NO : bases physiologiques, aspects techniques et intérêt pratique

NO : bases physiologiques, aspects techniques et intérêt pratique

La Revue de médecine interne 35 (2014) 322–327 Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.com Lexique Le double transfert pulmonaire ...

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La Revue de médecine interne 35 (2014) 322–327

Disponible en ligne sur

ScienceDirect www.sciencedirect.com

Lexique

Le double transfert pulmonaire CO/NO : bases physiologiques, aspects techniques et intérêt pratique Pulmonary CO/NO transfer: Physiological basis, technical aspects and clinical impact B. Degano a,∗ , F. Perrin c,d,e , T. Soumagne a , C. Agard c,d,e , A. Chambellan b,c,d , pour le Groupe Fonction de la SPLF a

Physiologie-explorations fonctionnelles, EA 3920, hôpital Jean-Minjoz, CHU de Besanc¸on, 25030 Besanc¸on cedex, France Laboratoire d’explorations fonctionnelles, institut du thorax, CHU de Nantes, 44093 Nantes, France c Université de Nantes, 44093 Nantes, France d Inserm UMR 1087, 8, quai Moncousu, 44007 Nantes, France e Service de médecine interne, CHU de Nantes, 44093 Nantes, France b

i n f o

a r t i c l e

Historique de l’article : ´ 2013 Disponible sur Internet le 5 decembre Mots clés : Diffusion pulmonaire Monoxyde de carbone Monoxyde d’azote

r é s u m é La diffusion pulmonaire alvéolo-capillaire de l’oxygène peut être altérée par des maladies atteignant la membrane alvéolo-capillaire ou les vaisseaux pulmonaires. Pour étudier la diffusion pulmonaire, on utilise couramment la mesure du transfert pulmonaire du monoxyde de carbone (TL,CO) et, plus récemment, du transfert du monoxyde d’azote (TL,NO). Ces deux tests explorent de fac¸on non spécifique la fonction du poumon profond. On estime toutefois que la TL,CO reflète plutôt la qualité du versant vasculaire de la diffusion et la TL,NO la qualité de la membrane alvéolo-capillaire. Le modèle de Roughton et Forster permet en théorie d’affiner l’analyse de la diffusion pulmonaire en calculant, à partir de TL,CO et de TL,NO, la conductance membranaire (DM, reflet de la qualité de la membrane alvéolo-capillaire) et le volume sanguin capillaire pulmonaire (Vc, reflet du compartiment vasculaire). Si les données obtenues chez le sujet sain sont cohérentes avec celles de la morphométrie au repos et à l’exercice, l’intérêt du double transfert pulmonaire CO/NO en pratique clinique reste toutefois à préciser. © 2013 Société nationale française de médecine interne (SNFMI). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

a b s t r a c t Keywords: Lung diffusion Carbon monoxide Nitric oxide

Diseases affecting the alveolar-capillary membrane or the capillary blood vessels can impair pulmonary gas exchanges and lung diffusion. The single-breath transfer factor of the lung for carbon monoxide (TL,CO) is the classical technique for measuring gas transfer from the alveolus to the pulmonary capillary blood. Pulmonary gas exchanges can also be explored by the transfer factor of the lung for nitric oxide (TL,NO). TL,NO represents a better index for the diffusing capacity of the alveolar-capillary membrane whereas TL,CO is more influenced by red blood cell resistance. Membrane diffusing capacity (DM) and pulmonary capillary blood volume (Vc) derivated from TL,CO and TL,NO by the Roughton-Forster equation can give additional insights into pulmonary pathologies. The clinical impact of the CO/NO transfer has still to be precised even if this measurement seems to provide an alternative way of investigating the alveolar membrane and the blood reacting with the gas. © 2013 Société nationale française de médecine interne (SNFMI). Published by Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

1. Introduction

∗ Auteur correspondant. Physiologie-explorations fonctionnelles, CHU JeanMinjoz, 2, boulevard Fleming, 25030 Besanc¸on cedex, France. Adresse e-mail : [email protected] (B. Degano).

