Annales de chirurgie plastique esthétique (2013) 58, 18—27
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ARTICLE ORIGINAL
Le lambeau de gracilis à palette transversale : une nouvelle technique de reconstruction mammaire autologue The transverse musculocutaneous gracilis free flap: Innovative autologous breast reconstruction F. Bodin *, T. Schohn, J.-C. Lutz, S. Zink, A. Wilk, C. Bruant Rodier ´ tique, ho ˆ pital civil, ho ˆ pitaux universitaires de Strasbourg, 1, place de Service de chirurgie plastique reconstructrice et esthe ˆ pital, BP no 426, 67091 Strasbourg cedex, France l’Ho Rec¸u le 22 de´cembre 2011 ; accepte´ le 3 avril 2012
MOTS CLÉS Cancer du sein ; Reconstruction mammaire ; Lambeau libre ; Microchirurgie ; Lambeau de gracilis ; Lambeau musculocutané de gracilis à palette transversale
Résumé Introduction. — Le lambeau libre de gracilis à palette cutanée transversale permet d’étendre les indications de reconstruction mammaire autologue au-delà des classiques lambeaux dorsaux, abdominaux et fessiers. Les auteurs présentent leur expérience concernant l’utilisation de cette nouvelle technique. Patients et me´thodes. — La palette cutanéo-graisseuse du lambeau était taillée en fuseau horizontal centré sur le gracilis à la racine de la cuisse. La partie distale du muscle était libérée à l’aveugle sans incision supplémentaire. Le pédicule vasculaire du lambeau était microanastomosé aux vaisseaux thoraciques internes dans le troisième espace intercostal. Onze patientes, âgées de 44 ans en moyenne (29—62) avec un indice de masse corporelle (IMC) moyen de 24 (19—32), ont bénéficié de cette intervention. La procédure était unilatérale (n = 6) ou bilatérale (n = 5) pour des indications de reconstruction mammaire immédiate (n = 5) ou différée (n = 6). Les principaux paramètres opératoires (durée, diamètre des vaisseaux, longueur du pédicule, volume du lambeau) et les suites postopératoires (complications, séquelles) ont été étudiés. Re´sultats. — L’intervention durait quatre heures et 33 minutes en moyenne (trois à six heures). Le pédicule vasculaire mesurait 6,2 cm de long (5—7,5) et le diamètre de l’artère 1,9 mm (1,5—3). Le poids moyen des lambeaux s’élevait à 344 g (270—498). Deux cas de nécrose partielle intéressant la pointe cutanéo-graisseuse postérieure (1 cm3 et 3 cm3) ont nécessité une cicatrisation dirigée. Les séquelles au site donneur se sont révélées minimes, la
* Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (F. Bodin). 0294-1260/$ — see front matter # 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.anplas.2012.04.003
Le lambeau de gracilis à palette transversale
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cicatrice étant placée dans le sillon génitocrural et le sillon sous-fessier. Il n’existait pas de déficit fonctionnel majeur après six mois de suivi moyen. Conclusions. — Le lambeau libre de gracilis à palette transversale offre une reconstruction naturelle et définitive tout en limitant les séquelles esthétiques et fonctionnelles du site donneur. Il est particulièrement intéressant pour les reconstructions bilatérales et immédiates après mastectomie et conservation de l’étui cutané. Cette option chirurgicale ouvre des horizons nouveaux aux femmes longilignes, dépourvues d’excès abdominal, qui souhaitent une reconstruction mammaire autologue. # 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
KEYWORDS Breast cancer; Breast reconstruction; Free flap; Microsurgery; Gracilis flap; Transverse musculocutaneous gracilis flap; TMG flap; Transverse upper gracilis flap; TUG flap
