Annales de chirurgie plastique esthétique (2009) 54, 379—383
CAS CLINIQUE
Le lambeau mammaire interne : une nouvelle technique de reconstruction The internal breast flap: A new technique of reconstruction B. Sarfati a,*, N. Zwillinger a, C.C. Lazar a, A. Sarfati b, B. Lorenceau a a ˆle-de-France, ´ partement de chirurgie plastique, reconstructrice et esthe ´ tique, centre hospitalier Rene ´ -Dubos, 6, avenue de l’I De 95301 Pontoise, France b ´ partement de parodontologie, ho ˆ pital Ho ˆ tel-Dieu, AP—HP, Service d’odontologie, UFR d’odontologie, de ´ Denis-Diderot—Paris-VII, Paris, France universite
Rec¸u le 15 octobre 2008 ; accepte´ le 16 janvier 2009
MOTS CLÉS Reconstruction mammaire ; Lambeau mammaire interne ; Lambeau glandulaire
Résumé Sujet. — Le lambeau pédiculé mammaire interne est une technique encore méconnue. Cependant, elle est utile pour certaines reconstructions mammaires et pour certaines pertes de substance thoraciques. On réalise cette technique chez des patientes présentant une hypertrophie mammaire importante. Nous rapportons ici l’expérience de notre service en présentant la technique, ses indications, ses complications et les questions qu’elle soulève. Mate ´riel et me ´thode. — Nous présentons deux patientes ayant bénéficié de cette technique opératoire, dont une reconstruction mammaire controlatérale et un comblement de perte de substance thoracique. Re´sultats. — Le suivi des patientes en termes de survie des lambeaux et de résultats esthétiques a été fait. Les résultats obtenus sont très acceptables et comparables aux techniques de reconstruction classiques. Conclusion. — Le lambeau mammaire interne représente une technique fiable, reproductible et de réalisation simple. Elle trouve ainsi sa place dans l’arsenal thérapeutique du chirurgien plasticien, en permettant d’obtenir un résultat satisfaisant tout en conservant la possibilité de recourir à d’autres techniques de reconstruction en cas d’échec de celle-ci. Il faut cependant prendre en compte le risque carcinologique du transfert d’un tissu potentiellement cancérigène chez une patiente ayant déjà présenté un cancer du sein. # 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
* Auteur correspondant. Chirurgie plastique, 91, rue Petit, 75019 Paris, France. Adresse e-mail :
[email protected] (B. Sarfati). 0294-1260/$ — see front matter # 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.anplas.2009.01.033
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KEYWORDS Breast reconstruction; Internal breast flap; Glandular flap
B. Sarfati et al. Summary Aim. — The internal breast pedicle flap is not a well-known technique yet. Anyway, it is effective for some of breast reconstructions and partial thoracic defects. This technique is applied to patients presenting breast hypertrophy. In this article, we present the experience of our department in this technique, considering its indications, surgery details, complications that may occur and subsisting interrogations about this surgical approach. Material and methods. — Two patients were treated with internal breast pedicle flap, one for controlateral breast reconstruction and one for coverage of partial thoracic defect. Results. — Patients were followed; flap survival and aesthetic results were analyzed during consultations. Results were good and similar to other well-spread reconstruction techniques. Conclusion. — The internal breast pedicle flap is a relevant, reproducible and easy technique. Overall results are satisfying and allow the possibility of applying other techniques in case of failure. You have to keep in mind the risk of making a transfer of a potentially carcinogenic tissue for a patient having already presented a breast cancer. # 2009 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
Introduction La reconstruction mammaire après mastectomie est devenue une opération courante en chirurgie plastique, la plus répandue étant la reconstruction par prothèse seule à effet d’expansion tissulaire. Cependant le chirurgien est souvent confronté à un manque tissulaire au niveau de la paroi thoracique. C’est dans ce cas précis que les techniques d’apport cutanéomusculaire avec lambeau de muscle grand dorsal [1], de muscle grand droit ou plus rarement de muscle grand fessier [2] sont utilisées. Le but de toute chirurgie réparatrice est de reconstruire une perte de substance à l’aide d’un tissu se rapprochant le plus du tissu originel. C’est de ce principe que naquit l’idée de reconstruire le sein à partir du sein controlatéral. Des techniques de lambeau musculoglandulaire comme le lambeau pectoromammaire ont été décrites [3,4], la glande mammaire est alors vascularisée par les perforantes à destinée glandulaire du muscle grand pectoral. Dans le cas de reconstruction des pertes de substance thoraciques, des techniques de bipartition du sein restant ont été décrites par Sanvereno-Rosseli [5] puis par Hugues et al. [6], mais sont aujourd’hui abandonnées. Pour la technique du lambeau mammaire interne, on effectue dans un premier temps une plastie mammaire de réduction et on utilise le tissu cutanéoglandulaire normalement éliminé dans cette plastie pour la reconstruction. Cette technique peut être utilisée pour la reconstruction mammaire ou le comblement d’une perte de substance thoracique. Le concept de breast sharing a été décrit par Marshall en 1981 sur une série de dix cas [7,8]. Les résultats obtenus sont plutôt encourageants mais cette technique reste pourtant peu utilisée. C’est sur ce concept, en utilisant une technique différente, que nous avons réalisé un comblement de perte de substance thoracique et une reconstruction mammaire associée à une prothèse.
