Revue de Pneumologie clinique (2010) 66, 204—208
CAS CLINIQUE
L’amylose pleurale : manifestation révélatrice d’une amylose généralisée Pleural amyloidosis attesting to generalised amyloidosis C. Aichaouia a,∗, M.R. Ben Meftah a, S. M’hamdi a, J. Laabidi b, Z. Moatamri a, A. Haddaoui a, M. Khadhraoui a, R. Cheikh a a
Service de pneumologie-allergologie, hôpital militaire principal d’instruction de Tunis, 1008 Tunis, Tunisie b Service de médecine interne, hôpital militaire de Tunis, 1008 Tunis, Tunisie Disponible sur Internet le 18 f´ evrier 2010
MOTS CLÉS Amylose ; Amylose pleural ; Pleurésie ; Thoracoscopie
KEYWORDS Amyloidosis; Pleural amyloidosis;
∗
Résumé Les manifestions respiratoires les plus connues de l’amylose systémique sont représentés par l’atteinte trachéobronchique, les nodules parenchymateux et les pneumopathies interstitielles diffuses. En revanche, l’atteinte pleurale est rarement rapportée. Nous rapportons le cas d’une femme âgée de 61 ans, hospitalisée initialement pour l’exploration d’un épanchement pleural exsudatif. Au cours de son hospitalisation, une amylose systémique secondaire à un myélome multiple avec localisations cardiaque et rénale a été découverte et la réalisation d’une thoracoscopie a permis de mettre en évidence la présence de dépôts amyloïdes pleuraux. L’évolution ultérieure a été fatale et ce malgré l’instauration d’une chimiothérapie à base de Melphalan-Prednisone. La fréquence de la localisation pleurale au cours de l’amylose systémique serait sous-estimée et elle jouerait un rôle important dans la survenue d’épanchement pleural (même si ce dernier est de type transsudatif) à côté de l’insuffisance cardiaque et le syndrome néphrotique. © 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Summary During the course of generalised amyloidosis, pulmonary diseases are mainly represented by tracheobronchial involvement and diffuse or nodular parenchymal localizations. The authors report the case of a 61-year-old woman presenting exudative pleural effusion. The diagnosis of generalised amyloidosis in association with multiple myeloma with cardiac and renal
Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (C. Aichaouia).
0761-8417/$ — see front matter © 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.pneumo.2009.08.012
L’amylose pleurale
Pleural effusion; Thoracoscopy
205 involvement was established. A thoracoscopy performed during the investigation of the pleural effusion and the biopsy revealed amyloid deposits in the pleura. The patient died although melphalan/prednisone treatment was initiated. Pleural involvement in amyloidosis is without doubt under-estimated and plays a central role in the creation and persistence of pleural effusion. © 2009 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
Introduction L’amylose est une maladie d’étiologie inconnue. Elle est caractérisée par le dépôt tissulaire extracellulaire de protéines fibrillaires ayant une structure en feuillets  plissées prenant la coloration par le rouge Congo qui lui confère en lumière polarisée une biréfringence verte caractéristique. Elle peut être localisée à un organe (10 à 20 %) ou le plus souvent systémique (80 à 90 %) ; cette dernière est classée en cinq familles : amylose AL, primitive ou secondaire à un myélome, amylose AA, secondaire aux maladies inflammatoires généralement, amylose familiale (par production de transthyrétine mutée non dégradée, d’apolipoproteines AI, AII, fibrinogène. . .), amylose sénile (production de transthyrétine non mutée, survenant chez les sujets plus âgés et de meilleur pronostic) et amylose de l’hémodialysé chronique. L’atteinte respiratoire est présente dans plus de la moitié des cas (50—70 %) d’amylose systémique. Du point de vue immunohistochimique, l’amylose respiratoire est presque toujours de type AL (dépôts amyloïdes correspondant aux chaînes légères d’immunoglobuline). Trois types d’amylose respiratoire ont été identifiés [1,2] : l’amylose parenchymateuse nodulaire, l’amylose trachéobronchique (la plus fréquente) et l’amylose interstitielle diffuse (la plus rare et la plus grave). L’atteinte pleurale quant à elle reste exceptionnelle. Nous rapportons l’observation d’une patiente présentant une atteinte pleurale amyloïde inaugurant le tableau d’une amylose généralisée.