Summary Introduction. — The transverse musculocutaneous gracilis free flap allows a wider range of indications in autologous breast reconstruction. They extend far beyond traditional dorsal, abdominal and gluteal flaps. The authors present their experience in using this innovative procedure. Patients and methods. — The cutaneous and adipose part of the flap consists in a horizontal ellipse centered on the gracilis muscle in the upper thigh. The distal part of the muscle is released without neither visual control nor additional incision. The flap vascular pedicle is microanastomosed to the recipient internal thoracic vessels in the third intercostal space. Eleven patients, with a mean age of 44 years (29—62) and a BMI of 24 (19—32) underwent this procedure. Surgery was performed on either one side (n = 6) or two (n = 5), in indications of immediate (n = 5) or delayed reconstruction (n = 6). The main operative parameters (time, vessel diameter, pedicle length, flap volume) as well as postoperative follow-up were studied. Results. — Mean time of surgery was 4h33 (3—6 hours). Pedicle measured 6.2 cm (5—7.5) and diameter of the artery was 19 mm (15—30). Average weight of the flap was 344 g (270—498). Two cases of partial necrosis occurred in the posterior cutaneous part of the flap (1 cm3 and 3 cm3). They were treated using controlled wound healing. Sequelae in the donor site proved minimal as the scar was placed in the crural crease and the gluteal fold. No major functional defect was noted after mean follow-up of six months. Conclusions. — The transverse musculocutaneous gracilis free flap allows natural and durable reconstruction while reducing cosmetic and functional sequelae in the donor site. It proves to be particularly useful in bilateral immediate reconstructions following skin-sparing mastectomy. This surgical option offers new opportunities to long-limbed women without abdominal excess wishing autologous breast reconstruction. # 2012 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
Introduction Le large éventail de techniques en reconstruction mammaire témoigne de l’absence de suprématie d’une solution par rapport aux autres. Contrairement aux reconstructions
prothétiques, les lambeaux autologues ont une stabilité dans le temps qui est démontrée [1]. Cependant, l’intervention initiale, assez longue, occasionne des séquelles esthétiques ou fonctionnelles au niveau du site de prélèvement. La plupart des évolutions techniques récentes ont cherché à
Figure 1 Le lambeau musculocutané de gracilis à palette transversale a pour pédicule principal les vaisseaux circonflexes fémoraux internes de la cuisse issus des vaisseaux fémoraux profonds. Le prélèvement de la graisse dépasse la surface de la palette cutanée à sa partie inférieure en regard du muscle.
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limiter ces inconvénients. Les lambeaux perforateurs et les sutures automatiques microchirurgicales en sont des exemples emblématiques [2,3]. L’utilisation du lambeau libre de gracilis à palette transversale s’inscrit dans cette démarche ambitieuse qui cherche à offrir aux patientes une reconstruction naturelle et durable tout en conservant au mieux l’esthétique et la fonction. Initialement décrit par Harii et al. en 1976, la version neuromusculaire de ce lambeau était utilisée pour la reconstruction dynamique de certaines paralysies faciales [4], alors que la version musculocutanée servait à couvrir les pertes de substances des membres [5,6]. La palette cutanée était alors dessinée verticalement dans l’axe du muscle. En 1992, Yousif et al. remarquaient que le trajet des perforantes musculocutanées avaient tendance à prendre une direction transversale autorisant le tracé d’une palette horizontale [7,8] (Fig. 1). Les travaux de Wechselberger et Schoeller ont alors montré la fiabilité de cette variante technique [9], particulièrement adaptée à la reconstruction mammaire [10,11]. Le but de notre travail a été d’évaluer les indications, les paramètres opératoires, la faisabilité et les suites opératoires du lambeau musculocutané de gracilis à palette transversal (Transverse Musculocutaneous Gracilis [TMG] flap ou Transverse Upper Gracilis [TUG] flap en anglais).