Le transfert du monoxyde de carbone (TL,CO) mesuré lors d’une apnée de quelques secondes (improprement appelée « capacité de diffusion » du CO ou « DL,CO ») est, après la spirométrie et la mesure des volumes pulmonaires, l’examen d’exploration fonctionnelle

0248-8663/$ – see front matter © 2013 Société nationale française de médecine interne (SNFMI). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.revmed.2013.11.001

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respiratoire (EFR) le plus courant. Le TL,CO est un examen qui explore de fac¸on non spécifique la fonction du poumon profond. Le résultat de ce test rend compte de multiples variables anatomiques (surface et épaisseur de la membrane pulmonaire, volume capillaire pulmonaire, distension alvéolaire – qui ralentit la diffusion du CO en phase gazeuse), et fonctionnelles (hétérogénéité des distributions de la perfusion et de la ventilation, concentration d’hémoglobine, pression partielle en oxygène du sang capillaire pulmonaire) [1]. Malgré son caractère non spécifique, ce test a montré son intérêt dans de nombreuses pathologies pulmonaires. La mesure concomitante du transfert du monoxyde d’azote (TL,NO) permet d’apporter un éclairage complémentaire sur la fac¸on dont les gaz sont échangés au niveau pulmonaire [2]. 2. Anatomie et histologie pulmonaire : de la morphométrie à la fonction Les structures qui sont impliquées lors du transport d’un gaz de la bouche au capillaire pulmonaire sont distinguées en une zone de conduction (les voies aériennes) et une zone respiratoire d’échanges gazeux. Les échanges gazeux pulmonaires ont lieu entre le gaz alvéolaire et le sang contenu dans les capillaires pulmonaires. La qualité des échanges dépend de la fac¸on dont le gaz alvéolaire est renouvelé (ventilation alvéolaire), de la qualité de la « barrière » qui sépare le gaz alvéolaire du sang capillaire (diffusion alvéolocapillaire), et de la quantité d’hémoglobine qui circule dans les capillaires pulmonaires. 2.1. Anatomie « fonctionnelle » de l’arbre bronchique et influence sur la mesure de la diffusion Dans l’espèce humaine, l’arbre bronchique est construit par division successive de bronches « mères » en deux bronches « filles » d’un même diamètre (d ) qui dépend du diamètre de la bronche « mère » (d) selon la relation : d = d × 2−1/3 . Ce mode de division permet d’optimiser à la fois les capacités de convection (en minimisant la résistance à l’écoulement) et l’espace mort anatomique. Cette morphologie est le résultat d’un processus embryologique de croissance de l’arbre bronchique dont une des finalités est d’occuper tout l’espace de la cage thoracique. Entre la trachée et les bronches les plus distales (bronchioles terminales), on estime en général qu’il existe 23 divisions dichotomiques successives, ce qui correspond par conséquent à 223 bronches (environ 8 millions). En fait, comme la distance entre la trachée et la paroi thoracique n’est pas la même en tout point de la cage thoracique, et comme les divisions bronchiques se poursuivent jusqu’en périphérie de la cage thoracique, le nombre de divisions bronchiques est variable (de 18 à 30 environ) d’un point à l’autre de la cage thoracique. Avec la croissance fœtale, la longueur et le diamètre de chaque bronche s’accroissent. À l’état normal, le développement pulmonaire est tel que la distance qui sépare la bronchiole terminale de la paroi alvéolaire est toujours inférieure à 200 ␮m. Le renouvellement du gaz alvéolaire se déroule en deux temps. Le premier temps, appelé convection, est sous la dépendance des muscles respiratoires, et concerne les bronches de conduction (en gros, jusqu’à la quinzième division bronchique). À l’inspiration, le fait que la pression dans le « poumon profond » (bronchioles distales, en aval de la quinzième division, et alvéoles) soit inférieure à la pression atmosphérique crée une aspiration d’air (c’est le phénomène inverse à l’expiration). Dans le poumon profond (tel que défini ci-dessus), le phénomène de convection devient progressivement insuffisant pour mobiliser les gaz ; ceux-ci circulent par conséquent grâce à des gradients de pression partielle (phénomène de diffusion gazeuse). Lorsque la pression partielle d’un gaz est plus élevée dans les bronchioles distales que près de la membrane

