Cancer/Radiother G Elsevier, Park
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Historique
Le centenaire de la dkouverte de la radioactivitk. L’impact sur la biologie et la mkdecine M. Tubiana
(Re~u le 7 octobre
I998 ; accept& le R octobre
La radioactivitk est dkcouverte par Becquerel en mars 1896, mais le rayonnement Cmis par l’uranium a une intensitk trop faible pour qu’on puisse Ctudier ses propriCtCs biologiques. Marie Curie, guidCe par Pierre Curie, commence sa thkse en septembre 1897 ; en quelques mois d’un travail acharnC et imaginatif, elle va dkcouvrir le polonium en Juillet 98, le radium en dkcembre 1898. Tout change alors car sa purification met ti la disposition des chercheurs des sources intenses de rayonnement. Les Curie envisagent trks vite une application medicale, d’autant qu’un incident cCltibre a attirk leur attention sur ses effets. Becquerel, pour une confCrence & Londres, emprunte B Pierre Curie une source de radium, il la transporte dans le gousset de son gilet et constate, en regard. I’apparition d’une tache rouge sur la peau. Pierre Curie effectue une etude systkmatique sur la peau de son bras et ensemble, ils rapportent. en 1901, ces observations. Les rayons X, dtkouverts peu avant la radioactivitk, servent de modhle pour ces applications mkdicales. Dks juillet 1896,6 mois aprks la dkcouverte des rayons X, on avait trait6 B Lyon le premier malade par radiothkrapie. Comme on le dit alors : <. Pour progresser, il fallait d’abord savoir ce que l’on faisait, c’est-g-dire dkfinir la qualitC et mesurer la quantitk de rayonnements. Avec le radium, c’est particulitrement dklicat : il faut fabriquer des sources reproductibles, mesurer la qualitk et la quantitC des rayonnements Cmis, et enfin. ce qui est plus diffitile encore qu’avec les rayons X. estimer la dose reGue par les tissus. Or, celle-ci varie rapidement avec la position de la source. Dks 1901, les Curie mettent des sources de radium B la disposition de quelques hapitaux. Les premiers rkltats sont incohkrents et contradictoires car faute de repkres dosimktriques, on confond friquemment l’effet des rayonnements avec ce que nous appe-
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Ions aujourd’hui l’effet placebo, l’amklioration que ressent un malade plein d’espoir g la seule idCe qu’il bCnefitie d’un mkdicament prestigieux. Devant ces pseudomiracles, ccrtains manquent de discernement: on utilise le radium pour traiter la tuberculose, la syphlilis, comme produit de beau& pour donner force et vigueur. Marie Curie et les mCdecins qui l’entourent savent eux que la fonction de la science est d’aller chercher les faits derri&-e le< mythes et les impressions erron&. La science est fond& sur un raisonnement rigoureux, des observations pr&ises, rkp&Zes jusqu’& l’obtention d’une certitude. Vers 1903-I 904, il devient certain que les rayonnements (RX ou Ra) peuvent gukrir certains petits cancers, Cv&ement immense car, jusque-l& on croyait que seule la chirurgie pouvait y parvenir. Le problkme devient d’augmenter le pourcentage de gutkison. Les Cchecs sont fr& quents, le:; progrks sont lents. Marie Curie comprend qu’on ne peut les accCltrer que par l’alliance de physiciens. de biologistes et de rkdecins travaillaint ensemble et avec rigueur; elle veut crker une section pour cela ?i I’institut du radium mais n’y parvient qu’en 1919. Regaud et Lacassagne, en quelques arm&es, y Ctabliront les fondements biologiques de la radiothkapie et de l’usage du radium. Ceux-ci resteront inchangk pendant plus d’un demi-sikcle. Grlce g ces efforts, la radiothirapie prend, au fil des progrk techniques, une place essentielle dans le traitement des cancers et elk contribue aujourd’hui, seule ou en association, j environ la moiti& des gukrisons. En une vingtaine d’annkes, des espoirs assez vagues avaient CtC transform& en une miithode efficace. Ce succ?s illustre l’cfficacitk de cet empirisme mkthodique, de ce va-et-vient entre l’observarion et le raisonnement qui caractkrise la science et la mkdecine moderne. R&site ld’autant plus mkritoire qu’il etait apparu, dks 1903, que ces rayonnements s’ils peuvent gukrir des cancers, peuvent aussi en provoquer. Sur la stkle de Hambourg. sent inscrits les noms des 377 physiciens et mCde-
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M. Tubiana
tins, morts des effets des rayonnements qu’ils Ctudiaient, bon nombre sont FranGais, dont Marie Curie qui non contente d’avoir tome sa vie travail16 sur les corps radioactifs a dir&t pendant la guerre 14-18, des ambulances Cquipees avec des gcnerateurs de radiologie pour aller pres des lignes, prendre les cliches. Les risques ne dissuadent pas les pionniers. Jusqu’en 1939, l’incidence des leucemies restera dix fois plus ClevCe chez les radiologistes que chez les autres medecins, mais on apprend quelles sont les doses dangereuses et grace aux regles fond&es sur ces observations, la frequence des cancers, depuis 1950, est la meme chez les radiologistes que chez les autres medecins. L’un des faits les plus fascinants de cette CpopCe est que jusqu’en 1950 quand on manipulait ma1 les corps