Médecine et maladies infectieuses 39 (2009) 203–208
Article original
L’antibiothérapie aux urgences, évaluation par une approche qualitative et quantitative Use of antibiotics in emergency units: Qualitative and quantitative assessment N. Asseray a,∗ , Y. Bleher a , Y. Poirier b , J. Hoff c , D. Boutoille d , C. Bretonniere e , P. Lombrail g,a , G. Potel f,a a
UPRES EA 38 26 « thérapeutique clinique et expérimentale des infections », faculté de médecine, université de Nantes, 1, rue Gaston-Veil, 44000 Nantes France b Pharmacie hospitalière, centre hospitalier départemental, 85000 La Roche s/Yon, France c Commission des antibiotiques, centre hospitalier général, 44600 Saint-Nazaire, France d Service des maladies infectieuses et tropicales, centre hospitalo-universitaire, 44000 Nantes France e Réanimation médicale polyvalente, centre hospitalo-universitaire, 44000 Nantes, France f Service des urgences, centre hospitalo-universitaire, 44000 Nantes, France g Pôle d’information médicale d’évaluation et de santé publique, centre hospitalo-universitaire, 44000 Nantes, France Rec¸u le 20 juin 2008 ; accepté le 20 octobre 2008 Disponible sur Internet le 3 d´ecembre 2008
Résumé Introduction. – La plupart des traitements antibiotiques sont débutés dans le service des urgences médicales. Pour mieux comprendre les résultats de la surveillance des consommations d’antibiotiques dans ce service, ils ont été comparés à ceux d’hôpitaux voisins et les données quantitatives ont été confrontées à une évaluation de la qualité de l’antibiothérapie. Méthodologie. – Approche quantitative : mesure des consommations d’antibiotiques (trois marqueurs : ceftriaxone, amoxicilline–acide clavulanique et fluoroquinolones) en DDD/1000 admissions aux urgences d’un CHU, comparés à deux autres centres hospitaliers géographiquement proches. Approche qualitative : audit clinique rétrospectif des prescriptions d’antibiotiques, l’ensemble de la prise encharge a été évalué, du diagnostic au traitement. Résultats. – Résultats de consommation : les trois marqueurs montrent une consommation plus élevée dans le CHU par rapport aux deux établissements comparés, particulièrement pour l’amoxicilline–acide clavulanique (3,7–5,5 fois supérieure). Audit : 93 dossiers ont été revus, moyenne d’âge de 71 ans (18–96 ans). Le diagnostic était conforme à l’avis des experts dans 70 % des cas. L’antibiothérapie n’était pas justifiée pour 20 % des patients. Le délai entre l’admission et le début du traitement n’était pertinent que pour 56 % des patients. Le choix des molécules se portait plus souvent vers les bêtalactamines (pénicillines 43 %, C3G 21 %) et les fluoroquinolones (22 %). Les molécules prescrites étaient conformes aux recommandations locales et nationales pour 78 % des antibiothérapies justifiées. Conclusion. – L’analyse qualitative ne permet pas d’expliquer la tendance à une plus grande consommation d’antibiotique. Le nombre d’antibiothérapie non justifiée ne suffit pas à expliquer les écarts de consommation. © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Abstract Introduction. – Most antibiotic therapies are initiated in the emergency unit (EU). To better understand the antibiotic consumption survey in this unit, we compared our results to two neighbor hospitals. This quantitative data was then compared to a quality assessment of antibiotic prescription (audit). Methods. – The quantitative measure of antibiotic consumption (three markers: ceftriaxone, amoxicillin–clavulanate, and fluoroquinolones) based on the ratio DDD:1000 patient admitted in the EU was compared between one teaching hospital and the two neighbor hospitals. Qualitative ∗
Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (N. Asseray).