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alvéolo-capillaire (c’est le cas de l’oxygène, mais aussi du CO et du NO lors des tests d’EFR), le gaz diffuse en direction de la membrane. Il se produit le phénomène inverse pour le CO2 . Chez l’homme normal au repos, la convection disparaît totalement 5 divisions avant la bronchiole terminale, et seulement 2 lors de l’exercice physique [3]. Pour que convection et diffusion gazeuse se produisent de fac¸on adéquate, le système bronchique est construit de telle fac¸on que le mélange gazeux inspiré est, dans des conditions normales, acheminé de fac¸on homogène aux 300 millions d’alvéoles pulmonaires. Ces conditions supposent que tous les alvéoles soient ventilés équitablement, et que la charge imposée aux muscles respiratoires pour générer la convection soit la plus faible possible. Cette étape est perturbée dans la plupart des pathologies bronchiques, qui se caractérisent par un degré élevé d’hétérogénéité de ventilation. 2.2. Anatomie « fonctionnelle » de l’échangeur gazeux Les échanges gazeux pulmonaires se produisent dans les parois alvéolaires car celles-ci contiennent un réseau capillaire dense. L’oxygène (O2 ), le CO2 ou les gaz utilisés en EFR (CO et NO) sont échangés entre le gaz alvéolaire et le sang avec une grande efficacité en raison de leur contact intime sur une très grande surface à travers une barrière tissulaire très fine. La force motrice de cet échange est pour chaque gaz la différence de pression partielle entre le sang capillaire et le gaz alvéolaire ; cette différence de pression partielle ne peut être maintenue que si les capillaires sont perfusés à une vitesse élevée, et si le gaz alvéolaire est constamment renouvelé. Le renouvellement du gaz alvéolaire est optimisé par le fait que les sacs alvéolaires sont organisés autour des bronchioles terminales et sont reliés entre eux par un tissu de soutien lui-même connecté, de proche en proche, à la plèvre. Deux alvéoles adjacentes sont séparées par un septum qui contient un capillaire. Cette organisation permet d’optimiser la surface d’échange (50 à 100 m2 à l’état normal, en fonction de la taille des poumons) et l’épaisseur de la couche tissulaire qui sépare le gaz alvéolaire du sang (1 ␮m environ). 3. La modélisation de Roughton et Forster : l’unité fonctionnelle d’échange gazeux Pour un gaz qui diffuse à travers la membrane alvéolo-capillaire (O2 , CO, NO), il existe une relation entre la capacité de diffusion pulmonaire (DL,gaz), le débit d’absorption (V’gaz) et la différence de pression partielle pour le gaz considéré entre le territoire au contact de la membrane (PA,gaz) et le sang capillaire (Pb,gaz). Pour l’oxygène, on a : V O2 = (PA,O2 − Pb,O2 ) × DL,O2 PA,O2 , qui est la pression partielle d’O2 dans la couche de gaz adjacente à la zone d’échange, dépend : • de l’extraction de l’O2 par le sang ; • de la vitesse à laquelle l’O2 est acheminé jusqu’à la membrane où a lieu l’échange gazeux. Pb,O2 est déterminé : • • • •

par la pression partielle en O2 dans le sang veineux mêlé ; par la vitesse à laquelle le sang perfuse le capillaire ; par la quantité d’hémoglobine contenue dans le sang capillaire ; par la vitesse à laquelle l’O2 diffuse de l’alvéole vers le sang.

Dans les années 1950, Roughton et Forster ont proposé un modèle qui suppose deux « étapes » dans la diffusion gazeuse, chaque étape correspondant à un « compartiment » pulmonaire : le

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compartiment membranaire et le compartiment vasculaire. Cette analyse compartimentale suppose : • que le gaz considéré (O2 , CO, NO) se distribue de fac¸on homogène dans le volume alvéolaire ; • que la diffusion du gaz rencontre d’abord la résistance du compartiment membranaire (composé de la membrane alvéolocapillaire proprement dite et du plasma) ; • que la diffusion rencontre ensuite une seconde résistance, celle qui tient compte de l’interaction du gaz avec l’hémoglobine contenue dans le compartiment vasculaire pulmonaire (Fig. 1). Le modèle suppose également que chaque compartiment soit homogène, et que les deux résistances soient placées en série (autrement dit, que le gaz rencontre d’abord la première puis la seconde résistance) : ces deux résistances peuvent donc s’additionner, et leur somme est égale à la résistance totale au passage pulmonaire du gaz – qui n’est autre que l’inverse de la DL,gaz (Fig. 1).

