne sont-ils pas plutôt imposés par l’offre ? Ne fabriquent-ils pas des sujets « comme libres » quoique fort esclaves de cette offre et comme tels angoissants ? Ce sont parfois les noms de marques des produits que les jeunes gens se font tatouer sur leur peau et leurs parents qui leur donnent pour prénom, ce signe du désir de l’Autre, Chanel ou Ford ou Mégane, pour cette petite dont le nom de famille est Renault. Récemment des parents ont émis leur souhait d’appeler leur enfant « générique » Faut-il mettre une majuscule ? Peut-on prédire pour autant une faille 33

Lacan J., Le savoir du psychanalyste , séminaire non publié, 12/01/1972. Lacan J., Petit discours aux psychiatres, 1967, non publié. 35 Lacan J., Petit discours aux psychiatres, 1967, non publié. 36 Lacan J., Conférence du 09/03/1960 à l’Université Saint-Louis à Bruxelles, non publié. 34

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particulière de la mentalité à ces enfants ? Difficile de se prononcer. Autistes, nos contemporains ? Comme autistes plutôt. Il suffit de tenter de parler à un semblable suspendu à la télévision, à un jeu électronique, à un nouvel appareil quelconque juste acquis pour mesurer combien la situation s’approche de la rencontre avec l’hébéphrène des services d’autrefois ou le jeune autiste au bâton qui désespéraient le Billancourt de la bonne volonté du jeune psychiatre par son indifférence à l’approche. D’un Autre à l’autre avait averti Jacques Lacan qui put écrire que l’Autre n’existe pas37 quand Dieu est mort, du moins fût déclaré tel, pour l’homme moderne défini comme « celui pour qui Dieu est mort, entendons que lui croit le savoir » Oui, mais Nietzsche aussi comme le chante le groupe Noir Désir. « Dieu est mort, plus rien n’est permis. Le déclin du complexe d’Œdipe est le deuil du Père, mais il se solde par une séquelle durable, l’identification qui s’appelle le Surmoi, le Père non-aimé devient l’identification qu’on accable de reproches en soi-même38. » Restent donc le retour des religions, des communautarismes, des racismes et les Surmoi qui pullulent, multiplication à la hauteur de cette désertion et qui commandent la ségrégation, autre avertissement de Lacan.

8. Ségrégation La ségrégation, c’était le rassemblement, employé pour... les taureaux, les esclaves, les comédiens, les vierges ! Inventaire à la Prévert à première vue. Ségréguer c’est séparer du troupeau, mettre à part, distinguer, isoler les ennemis les uns des autres et ce que Jacques Lacan avait prévu, le siècle passé ne l’a malheureusement pas démenti. Il attirait l’attention des jeunes psychiatres sur le fait que les progrès de la civilisation universelle allaient se traduire, non seulement par ce que Freud avait appelé le malaise dans la civilisation mais encore « par une pratique, dont vous verrez qu’elle va devenir de plus en plus étendue, qui ne fera pas tout de suite voir son vrai visage, mais qui a un nom qui, qu’on le transforme ou pas voudra toujours dire la même chose et qui va se passer : la ségrégation ». Il leur faisait valoir que précisément en tant que psychiatres ils pourraient avoir quelque chose à dire sur les effets de la ségrégation, sur le sens véritable que ça a, le psychiatre qui doit savoir qu’il en connaît un bout sur « ces murs par quoi la laïcité a fait en elle exclusion de la folie »39. Leur discipline est née avec l’enfermement spécifique des psychotiques, à la Salpêtrière, mais aussi dans les lieux du ban, souvent banlieues, éloignés du centre de la ville où ils 37

Lacan J., Subversion du sujet, in ([8], p. 820). Lacan J.,Conférence du 09/03/1960 à l’Université Saint-Louis à Bruxelles, non publié. 39 Lacan J., Le savoir du psychanalyste, séminaire non publié, 06/01/1972. 38

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furent mis au ban avec certaines catégories sociales ségréguées elles aussi. En effet, ils ont appris là de quoi dire. Ghettos de communautés, ghettos bientôt d’amateurs d’espaces sans voiture mais avec du vert, « quartiers civilisés » ! (interdits aux barbares ?) qu’il faudra bientôt garder de l’intrusion des autres, amours ou sexe virtuels, société du spectacle, et, cerise sur le gâteau, voici un sein que je saurais voir dépassant isolé du corps qui le porte du mur d’un club SM. Et pourquoi en effet le demander à l’Autre qui le porte, au corps de l’Autre qui le représente ? Soyons sérieux, quel embarras ! ce corps de l’Autre, en plus ça vous colle des maladies vénériennes ! ça vous infeste le corps de l’Autre, pas hygiénique et voici comment tout doucement il est temps de cesser avec les problèmes de la relation homme femme ou de sujet à sujet plus largement. Il n’y a pas de rapport sexuel, pas d’écriture toute prête, pas de recette, l’amour y supplée, disait Lacan. J’évoquerai plus loin le sort qui est fait à cette suppléance très récemment. À l’intérieur de la psychiatrie, c’est le retour du tri sous la forme du long séjour, du court séjour, de ceux qui bénéficient du droit de circuler librement pour le SL, souci noble que je ne voudrais pas moquer et qui pourtant induit le retour du pavillon des agités et la mise en prison de psychotiques de plus en plus nombreux ; puis c’est la ségrégation par pathologie. On y trouve le suicidant une espèce inventée avec le gérondif lacanien, une carrière désignée : « vous allez entrer dans une unité pour suicidants... », l’anorexique, le cas d’addiction aux drogues, au sexe, au partenaire amoureux (!) , au jeu. Cette ségrégation croît naturellement tandis que la démocratie s’accroît entre les professionnels et que se développe le regroupement en associations selon le symptôme.