Observation Une femme âgée de 61 ans a été hospitalisée en service de pneumologie pour la première fois en mars 2005 pour une symptomatologie faite de toux sèche, fièvre et douleurs thoraciques qui ne s’étaient pas améliorés sous antibiotiques. Dans ses antécédents, on notait une thyroïdectomie pour un nodule froid 20 ans auparavant pour laquelle elle était sous traitement substitutif. À l’entrée dans notre service, il existait un syndrome pleural droit ; le reste de l’examen était normal notamment absence d’œdème ou de signes d’insuffisance cardiaque gauche. La radiographie du thorax montrait une opacité basale droite effac ¸ant l’hémi-coupole diaphragmatique droite avec émoussement du cul de sac droit (Fig. 1). À la biologie, il existait un syndrome inflammatoire biologique, les fonctions rénale et cardiaque étaient normales. La fibroscopie bronchique trouvait un aspect inflammatoire sans autres anomalies notables. Le diagnostic d’une pneumopathie infectieuse aiguë était retenu et la malade était mise sous antibiotique avec une amélioration clinique et un nettoyage radiolo-
gique. Après sa sortie, l’évolution était marquée par la récidive d’une douleur thoracique, la radiographie du thorax montrait la réapparition de l’opacité basale droite en rapport avec un épanchement pleural droit avec une cardiomégalie. Elle était réhospitalisée une seconde fois au mois de juillet 2005. Par la ponction pleurale, on évacuait un liquide jaune citrin de type exsudatif (protides pleuraux/protides sériques > 1/2) avec présence de 700 éléments blancs dont 90 % lymphocytes, sans éléments cellulaires anormaux. La biopsie pleurale mettait en évidence une pleurite sérofibrineuse d’allure banale avec absence de signes histologiques de malignité. La fibroscopie bronchique montrait un état inflammatoire et infiltré de la médiale de la lobaire moyenne dont l’orifice était réduit de calibre. Les biopsies bronchiques à ce niveau, ainsi que l’étude des produits d’aspiration bronchique, ne montraient pas de signes de spécificité ou de malignité. L’échographie cardiaque objectivait un ventricule gauche de petite taille à paroi hypertrophiée avec fonction contractile globale et segmentaire conservée et estimait la PAP à 50 mmHg. Devant ce tableau, une embolie pulmonaire était suspectée mais l’angioscanner thoracique ne montrait pas de signes directs ou indirects en faveur du diagnostic. En revanche, on notait une atélectasie lobaire moyenne droite d’origine compressive en rapport avec un épanchement pleural. Les fonctions hépatique et rénale étaient normales. La recherche de facteur rhumatoïde et d’anticorps antinucléaire était négative. L’évolution était marquée par l’apparition d’un œdème généralisé et d’un syndrome néphrotique pur (absence d’insuffisance rénale ou d’hématurie). L’électrophorèse des protides montrait une hypergammaglobulinémie à base étroite (26,8 %
Figure 1. Radiographie du thorax de face et de profil : opacité du lobe inférieur droit avec comblement des deux culs de sacs.
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C. Aichaouia et al.
Figure 2. Thoracoscopie : aspect inflammatoire diffus de la plèvre pariétale et viscérale.
pour une protidémie à 50 g/l) et l’immunoélectrophorèse des protéines sériques précisait qu’il s’agissait d’une hypergammaglobulinémie de type IgG lambda. Devant ce tableau, le diagnostic de myélome multiple était très suspecté. Le bilan était complété par une ponction sternale mettant en évidence une infiltration plasmocytaire. La biopsie labiale objectivait des dépôts amyloïdes type AL. Le diagnostic d’amylose systémique secondaire à un myélome multiple avec localisation rénale et cardiaque était posé. Devant la récidive de la pleurésie, une nouvelle ponction était pratiquée, ramenant un liquide jaune citrin transsudatif (protides pleuraux/rapport protides sériques < 1/2) avec 760 éléments blanc à prédominance lymphocytaire (95 %). Une thoracoscopie sous neuroleptanalgésie était pratiquée afin de réaliser un talcage pleural devant le caractère récidivant de l’épanchement et pour rechercher une localisation pleurale de l’amylose, par ailleurs. L’examen per-thoracoscopique trouvait un aspect inflammatoire diffus de la plèvre pariétale et viscérale (Fig. 2). Les biopsies réalisées montraient un revêtement mésothélial régulier, cubique bas, sans atypies cytonucléaires, le tissu fibro-adipeux sous-jacent comportant une inflammation chronique polymorphe associant lymphocytes, plasmocytes et éléments histiocytaires. Il était parcouru de vaisseaux à parois épaisses et hyalinisés. Les prélèvements permettaient de confirmer la localisation pleurale de l’amylose en mettant en évidence quelques petits dépôts de substance amorphe éosinophile (Fig. 3), la coloration au rouge Congo colorant en rouge brique la paroi des vaisseaux et les dépôts (Fig. 4). Il existait un dichroïsme jaune-vert en lumière polarisée à ce niveau (Fig. 5). La patiente était traitée par Melphalan-Prednisone mais elle n’a pu recevoir que deux cures puisqu’elle décédait brutalement. Une atteinte cardiaque de l’amylose pourrait être à l’origine du décès sans possibilité de confirmer cette hypothèse.
Figure 3. Tissu pleural : revêtement mésothélial régulier, cubique bas, sans atypies cytonucléaires. Le tissu fibro-adipeux sous-jacent comporte une inflammation chronique polymorphe associant lymphocytes, plasmocytes et éléments histiocytaires. Il est parcouru de vaisseaux à parois épaisses et hyalinisés. Il s’y associe quelques petits dépôts de substance amorphe éosinophile.
Figure 4. Tissu pleural après coloration au rouge Congo colore en rouge brique la paroi des vaisseaux et les dépôts.