(A)

Paent Pneumotachographe

Sac qui conent le mélange inspiré à t0

(B)

FI,CO FI,NO FI,He

Sac qui recueille le gaz alvéolaire après l’apnée

FA,CO(t) FA,NO(t) FA,He(t)

Palv Palv(t0)

Palv(t) = Palv(t0).e -Kt

4. Intérêt théorique et bases physiologiques de la mesure en double diffusion CO/NO Au début du XXe siècle, Krogh a proposé de calculer le TL,CO en multipliant deux grandeurs indépendantes mais mesurées simultanément [4], le kCO (coefficient de transfert du CO à partir du gaz alvéolaire) et le volume alvéolaire « accessible » aux gaz pendant la durée de la mesure (VA) (Fig. 2). À la fin des années 1980, Guénard a le premier utilisé le même paradigme pour calculer le TL,NO à partir du kNO et du VA [5]. L’intérêt d’une mesure concomitante du TL,CO et du TL,NO vient du fait qu’il existe des différences importantes dans la fac¸on dont le NO et le CO sont « captés » par les tissus et le sang. En effet, la diffusivité du NO dans le plasma est 1,97 fois plus grande que celle du CO. De plus, l’absorption de NO par mmHg de pression

V’

Palv(t)

t0

t

temps

Fig. 2. Pour calculer TL,CO et TL,NO, le sujet inhale un mélange gazeux qui contient un gaz traceur qui ne diffuse pas à travers la membrane alvéolo-capillaire (hélium en général), du NO, du CO, de l’oxygène et de l’azote. Une fois le mélange inspiré (le volume inspiré est noté VI) et l’apnée maintenue pendant une durée (t) d’environ 4 secondes, du gaz alvéolaire est recueilli (A). Le volume mort est estimé à partir de la masse du sujet (VD = 2,2 mL × kg de poids corporel) et le volume alvéolaire (VA) est calculé par l’équation : VA = (FI,He/FA,He (t)) · (VI − VD). On estime que le gaz traceur (hélium), le CO et le NO se diluent dans le même volume alvéolaire, et donc : FA,He(t0)⁄FI,He = FA,CO(t0)⁄FI,CO. Comme FA,He(t0) = FA,He(t), alors : FA,CO (t0) = FI,CO × FA,He(t)⁄FI,He. On estime que la baisse de pression partielle alvéolaire de NO et de CO (au fur et à mesure de la diffusion) obéit à une mono-exponentielle (B).

partielle de NO et par mL de sang, appelée conductance spécifique (␪), est 5,75 fois plus rapide que l’absorption du CO (et ce pour une PcapO2 de 100 mmHg). Les réactions chimiques du NO et du CO avec le sang sont également différentes. Ainsi, le NO réagit directement avec l’oxygène de l’oxyhémoglobine pour former un cation nitrate plus une forme désoxygénée d’hémoglobine appelé méthémoglobine (metHb) dans laquelle les atomes de fer ferreux (Fe2+ ) de l’hème sont oxydés en fer ferrique (Fe3+ ) :









NO + Hb Fe2+ O2 → metHb Fe3+ + NO3

Fig. 1. Dans le modèle de Roughton et Forster, 1/DL,gaz = 1/DM,gaz + 1/Dsang, où DL est la conductance pulmonaire totale, DM la conductance membranaire (c’està-dire un débit de gaz traversant la membrane pour une différence de pression unitaire) et Dsang la conductance sanguine. On estime que : DM = K × (SA + Sc)/␶M, où K est le coefficient de perméabilité de Krogh, SA est la surface alvéolaire, Sc la surface capillaire et ␶M la moyenne harmonique de l’épaisseur de la barrière alvéolo-capillaire. Dsang = ␪,gaz × Vc, où ␪,gaz est la conductance spécifique du gaz étudié pour l’hémoglobine et Vc le volume sanguin contenu dans les capillaires pulmonaires. On calcule DM,CO et Vc à partir des deux équations suivantes : 1⁄TL,CO = 1 ⁄DM,CO + 1⁄(CO·Vc) et 1⁄TL,NO = 1⁄DM,NO + 1⁄␪NO·Vc. Les valeurs de ␪CO et ␪NO sont connues : NO = 4,5mlNO ⁄(min.mmHg·mlsang ). 1⁄CO = (1, 3 + 0, 0041 · PO2) · 14,9⁄[Hb ré elle]. La relation qui lie DM,CO  et DM,NO  est connue (␣ = 1,97) : Dm,NO = ˛ · Dm,CO. On en déduit :

⁄CO−˛⁄NO ⁄1⁄TL,CO−˛⁄TL,NO et 1 ⁄DM,CO = 1⁄TL,CO − 1⁄(CO·Vc).