Patients et méthodes De novembre 2010 à octobre 2011, 11 patientes, âgées de 44 ans en moyenne, ont bénéficié de cette technique chirurgicale. Seize lambeaux de gracilis à palette cutanée transversale ont été prélevés pour six reconstructions mammaires unilatérales et cinq reconstructions bilatérales. La procédure était différée (n = 11) une année au moins après la fin de la radiothérapie complémentaire ou immédiate (n = 5) à la suite d’une mastectomie conservant l’étui cutané. Parmi ces dernières, quatre mastectomies prophylactiques étaient envisagées en raison d’une prédisposition génétique de type Breast Cancer (BRCA). La technique de prélèvement et de modelage du lambeau a été décrite par Schoeller et al. en 2008 [11]. Le sillon génitocrural et le pli sous-fessier sont dessinés sur une patiente en position debout. La ligne qui joint le tendon proximal du muscle long adducteur et le condyle tibial médial localise le bord antérieur du muscle gracilis [12]. La palette cutanée en forme d’ellipse est tracée à la racine de la cuisse du côté opposé au sein à reconstruire. Son bord supérieur correspond au sillon génitocrural et au pli sousfessier (Fig. 2a). L’extrémité postérieure du lambeau est placée à la jonction tiers externe — tiers moyen de la face postérieure de la cuisse (Fig. 2b). L’intervention est réalisée en double équipe sur une patiente installée en décubitus dorsal sans changement d’installation. La palette cutanée du lambeau est incisée jusqu’aux aponévroses musculaires. Le décollement est ensuite effectué dans un plan sous-fascial depuis les pointes jusqu’au muscle. Le pédicule vasculaire principal du lambeau est disséqué sous le muscle long adducteur en ligaturant les multiples branches collatérales. La portion distale du gracilis est séparée de sa gaine fasciale par clivage manuel et le tendon distal, palpé entre pouce et index est coupé à
Figure 2 a : la ligne qui joint le tendon proximal du muscle long adducteur et le condyle tibial médial correspond au bord antérieur du muscle gracilis. Le fuseau cutané est situé à la racine de la cuisse de part et d’autre du muscle gracilis ; b : la limite postérieure de la palette cutanée est placée à la jonction du tiers externe et des deux tiers internes de la face postérieure cuisse ; c : la limite postérieure de la palette cutanée est placée à la moitié de la face postérieure de la cuisse.
l’aveugle avec des ciseaux extra-longs (Fig. 3). Le pédicule accessoire est repéré et ligaturé quand il est placé suffisamment haut. À défaut, il est « strippé » au cours de la dissection musculaire. L’insertion proximale, pubienne,
Le lambeau de gracilis à palette transversale
Figure 3 La portion distale du muscle est libérée au doigt dans un plan sous-fascial. Le tendon est coupé à l’aveugle avec des ciseaux extra-longs.
est sectionnée au bistouri électrique. Après sevrage du pédicule vasculaire, le lambeau est transféré sur le thorax. Le site donneur est refermé en liftant vers le haut les téguments de la face interne de la cuisse. La fixation en profondeur de la berge cutanée au fascia de Colles permet de limiter la migration de la cicatrice vers le bas. L’anastomose microchirurgicale est réalisée à l’aide de loupes à fort grossissement ( 5) présentant une focale de 30 cm. Le pédicule est branché en termino-terminal sur les
Figure 4 La palette cutanée est repliée sur elle-même, pointes vers le haut, pour donner au sein une forme conique.
21 vaisseaux thoraciques internes au niveau du troisième ou du quatrième espace intercostal [13,14]. Les artères sont suturées avec du fils monobrin non résorbable de 8,0 ou 9,0. Les veines sont couplées avec un système mécanique utilisant deux anneaux de polyéthylène non résorbable. Le diamètre interne des anneaux est adapté au diamètre externe des veines à l’aide d’un calibreur spécifique. Les tailles utilisées s’étendent de 1,5 et 3,5 mm. Si l’espace intercostal est trop étroit, la résection d’une partie ou de la totalité d’un fragment de cartilage costal est réalisée. La tranche de section proximale du muscle gracilis est fixée au thorax afin d’éviter toute traction excessive pendant le modelage. La palette cutanée est alors repliée et suturée sur elle-même, pointes vers le haut, de façon à former un cône [14] (Fig. 4). Le muscle est ensuite enroulé et placé en arrière de ce cône pour augmenter le volume et la projection du sein. La désépidermisation du lambeau est effectuée à la demande. Pour une reconstruction mammaire immédiate avec conservation de l’étui cutané, seul un disque de peau est laissé apparent à l’emplacement de la future aréole (Fig. 5). Pour une reconstruction différée, la totalité de la peau est souvent nécessaire pour restituer le galbe du sein (Fig. 6). La physionomie des patientes opérées était appréciée en relevant l’indice de masse corporelle (IMC) et le volume mammaire. L’étude des paramètres opératoires portait sur les dimensions du lambeau, le temps d’ischémie, et la durée d’intervention. Le diamètre des vaisseaux était mesuré avec le calibreur du coupler après qu’ils aient été sectionnés et préparés pour l’anastomose. La mastectomie associée aux cinq reconstructions immédiates était incluse dans le temps d’intervention total. Afin d’évaluer les suites postopératoires immédiates, nous avons noté la durée d’hospitalisation et recherché les complications éventuelles. À distance de la phase de cicatrisation (six mois de suivi moyen), nous avons questionné les patientes sur l’ampleur des séquelles
Figure 5 Résultat postopératoire d’une reconstruction mammaire immédiate droite par lambeau de gracilis à palette transversale.