9. Racisme Lacan avait pointé le danger de la promotion de la fraternité de corps : « sachez que celui qui monte, qu’on n’a pas encore vu jusqu’à ses dernières conséquences, et qui lui s’enracine dans le corps, dans la fraternité du corps, c’est le racisme, dont vous n’avez pas fini d’entendre parler »40. Sans oublier ce frère jumeau du racisme, probablement aggravé par le progrès qu’a apporté le féminisme, la misogynie, dont on sait le formule lacanienne. « on la dit-femme, on la diffâme » ([26], p. 79). La misogynie, comme le racisme, concerne l’altérité. Il est vrai que Freud notait déjà dans Le tabou de la virginité que ce qui fonde cette crainte à l’égard de la femme, racine de la misogynie, était : « le fait que la femme est autre41 que l’homme - qu’ elle apparaît incompréhensible, pleine de secret, étrangère et pour cela ennemie ». 40 41

Lacan J. Ou... pire, séminaire non publié, 21/06/1972. souligné par moi.

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L’émancipation gay et lesbienne risquera probablement, sur le même mode que celle des femmes, d’exacerber à son tour une nouvelle homophobie. Et après la stigmatisation des méfaits du tabac, des laitages, du sucre, du sexe, à consommer modérément, voici venir l’accent sur les méfaits de... l’amour ! Oui, cette terrible dépendance, addiction qui ôte toute liberté devient une nouvelle cible transatlantique. Cela aussi, Lacan l’avait prévu. Non à toute forme de manque ! Cela pourrait susciter même le désir ! « Ce qui distingue le discours du capitalisme est ceci : la Verwerfung, le rejet, le rejet en dehors de tous les champs du symbolique avec ce que j’ai déjà dit que ça a comme conséquence. Le rejet de quoi ? De la castration. Tout ordre, tout discours qui s’apparente du capitalisme laisse de côté ce que nous appellerons simplement les choses de l’amour, mes bons amis ». Revoici la Verwerfung découverte à l’œuvre dans la psychose, origine et actualité de Lacan. S’il y a une actualité de Jacques Lacan, c’est parce qu’il a mis l’accent sur la jouissance et le réel qui ne s’atteint que par le travail du symbolique sur quoi a prise la psychanalyse. La question féminine et la psychose sur lesquelles il a tant travaillé en furent les voies et le menèrent à l’objet a, son invention. Ce travail autour de l’objet a, qui lui permit des avancées inédites sur la jouissance féminine et la psychose, ouvre à un point de vue opérant sur la civilisation, ses modes de jouissance particuliers dont la prédominance de l’objet ready made, les modes de jouissance moins centrés par la jouissance phallique, les dérives ségrégatives et racistes. Faut-il penser que notre époque serait plus saisissable en la prenant du côté d’une psychose collective en se référant à la psychose et aux avancées de Lacan à cet égard ? On ne peut s’empêcher d’y penser parfois, mais il faut aussitôt la tempérer : le point de vue ne serait pas nouveau quand déjà Jaspers écrivait en 1953 : « On serait tenté de parler d’une affinité particulière entre l’hystérie et l’esprit régnant avant le XVIIIe siècle, affinité qui existerait entre la schizophrénie et l’esprit de notre temps42. Peut-on parler de nouveau dans la jouissance, dans les perversions ? À voir aussi. Ne s’agit-il pas plutôt de l’accès plus facile de quiconque à ce qui fût réservé à certains du temps du « pouvoir souverain »et de « l’aveu » honni par l’auteur de L’histoire de la sexualité, devenu une valeur positive car décision du sujet qui déclare et non plus aveu extrait par l’Autre ? Comment dire l’actualité de Jacques Lacan en renonçant à toute Weltanschauung comme le recommande déjà Freud dans ses Nouvelles conférences ? Exercice périlleux. Se garder de pérorer, se tenant loin de toute position de père-orang-outang, pérorant. Péroreur disait Rousseau, cet homme qui ne sait pas causer... On aura remarqué que je n’ai pu évoquer l’actualité de Lacan sans impliquer celle de certains de ses contemporains. C’est que lui-même leur était attentif, leur répondait, 42

Maurice Blanchot, préface, La folie par excellence, in ([27], p. 232–236).

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durement parfois quand ils étaient en désaccord, mais considérait la mise en question de son point de vue, certes sans complaisance mais jamais sans intérêt. C’est aussi un enseignement essentiel de Lacan. Dernier avertissement lacanien pour l’analyste : qu’il ne se hausse pas du col, qu’il ne se fasse pas plus semblant que nature ! C’est seulement dans la cure que l’analyste, en corps, installe l’objet a à la place du semblant. « Alors, de quoi s’agit-il, de quoi s’agit-il dans l’analyse? Parce que si on m’en croit, on doit penser que c’est bien comme je l’énonce, que c’est au titre de ce que, en corps, avec toute l’ambiguïté de ce terme, qui est motivée, c’est parce que l’analyste en corps, installe l’objet petit a à la place du semblant, qu’il y a quelque chose qui existe et qui s’appelle le discours analytique ».

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