Vc =

1

Le CO ne réagit pas avec l’O2 , mais entre en compétition avec l’oxygène pour la fixation sur le Fe2+ de l’hème (l’affinité de l’Hb pour le CO est très élevée, environ 220 fois plus importante que pour l’O2 ) :









CO + Hb Fe2+ O2 → Hb Fe2+ CO + O2 Une fois fixés sur l’Hb, le NO et le CO sont étroitement liés à l’Hb en raison de constantes de dissociation très lente. Contrairement au NO, la vitesse de réaction du CO avec l’oxyhémoglobine dépend de la PO2 capillaire. À partir du moment où l’Hb est saturée par l’oxygène, la résistance spécifique de la liaison du CO avec l’Hb (1/␪CO, où ␪CO est la conductance spécifique) augmente de fac¸on linéaire avec la PO2 .

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5. Technique et méthodologie de la mesure de diffusion des gaz La méthode habituellement utilisée est celle en apnée pendant 10 secondes (single-breath). La durée de l’apnée est mesurée par la méthode de Jones et Meade. En raison d’une diffusivité et d’une conductance spécifique plus élevées pour le NO que pour le CO, la diminution de la concentration du NO dans le volume alvéolaire « accessible » pendant l’apnée (VA) est environ 4 à 5 fois plus rapide que celle du CO. De ce fait, pour éviter d’avoir à mesurer des concentrations de NO trop basses dans le gaz expiré, il est nécessaire de raccourcir la durée de l’apnée à 4 secondes. Dans ces conditions, avec 40 ppm de NO dans le mélange gazeux inspiré (la concentration de NO dans un mélange gazeux est exprimée en partie par million ou ppm : 1 ppm de NO dans un mélange gazeux signifie qu’il existe 1 molécule de NO par 1 million de molécules de gaz), quelques ppm de NO sont retrouvés dans le prélèvement de gaz expiré. En outre, avec 40 ppm dans le gaz inspiré, les concentrations de NO endogène (quelques dizaines de ppb – soit 103 inférieur) sont largement inférieures à celles utilisées pour la mesure du transfert. Dans tous les appareils commerciaux, c’est une méthode électrochimique qui est utilisée pour mesurer le NO. Les autres gaz (CO et hélium) sont mesurés de fac¸on habituelle par un analyseur multigaz. L’analyseur de NO doit avoir une sensibilité de l’ordre de 0,1 ppm, et doit être étalonné régulièrement (une fois par an environ), comme recommandé par le constructeur. Pour le double transfert CO/NO, du NO (stocké à la concentration de 450 ppm dans de l’azote) est ajouté juste avant la mesure à un mélange « standard » composé de 2800 ppm de CO, 10 % d’hélium et 21 % d’oxygène. Le NO est ajouté au dernier moment de fac¸on à éviter la production d’un dérivé oxydé du NO (nitrite ou nitrate), potentiellement toxique. Pour éviter que le NO soit adsorbé sur les parois du sac dans lequel le mélange final est effectué, on propose de faire les manœuvres dans les 5 minutes qui suivent la préparation du mélange. L’introduction du mélange NO-He dans le mélange « standard » décrit ci-dessus dilue tous les autres gaz. Pour obtenir une concentration de NO de 40 ppm, la dilution du mélange « standard » est d’environ 9 %. La fraction en oxygène inspirée (FI,O2 ) passe donc de 21 à 19 %, ce qui réduit la PO2 capillaire moyenne d’environ 10 mmHg (on estime la PO2 capillaire à 100 mmHg lorsque la FI,O2 est à 21 % et à 90 mmHg lorsque la FI,O2 est à 19 %). Comme la seule différence entre la méthode « standard » et la méthode NO-CO est la durée de l’apnée, on estime que les critères de validité sont identiques pour les deux méthodes [5]. Il n’existe pas dans la littérature médicale de recommandations spécifiques à la « double diffusion ». En pratique et selon avis d’experts, même s’il semble souhaitable de dupliquer la mesure, une seule mesure peut suffire si le TL,CO mesuré de fac¸on classique (mélange « standard » comme défini plus haut et apnée de 10 secondes) et le TL,CO retrouvé lors du double transfert (NO ajouté au mélange « standard » et apnée de 4 secondes) ont des valeurs très voisines (moins de 10 % de différence).