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Figure 6 Résultat trois semaines après le premier temps d’une reconstruction mammaire différée bilatérale par double lambeau de gracilis à palette transversale.
éprouvées au niveau du site donneur. Elles devaient nous indiquer s’il existait une gêne fonctionnelle, esthétique ou douloureuse sur une échelle de Likert à quatre niveaux (gêne nulle, minime, moyenne, ou majeure).
Résultats Les patientes qui ont bénéficié du lambeau de gracilis à palette cutanée transversale, présentaient un morphotype plutôt longiligne avec un IMC autour de 24 (19—32). Le volume mammaire de neuf patientes sur 11 était de taille
moyenne avec six bonnets B et trois bonnets C. Une patiente avait une hypotrophie mammaire (bonnet A) et une autre était demandeuse d’une réduction de volume (bonnet D). Le temps d’ischémie était de 45 minutes en moyenne et le temps chirurgical total par lambeau de quatre heures et 33 minutes (trois à six heures). Les reconstructions ont duré en moyenne quatre heures et 45 minutes (trois à six heures) pour les indications unilatérales et huit heures et 24 minutes (sept heures 45 minutes à neuf heures) pour les bilatérales. Les 16 lambeaux ont été anastomosés avec succès. Seule une reprise chirurgicale a été nécessaire quatre heures après la fin de la procédure en raison d’une thrombose veineuse. Les lambeaux pesaient 344 g en moyenne (270—498). Le pédicule vasculaire principal, dédoublé dans un cas, présentait une longueur moyenne de 6,2 cm (5—7,5). Le diamètre artériel mesurait en moyenne 1,9 mm (1,5—3) et celui de la veine 2,6 mm (2,5—3,5). La palette cutanée avait une longueur moyenne de 23 cm (19—30) et une largeur de 9,5 cm (7—10). La durée d’hospitalisation était légèrement supérieure à six jours (cinq à huit jours). Les suites opératoires ont surtout été marquées par quelques souffrances vasculaires de la pointe cutanée postérieure (Tableau 1). Nous avons relevé deux cas de cytostéatonécroses isolées et deux nécroses cutanéo-graisseuses limitées de 1 cm3 et 3 cm3 imposant une durée de cicatrisation prolongée. Une patiente a présenté une hypoesthésie persistante du territoire saphène au niveau de la région tibiale médiale. Au-delà de la période de cicatrisation, deux patientes présentaient une gêne fonctionnelle de moyenne importance correspondant à une induration de la racine de la cuisse et une difficulté à maintenir la position accroupie (Tableau 1). Les cicatrices étaient placées dans les plis, tant au niveau du sillon génitocrural en avant, qu’au niveau du sillon sous-fessier en arrière (Fig. 7). Pour les reconstructions unilatérales, la différence de volume occasionnée par le prélèvement ne gênait que trois patientes sur six. Celles-ci ont bénéficié d’une liposuccion ou
Tableau 1 Évaluation par les patientes des séquelles fonctionnelles au site donneur à l’aide d’une échelle de Likert à quatre niveaux. L’importance de la gêne douloureuse, fonctionnelle ou esthétique était jugée nulle (0), minime (1), moyenne (2) ou majeure (3). Patiente
Reconstruction
Durée de suivi en mois
Gêne douloureuse
Gêne fonctionnelle
Gêne esthétique
Complications
1 2 3 3 4
Droite Droite Droite Gauche Droite
13 10 9 9 8
0 0 0 0 0
2 0 0 0 1
1 0 0 0 1
5 6 6 7 8 8 9 10 11 11 1
Gauche Droite Gauche Droite Droite Gauche Droite Gauche Droite Gauche Gauche
8 7 7 7 6 6 4 4 3 3 2
0 1 0 0 0 0 0 0 0 0 0
1 2 1 0 0 0 0 1 0 0 1
0 0 0 0 0 0 1 1 0 0 0
— — Nécrose 3 3 cm — Thrombose veineuse Nécrose 1 1 cm — Cytostéatonécrose — Hypoesthésie saphène — — — — — — Cytostéatonécrose
Le lambeau de gracilis à palette transversale
Figure 7 Les cicatrices au niveau du membre inférieur gauche sont cachées dans le sillon génitocrural en avant (a) et le sillon sous-fessier en arrière (b).