Discussion L’atteinte respiratoire au cours de l’amylose généralisée est fréquente. Il s’agit principalement des formes trachéobronchique et parenchymateuse, l’atteinte pleurale étant exceptionnelle [3,4]. La prévalence de l’épanchement pleural chez les patients porteurs d’amylose généralisée est
L’amylose pleurale
Figure 5. risée.
Présence d’un dichroïsme jaune-vert en lumière pola-
difficile à évaluer mais elle est certainement variable d’un type d’amylose à un autre. Récemment, The Amyloid Program at Boston University a rapporté une prévalence de 6 % d’atteinte pleurale parmi 363 amyloses (AL) colligé sur une période de sept ans [5]. En revanche, sur une autre série autopsique de 223 cas d’amyloses étendue sur 88 ans, Smith et al. n’ont signalé aucun cas d’épanchement pleural chez les patients ayant une amylose (AA) [6]. La présence de dépôts amyloïdes dans la plèvre est très peu décrite : seulement 21 cas d’infiltration pleurale amyloïde documentée ont été rapportés selon une revue de la littérature [7]. Cette atteinte pleurale précède rarement les autres manifestations de l’amylose [8] comme c’est le cas de notre observation. Les pleurésies au cours d’une amylose systémique peuvent être de type exsudatif mais le plus souvent elles sont de type transsudatif (2/3 des cas) [7]. De ce fait, l’apparition d’un épanchement pleural au cours de l’amylose est souvent rattachée à une insuffisance hépatique, à un syndrome néphrotique ou plus fréquemment à une insuffisance cardiaque. Ainsi, l’atteinte pleurale est sans doute sous-estimée dans l’amylose généralisée [9] et la preuve histologique n’est pas toujours recherchée. Le syndrome néphrotique et l’insuffisance cardiaque ne pourraient pas à eux seuls expliquer l’épanchement pleural. En effet, et selon l’étude suscitée [7], Berk et al. n’ont pas trouvé de différence significative concernant la fonction cardiaque et l’importance du syndrome néphrotique entre deux groupes de patients porteurs d’amylose dont l’un présentait un épanchement pleural persistant et l’autre sans épanchement. Le rôle du dépôt amyloïde pleural dans la formation et la persistance de l’épanchement a été évoqué [9,5,7,10]. Ce dernier interviendrait en limitant le drainage lymphatique du liquide pleural et en même temps, en augmentant sa sécrétion par
207 des phénomènes inflammatoires. Dans la série de Xu et al., qui a essayé de relever les cas de l’amylose avec localisation respiratoire, parmi les 33 cas d’épanchement pleural, neuf malades seulement ont bénéficié de biopsies pleurales et parmi ceux-ci un dépôt amyloïde pleural a été retrouvé dans huit cas [11]. En présence de ses dépôts amyloïdes, l’épanchement pleural peut être de type exsudatif ou de type transsudatif de fréquence égale. Dans l’observation que nous rapportons, la pleurésie était initialement exsudative mais au cours de l’évolution, elle est devenue transsudative avec l’installation d’une insuffisance cardiaque et d’un syndrome néphrotique, ce qui suggère qu’un épanchent pleural transsudatif ne peut être expliqué seulement par l’atteinte cardiaque ou rénale associées. L’aspect thoracoscopique de l’amylose pleurale n’est pas spécifique [12]. Seulement quatre descriptions thoracoscopiques ont été rapportées dans la littérature : plèvre pariétale d’allure « hypervascularisée [13], hyperhémiée [14], framboisée [9], ou enfin inflammatoire parsemée de nodules [7] ». Dans notre observation, on a constaté un aspect inflammatoire diffus des plèvres viscérale et pariétale. En présence d’épanchements pleuraux abondants et récidivants, un traitement diurétique avec des ponctions évacuatrices intermittentes permettent souvent de contrôler l’épanchement pleural. Un débit cardiaque bas et une neuropathie autonome ne permettent pas souvent une telle attitude, ce qui devra faire envisager une pleurodèse thoracoscopique [15] devant les ponctions évacuatrices à rythme rapproché. L’apparition d’un épanchement pleural au cours d’une amylose systémique type AL représente un facteur pronostic péjoratif. En effet, la survie médiane sans traitement est de 1,6 mois en présence d’un épanchement alors qu’elle est de six mois pour des patients sans épanchement pleural avec une altération comparable de la fonction cardiaque [5]. L’atteinte cardiaque est une localisation fréquente au cours de l’amylose AL (90 %) [16] et constitue en même temps la manifestation la plus grave des amyloses. La survenue fréquente de troubles du rythme ou de la conduction sont responsables de mort subite, ce qui pourrait expliquer la mort brutale de notre patiente.
Conclusion L’atteinte pleurale est rare mais très probablement sousestimée au cours de l’amylose systémique. Elle joue un rôle important dans la genèse et l’entretien de l’épanchement pleural. La survenue de cet épanchement est un élément de mauvais pronostic et synonyme d’une survie limitée. La thoracoscopie reste l’examen diagnostique clé permettant aussi une symphyse pleurale si l’épanchement est récidivant.
Conflits d’intérêts Aucun.
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