6. Bases de l’interprétation 6.1. Valeurs de référence Les valeurs de référence pour les paramètres mesurés (kCO, kNO, VA), les paramètres calculés (TL,CO et TL,NO) et les variables dérivées (DM et Vc) sont fonction de la taille, du sexe et de l’âge [6,7]. Des valeurs ont été déterminées chez des patients caucasiens, les plus récentes étant issues de populations franc¸aises [6]. En pratique quotidienne, on constate régulièrement des différences importantes (plus de 20 %) entre les valeurs observées et

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les valeurs théoriques chez des sujets normaux. Il est par conséquent fortement recommandé que chaque laboratoire vérifie sur un échantillon de personnes ayant une fonction normale que les normes utilisées sont cohérentes avec les valeurs obtenues chez ces personnes. 6.2. Interprétation de DM, Vc et du rapport TL,NO/TL,CO Une synthèse des principaux résultats permettant l’interprétation de DM, de Vc et du rapport TL,NO/TL,CO est proposée dans le Tableau 1. À l’heure actuelle, tous ces paramètres, y compris le rapport TL,NO/TL,CO, sont interprétés à l’aune du modèle de Roughton et Forster. 6.3. Place de la mesure en pratique clinique Malgré de nombreux travaux récents portant sur la mesure du double transfert en pratique clinique, cet examen peine à trouver sa place. On peut néanmoins dégager quelques pistes qui justifient la mesure dans certaines situations cliniques, en gardant bien à l’esprit que l’intérêt principal de ce test est de déterminer les mécanismes par lesquels le TL,CO diminue chez certains patients. 6.3.1. Sclérodermie systémique La mesure du TL,CO fait partie du bilan annuel systématique des patients atteints de sclérodermie systémique (ScS). Les quatre principales causes à évoquer devant une baisse du TL,CO sont une anémie, une pneumopathie infiltrante diffuse (PID), une hypertension artérielle pulmonaire (HTAP) et une dysfonction ventriculaire gauche (DVG) [8]. Même après correction tenant compte d’une éventuelle anémie, l’étude récente d’une cohorte de 105 patients atteints de ScS montre que 59 % d’entre eux ont un TL,CO anormalement abaissé (< 80 % de la valeur théorique) [9]. Il serait par conséquent utile qu’un test fonctionnel aide à faire la part des choses entre PID, HTAP et DVG chez ces patients, et le double transfert CO/NO pourrait permettre d’atteindre cet objectif. Dans une étude comparant des patients sclérodermiques porteurs ou non de PID, nous avons pu montrer que la DM (% de la théorique) et le rapport DM/Vc étaient plus bas chez les patients avec PID (54 % (48–72) vs 83 % (66–92), p <0,001, et 0,22 (0,21–0,27) vs 0,40 (0,35–0,53), p <0,0001, respectivement) [10]. Néanmoins, la détermination de DM et Vc était faite, dans ce travail, avec la méthode originale de Roughton et Forster ; un travail utilisant le double transfert CO/NO mériterait d’être réalisé. Le TL,CO est également abaissé dans l’HTAP de la ScS, et la diminution progressive et inexpliquée du TL,CO est fortement prédictive de l’apparition d’une hypertension pulmonaire [11]. Dans un petit effectif de patients sclérodermiques, les patients porteurs d’une HTAP avaient une DM significativement plus basse que les patients indemnes d’HTAP (22 ± 6 % de la valeur théorique vs 39 ± 12 %) et un Vc similaire. Néanmoins, il n’existait pas de corrélation entre la DM et les paramètres hémodynamiques, et le test a été considéré par les auteurs comme peu pertinent pour détecter une HTAP chez les patients porteurs d’une ScS [12]. Là encore, la détermination de DM et Vc était faite avec la méthode originale de Roughton et Forster, et une étude avec le double transfert CO/NO est attendue. Le double transfert CO/NO n’a pas fait non plus l’objet d’étude spécifique dans la DVG de la ScS. Il semble, sur des données non publiées, que seul le DM soit significativement diminué chez les patients atteints d’insuffisance cardiaque gauche : sur une cinquantaine de patients insuffisants cardiaques et autant de témoins, la DM, exprimée en mL/mmHg/min, était plus basse chez les patients insuffisants cardiaques (25,9 ± 12,0 vs 34,7 ± 10,9, p < 0,05) alors que le Vc était similaire dans les deux groupes. Au total, il existe des arguments en faveur de l’utilité du double transfert CO/NO pour différencier PID, HTAP et DVG chez les