d’un lifting de face interne de cuisse complémentaire au cours du deuxième temps de reconstruction. L’importance des séquelles esthétiques était jugée nulle ou minime par toutes les patientes. Le volume du sein obtenu était généralement suffisant (bonnet B) avec une bonne projection (Fig. 8—10).
Discussion Les lambeaux libres et les lambeaux perforateurs comme le Deep Inferior Epigastric Perforator (DIEP), le Superior Gluteal Artery Perforator (SGAP) ou le Thoracodorsal Artery Perforator (TAP) sont des techniques chirurgicales récentes.
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Figure 8 Reconstruction mammaire différée gauche par lambeau de gracilis à palette transversale : a : avant l’opération ; b : deux mois après le deuxième temps opératoire.
Leur but est d’étendre les possibilités de reconstruction mammaire autologue tout en limitant les séquelles au site donneur. Dans cet esprit, le lambeau de gracilis à palette transversale, relativement peu connu depuis sa première utilisation en 2002 [15], mérite une attention particulière en raison de ses multiples avantages. Comme c’est le cas pour le lambeau perforateur libre de fessier supérieur (SGAP) [16], le pédicule du gracilis est court. Sa longueur, comprise entre 6 et 7 cm [17], n’autorise pas un branchement sans pontage sur les vaisseaux circonflexes scapulaires. Le pédicule thoracique interne reste donc le seul site receveur adapté. Afin d’éviter une traction excessive ou un arrachement du pédicule vasculaire après l’anastomose, il est nécessaire de fixer le muscle gracilis au
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Figure 9 Reconstruction mammaire immédiate droite par lambeau de gracilis à palette transversale : a : avant l’opération ; b : deux semaines après le deuxième temps opératoire.
thorax avant le modelage. Dans un de nos cas, les points d’attache, placés de part et d’autre du pédicule, ont occasionné une angulation de la veine responsable d’une thrombose. Depuis cet épisode, nous fixons la tranche de section proximale du muscle gracilis au-dessus de l’anastomose afin d’éviter ce type de complication. L’artère fémorale circonflexe médiale qui représente le pédicule dominant du lambeau, a un diamètre d’environ 1,9 mm à son origine [16]. De ce fait, l’utilisation des vaisseaux thoraciques internes au niveau du troisième ou du quatrième espace intercostal permet une congruence
F. Bodin et al.
Figure 10 Double reconstruction mammaire par lambeau de gracilis à palette transversale. La reconstruction mammaire est différée à droite. Du côté gauche, la patiente a bénéficié d’une mastectomie prophylactique avec conservation de l’étui cutané et reconstruction mammaire immédiate : a : avant l’opération ; b : après le tatouage des aréoles.