Bases anatomiques Le sein est vascularisé par l’artère mammaire interne et externe et par les branches perforantes des artères intercostales [9]. Le lambeau mammaire interne peut être
prélevé en cutané pur ou en cutanéoglandulaire. Il est vascularisé par les perforantes de l’artère mammaire interne qui parcourent le lambeau de médial en latéral. Les artères perforantes de l’artère mammaire interne ont une direction d’arrière en avant. Les veines sont satellites des artères. Le lambeau mammaire interne est lambeau cutanéoglandulaire axial selon le principe décrit par McGregor et Morgan [10]. Le pédicule du lambeau est situé dans une zone de basse pression veineuse proximale [11], assurant un drainage veineux optimal lors de la levée du lambeau. Le point pivot du lambeau est situé en interne, au niveau de son pédicule ; le lambeau peut être mis en rotation à 1808 dans le sens horaire ou antihoraire.
La sélection des patientes Il est nécessaire que le sein controlatéral soit de volume important, suffisant pour être donneur. On ne peut envisager cette technique qu’à partir d’un bonnet C ou supérieur. Dans le cas contraire, le sein donneur aurait un volume insuffisant après réduction. Les patientes à haut risque de cancer du sein bilatéral seront exclues [12]. Un examen complet préopératoire doit être effectué, à la recherche d’un cancer du sein primitif au niveau du sein restant, avec systématiquement un examen clinique complet et une mammographie (comme pour toute diminution mammaire). En cas de doute, une IRM mammaire sera réalisée. De plus, dans le cadre du suivi carcinologique, il faudra examiner les deux seins et effectuer régulièrement des mammographies bilatérales.
La technique Un dessin classique de réduction mammaire type Pitanguy [13,14] est réalisé (Fig. 1). En ce qui concerne les reconstructions de pertes de substance thoracique, le volume est apprécié en fonction de la perte de substance. Le lambeau porte mamelon peut être pédiculé en supérieur, supérointerne ou supéro-externe. L’intervention débute par la création du lambeau dermoglandulaire interne qui est habituellement réséqué. On incise la peau et la glande mammaire jusqu’au plan du
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cutanés simples. Un dispositif de drainage aspiratif est placé en sous-glandulaire. La perte de substance au niveau du site donneur est ensuite fermée comme dans une plastie mammaire type Pitanguy avec une cicatrice en T inversé [13,14]. Les drains de Redon sont retirés entre j2 et j4 postopératoire. Les patientes sortent entre j2 et j5. Le second temps chirurgical est prévu quatre à six semaines plus tard pour sectionner le pédicule médial du lambeau qui crée une voussure médiane. En cas d’insuffisance de volume, une prothèse mammaire peut être posée. La surveillance de ce lambeau est essentiellement clinique. La surveillance carcinologique nécessite la réalisation de mammographies régulières au niveau des deux seins.
Cas cliniques Cas no 1
Figure 1 Dessin du lambeau mammaire interne. On réalise un dessin de réduction mammaire classique, avec un lambeau porte mamelon pédiculé en supérieur ou supéro-interne. Le lambeau est prélevé au niveau de la partie interne du sein (zone en rouge).