0399-077X/$ – see front matter © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.medmal.2008.10.020
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measure: a retrospective clinical targeted audit of antibiotic prescriptions was performed. The compliance to guidelines for infection diagnosis and antibiotic treatment were assessed. Results. – Antibiotic consumption: the survey showed a higher consumption of the three antibiotics in the teaching hospital, especially for amoxicillin–clavulanate (3.7–5.5 higher). Audit: 93 files of EU patients were reviewed; their mean age was 71 years (18–96). Diagnosis was conform to the expert opinion in 70% of cases. No antibiotic was really necessary in 20% of cases, and delay between hospitalization and antibiotic prescription was relevant only for 56% of patients. The most frequently prescribed antibiotics were lactams (penicillins 43%, third generation cephalosporin 21%, and fluoroquinolones 22%). The choice was conform to local and national guidelines in 78% of justified prescribed antibiotherapy. Conclusion. – The qualitative assessment cannot explain the higher antibiotic consumption trend. The number of unjustified antibiotic prescriptions does not explain the variable antibiotic consumption. © 2008 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Mots clés : Caudit ; Qualité ; Antibiothérapie Keywords: Audit; Quality; Antibiotherapy
1. Introduction
2. Méthodologie
Les infections communautaires sont une part importante des admissions aux urgences. C’est dans ces services que l’antibiothérapie est le plus souvent décidée et initiée. Le contrainte de fonctionnement non programmé des services d’urgences sont sources de certaines difficultés pour les équipes qui y travaillent. En particulier, la diversité des pathologies et de leur gravité, la variabilité de l’affluence au cours du temps, le grand nombre de médecins ainsi que la diversité de leurs spécialisations sont sources d’une variabilité dans les décisions diagnostiques et thérapeutiques. La tendance à un excès de prescription d’antibiotiques dans ces services a été décrite dans de précédentes évaluations [1–3]. Pour maîtriser l’évolution des résistances bactériennes, des recommandations de surveillance des consommations d’antibiotiques et d’amélioration de la qualité de l’antibiothérapie dans les établissements de santé sont mises en œuvre en France depuis plusieurs années [4–6]. Ainsi, une surveillance annuelle des consommations d’antibiotiques, quantifiées en doses définies journalières (DDJ) ou defined daily doses (DDD) [7] est recommandée. Elle est intégrée dans le bilan d’activité standardisé des comité de lutte contre les infections nosocomiales (CLIN) et fait l’objet d’un indicateur national : ICATB (tableau de bord 2006–cellule infections nosocomiales DGS/RI-DHOS/E2, novembre 2007. Calcul indicateur composite de bon usage des antibiotiques [ICATB]). Les établissements de santé disposent donc de données quantitatives, y compris pour le service d’accueil et d’urgences qui est également concerné par ces recommandations. Cependant, ces résultats quantitatifs sont difficiles à interpréter, leur impact sur la politique de l’antibiothérapie menée au sein d’un établissement et les règles de prescription des antibiotiques au sein d’un service est encore mal défini. Afin de mieux comprendre les chiffres de consommation au service des urgences, nous nous sommes comparés à deux autres hôpitaux géographiquement proches. Parallèlement, une approche qualitative de l’antibiothérapie aux urgences a été développée par un audit ciblé des pratiques de prescription d’antibiotiques dans le même service.