correcte des vaisseaux. Dans la plupart des cas cependant, la dilatation de l’artère du côté du lambeau s’avère nécessaire avant l’anastomose. Dans notre série, un des lambeaux de gracilis présentait un pédicule vasculaire principal dédoublé en totalité. Les vaisseaux, de taille équivalente, étaient distants de 3 cm (Fig. 11). Cette variation anatomique semble relativement rare puisque deux études ont évalué son incidence à 1,8 % et 3,8 % [18,19]. Pour assurer une bonne vascularisation du lambeau dans ce cas, nous avons effectué avec succès une double anastomose sur les vaisseaux thoraciques internes. Le premier pédicule était branché classiquement sur les flux d’aval tandis que le second utilisait les flux d’amont revascularisés à rétro. Ce type de branchement, déjà décrit pour les lambeaux libres
Le lambeau de gracilis à palette transversale
Figure 11 Dans 1,8 à 3,8 % des cas, le pédicule principal du gracilis est totalement dédoublé jusqu’aux vaisseaux fémoraux profonds.
abdominaux [20] nous semble une excellente solution lorsque le pédicule du gracilis est double. Le risque de thrombose au niveau des anastomoses et la durée opératoire sont des inconvénients propres à la microchirurgie. Ils peuvent être améliorés en associant plusieurs mesures comme le travail constant en double équipe [28,29], l’utilisation de loupes microchirurgicales et le recours systématique à la suture automatique pour la veine [3,21]. La rapidité de prélèvement du lambeau de gracilis par rapport aux autres lambeaux libres [22], l’absence de changement de position combinée à ces différentes mesures permet d’obtenir un temps chirurgical moyen acceptable, d’environ quatre heures et 30 minutes. Cette durée opératoire est comparable à celle des reconstructions mammaires par lambeaux pédiculés [23]. Dans notre expérience, le lambeau de gracilis à palette transversale est plus fragile que le lambeau de DIEP pour lequel on rapporte environ 15 % de nécrose partielle [24,25]. La souffrance de la pointe postérieure du lambeau de gracilis s’est manifestée dans 25 % des cas par de petites nécroses cutanées ou graisseuses. La limite postérieure de la palette cutanée à la jonction du tiers externe et du tiers moyen de la cuisse est trop éloignée des perforantes pour assurer une sécurité vasculaire constante. Afin de prévenir les nécroses, deux solutions nous paraissent envisageables. La première consiste à réduire la longueur de l’îlot cutané d’environ 3 cm de telle sorte que l’extrémité sous-fessière de son tracé ne dépasse pas la moitié médiale de la face postérieure de la cuisse [13] (Fig. 2c). La seconde fait appel à la technique d’angiographie peropératoire au vert d’indocyanine. Déjà utilisée par certaines équipes pour sécuriser la vascularisation du DIEP [26] et du Superficial Inferior Epigastric Artery flap (SIEA) [27], elle pourrait être adaptée au gracilis. La vitalité de la pointe cutanée postérieure du lambeau peut être évaluée pendant l’intervention. Lorsque la vascularisation de la pointe apparaît précaire, une excision pourrait prévenir les complications ischémiques (Fig. 12). Dans les autres cas, le tracé initial, plus généreux, pourrait être conservé en toute sécurité. Il est donc préférable de limiter le prélèvement graisseux à l’aplomb de la peau la plus postérieure afin d’éviter les
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Figure 12 Exemple d’utilisation de la technique d’angiographie peropératoire au vert d’indocyanine pour sécuriser la vitalité du lambeau. Le trait vert indique les limites de la palette cutanée. La pointe postérieure, moins bien vascularisée et délimitée par le trait rouge, pourra être excisée afin de limiter les risques de nécrose.