muscle pectoral lors de la levée d’un lambeau dermoglandulaire, plus superficiellement lors de la levée d’un lambeau cutané. La limite latérale du lambeau peut dépasser au besoin de quelques centimètres en latéral l’axe de l’aréole. Il sera conservé pour reconstruire le sein controlatéral. On lève le lambeau de latéral en médial au ras du plan du muscle pectoral. Le lambeau reste pédiculé en médial sur les perforantes de l’artère mammaire interne venues de la profondeur. Par sécurité, on arrête le décollement à 3 cm du bord latéral du sternum, zone où les perforantes de l’artère mammaire interne cheminent de la profondeur vers la superficie pour vasculariser le lambeau. C’est un lambeau à vascularisation axiale. La peau médiane présternale en dedans du dessin de la plastie mammaire est décollée de façon superficielle ; on réalise donc un tunnel sous-cutané permettant le passage du lambeau vers le côté controlatéral. Le lambeau, pédiculé en interne, est transféré grâce à une tunellisation médiane, par rotation horaire ou antihoraire. Un test de recoloration cutanée est effectué à ce moment. En cas d’échec de ce lambeau, on a recours à d’autres techniques de reconstruction plus classiques. On passe ensuite du côté du sein à reconstruire. On effectue l’exérèse de la cicatrice de mastectomie qui est envoyée en anatomopathologie pour examen histologique. On décolle la peau au-dessus du plan du muscle pectoral. Le lambeau mammaire est placé à l’endroit de la perte de substance nouvellement créée. En cas d’excès de peau au niveau du lambeau, celle-ci peut être desépidermisée et enfouie. On suture le lambeau en deux plans, avec des points séparés sous-cutanés de fil résorbable et des points
Mme S., patiente de 50 ans, présente une séquelle de médiastinite au niveau de la partie médiane du thorax (Fig. 2A). Elle présente une perte de substance médiane avec une cicatrice rétractile inesthétique, dyschromique. Des techniques de reconstruction plus classiques auraient pu être proposées [15] comme le lambeau du grand pectoral ou grand dorsal. On prélève un lambeau mammaire interne au niveau du sein gauche. On réalise une plastie mammaire de réduction à droite et une exérèse bilatérale des excédents cutanés axillaires dans le même temps. À j21, le lambeau est viable, on note une coloration plus sombre de la peau adjacente. À deux mois, la peau est parfaitement cicatrisée. Il n’y a pas de rétraction notable du lambeau. Sa consistance est identique à celle du sein controlatéral. À deux ans (Fig. 2B), le lambeau retrouve une coloration quasi-identique à celle de la peau adjacente. À cinq ans, la coloration cutanée du lambeau est identique à celle de la peau adjacente.
Cas no 2 Mme L., 62 ans (Fig. 3A), a subi une mastectomie en 2005 à la suite d’un carcinome canalaire infiltrant du sein droit suivi d’un traitement adjuvant comprenant chimiothérapie et radiothérapie. La rétraction cutanée au niveau de la mastectomie a empêché la reconstruction par prothèse simple. Une reconstruction du sein droit a été réalisée deux ans après la première intervention. Le lambeau mammaire interne a été prélevé au niveau du sein gauche et une plastie de réduction mammaire a été réalisée dans le même temps. Le lambeau a été prélevé en cutané pur par choix. Des lambeaux cutanéoglandulaires chez d’autres patientes ont été prélevés et feront l’objet d’une autre publication. À deux mois postopératoires, on pose chez la patiente une prothèse mammaire en rétropectoral. À cinq mois, une intervention de symétrisation est réalisée avec une quandrantectomie inférieure du sein gauche (Fig. 3B). La patiente, bien que très satisfaite, n’a pas souhaité de reconstruction de la plaque aréolomammelonaire. On retrouve un volume mammaire symétrique et une parfaite concordance de la couleur du lambeau avec celle de la peau adjacente.
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Figure 2 A : patiente de 50 ans présentant une séquelle de médiastinite. Existence d’une cicatrice rétractile médiane présternale, dyschromique. B : résultat à deux ans. Le lambeau mammaire a été prélevé au niveau du sein gauche. On note l’exérèse dans le même temps des prolongements axillaires.