2.1. Approche quantitative Trois centres hospitaliers se sont prêtés à cette mesure comparée des consommations d’antibiotiques. Le premier est un centre hospitalo-universitaire de 3077 lits, le deuxième un centre hospitalier départemental de 849 lits et le troisième un centre hospitalier général de 1104 lits. Les données de consommation mesurées à la pharmacie, c’est-à-dire les quantités d’antibiotiques dispensés par unité pharmaceutique ont été colligées et compilées. Trois familles d’antibiotiques plus fréquemment utilisées ont été ciblées : amoxicilline–clavulanate, ceftriaxone, fluoroquinolones (ofloxacine, ciprofloxacine, lévofloxacine et moxifloxacine en fonction des molécules référencées dans chaque établissement) formes parentérales et orales. La méthode de calcul des DDJ a été utilisée. Ces données ont ensuite été rapportées à un indicateur d’activité, le nombre d’admission aux urgences sur la même période de temps [7]. 2.2. Approche qualitative Un audit clinique des prescriptions d’antibiotiques a été mené dans le service des urgences médicales adultes du centre hsopitalier universitaire durant trois mois au cours de l’hiver 2004–2005 (soit du 22 novembre 2004 au 22 février 2005). À des dates choisies au hasard, tous les dossiers des patients ayant rec¸u une antibiothérapie aux urgences faisaient l’objet de cette évaluation. Le recueil des données était rétrospectif, effectué après la sortie du patient. L’ensemble des critères évalués, ainsi que les facteurs associés sont détaillés dans le Tableau 1. Pour l’évaluation du diagnostic d’infection, de la gravité et du délai recommandé pour l’antibiothérapie, chaque dossier a fait l’objet d’une expertise par un binôme médical infectiologue–réanimateur, disposant de l’ensemble du dossier. La prescription de l’antibiothérapie : molécules choisie, association d’antibiotiques, posologie a été évaluée sur la base des référentiels locaux d’antibiothérapie, disponibles sur l’intranet de l’hôpital et intégrés dans le « livret des internes ». Ces référentiels sont une synthèse des recommandations nationales (Société de pathologie infectieuse de
N. Asseray et al. / Médecine et maladies infectieuses 39 (2009) 203–208 Tableau 1 Critères qualités et facteurs analysés. Quality criteria and analyzed factors. Critères Qualité
Standard de référence
Antibiothérapie justifiée Conformité du diagnostic d’infection“/”conformité du diagnostic de gravité Conformité délai d’administration de l’antibiothérapie Conformité du choix de la molécule Conformité de la posologie (dose unitaire et intervalle) Conformité de la voie d’administration
Binôme d’experts
Recommandations locales disponibles aux urgences (accessibles par voie électronique : espace intranet et sur support papier : livret de l’interne)
Facteurs associés Facteurs prescripteurs
Internes Assistants et chefs de clinique Praticiens hospitaliers Professeurs d’université Médecin des urgences – venant d’autres services
Facteurs situationnels
Jour – nuit Semaine – week-end
Facteurs patients
Polypathologie Hospitalisations multiples (> 3 séjours dans l’année) Antibiothérapie préalable Décision d’arrêt ou de limitation des soins actifs
langue franc¸aise et Agence franc¸aise de sécurité sanitaire des produits de santé) et internationales (Infectious Diseases Society of America) en antibiothérapie, disponibles sur le web. Chaque item était noté A, B ou C, suivant la concordance avec l’avis d’expert ou la recommandation de traitement (Conformité : A ; non-conformité n’engageant pas le pronostic : B ; non-conformité risquant de conduire à une perte de chance : C). 3. Résultats 3.1. Approche quantitative Les données de consommation des trois établissements montrent des chiffres plus élevés dans l’établissement hospitalo-universitaire en particulier pour le premier marqueur, l’amoxicilline–acide clavulanique (Tableau 2). Il s’agit de la molécule la plus utilisée dans ces centres hospitaliers. La consommation est respectivement 3,7 à 5,5 fois supérieure en comparaison avec les deux autres centres. Pour les deux autres marqueurs, la consommation est plus élevée mais l’écart n’est pas aussi marqué. 3.2. Audit Les dossiers de 93 patients ont été concernés par l’étude qualitative. La moyenne d’âge était de 71,4 ans (extrêmes de