cytostéatonécroses. En revanche, en mobilisant un maximum de graisse sous le bord inférieur de la palette cutanée, à proximité du muscle gracilis, le volume du lambeau peut être significativement augmenté. À ce niveau, la graisse sous-cutanée, parfaitement vascularisée est incisée à 458 en profondeur et en inférieur (Fig. 1). Les dimensions du lambeau de gracilis à palette transversale sont suffisantes pour reconstruire un sein de petite taille ou de taille moyenne (bonnet A ou B). Dans notre série, le poids moyen des lambeaux s’élevait à 344 g pour des extrêmes allant de 270 à 498 g. Ces chiffres, rejoignent ceux obtenus par Schoeller et al. (330 g, 150—550) [30] ou par Fattah et al. (380 g, 225—576) [22]. Si la taille du sein reconstruit est malgré tout insuffisante, la réalisation d’un lipomodelage complémentaire est toujours possible lors du deuxième temps de reconstruction mammaire. La couleur relativement foncée de la peau située à la face interne de la cuisse pourrait s’avérer plus favorable qu’il n’y paraît. En effet, après une mastectomie avec conservation de l’étui cutané, la peau du lambeau reconstruit uniquement la zone aréolaire. L’hyperchromie est alors un atout (Fig. 5 et 9). Dans les reconstructions mammaires différées, l’irradiation thoracique a souvent assombrit les téguments. La teinte foncée de la peau provenant de la racine de la cuisse est, là aussi, plutôt favorable et limite l’effet « patch » (Fig. 8 et 10). En outre, un lambeau d’avancement abdominal ou une expansion première peut diminuer la taille de la palette cutanée ou l’enfouir dans sa totalité. Selon une étude récente portant sur 22 patientes, dans 83,3 % des cas, les cicatrices occasionnées par le prélèvement du lambeau de gracilis étaient peu ou pas visibles et 100 % des patientes se disaient très satisfaites [31]. Contrairement au lambeau de grand dorsal étendu et aux lambeaux abdominaux qui laissent des cicatrices visibles, le lambeau de gracilis permet de limiter au minimum les séquelles esthétiques du site donneur. Les cicatrices sont en effet idéalement dissimulées à la racine de la cuisse et dans le sillon sous-fessier. Plusieurs travaux anatomiques et cliniques ont montré la possibilité de prélever un lambeau de gracilis perforateur
26 [18,32]. Mais, contrairement aux lambeaux abdominaux, la préservation du muscle gracilis ne semble pas utile. Comme le soulignent Buntic et al., le choix et la dissection d’une ou plusieurs branches perforantes risque d’allonger le temps opératoire et de diminuer plus encore le territoire de perfusion de la palette cutanée sans bénéfice réel [33]. Le gracilis est un muscle accessoire dont la fonction ne représente que 11 % de la force d’adduction totale de la cuisse [34]. Son prélèvement n’occasionne donc aucun déficit fonctionnel perceptible au-delà de la phase de cicatrisation classique. La perte de volume à la racine de la cuisse est plutôt appréciée par les patientes quand il s’agit d’une reconstruction bilatérale. Parmi les six cas de reconstruction unilatérale, trois patientes ont pu bénéficier d’une symétrisation de la cuisse controlatérale au cours du deuxième temps opératoire. D’autre part, le prélèvement du muscle dans son intégralité permet d’augmenter légèrement le volume et la projection du sein. La portion distale du muscle procure également un pédicule vasculaire accessoire de secours qui peut être utilisé si son diamètre est de taille suffisante. En effet, il a été démontré qu’une anastomose intramusculaire entre le pédicule principal et le pédicule accessoire du muscle gracilis existait de façon constante [18]. Le lambeau libre de gracilis à palette transversale est une option thérapeutique désormais établie en reconstruction mammaire. Comme tous les lambeaux autologues, il assure une reconstruction mammaire naturelle et définitive. Ses indications sont larges puisqu’il peut être proposé à la plupart des femmes non fumeuses en bon état général. Son utilisation est particulièrement intéressante pour les sujets jeunes, au morphotype longiligne, dépourvus d’excédent cutanéo-graisseux abdominal. Les atouts de cette nouvelle technique de reconstruction mammaire sont nombreux : l’anatomie du muscle gracilis est constante [35], le prélèvement du lambeau est relativement rapide et les séquelles laissées au site donneur sont modérées. Les reconstructions bilatérales, toujours possibles, garantissent par ailleurs une parfaite symétrie de la face interne des cuisses. Depuis novembre 2010, le lambeau de gracilis à palette transversale est proposé à toutes nos patientes qui souhaitent une reconstruction mammaire autologue. Il occupe désormais une place importante parmi les reconstructions mammaires de petite taille et de taille moyenne qu’elles soient immédiates ou différées.
Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.
Remerciements Les auteurs souhaitent remercier le professeur Thomas Schoeller pour son enseignement.
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