Discussion Avantages Les avantages de cette technique sont nombreux. En premier lieu, c’est un procédé de reconstruction qui permet d’apporter à l’organe que l’on souhaite reconstruire un tissu identique à celui d’origine, ce qui n’est pas le cas des autres techniques de reconstruction. Le lambeau mammaire permet donc d’apporter du tissu glandulaire. La consistance, l’aspect et la couleur du sein reconstruit sont identiques au sein d’origine, ce qui permet d’éviter l’effet « patch » que peuvent produire les autres lambeaux de reconstruction mammaire. Le lambeau reste souple, la rétraction est quasi-inexistante. C’est une intervention peu traumatisante, peu hémorragique, elle peut donc être utilisée chez des patientes ayant un risque chirurgical élevé. Les suites opératoires sont simples avec une sortie possible de la patiente entre j2 et j4 postopératoire. Il n’y a aucune séquelle fonctionnelle après l’intervention (à la différence des lambeaux musculocutanés). Le second temps opératoire ne nécessite qu’une anesthésie courte pour sevrer le lambeau et poser une prothèse si besoin. Elle permet aussi, en
Figure 3 A : patiente de 62 ans ayant subi une mastectomie droite. Le sein controlatéral est volumineux avec une ptose importante. B : résultat à huit mois avec mise en place secondaire d’une prothèse mammaire rétropectorale à droite et correction du sein gauche pour symétrisation.
cas d’échec de l’intervention, de réaliser d’autres techniques de reconstruction plus classiques sans effet délétère sur celles-ci. En effet, la réalisation d’une reconstruction mammaire par lambeau mammaire interne n’interdit en aucun cas la réalisation secondaire d’un lambeau musculaire de grand dorsal ou de grand droit. La rançon cicatricielle de cette technique est minime, elle n’ajoute aucune cicatrice supplémentaire par rapport à une réduction mammaire pour symétrisation du sein restant. Chez une patiente souvent très affectée par la mastectomie, il est très appréciable de ne pas rajouter de nouvelles cicatrices au niveau du ventre (lambeau de muscle grand droit) ou au niveau du dos (lambeau de muscle grand dorsal). Au niveau du suivi carcinologique, l’examen clinique du sein reconstruit ne diffère pas de l’examen classique, de plus il est tout à fait possible de réaliser une mammographie de contrôle du sein reconstruit, les images retrouvées sont similaires aux
Le lambeau mammaire interne : une nouvelle technique de reconstruction images de références pour des seins ayant subi une réduction mammaire. En cas de doute sur le sein restant avant reconstruction, une IRM pourrait être réalisée à la recherche d’une tumeur primitive infraclinique. Au niveau psychologique, après interrogation des patientes, il paraît plus acceptable et plus compréhensible pour une femme de bénéficier d’une reconstruction mammaire à partir du sein restant plutôt que d’utiliser le muscle grand dorsal ou grand droit. En cas d’échec de ce lambeau, la réduction du sein restant est déjà effectuée, permettant de mieux ajuster le volume du nouveau lambeau pour la reconstruction.
Inconvénients L’inconvénient majeur de cette technique est l’apport de tissu potentiellement cancérigène au niveau du sein reconstruit. Il est vrai que la probabilité de développer un second cancer du sein primitif controlatéral est plus élevée que dans la population générale [12]. C’est pour cela qu’il faut réfuter cette technique pour les patientes ayant un risque de récidive élevé (mutations génétiques, carcinome lobulaire infiltrant). Quand le sein est transféré du côté opposé, il est considéré comme sein au moment du transfert. Une fois le pédicule du lambeau sectionné, le sein reconstruit et le sein donneur évoluent de façon indépendante. En cas de récidive du cancer du sein, une IRM mammaire bilatérale sera réalisée. Si la récidive se trouve au niveau du sein reconstruit, une exérèse complète du lambeau devra être réalisée ; si le tissu au niveau du sein donneur est sain, il n’y a pas d’indication de geste chirurgical à ce niveau (ni même de curage). En cas de récidive au niveau du sein donneur, le traitement sera réalisé en fonction du type et de la taille de la tumeur [16] (tumorectomie avec ou sans curage, mastectomie). Aucun geste ne sera réalisé sur le sein reconstruit en l’absence de lésion retrouvée à l’imagerie. Le risque de récidive n’est pas augmenté par cette technique. Le second inconvénient est la nécessité d’un second temps opératoire afin de sectionner le pédicule du lambeau. Mais la plupart des reconstructions mammaires se font aussi en plusieurs temps. Le second temps opératoire peut permettre de reconstruire l’aréole si la patiente le souhaite.
Conclusion Il n’existe pas une opération universelle valable pour toutes les reconstructions mammaires après mastectomie. La technique du lambeau mammaire interne peut donc être proposée pour les patientes ayant subi une mastectomie et possédant un sein résiduel lourd et volumineux. C’est une technique de réalisation aisée, la rançon cicatricielle est tout à fait acceptable pour le chirurgien et la patiente. Des
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cas de reconstruction mammaire par lambeau dermoglandulaire sans prothèse ont été réalisés et feront l’objet d’une prochaine publication.
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