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18–96 ans) et le sex-ratio de 0,51. Environ un tiers d’entre eux (34,4 %) souffraient de co-morbidités et 23 patients (24,7 %) étaient multihospitalisés (plus de trois hospitalisations ou plus de un mois de séjour au total dans l’année précédente). Plus d’un quart (26,9 %) avait rec¸u une antibiothérapie avant leur admission aux urgences. Les traitements antibiotiques prescrits étaient des monothérapies dans 72 % des cas, des bithérapies pour 26,9 % des patients et une trithérapie. Les molécules les plus souvent prescrites étaient les bêtalactamines, en particulier l’amoxicilline–acide clavulanique (40 %) et la ceftriaxone (20 %) et les fluoroquinolones (21,7 %). Le délai d’administration de l’antibiothérapie (délai mesuré entre l’heure d’admission à l’hôpital enregistrée dans le dossier et l’heure d’administration notée par l’infirmier[e]) était évaluable pour 72 patients. La moyenne était de cinq heures et 48 minutes (écart-type de quatre heures) et les extrêmes de 30 minutes à 24 heures. 3.3. Évaluation de la conformité L’antibiothérapie a été jugée justifiée pour 80 % des dossiers évalués. La comparaison du diagnostic notée sur le dossier des urgences à celui des experts montrait une adéquation parfaite pour 70 % des dossiers. Les principaux écarts constatés concernaient des infections respiratoires. Ainsi, 17 diagnostics de « pneumopathie bactérienne » ont été requalifiés par le binôme d’experts en d’autres diagnostics d’infection et 11 diagnostics non infectieux (le plus souvent décompensation cardiaque). La gravité de l’infection avait été correctement mesurée pour 88 % des patients. Le délai d’administration de l’antibiothérapie était jugé correct pour seulement 56 % des 66 dossiers analysables pour ce critère et le retard à l’antibiothérapie risquait d’être cause d’une perte de chance pour 26 % d’entre eux. L’antibiothérapie prescrite était conforme aux recommandations dans l’indication pour 78 % des patients, mais pour 14,5 % des prescriptions analysées (soit dix dossiers), la non-conformité aurait pu conduire à une perte de chance. Ces dix patients présentaient des tableaux septiques sévères. Au total, une constate qu’environ un tiers des dossiers analysés (32 %) avait une notation C (non-conformité risquant de conduire à une perte de chance) pour au moins un des critères évalués. L’association de certains facteurs avec la conformité ou non du diagnostic et de la prescription d’antibiotiques a été étudiée. Seuls certains facteurs associés au patient étaient associés à une meilleure prise en charge de l’infection (Fig. 1A). L’impact de l’âge sur la qualité du diagnostic est significatif, avec une moyenne d’âge de 70 ans pour les patients dont le dossier est coté A et de 77 ans pour ceux dont le dossier est coté B ou C (p = 0,03, t test). La conformité du diagnostic est également meilleure pour les patients les plus graves (justifiant l’appel du réanimateur, selon le jury d’expert) (p = 0,011, Chi2 ). L’antécédent d’hospitalisations multiples semblait associé à une administration plus rapide de l’antibiothérapie, mais cette tendance n’était pas significative. Pour les autres facteurs,
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Tableau 2 Consommations d’antibiotiques aux urgences de trois hôpitaux. Antibiotic consumption in the EU of three hospitals. Année 2004 Services d’urgences Hôpital 1 Consommation totale DDD Nombre d’admission sur l’année DDD/1000 admissions Hôpital 2 Consommation totale DDD Nombre d’admission sur l’année DDD/1000 admissions Consommation totale DDD Hôpital 3 Consommation totale DDD Nombre d’admission sur l’année DDD/1000 admissions a
Amoxicilline – ac clavulanique (i.v. + p.o.)
Ceftriaxone (i.v.)
Fluoroquinolonesa (i.v. + p.o.)
394,5 59770 6,6
579,5 59770 9,7
2199,7 59770 36,8
79,5 42316 1,88 115,25
259,5 42316 6,13 281,5
902 42316 21,32 573
31557 3,65 31557
31557 8,92 31557
31557 18,16 31557
Ofloxacine, lévofloxacine, ciprofloxacine, moxifloxacine.
Fig. 1. Facteurs associés à la qualité de l’antibiothérapie. Factors associated with quality of antibiotherapy.
