Ann Fr Anesth Réanim 2001 ; 20 : 669-71 © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S0750765801004506/EDI
Éditorial
Le bilan d’hémostase préopératoire : un changement pour la continuité ? C. Bléry* Centre chirurgical Saint-Roch, 29, route de Gordes, BP 65, 84302 Cavaillon cedex, France
Le cas du bilan d’hémostase préopératoire est exemplaire du processus complexe qui amène un praticien à prescrire un examen complémentaire. Ce processus de décision où se mêlent raison et sentiments cristallise quelques bons motifs, quelques fausses pistes et beaucoup d’erreurs de raisonnement, les pratiques actuelles semblant entériner une erreur de cible (le saignement) et une erreur de moyens (tests non adaptés aux objectifs). L’hémostase est un réseau complexe d’équilibres entre des forces procoagulantes et anticoagulantes, dont les altérations peuvent aboutir à un désordre hémorragique ou thrombotique. En prescrivant un bilan d’hémostase, les praticiens privilégient le risque hémorragique. C’est une première fausse piste. En réalité le risque hémorragique de la chirurgie n’est plus une réelle préoccupation, et son estimation est aisée. Il dépend avant tout du type d’acte chirurgical et de la dextérité avec lequel il est réalisé. Il diminue d’années en années. Le contrôle visuel de l’hémostase chirurgicale est permis par les techniques de moins en moins invasives comme la cœliochirurgie [1] ou l’adoption de techniques de dissections pour des interventions réputées à risque comme l’amygdalectomie. La diminution du risque hémorragique associée à la réflexion sur les risques transfusionnels a fait évoluer les bornes de décision en matière de transfusion, permettant en France de faire passer, le taux de transfusion homologue de 11 % en 1980 à 1,8 % en 1996 [2].
*Correspondance et tirés à part. Adresse e-mail :
[email protected] (C. Bléry).
Le risque thrombotique est d’une toute autre ampleur en termes de fréquence, de gravité et de coûts. Sa prévention nécessite une stratégie de moyens adaptés à son importance. Paradoxalement, il suscite moins d’angoisses et moins d’intérêt pour les moyens d’évaluation autres que cliniques. En prescrivant un bilan d’hémostase préopératoire, les praticiens recherchent des anomalies constitutionnelles exceptionnelles, c’est la deuxième fausse piste. Les principales anomalies de l’hémostase aggravant le risque hémorragique sont des anomalies acquises, la majorité d’entre elles étant d’origines médicamenteuses, et donc facilement identifiables à l’interrogatoire. Le plus fréquent des troubles de l’hémostase périopératoire est lié au traitement anticoagulant. Les déficits constitutionnels de la voie procoagulante sont exceptionnels, les déficits sévères étant habituellement connus. Leurs prévalences se chiffrent en unités pour 104 ou 106 à l’exception de la maladie de von Willebrand. Chez un patient asymptomatique, il est peu probable qu’un déficit mineur de ce type soit à l’origine d’un drame hémorragique majeur. À l’inverse, les anomalies prédisposant au risque thrombotique sont beaucoup plus fréquentes. Si les déficits en facteurs anticoagulants (antithrombine, protéine C, protéine S) restent rares avec des prévalences de l’ordre de 0,2 % dans la population générale et de 2 à 3 % chez les sujets ayant une thrombose, des travaux récents ont montré que d’autres anomalies étaient beaucoup plus fréquentes. La plus importante d’entre elles est le facteur V Leyden qui entraîne une résistance à la protéine C activée (RPCa). Il est présent chez 5 % des européens et 20 % des sujets présentant un premier épisode de throm-
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bose veineuse. Il augmente le risque de thrombose par un facteur 5 à 10 [3]. Le bilan de coagulation préopératoire est évidemment nécessaire chez les patients ayant une anomalie constitutionnelle de la coagulation ou ayant une pathologie fréquemment associée à des troubles acquis ; les examens usuels : taux de prothrombine (TP), temps de céphaline activée (TCA), numération plaquettaire, temps de saignement (TS) ne permettent pas d’identifier le trouble ni d’en apprécier l’importance mais ils orientent les analyses complémentaires et peuvent assurer la surveillance des mesures de correction. En revanche, prescrire un bilan de coagulation dans une perspective de dépistage chez un sujet asymptomatique, indemne de facteurs de risque procède d’une erreur de raisonnement, car les tests utilisés ne possèdent pas toutes les qualités requises pour s’inscrire dans cette logique. Les caractéristiques de sensibilité et de spécificité du TCA ou du TS sont telles que la normalité des résultats qui rassure tant les prescripteurs ne permet pas en réalité d’exclure formellement l’existence d’un trouble fruste. À l’inverse, leurs anomalies ont une valeur prédictive positive diagnostique négligeable compte tenu de la très faible prévalence des troubles recherchés. Ils ne sont d’aucune utilité pour la prévision du risque hémorragique [4, 5], et il n’y a pas de corrélation entre l’importance de l’allongement des résultats et le potentiel hémorragique [6]. Leur abandon chez les sujets sains ne s’accompagne pas d’une augmentation de la morbidité hémorragique [7, 8]. Aucune étude de la littérature ne démontre clairement qu’un patient asymptomatique ait pu bénéficier de la réalisation d’un bilan d’hémostase préopératoire [9]. Les recherches actuelles s’orientent vers l’identification préopératoire d’autres marqueurs biologiques prédictifs des dysfonctionnements du processus de coagulation et de tests suffisamment simples pour être employés avant la chirurgie afin de quantifier le risque de thrombose [10-12]. En attendant, si l’on devait trouver un emploi plus adapté aux tests actuels, c’est paradoxalement dans le raccourcissement du TCA ou dans son absence d’allongement sous l’effet de la protéine C qu’il faudrait rechercher son intérêt comme diagnostic d’une RPCa dans le cadre du dépistage du risque thrombotique. À l’heure actuelle, seules des recommandations de réduction de prescription du bilan de coagulation