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Tableau 1 Synthèse des principaux résultats permettant l’interprétation de DM, de Vc et du rapport TL,NO/TL,CO. Paramètres

Situations cliniques/diagnostic

Explication proposée

Rapport TL,NO/TL,CO (transfert du monoxyde d’azote/transfert du monoxyde de carbone) Hyperoxie/anémie Augmenté Augmenté Diminué

Diminué

Hypertension pulmonaire pré-capillaire/syndrome hépato-pulmonaire/PID avec atteinte vasculaire pulmonaire Syndrome restrictif d’origine pariétale, avec poumons normaux

PID, lorsque la diminution de la surface d’échange est plus importante que l’atteinte vasculaire pulmonaire

DM (conductance membranaire) Augmentée Entraînement physique Toute maladie « détruisant » du parenchyme pulmonaire Diminuée Diminuée Œdème pulmonaire cardiogénique/inflammation pulmonaire Vc (volume sanguin capillaire pulmonaire) Augmenté Œdème pulmonaire cardiogénique Augmenté Diminué Diminué

Angiogenèse pulmonaire (entraînement physique, exposition chronique à l’altitude) Toute maladie « détruisant » du parenchyme pulmonaire Hypertension pulmonaire pré-capillaire/syndrome hépato-pulmonaire

patients atteints de ScS, mais des travaux supplémentaires sont nécessaires. 6.3.2. Pneumopathie infiltrante diffuse Certains patients porteurs de PID ont un syndrome restrictif pulmonaire, un TL,CO diminué et un KCO supérieur à la valeur théorique ; on considère dans ces conditions que la baisse de TL,CO est imputable à la baisse des volumes et capacités pulmonaires. D’autres patients porteurs de PID ont un syndrome restrictif mais un KCO « normal » voire diminué [13]. Cela signifie qu’il existe chez ces patients une anomalie pouvant toucher la membrane alvéolo-capillaire ou le compartiment vasculaire pulmonaire ou les rapports ventilation/perfusion. La mesure du double transfert pourrait s’avérer utile afin de déterminer la contribution respective de la conductance membranaire et du volume capillaire pulmonaire – même si les mesures thérapeutiques employées dans le traitement des PID ne « ciblent » pas spécifiquement l’un de ces deux compartiments. Peu d’études sont disponibles. Dans un travail portant sur des patients avec PID et hypertension pulmonaire utilisant la méthode originale de Roughton et Forster, le rapport DM/Vc était corrélé négativement avec la pression artérielle pulmonaire systolique (PAPs) évaluée en échocardiographie-Doppler [14]. Les auteurs suggéraient donc de rechercher une hypertension pulmonaire chez les patients avec PID dont le rapport DM/Vc était « bas » (sans toutefois préciser de valeur seuil). Un travail plus récent utilisant le double transfert conclut que les deux compartiments (membranaire et vasculaire) participent de fac¸on équivalente à la diminution de TL,CO, et ce quelle que soit la valeur de PAPs [15]. La place de cette mesure dans la PID reste donc à confirmer. 6.3.3. Cirrhose hépatique Les anomalies du TL,CO et des échanges gazeux sont fréquentes chez les patients atteints d’hypertension portale en général et de cirrhose en particulier. Ces anomalies peuvent être secondaires à des maladies pulmonaires spécifiques mais indépendantes de l’hypertension portale (broncho-pneumopathie chronique obstructive par exemple, l’intoxication alcoolo-tabagique étant fréquente chez les patients cirrhotiques) ou être la conséquence directe de la rétention hydrosodée (ascite, hydrothorax). La dyspnée peut également être due à deux maladies vasculaires pulmonaires associées à l’hypertension portale, le syndrome