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tant situationnels, qu’associés au prescripteur, les tendances observées sur les graphiques n’étaient pas statistiquement significatives (Fig. 1 B et C). 4. Discussion Dans l’expérience que nous rapportons, la mesure des consommations d’antibiotiques révèle clairement une consommation plus élevée au CHU, portant principalement sur la molécule la plus prescrite. Cette consommation plus élevée riquait d’être considérée à tort comme une consommation excessive, conséquence de prescriptions excessives. L’analyse qualitative découvre une réalité bien différente. La surveillance des consommations d’antibiotiques dans les établissements de santé fait actuellement l’objet des recommandations. Elle est un item important d’évaluation de la politique des établissements en antibiothérapie (ICATB) et la méthode de calcul de cet indicateur est clairement définie (circulaire DGS/DHOS/DSS/5A/E2 no 2006-139). Cependant si les résultats d’une surveillance sont actuellement exigibles, aucune recommandation de résultat n’est proposée. Les résultats quantitatifs que nous présentons ici ont été recueillis avant la parution de ces recommandations, néanmoins les modalités de calcul sont les mêmes. Les données administratives qui ont été recueillies, particulièrement les données quantifiant l’activité des services d’urgences, sont probablement critiquables. En effet, nous disposons seulement du nombre d’admission par unité de soin, or les activités des unités de soin dans les services d’Urgence ne sont pas superposable d’un hôpital à l’autre (ainsi l’accueil de la traumatologie ou de la pédiatrie peut se faire au sein d’une même unité ou être séparés dans des unités diffférentes, ce qui fait varier le contenu du dénominateur d’un établissement à l’autre). Les données d’activité ne recouvrent pas nécessairement les mêmes activités médicales, ni la même typologie de patient.L’influence des différences d’activité des établissements, ainsi que leur secteur d’appartenance (public ou privé), sur les consommations d’antibiotiques a déjà été abordée. Ainsi, les différences de procédures, la fréquence d’isolement de bactéries multirésistantes, sont autant de facteur dont l’impact sur la consommation d’antibiotiques a déjà été étudié [8–10]. Les données de consommation d’antibiotiques doivent donc être interprétées pour chaque établissement, à la lumière d’autres informations. À l’échelle des services d’urgences, cette interprétation est d’autant plus difficile qu’on ne dispose pas de données permettant les comparaisons. L’indicateur utilisé dans ce travail n’est peut-être pas le plus pertinent. D’autres pistes pourraient être explorées, comme l’utilisation au dénominateur d’un autre marqueur que le nombre d’admissions. Sur le versant qualitatif, l’analyse des diagnostics d’infection et des prescriptions d’antibiothérapie rejoint les résultats d’études publiées à ce sujet. Le nombre d’antibiothérapies non justifiées, en raison de diagnostics d’infection portés par excès avait déjà été décrit [2]. Notre taux de prescriptions injustifiées, dans des conditions comparables, n’est pas plus élevé (20 % vs 33 % dans l’étude citée). La qualité du choix de l’antibiothérapie n’est également pas moins bonne que dans
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d’autres travaux. Ainsi, dans une autre évaluation publiée, nous retrouvions 29 % de prescriptions inadaptées [11] contre 22 % ici. Dans cet audit, nous relevons que le point principal de non-qualité de l’antibiothérapie est le retard d’administration du traitement, plus que la qualité de la prescription. D’autres auteurs avaient déjà montré que plus de la moitié des patients admis aux urgences subissaient un retard à l’administration de l’antibiothérapie [12], ils constataient une nette amélioration après l’implantation de recommandations pour la pratique clinique (ce qui est déjà le cas dans notre établissement) et des mesures organisationnelles [13]. On sait à quel point la précocité d’une antibiothérapie efficace est un facteur pronostique pour les infections graves [14–17]. Le clinicien exerc¸ant aux urgences est souvent écartelé entre deux objectifs parfois antinomiques : prescrire moins d’antibiotiques, en posant mieux le diagnostic d’infection bactérienne et prendre la décision d’antibiothérapie plus rapidement pour tous les patients qui le nécessitent. Inviter les prescripteurs à être plus rapides dans l’utilisation des antibiotiques aux urgences risque de conduire à un excès d’utilisation. Un précédent travail d’évaluation avait monté l’intérêt d’une consultation pour promouvoir l’arrêt précoce des traitements jugés inutiles, lors d’une consultation spécialisée d’infectiologue [2]. Par ailleurs, les facteurs associés à la qualité du diagnostic d’infection et du traitement antibiotique ne sont pas les facteurs médecins ou situationnels, comme retrouvés dans d’autres travaux, mais plutôt les facteurs dépendant du patient. Il y a donc un impact réel des typologies de patients sur la qualité de l’antibiothérapie. Ce recrutement de patients âgés, voire très âgés, multihospitalisés, souffrant de pathologies multiples, n’est peut-être pas superposable d’un service d’urgence à l ’autre. Les recommandations de prescription ne sont pas toujours adaptées à cette population, dont on sait la fragilité face au processus septique et pour laquelle le diagnostic d’infection est plus difficile. Entre les deux approches décrites ici, qualitative et quantitative, on ne retrouve pas de lien clair. Nous n’avons pas retrouvé, dans l’analyse qualitative, de cause expliquant clairement la consommation plus élevée d’antibiotiques dans ce service d’urgences. Pourtant, la revue de la littérature sur l’évaluation de la qualité de l’antibiothérapie montre clairement la validité de ce critère quantitatif, à l’échelle d’un établissement ou d’un type de service ou bien pour les antibiotiques prescrits en ville [18]. D’autres critères quantitatifs, comme le nombre de prescription ou le nombre de jours de traitement étudiés, sont bien corrélés à cette mesure [19–21]. Néanmoins, aucun critère quantitatif n’a fait sa preuve en regard de l’évaluation qualitative des prescriptions. L’absence de lien clair entre la consommation mesurée et la pertinence du diagnostic et du traitement des infections conduit à positionner cet indicateur quantitatif en dehors du champs de l’évaluation du bon usage des antibiotiques, en particulier pour les services d’urgences. D’autres indicateurs sont nécessaires pour guider les décisions politiques en matière d’antibiothérapie dans les établissements de santé, associant données quantitatives et qualitatives.