recherchant des anomalies hémorragipares ont été faites un peu partout dans le monde [9, 13]. Dans ce numéro des Afar, Leclerc et al. [14] analysent la prescription des bilans d’hémostase dans les établissements privés de leur région et constatent la discordance entre une pratique de surprescription et des recommandations professionnelles de réduction. Ils font également un constat d’échec d’une action pédagogique d’information sur le sujet, les taux de prescription restant aussi élevés un an après l’action. Ceci n’est pas une exception française [15, 16]. L’inflexibilité des praticiens à modifier leurs pratiques dans ce domaine est une constante, y compris chez ceux qui sont persuadés de l’inutilité de leur prescription. De nombreux comportements paradoxaux et irrationnels sont observés tel que celui de prescrire un bilan de coagulation pour se rassurer de sa normalité et ensuite induire délibérément un trouble de coagulation sans se préoccuper alors de l’évaluer comme c’est le cas par exemple des injections préopératoires d’héparine ou lors des administrations itératives de bolus d’héparine en chirurgie vasculaire sans le moindre monitorage. Comment expliquer aussi que tel adolescent se voit gratifié d’un bilan d’hémostase quand il doit bénéficier d’une anesthésie générale pour se faire extraire une dent de sagesse, alors que le même adolescent se fera extraire sous anesthésie locale la dite dent sans la moindre formalité au cabinet du dentiste ? La quête forcenée d’une anomalie exceptionnelle se fait toujours sans la moindre considération d’une réflexion sur le coût-efficacité de l’action engagée [17]. Plusieurs études ont analysé l’efficacité de différentes stratégies pour modifier les comportements de prescription. Il apparaît que les stratégies pédagogiques ou d’information sur les coûts ou les niveaux de prescription de chacun n’ont qu’une efficacité temporaire. Les stratégies de restrictions autoritaires sont les seules efficaces sur le long terme. Cette notion s’est confirmée en France lors de la promulgation en 1993 de Recommandations Médicales Opposables (RMO) assorties de sanctions financières. Une étude réalisée dans les Bouches-du-Rhône est particulièrement intéressante à cet égard [18]. La comparaison des taux de prescription de 13 examens entre 1989 et 1994 a montré une très nette diminution de la prescription des examens cités dans la RMO sur les examens préopératoires et aucune modification de celle des examens non cités dans la RMO (bilan de coa-
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gulation notamment) et qui pourtant faisaient l’objet de recommandations professionnelles de réduction. De nouvelles recommandation ont été publiées en 1998 sous la forme de Recommandations et Références Professionnelles [19]. Elles disent : « l’interrogatoire et l’examen clinique sont de première importance dans la recherche d’une anomalie de la coagulation. Sous réserve que l’interrogatoire et l’examen clinique aient permis de s’assurer de l’absence d’une anomalie, il n’apparaît pas utile de prévoir des examens d’hémostase, sauf condition chirurgicale à risque hémorragique particulier ». Cette formulation peu énergique associée à la disparition de l’opposabilité par le décret du Conseil d’État du 27/07/1999 ne sont pas des éléments dynamisant la modification des pratiques. En tout état de cause il est clair que le bilan d’hémostase traditionnel systématique doit être abandonné au profit d’une prescription sélective assise sur l’évaluation clinique. Le risque hémorragique encouru reste minime, d’autant que de nouveaux dispositifs existent aujourd’hui qui permettent d’effectuer rapidement en salle d’opération de nombreux tests pour diagnostiquer en urgence une anomalie [20]. Le bilan d’hémostase peut continuer d’être prescrit, mais avec de nouveaux objectifs et de nouveaux marqueurs qui doivent appréhender de façon plus globale les interactions entre les plaquettes et les mécanismes plasmatiques de la coagulation pour répondre à l’attente des anesthésistes et des chirurgiens qui désirent savoir si le sang de leur patient va coaguler, à quelle vitesse et comment ce caillot va se comporter. RE´ FE´ RENCES 1 Usal H, Nabagiez J, Sayad P, Ferzli GS. Cost effectiveness of routine type and screen testing before laparoscopic cholecystectomy. Surg Endos 1999 ; 13 : 146-7. 2 Société française d’anesthésie et de réanimation. La pratique de l’anesthésie en France en 1996. Ann Fr Anesth Réanim 1998 ; 17 : 1299-391. 3 Laffan M, Tuddenham E. Assessing thrombotic risk. Br Med J 1998 ; 317 : 520-3. 4 Gabriel P, Mazoit X, Ecoffey C. Relationship between clinical history, coagulation tests, and perioperative bleeding during tonsillectomies in pediatrics. J Clin Anesth 2000 ; 12 : 288-9.
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