radioactifs tout en connaissantleurs dangers,les rayonnements ne faisaient pas peur; alors qu’aujourd’hui ou l’on maitrise les risques,la moindre irradiation, par exemple celle equivalente au surcroit de dose, regue par un parisien allant passerquelquesjours en Bretagne ou dansle Massif Central, inspiredescraintesdemesurees et non fondles. En 1934. Frederic et Irene Joliot-Curie decouvrent Ea radioactivite artificielle. L,a radiotherapie prend une nouvelle dimension grace au cobalt radioactif et a la radiotherapie metabolique qui introduit dans l’organisme des isotopes radioactifs capablesde se fixer specifiquement sur certainestumeurs. Mais si la decouverte de la radioactivite artificielle a eu un retentissement immense sur la biologie, c’est a cause de la methode des indicateurs, qui illustre comment une nouvelle technique peut ouvrir de nouveaux domaines au savoir. Les isotopes radioactifs ont les memesproprietes chimiques, et done biologiques, que les formes naturelles du meme Clement, tout en &ant constammentidentifiables, localisables,grace aux rayonnementsqu’ils Cmettent.Hevesy, en 1923, avait deja utilise cette propriete, il ajoutait a de l’eau d’arrosage du plomb marque avec le radium D et suivait son devenjr jusque dans les feuilles. Travail anecdotique qui devient subitement une methode fondamentale de la biologie quand on disposed’isotopes radioactifs de la quasi-totalit6 des elements. On peut des lors suivre dans l’organisme l’eau et le sucre ingeres, l’oxygene respire. Alors que les analyseschimiques donnent la composition d’un organisme a un instant donne, on passait ainsi de la photographie au cinema, il devient possible d’etudier le mouvement, de mesurer l’absorption, l’assimilation, l’excretion d’un elementou de moleculesmarquees,dont on suit lestransformationschimiques. La vision que l’on avait des tissus vivants change. Ainsi, quand la composition chimique, par exemple la quantite de calcium dansun OS,resteconstante.cela signifie non qu’il ne se passerien mais que les entrees sont egales aux sorties ou que la synthesecompenseexactement la destruction.Mieux. on mesurel’une et l’autre, on analyse les facteurs qui les accelbent ou les ralentissent,
on identifie les processus de synthelse des differents constituantsde la mat&e vivante : non seulementchez les sujets sains mais chez les patients, ce qui a &lucid& le mCcanismede la plupart des maladies.On marque aussi les cellules, par exemple les globulesrouges avec du fer radioactif; on etudie leur synthese,on mesureleur duke de vie, le nombrede ceux qui a chaqueinstant sont form& ou detruits. On peut ainsi distinguer deux types d’ankmie, cellej dues a un nombre insuffisant de globules rouges form& et cellesduesa une dureede vie raccourcie. Ce bouleversementtouche tous les aspectsde la medetine et de la biologie. La mat&e vivante est entrain&e dans le tourbillon d’un perpetuel renouvellement a l’exception dans les cellules des molecules d’ADN. dtpositaires de la memoire genetique, et dans I’organisme du cerveau dont les neuronesne se divisent pas et naissent et maurent avec l’individu. Les isotopes ont ainsi introduit la mesure dans les mouvements les plus intimes de la mat&e vivante; m&mea l’echelle de la.cellule, de la bacterie grace a leur extreme sensibilite de cesmethodes.La biologie moleculaire qui est, depuis un demi-siecle, le fer de lance de la biologie, n’aurait pas l&e concevable sarisleur usage.11s ont identifie les delicats mecanismesqui pendant la synthese de I’ADN preservent la permanencede l’information genetiqueet les processusde rCgul,ationqui permettent h la bacterie, OIUit la cellule, de constamment s’adapter aux conditions exterieures ; ils ont prow5 que de l’algue a la bacterie, de la bacterie B l’homme, ce sont lesmt?messystkmesqui president a la vie. Et aujourd’hui, les methodes isotopiques se revelent un outil essentielpour etudier le fonctionnement du cerveau. Grace a l’eau marqueea l’oxygene radioactif ou au sucre marqueau carbone radioactif, on identifie a travers le crane et sansaucun danger pour la personneCtudite, les regions du cerveau clui entrent en action quand on l&e .a main, quand on decide de lever la main avant m&me de l’avoir bougce, quand on r&e qu’on l&e la main, ou qu’on se remcmore I’avoir IevC. On commence a aborder des phenomenesplus complexes, ce qui distingue par exemple le fonctionnement du cerveau lorsqueun simple amateur de musiqueet un virtuose surentrain6 jouent le meme morceau ou encore les difference,; entre la fonction cerebrale d’un sujet normal et celle d’un maladememal. Ainsi. la radioactivite a non seulement donne a l’homme un outil remarquablementefficace pour traiter le cancer et analyser les phenomenesles plus fondamentaux de la vie. mais elle est aussi en tmin, aujourd’hui, d’acqubir une position centrale dans ces neurosciences qui serontau cceurde la biologie de demain. C’e,jt pourquoi, aujourd’hui, les medecinset biologistes tiennenta rappelerleur dette enversHenri Becquerel,Pierre et Marie Curie. Frederic et Irene Joliot-Curie sansqui cette fantastiqueper&e de l’esprithumainn’auraitpasCtCpossible.