Diminution des sites de fixation sur l’Hb du CO, mais pas du NO La raréfaction vasculaire pulmonaire diminue davantage TL,CO que TL,NO Une moindre expansion pulmonaire « épaissit » la membrane, mais modifie peu le compartiment vasculaire La raréfaction de la surface d’échange diminue davantage TL,NO que TL,CO Augmentation de volume pulmonaire Diminution de la surface d’échange Epaississement de la membrane Augmentation de la quantité de sang dans les capillaires pulmonaires Augmentation de la quantité de capillaires pulmonaires Diminution du nombre de capillaires Diminution du recrutement capillaire

hépatopulmonaire (SHP, touchant de 10 à 40 % des patients en attente de transplantation hépatique) et l’hypertension artérielle pulmonaire, qui atteint de 2 à 10 % des patients en attente de transplantation hépatique. On a pu montrer que le rapport TL,NO/TL,CO est significativement plus élevé chez les patients avec SHP que chez les patients cirrhotiques sans SHP et sans hypoxémie (4,82 ± 0,72 vs 4,26 ± 0,44, respectivement) et que le Vc est plus bas (60 ± 21 mL vs 93 ± 15 mL, respectivement), alors que le DM n’est pas différent [16] ; il existait toutefois un recouvrement entre ces deux groupes de patients, ce qui rend la mesure du double transfert inopérante pour différencier parmi des patients cirrhotiques ceux qui ont un SHP de ceux qui n’en ont pas. De plus, nous avons montré, dans un groupe de patients cirrhotiques, une corrélation négative entre la différence alvéolo-artérielle en O2 et le Vc. Ces données peuvent sembler en contradiction avec l’existence d’une vasodilatation « capillaire » pulmonaire excessive dans le SHP. Elles suggèrent en tous cas l’existence, dans le SHP, de territoires pulmonaires ventilés mais non perfusés [16]. 6.3.4. Emphysème pulmonaire L’étude des relations entre structure pulmonaire et fonction permet de comprendre qu’une anomalie de diffusion gazeuse, telle que rencontrée en cas de distension pulmonaire, rend difficile l’interprétation du double transfert CO/NO : dans ces conditions, les anomalies de TL,CO et de TL,NO sont en effet dues au moins pour partie aux anomalies de diffusion en phase gazeuse, ce qui rend l’analyse des compartiments membranaire et vasculaire délicate. La mesure du double transfert CO/NO n’est donc probablement pas indiquée pour étudier les échanges gazeux en cas de distension pulmonaire. 7. Conclusion Longtemps confinée à un petit nombre de laboratoires, la technique du double transfert CO/NO est désormais assez largement disponible. De solides travaux ont permis de comprendre comment varient les valeurs mesurées (TL,NO et TL,CO) et les valeurs calculées (DM, Vc et TL,NO/TL,CO) chez le sujet normal. En pratique clinique, l’objectif de l’utilisation du double transfert est de préciser les mécanismes physiopathologiques qui aboutissent à une altération des échanges gazeux pulmonaires. Cet objectif

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est encore incomplètement atteint. Gageons que la mise en commun de connaissances physiologiques et physiopathologiques, de questionnements cliniques et de matériels désormais performants pourra faire avancer les choses. Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. Références [1] Hsia CC. Recruitment of lung diffusing capacity: update of concept and application. Chest 2002;122:1774–83. [2] Hughes JM, van der Lee I. The TL,NO/TL,CO ratio in pulmonary function test interpretation. Eur Respir J 2013;41:453–61. [3] Weibel ER, Sapoval B, Filoche M. Design of peripheral airways for efficient gas exchange. Respir Physiol Neurobiol 2005;148:3–21. [4] Krogh M. The diffusion of gases through the lungs of man. J Physiol 1915;49:271–300. [5] Guenard H, Varene N, Vaida P. Determination of lung capillary blood volume and membrane diffusing capacity in man by the measurements of NO and CO transfer. Respir Physiol 1987;70:113–20. [6] Aguilaniu B, Maitre J, Glenet S, Gegout-Petit A, Guenard H. European reference equations for CO and NO lung transfer. Eur Respir J 2008;31:1091–7. [7] Zavorsky GS, Cao J, Murias JM. Reference values of pulmonary diffusing capacity for nitric oxide in an adult population. Nitric Oxide 2008;18:70–9.

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