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5. Conclusion La tendance à une prescription excessive d’antibiotique aux urgences n’est pas plus importante dans le service enquêté, la proportion de prescriptions non justifiées ne permet pas de trouver la cause d’une consommation plus élevée. D’autres facteurs sont à prendre en compte pour comprendre le sens des mesures de consommations, en particulier le type de patients en termes d’âge, de polypathologie, de fréquence d’hospitalisation. La trop grande utilisation des antibiotiques dans les services d’urgences est difficile à freiner, pour ne pas risquer un retard de traitement chez les patients qui le nécessitent. Un programme futur d’amélioration de qualité se devra de prendre en compte deux éléments clés : réduire les délais d’administration des traitements antibiotiques et améliorer la prise en charge des patients âgés, polypathologiques et multihospitalisés. Ce travail apporte un nouvel élément dans la réflexion sur la pertinence des indicateurs utilisés pour suivre la politique de maîtrise de l’antibiothérapie dans les établissements de santé. D’autres auteurs ont été amenés à douter de la pertinence de certaines mesures dans leurs unités [22]. Les indicateurs quantitatifs actuellement recommandés doivent faire l’objet d’interprétations raisonnées, à la lumière des pratiques professionnelles et surtout des besoins réels des patients. De nouveaux indicateurs, rapportant la consommation d’antibiotique au « case mix », c’est-à-dire aux caractéristiques des patients, devront être étudiés pour mieux évaluer l’utilisation des antibiotiques, ainsi que pour mieux guider les décisions prises au sein des établissements et des services. Références [1] Roger PM, Farhad R, Pulcine C, Mariette A, Taurel M, Oualid H, et al. Elderly patients presenting with fever and respiratory problems in an intensive care unit. Diagnostic, therapeutic and prognostic impact of a systematic infectious disease consultation. Presse Med 2003;32:1699–704. [2] Roger PM, Martin C, Taurel M, Fournier JP, Nicole I, Carles M, et al. Motives for the prescription of antibiotics in the emergency department of the University Hospital Center in Nice. A prospective study. Presse Med 2002;31:58–63. [3] Ramos Martinez A, Cornide Santos I, Marcos Garcia R, Calvo Corbella E. Antibiotic prescription quality at a hospital emergency service. An Med Interna 2005;22:266–70. [4] Conférence de consensus Spilf. Comment améliorer la qualité de l’antibiothérapie dans les établissements de soins ? Med Mal Infect, 2002.32:9. [5] Asseray N, Potel G. Antibiotics use in hospitals: how can the quality of antibiotic therapy be improved in health care institutions ? Possible solutions: who ? Partners, tools and processes. Med Mal Infect 2002;32:322s–32s. [6] DHOS. Circulaire DHOS/E2–DGS/SD5A no 272 du 2 mai 2002, relative au bon usage des antibiotiques dans les établissements de santé et à la mise en place à titre expérimental de centre de conseil en antibiothérapie pour les médecins libéraux. 2002.
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